• Conte: Ridha, Lune et Sahara

     

    Ridha, Lune et Sahara

     

    de Natalie Kurtog

     

    Traduit du russe par Yulia Smirina, adaptation Nathalie Nédélec-Courtès

     

    Illustré par l'auteur

     

    Brouillon !!

     

    Ridha cheminait en compagnie de sa vieille ânesse. De grands yeux ronds et jaunes semblables à deux astres lunaires illuminaient la tête noire et velue de la brave bête. C'est pourquoi on l'avait nommée Lune.

     

    Lune s'arrêta brusquement.

     

    — Qu'est-ce qui t'arrive, ma belle ? Nous y sommes presque, s'exclama Ridha en la tirant par la bride.

     

    Mais l’ânesse ne bougea pas d'un pouce. Ridha tenta de la faire avancer, sans plus de succès. Il vit alors qu'une vieille valise en piteux état se trouvait en travers du chemin. « Quelqu'un a dû s'en débarrasser ; elle est si vieille et abimée », se dit Ridha tout en la poussant du pied. À tout hasard, il scruta l'horizon à la recherche de son propriétaire. Mais il ne vit personne. Autour de lui, seules s'étendaient des plaines nues sous l'ardeur du soleil.

     

    — À qui peut bien appartenir cette valise ? dit-il tout haut.

     

    Seul le vent jouant dans ses cheveux lui répondit.

     

    — Voyons… Qu'y a-t-il là-dedans ? murmura-t-il en ouvrant la valise.

     

    Conte:  Ridha, Lune et Sahara

     

    Il y découvrit trois objets : une longue écharpe rouge, une paire de lunettes et un rameau d’olivier tout desséché.

     

    — Eh bien… pas grand-chose, dit le garçon. Il prit l'écharpe entre ses mains. Une écharpe de femme.

     

    L’ânesse s'approcha de la valise, l'examina, puis s'ébroua avant de goûter une petite feuille d'olivier.

     

    — Mmm ! Quel délice, s'exclama-t-elle.

     

    Abasourdi, Ridha leva les yeux. Qui venait de parler ?

     

    — Que t'arrive-t-il donc ? demanda Lune.

     

    — Tu ne peux pas parler, tu es une ânesse ! hoqueta Ridha.

     

    — C'est ce que tu crois ? rétorqua Lune indignée, martelant le sol à coups de sabots. Eh bien, tu as tort. Je parle aussi bien que toi.

     

    De surprise, Ridha fit un pas en arrière, trébuchant contre la valise. Il tomba sur le sol, écrasant le rameau d'olivier desséché. Il ramassa les lunettes et se releva, enroulant l'écharpe rouge autour de son cou. Et soudain, il s'envola comme un ballon.

     

    — Oh! s'écria-t-il. Que m'arrive-t-il ?

     

    — L'écharpe ! Ôte l'écharpe, lui cria Lune.

     

    Ridha suivit son conseil et atterrit aussitôt.

     

    — C’est une valise magique. Le contenu est ensorcelé. Tu vois, quand je mets l'écharpe, je vole ; et toi, tu as goûté une feuille d'olivier et tu parles, tu comprends les humains.

     

    — Je les comprends depuis longtemps, affirma Lune en fermant un œil, tandis que l'autre, bien ouvert, restait fixé sur Ridha. Et je peux lire tes pensées. Des tas de choses t'effraient.

     

    — Par exemple ?

     

    — Eh bien, tu es de petite taille. Tu as peur de ne pas grandir davantage. Tu voudrais fabriquer de belles valises, mais tu as peur que l'on se moque de toi. Tu n'en as parlé à personne. Tu voudrais voyager aussi, et tu es même prêt à te cacher dans une malle pour faire le tour du monde. Mais tu ne veux pas quitter ta vieille grand-mère aveugle.

     

    Conte:  Ridha, Lune et Sahara

     

    Ridha était stupéfait. Lune disait la vérité. Sa petite taille lui faisait honte, et il rêvait d'être fabriquant de valises. Il voulait aussi voyager mais n’en avait jamais parlé à personne. Surtout pas à sa grand-mère. Il craignait de l'inquiéter. Les parents de Ridha étaient morts, et sa grand-mère n'avait que lui au monde, mis à part Lune.

     

    — C'est humain de rêver, commenta tristement Ridha.

     

    — Tu crois peut-être que les ânes ne rêvent pas, hein ? remarqua Lune, d'un ton narquois.

     

    — De quoi donc pourraient-ils rêver ? D’une carotte bien sucrée ? D'olives savoureuses ? Tu as toujours faim, toi. Tu serais prête à manger n’importe quoi, pourvu que tu aies la panse pleine… Ou peut-être rêves-tu d'être un grand cheval, toi qui es si petite ?

     

    — Tu as raison sur un point : je suis gourmande, répliqua Lune fièrement. Mais je n'ai pas envie d'être un cheval ; je voudrais voler comme un oiseau dans le ciel. Voilà pourquoi je me nomme « Lune ». Donne-moi cette écharpe, je vais la mettre et m'envoler vers la lune.

     

    — Avec plaisir. Envole-toi. Tu seras la première ânesse volante.

     

    Ridha s'apprêtait à enrouler l'écharpe autour du cou de Lune lorsque deux chameliers s'approchèrent. Ils étaient richement vêtus et coiffés de turbans.

     

    — Hé, mon garçon, fit l'un d'entre eux en agitant la main.

     

    Ridha eut un pressentiment : ces hommes étaient dangereux.

     

    — Vite, fuyons ! lança-t-il. Et il sauta sur le dos de l'ânesse.

     

    Conte:  Ridha, Lune et Sahara

     

    Lune se mit à galoper sur le sable chaud du désert.

     

    — Mais où allons-nous ? Que se passe-t-il ? s'enquit l'ânesse.

     

    Ridha tourna la tête. Les deux hommes les avaient pris en chasse. Ils les rattraperaient bientôt. Le garçon enroula l'écharpe rouge autour de son cou et du cou de Lune, et ils s'envolèrent au-dessus du désert.

     

    — Victoire ! cria Ridha.

     

    — Aha, fit Lune à son tour. Je vole ! Quel bonheur ! Je vole ! Quel dommage qu'aucun de mes congénères ne me voie.

     

    — Mais les chameaux te voient, eux. Regarde ! répondit Ridha.

     

    En dessous d'eux, des chamelles et leurs petits levaient des yeux ébahis. Quant à leurs poursuivants, ils semblaient avoir disparu.

     

    — Comme ils sont petits ! s'étonna Lune.

     

    — Nous volons très haut dans le ciel. Regarde le soleil, il est éblouissant ! Ridha mit les lunettes qu'il tenait à la main. Oh! C'est magnifique ! Les lunettes aussi sont magiques. Je vois un trésor, des vases remplis d'or et de pierres précieuses dans une ville ancienne.

     

    — Vois-tu aussi à manger dans cette ville ? demanda Lune.

     

    — Non, pauvre affamée. Rien à manger, juste un trésor et des hommes, dit Ridha.

     

    — Donne-moi ces lunettes. Je veux les voir, moi aussi.

     

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    Le garçon ôta les lunettes et la vision magique disparut. Il les plaça sur les yeux de Lune.

     

    — De l'eau ! Que d'eau ! s'exclama Lune. Un fleuve.

     

    L'ânesse, apparemment ravie, fit une pirouette dans les airs, manquant de désarçonner Ridha.

     

    — De l'eau ? fit celui-ci surpris. Il n'avait pas vu de fleuve, mais une ville regorgeant de trésors.

     

    — Regarde par toi-même, dit Lune.

     

    Et en effet ; lorsque Ridha remit les lunettes, il vit un grand fleuve souterrain se dérouler sous le sable du désert, tel un serpent gigantesque.

     

    — Toute cette eau ! Comme elle serait utile pour notre village, s'émerveilla Ridha.

     

    — J'ai soif, dit Lune en secouant la tête.

     

    — Eh bien, tu attendras, remarqua Ridha. C'est un fleuve souterrain ; il est trop loin sous le sable.

     

    — J'ai soif, s'obstina Lune, têtue comme une mule.

     

    — Tu devras patienter. Rentrons à la maison.

     

    Soudain le ciel s'assombrit. Une tempête de sable se leva, emportant les deux amis comme des fétus de paille. Le sable tourbillonnait tout autour d'eux, les aveuglant.

     

    — Ahhh ! lança Lune, effrayée. Elle battit l'air de ses jambes, tournoyant dans un trou d'air. Je veux descendre !

     

    Sa tête tournait et sa bouche était pleine de sable qu'elle s'efforçait de recracher.

     

    La tempête s'apaisa aussi vite qu'elle avait commencé. Le garçon et l'ânesse tombèrent en piqué et furent engloutis par les sables du désert. Ridha ouvrit les yeux. Près d'eux s'entassaient d'anciennes jarres d'argile, des tableaux et des tapis précieux, ainsi que de la riche vaisselle.

     

    — J'ai soif, fit encore Lune d'un air plaintif. Elle avança vers une grande jarre emplie d'eau.

     

    Ridha s'en approcha également et vit que s'y reflétait le visage d'une vieille femme, une écharpe rouge enroulée autour du cou. Elle s'éclaircit la gorge.

     

    — Qui es-tu? Quel est ton nom ? demanda Ridha.

     

    — On me nomme Sahara.

     

    — Comme le désert ?

     

    — Pas du tout. C'est le désert qui s'appelle comme moi. Je suis la Maîtresse des Sables. Je te connais. Ton nom est Ridha. C'est alors que la vieille aperçut les objets que Ridha avait trouvés dans la valise. Son expression changea. Comment as-tu osé prendre mes affaires ?

     

    — Je les ai trouvées au bord de la route… commença Ridha.

     

    Mais la vieille lui coupa la parole.

     

    — Tu les as trouvées ? Et où est ma valise ?

     

    — Elle est restée là-bas. Deux chameliers me suivaient…

     

    — Des chameliers ? Des sorciers noirs, tu veux dire ! Ils ont dérobé ma valise où se trouvaient les objets magiques. Ils convoitaient le rameau d'olivier. J'ai déclenché une tempête de sable pour les arrêter. Mais ma valise s'est égarée dans la tempête. Et tu l'as trouvée…

     

    Ridha tremblait, sa bouche était sèche. Il craignait d'avouer à Sahara qu'il avait écrasé un rameau d'olivier en tombant.

     

    — Qu'as-tu donc ? reprit Sahara d'un ton sévère.

     

    — Pourquoi ces sorciers t'ont-ils volé un rameau d'olivier ?

     

    — Oh, ces horribles sorciers ! Ils ont découvert un parchemin contenant des formules magiques. Ils veulent lever une armée d'entre les morts. Une armée dévastatrice. Et ils ont besoin d'un rameau d'olivier pour prononcer le sortilège. Ils pourraient aussi faire de moi leur esclave. Tu dois retrouver la valise et le rameau d'olivier. Et le parchemin avec les formules.

     

    — Mais… murmura Ridha effrayé, j'ai écrasé la branche et elle s'est émiettée. Elle était sèche. Et je n'ai pas trouvé de parchemin…

     

    Sahara ne prêta pas la moindre attention à ses paroles.

     

    — Si tu accomplis cette tâche, je te récompenserai. Sinon, je te punirai : tu seras condamné à me servir éternellement dans la ville des morts. Tu ne reverras plus jamais ta grand-mère. Je te donne trois jours. Va ! Lune restera auprès de moi. Ne parle à personne de notre rencontre ou je te transforme en sable.

     

    La vieille femme disparut. Ridha donna de l'eau à Lune, puis but à son tour. Lorsqu'il leva les yeux, il vit que l'ânesse s'était endormie. Il était las, lui aussi. Il se jeta à terre et s'endormit sur-le-champ.

     

    * * *

     

    Ridha s'éveilla au milieu du désert. Où était-il ? Des vagues et des vagues de sable blanc s'étalaient à l'infini. Le soleil déclinait ; la nuit était proche. La peur le rongeait : il était seul désormais, sans eau, sans provisions. Qu'allait-il faire ?

     

    Conte:  Ridha, Lune et Sahara

     

    Soudain, il aperçut un oiseau. Quel réconfort de ne plus être seul ! L'oiseau voltigeait autour de lui, et Ridha comprit qu'il cherchait à lui montrer le chemin. Il le suivit en courant. La course dans le sable était épuisante, mais il devait se hâter, car la nuit serait bientôt là.

     

    Il croisa un énorme serpent qui se tordait de douleur. Ridha s'approcha de lui et demanda :

     

    — Qu'as-tu donc ?

     

    — Une épine me fait souffrir.

     

    — Une épine ? Montre-la moi. Je ferai de mon mieux pour t'aider.

     

    Le serpent ouvrit grand sa gueule.

     

    — Je l'ai avalée. Est-ce que tu peux l'enlever ?

     

    Conte:  Ridha, Lune et Sahara

     

    « C'est un piège. Il veut me dévorer », pensa d'abord Ridha. Et à vrai dire, sa gueule était si grande qu'il aurait pu sans le moindre doute engloutir Ridha, un âne et un chameau à la fois. Malgré tout, le garçon décida d'aider le serpent.

     

    — D'accord, dit-il. Et il se glissa dans sa gueule et le long de son ventre.

     

    Il faisait sombre à l'intérieur de la bête. Ridha avançait petit à petit, et se piqua soudain lui-même sur l'épine. Malgré la vive douleur, il parvint à l'arracher et à soulager le serpent. Celui-ci recracha le garçon sur le sable.

     

    — Merci Ridha ! Tu es un bon et brave garçon. Tu m’as sauvé malgré ta peur. Tu mérites une récompense.

     

    Une larme coula de ses yeux, Ridha tendit la main et la larme du serpent y roula comme une perle.

     

    — Si jamais tu es dans le besoin, jette ce présent dans l’eau et j'accourrai à ton aide. Mais surtout, n'oublie pas, tu dois le jeter dans l’eau.

     

    Cela étant dit, le serpent s'éloigna en rampant dans le sable du désert.

     

    Le soleil disparut derrière l'horizon. La nuit et la fraîcheur s'installèrent. Les étoiles s'allumèrent dans le ciel. Ridha contempla la perle rare au creux de sa paume. Elle brillait dans l'obscurité, éclairant tout autour de lui. Il vit alors la silhouette de deux chameaux et des deux sorciers noirs. Tous semblaient dormir. La valise magique était attachée au bât d'une des bêtes. Ridha s'approcha sans bruit, tentant de saisir la valise. Hélas, l'un des sorciers le captura. Le garçon tenta de résister, mais en vain.

     

    — Je te tiens ! Dis-moi ton secret ; comment fais-tu pour voler dans le ciel ? Allez, dis-le moi !

     

    Le garçon garda le silence.

     

    — Tu es muet ? se fâcha le sorcier. Te rends-tu compte que je peux te tuer ?

     

    Ridha était pétrifié par la peur, mais restait silencieux. S'il échouait, la colère de Sahara serait terrible.

     

    L'autre sorcier s'était levé lui aussi.

     

    — Laisse-le réfléchir jusqu'à l'aube. Il parlera, crois-moi. Attachons-le.

     

    Ils le ligotèrent, l'abandonnant près d'un chameau, puis retournèrent se coucher. Ils ronflèrent bientôt de concert. Alors, le garçon ouvrit sa main et regarda sa perle. Elle illuminait tout alentour, et aussi l'oiseau noir qui lui avait montré la route. Un oiseau tout petit, avec deux cercles jaunes autour des yeux, deux cercles qui rappelaient deux pleines lunes.

     

    Cet oiseau ne lui était pas inconnu.

     

    — Lune, chuchota Ridha.

     

    — Enfin, tu m'as reconnu, dit l'oiseau en battant des ailes. Je n'y croyais plus.

     

    — Que t'est-il arrivé ?

     

    — Tu sais combien j'aime bavarder. Cela m'a perdue. La vieille en a eu assez de m'entendre et m'a ordonné de me taire. Mais je n'ai pu garder le silence très longtemps. Elle m'a transformée en oiseau. Après tout, j'en rêvais depuis toujours. Maintenant je vole. Elle m'a avertie que je ne pourrais parler que si tu me reconnaissais. Tu es un sage, Ridha, et si valeureux. Je suis fière de toi.

     

    Conte:  Ridha, Lune et Sahara

     

    — Et je suis si content de te revoir, Lune. Mais nous devons partir d'ici.

     

    — Tu as raison. Attends…

     

    Lune défit les liens de Ridha. En quelques instants, il était libre. Il scella silencieusement un chameau, puis tirant l'autre par sa longe, il s'éloigna dans le désert. Lune s'était installée sur la selle avec lui.

     

    — Es-tu contente d'être un oiseau ? lui demanda Ridha alors qu'ils étaient déjà loin.

     

    — Ma foi, oui. Je suis une ânesse originale, non ? Je parle comme les humains, je vole comme les oiseaux et je voyage à dos de chameau. Je suis certainement la seule en mon genre !

     

    Ridha rit. L'aube pointait déjà. Le garçon arrêta les chameaux qui se jetèrent à terre, se recroquevillant comme des lits pliants. Qu'ils étaient drôles !

     

    Ridha détacha la valise et l'ouvrit. Il y trouva les petits morceaux desséchés et écrasés du rameau d'olivier. Il les ramassa soigneusement et les glissa dans sa poche. Quant au parchemin, il eut beau chercher, il ne le trouva pas.

     

    — Les sorciers l'ont gardé, maugréa-t-il. Nous devons retourner le chercher.

     

    — Non, c'est trop dangereux. Reste ici. J'y vole, proposa Lune.

     

    Ridha n'eut pas le temps de répondre. Lune avait déjà pris son vol et s'était éloignée. Le garçon trouva un sac sur le dos du chameau ; il contenait une gourde d'eau et des galettes. Il but et mangea en attendant le retour de Lune. Le soleil se coucha à nouveau, mais l'oiseau ne revint pas.

     

    — Cette ânesse m'en fera voir de toutes les couleurs, marmonna Ridha. Que lui est-il donc arrivé ?

     

    Ridha rattacha la valise sur le dos du chameau et se prépara à partir. Et soudain, son amie revint.

     

    — Enfin, te voilà ! J'étais inquiet.

     

    — Je n'ai pas trouvé le parchemin. Cache-toi vite, les sorciers arrivent.

     

    La nuit était tombée. Où pouvait-il aller ? Il risquait de s'égarer dans les ténèbres. Il décida de se cacher dans la valise.

     

    Et les sorciers s'approchèrent du camp.

     

    — Où est passé ce maudit garçon ? fit l'un d'entre eux.

     

    — Peut-être s'est-il enfui dans le désert, fit l'autre.

     

    — De toute façon, il ne peut pas aller loin. Et puis, n'oublie pas, tout doit s'accomplir demain.

     

    Ridha, couché en chien de fusil à l'intérieur de la valise, entendait tout. Il ne pouvait rien faire et s'endormit bientôt.

     

    Il fut éveillé à l'aube par les mouvements de la valise. Les sorciers s'étaient mis en route. Ridha était tout engourdi, mais ne pouvait pas bouger sous peine de se trahir. Les chameaux marchèrent longtemps. Le garçon étouffait dans la valise, et il mourait de soif. La perle lui brûlait la paume.

     

    Les sorciers restèrent longtemps silencieux, puis l'un d'eux s'exclama :

     

    — Regarde, la pleine lune !

     

    — Il est temps, répondit l'autre.

     

    Ils s'arrêtèrent et les chameaux s'allongèrent aussitôt.

     

    — Prends le parchemin et lis, fit une voix.

     

    Et Ridha entendit :

     

    — Le sortilège doit être prononcé à la lueur de la pleine lune. Un captif sera jeté aux pieds de l'armée et des cendres d'olivier répandues dans le sable. Les forces du désert et la reine Sahara se mettront au service de ceux qui ont prononcé la formule.

     

    — Nous n'avons pas de captif.

     

    — Humm. Prenons d'abord le rameau d'olivier, fit l'autre. Et il s'approcha de la valise.

     

    Ridha osait à peine respirer. Le couvercle s'ouvrit.

     

    — Nous avons un hôte, s'exclama le sorcier qui l'avait découvert. Quelle chance ! Juste ce qu'il nous fallait. Les forces noires sont avec nous. Il se saisit fermement de Ridha. Regarde, dit-il à son comparse, que tient-il dans sa main ?

     

    Il desserra les doigts crispés du garçon et prit la perle.

     

    — Rendez-la moi, fulmina Ridha.

     

    Mais les deux sorciers se contentèrent de lui lier les mains.

     

    — Lisons la formule, vite, tant que la lune brille.

     

    Ridha entendit les paroles terribles, psalmodiées par les sorciers. Puis des centaines de pas résonnèrent dans le désert : les âmes des soldats revenaient d'entre les morts, leurs visages terrifiants se dressant devant lui. L'un des sorciers jeta Ridha à leurs pieds.

     

    — Brûlons le rameau d'olivier maintenant, cria le plus âgé.

     

    — Je ne le trouve pas, fit l'autre en fouillant frénétiquement la valise.

     

    — Où est-il ? hurla le premier à l'adresse de Ridha, son visage déformé par la fureur. Donne-le moi et je te rends ta perle.

     

    Il ouvrit la main pour la montrer à Ridha. Et Lune en profita pour plonger et la saisir dans son bec. Mais le sorcier claqua son fouet en direction de l'oiseau. Lune tomba aux pieds de Ridha.

     

    — Lune ! Le garçon s'agenouilla près de son amie. Si seulement on pouvait la mettre dans l'eau, murmura-t-il.

     

    Soudain, une goutte d'eau s'écrasa sur sa main, puis une autre et encore une autre. En peu de temps, des torrents de pluie se déversaient sur eux. La perle devint un grand fleuve qui serpentait dans le désert. Et le serpent apparut.

     

    — Tu m'as appelé, mon ami ?

     

    — Tuez-le ! ordonna l'un des sorciers aux soldats.

     

    C'est alors que le serpent commença à grandir. Il devint gigantesque, si grand qu'il aurait pu avaler une armée entière et les sorciers aussi.

     

    — Libérez le garçon, siffla le serpent.

     

    Épouvantés, les mains tremblantes, les sorciers détachèrent le garçon.

     

    Puis le serpent ordonna à Ridha de s'éloigner.

     

    — Tu n'as plus rien à craindre, lui dit-il.

     

    Le garçon prit Lune inanimée dans ses mains et monta sur une dune. Le serpent dansait et tournoyait autour des sorciers pétrifiés par la peur. Sa peau tomba. Le serpent s'enroula autour des sorciers et les précipita dans le fleuve, entraînant l'armée des morts à leur suite. Puis, en un clin d'œil, le fleuve disparut.

     

    — Bien fait, remarqua Lune.

     

    — Lune ! Ça va mieux ? s'exclama Ridha l'air ravi.

     

    Les ombres de la nuit s'estompaient à nouveau, faisant place au petit matin. La peau de serpent gisait sur le sable, resplendissant comme des milliers de perles. Le vent se leva, l'emportant sur la valise. Et miracle ! La vieille valise devint neuve. Ridha plongea la main dans sa poche et en retira le rameau d'olivier. La branche morte était redevenue verte et embaumait la sève. Lune se posa sur la branche pour y goûter.

     

    — Nous avons une valise neuve, une branche verte et un parchemin. Il ne nous reste plus qu'à les restituer à Sahara.

     

    Ridha plaça le rameau d'olivier et le parchemin dans la valise. Puis il leva les yeux pour appeler les chameaux, mais ils avaient disparu. Et tout près de lui se trouvait Lune, redevenue ânesse.

     

    — Où sont-ils passé ? demanda Ridha.

     

    — Nous n'avons plus besoin d'eux. Ils sont retournés auprès de Sahara.

     

    — Et toi, tu n'es plus un oiseau !

     

    — Hi han, fit Lune en s'ébrouant.

     

    — Eh… tu ne parles plus !

     

    — Hi han !

     

    — Plus de miracles, alors ! Mais comment vais-je pouvoir rendre tout ceci à Sahara ?

     

    À ces mots, la dune ondula, et un puits s'y creusa, aspirant la valise et son contenu. En un rien de temps, la valise magique avait disparu, engloutie par les sables.

     

    — J'ai accompli ma tâche et tout ce que m'avait demandé Sahara. Je peux rentrer chez moi.

     

    Au moment où la valise disparaissait dans les sables, Ridha réalisa qu'il avait oublié d'y remettre les lunettes. Il enfourcha l'ânesse et ils rentrèrent chez eux. Sa vieille grand-mère aveugle l'accueillit avec joie.

     

    * * *

     

    Lorsqu'il devint adulte, Ridha ouvrit un atelier. Il devint fabriquant de valises. Ses valises étaient faites du cuir le plus souple et le plus beau qui fût. D'où venait ce cuir ? Nul ne le sut jamais, mais les valises se vendirent fort bien. Ridha fit fortune grâce à elles et put réaliser son rêve : il voyagea dans le monde entier. Il emmena sa grand-mère qui retrouva la vue grâce aux lunettes magiques de Sahara.

     

    Conte:  Ridha, Lune et Sahara

     

    FIN

     

    Natalie Kurtog est née à Perm, en Russie, mais habite à Moscou depuis 1989. Enfant, déjà, elle rêvait de devenir écrivain.

     

    Après avoir fait des études de Lettres à l'Université, elle a travaillé quelque temps comme journaliste.

     

    Outre son activité d'écrivain, elle a enseigné le Russe, l'Histoire, écrit des scenarii pour le cinéma.

    Ses contes ont donné lieu à des spectacles qui ouvrent le festival de cinéma de Moscou et les Émirats arabes unis, Sharjah.

     

    Depuis 2005, elle a publié plus de cinquante contes pour les enfants. Elle est même à l'origine d'une nouvelle tendance en Russie, appelée « Contes de l'Oreiller ».

     

    En effet, c'est sur l'oreiller, avant de fermer les yeux, que s'entendent les plus belles histoires. 

     

    Son idée est de promouvoir l'amour de la lecture par le jeu, idée qui fait son chemin non seulement en Russie, mais aussi partout dans le monde.

     

    Ses œuvres ont déjà été traduites en plusieurs langues dont l'anglais, l'ukrainien et le komi (langue finno-ougrienne) de la région de Perm, mais aussi en arabe.

     

    Les livres de Natalie Kurtog sont recommandés en Russie pour les enfants d'âge scolaire.

     

    Elle a été récompensée par plusieurs prix littéraires russes dont le Prix Sholokhov et le Prix Griboyedov.

     

    Ses œuvres comprennent « Le conte d’une vieille souris », « Les contes de la région de Perm », « Contes-cadeaux », et de nombreux autres.

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