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    Conte de Noël: Chez nous

     

     

    Une conte de Noël inédit, créé pour Châtelaine par l’autrice Sophie Bienvenu.


    par Sophie Bienvenu de la revue Châtelaine

     

    Contes et Légendes 2:  Conte de Noël: Chez nous

    Illustration: Katrinn Pelletier (agence Colagene)

     

    Pour traverser l’avenue Pierre-De Coubertin, Sylvain doit enjamber un banc de neige façonné sous ses yeux par une déneigeuse. Il calcule mal son coup et manque de se retrouver les fesses au frais. Résultat de l’opération : ses souliers sont remplis de glace, ses chevilles sont gelées et il soupçonne s’être fait un tour de reins. S’il n’avait pas promis à sa blonde qu’il mettrait un deux dollars dans un pot Mason chaque fois qu’il sacrerait, il aurait répété pour un bon quarante dollars d’« ostie d’hiver à marde ». Lorsque Sylvain essaie de planter sa pancarte sur le tas de neige, sa main glisse sur le manche, une écharde vient se loger dans son index, et la douleur le surprend : il devra deux dollars à la cagnotte.

    En claudiquant jusqu’à l’avenue Aird, où il a stationné sa voiture, Sylvain se questionne sur la pertinence de s’être rendu au stade par une telle température. Après un été pourri, l’hiver s’annonce à l’avenant. N’aurait-il pas mieux fait de rester chez lui dans ces conditions ?

    Il fallait pourtant qu’il fasse quelque chose. À l’approche de Noël, le nombre de réfugiés illégaux ne fait qu’augmenter, le gouvernement promet aide financière sur aide financière… Bientôt, les étrangers se feront distribuer des certificats-cadeaux pour le spa à la frontière, alors que lui, à la retraite depuis quelques années, doit faire du Uber pour réussir à conserver un train de vie décent. Et ça, c’est en attendant que sa femme et lui se retrouvent en CHSLD, emprisonnés dans leur propre crasse parce que le gouvernement préfère sauver les étrangers plutôt que prendre soin de ses vieux.

    Deux dollars de plus dans le pot Mason.

    Non… à bien y réfléchir, Sylvain a bien fait de venir signaler son mécontentement à l’entrée du stade. Veille de Noël ou pas, ces soi-disant réfugiés doivent savoir qu’on ne veut pas d’eux. Du moins, pas tant qu’on ne sera pas capable de déneiger les rues comme du monde.

    Sylvain s’assoit dans sa voiture et part le chauffage à fond pour faire sécher ses bas et chasser le froid qui s’est insinué jusque dans ses os. Il allume son application Uber. Vu l’heure qu’il est, il a encore une bonne heure de trafic pour passer le tunnel, alors autant rentabiliser son temps et prendre une course ou deux avant de regagner la Rive-Sud. Machinalement, il ouvre Facebook sur son téléphone et en profite pour regarder si des photos de la manifestation sont déjà en ligne. Rien. Il faut dire que peu de monde s’est déplacé. Probablement le mauvais état des routes. Pas étonnant que les contre-manifestants aient été plus nombreux : tous des gogauches montréalais brainwashés qui aiment mieux pelleter des nuages que de faire face à la réalité. Sylvain sait de quoi il parle : c’est à Montréal qu’il travaille et qu’il prend la plupart de ses courses. Il les côtoie au quotidien, ceux qui veulent changer le monde à grands coups de kale et de Bixi, et une chose est sûre : ils sont bien contents de monter à bord d’un char du diable qui pollue leur belle planète quand ils sont feeling à trois heures du matin ou qu’il fait trop froid pour marcher jusqu’à leur cours de yoga.

    Absorbé par une vidéo sur son téléphone et par ces considérations, alors que de gros flocons s’accumulent sur son pare-brise, Sylvain est surpris lorsqu’une jeune femme, de la neige jusqu’aux genoux, frappe à la vitre de son auto.

    Deux dollars dans le pot Mason.

    Sylvain descend sa vitre. La première chose qu’il voit, c’est un ventre énorme dépassant d’un gros gilet en laine, deux mains noires posées dessus.

    « Monsieur, s’il vous plaît, je cherche les taxis, s’il… » La jeune fille crie, se recroqueville sur elle-même en se tenant le ventre. Sylvain est hébété et répond sans réfléchir :

    « Elle est sur Bennett, la station de taxis. Ici, on est sur Aird. »

    Tordue de douleur, la femme ne l’écoute pas. Sylvain est désemparé :

    « Vas-tu accoucher ? »

    Se sentant un peu niaiseux d’avoir posé une question aussi évidente, Sylvain sort de sa voiture et invite la future maman à prendre place à bord. La contraction se calme.

    « Je dois aller à l’hôpital, monsieur.

    – Ben ouais, on dirait… Quel hôpital ?

    – Oui, l’hôpital.

    – OK… mais à quel hôpital que t’es suivie ? »

    La jeune femme n’a pas de réponse à lui offrir. Une contraction qui semble encore plus douloureuse que la précédente la prend. Il va falloir que Sylvain improvise. Ça fera une belle histoire à raconter à sa femme en rentrant. Elle qui lui reproche tout le temps de ne pas avoir l’esprit d’initiative. La voiture démarre, mais ne fait que quelques mètres avant de devoir s’arrêter, au coin des avenues Aird et Pierre-De Coubertin. Sylvain a assisté à l’accouchement de ses trois enfants, il sait reconnaître quand c’est le temps. Là, c’est quand la jeune fille a crié : « Oh ! non ! Seigneur aidez-moi ! »

    Deux dollars dans le pot Mason.

    911 sur le speakerphone, Sylvain essaie de suivre les instructions de la répartitrice.

    « OK… c’est quoi ton prénom ?

    – Nicole.

    – OK… Y a-tu quelqu’un qu’on peut appeler, ton chum, de la famille ?

    – Non… je suis toute seule ici.

    – OK… ben on va pousser ensemble, alors. T’es prête, ma belle ? »

    Sylvain lui tend la main. Nicole la serre très fort et hurle.

    La sirène de l’ambulance se fait entendre alors que Sylvain enrobe le petit garçon dans son manteau et le tend à sa mère. Elle est épuisée mais sourit, le visage plein de larmes, comme si on venait de lui offrir le monde.

    « Quelques heures de plus, pis t’avais un petit Jésus !

    – C’est un signe, ça, monsieur. C’est Dieu qui me dit qu’on va être bien, ici. »

    Par la vitre de son auto, Sylvain contemple sa pancarte, toujours plantée dans le banc de neige : « Ici, c’est chez nous ! » et c’est la gorge serrée qu’il répond :

    « Ouais ma belle. Vous allez être bien. »

     

    Contes et Légendes 2:  Conte de Noël: Chez nous

    Illustration: Katrinn Pelletier (agence Colagene)

     

    Contes et Légendes 2:  Conte de Noël: Chez nous

     

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    Le buisson qui ne s'aimait pas

     

    Contes et Légendes 2:  Le buisson qui ne s'aimait pas d'Antoine Lang


    Dans la haie d'un jardin, il était une fois un buisson.

     


    Autour de lui, régnait calme et harmonie. Le jardin était divisé en plusieurs parties.

     


    La plus grande était la pelouse, un gazon bien tondu, frais et doux sous les pieds. On y avait placé, à l'ombre d'un chêne centenaire une table et des chaises où les adultes venaient papoter en se désaltérant. On y avait installé aussi une balançoire grâce à laquelle les enfants, heureux, pouvaient pour quelques instants défier les lois de la nature et s'élever dans les airs comme des oiseaux. Et, lorsque lassés de leur vol ils désiraient découvrir le monde, ils allaient au bord de la rivière qui longeait la pelouse, admirer les libellules ou surprendre quelque truite.

     


    Du côté de la maison, il y avait le potager dans lequel s'activait en permanence un jardinier dont les gestes mesurés, emprunts de respect et de savoir-faire expliquaient à eux seuls la netteté du lieu. Tout y poussait à foison dans de belles allées régulières, tout y poussait dru et généreux pour le régal des yeux et des palais.

     

    Plus loin, on trouvait le verger, des arbres fruitiers aux troncs épais, aux couronnes touffues, alignés comme pour la parade et portant des fruits magnifiques. On venait souvent pique-niquer à leur ombre et, tard le soir, sur l'herbe moelleuse, on dansait à la lueur d'un grand feu.

     

    Le long de la route, on avait planté une haie de troènes protégeant des regards indiscrets et étouffant les bruits, les deux côtés restants étaient plantés de massifs divers : sapins nains, framboisiers, rosiers,...

     

    Notre buisson était là, dans l'angle de ces deux côtés, au coin comme les cancres et ses regards se promenaient dans tout le jardin.

     

    Ah, il paraissait bien triste dans ce jardin merveilleux.

     

    Il voyait les massifs de fleurs autour desquels chacun venait s'emplir les regards de couleurs douces, vers lesquels chacun se penchait pour en sentir les parfums délicats, dans lesquels venaient butiner des cohortes d'abeilles, et lui, ne portait aucune fleur.

     

    Il voyait les arbres d'ornement se couvrir au printemps de délicates feuilles, jouant, selon les espèces, sur toutes les nuances des verts ; les résineux couverts tout au long de l'année de fines aiguilles toujours colorées, et lui, il ne portait aucune feuille.

     

    Il voyait les arbres fruitiers vers lesquels on allait quand les fruits étaient mûrs, se gaver de sucre et de jus; le potager généreux qui offrait tout au long de l'année de quoi rassasier les appétits les plus féroces, et lui, il ne portait aucun fruit.

     

    Il n'était qu'un écheveau de tiges entrelacées et couvertes d'épines, des piquants acérés dans lesquels il n'y avait rien à voir, rien à sentir, rien à cueillir. On l'évitait de peur de se déchirer les doigts, de peur de faire des accrocs à ses habits.

     

    Alors, seul et inutile, il pleura longtemps...longtemps.

     

    Des sanglots si profonds qu'une taupe sortit d'entre ses racines, le considéra, le comprit et lui dit : "Il fait si bon vivre à ton refuge, je creuse et j'étale mes galeries à tes pieds et crois moi, nul mieux que toi ne sait retenir la terre, ni le vent, ni la pluie n'auront raison de ma demeure. Aussi, ne pleure plus, j'ai bien trop besoin de toi."

     

    Des soupirs si déchirants qu'un oiseau dans ses rameaux s'éveilla, l'écouta, le comprit et lui dit : "Il est si rassurant de séjourner entre tes bras, dans ta houppe j'ai construit mon nid et crois moi, nul mieux que toi ne sait protéger mes petits, ni l'épervier, ni le chat ne viendront les dérober. Aussi, ne te lamente plus, j'ai bien trop besoin de toi."

     

    Et depuis ce jour, le buisson vit dans l'angle du jardin, humble mais heureux.

     

    Que lui importe de n'être pas une vedette ? Que lui importe de ne pas attirer les regards depuis les quatre coins du jardin ? Que lui importe de ne pas bénéficier sans cesse de soins attentifs ? Il n'est ni beau à nos yeux, ni riche à nos estomacs : Dieu ne l'a pas fait pour cela.

     

    Son trésor est bien plus grand après tout, il est là pour protéger la vie : à chacun son aspect, à chacun son utilité.


    Antoine Lang

     

    Merci spécial à Antoine de partager avec moi sur

    mon blog ce conte

    Vous pouvez le visiter sur son site:

    https://fleurs-et-arbres.000webhostapp.com/

     

    Contes et Légendes 2:  Le buisson qui ne s'aimait pas d'Antoine Lang

     

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    LA LÉGENDE DU SIROP D'ÉRABLE!

     

     

    Contes et Légendes 2:

     

    Une légende raconte qu’un petit écureuil grimpa le long d’un tronc d’arbre.
    Il mordit une branche et il se mit à boire.

     

    Contes et Légendes 2:

     

    Un Amérindien, au bas de l’arbre, le regardait. 
    Il se demandait pourquoi, puisqu’une source coulait tout près.
    Il imita l’écureuil en faisant une fente avec son couteau.

     


    Quelle surprise!

    Jusqu’à aujourd'hui, la tribu amérindienne 
    ne trouvait du sucre que dans les fruits sauvages.
    Et voilà un arbre qui pleure du sucre en larmes de cristal.

    En plus, il venait de découvrir un remède contre le scorbut,
    dont les siens souffraient souvent au printemps.

    Le frère Marie-Victorin, grand naturaliste et savant québécois,
    auteur illustre de la Flore Laurentienne, affirme carrément que les Amérindiens 
    apprirent de l’écureuil roux, l’existence du sirop et de la tire d’érable.

    En effet, lorsqu’une branche d’érable à sucre casse sous le poids du verglas, 
    la blessure causée coule au printemps. 
    De cette entaille naturelle, le chaud soleil printanier évapore l’eau,
    et il ne reste finalement qu’une traînée de tire d’érable que les écureuils lèchent.

    Autant de tribus, autant de légendes amérindiennes, 
    expliquent comment cela a pu se passer...



    Les Micmacs

     

    Contes et Légendes 2:



    Par une journée de tôt printemps, alors que le vent était encore frisquet,
    une vieille femme Micmac alla ramasser la sève des érables. 
    Comme elle goûte meilleure chaude,
    elle en mit dans un pot qu'elle plaça au-dessus de son feu. 
    Fatiguée, elle alla s'étendre pour se reposer.
    Lorsqu'elle se réveilla, le soir était déjà là.
    Dans le pot, elle trouva un sirop doré, clair et sucré.



    Algonquin

     

    Contes et Légendes 2:



    Le chef retira son «Tomahawk» de l'érable dans lequel il l'avait enfoncé la veille. 
    Comme le soleil montait dans le ciel, la sève se mit à couler. 
    Sa femme la goûta et la trouva bonne. 
    Elle s'en servit pour cuire la viande, 
    ce qui lui évita d'aller à la source pour chercher de l'eau. 
    Le goût sucré et l'odeur douce furent très appréciés par le chef.
    Il appela le sirop, dans lequel avait bouilli la viande,
    «Sinzibuckwud», mot algonquin qui veut dire «Tiré des Arbres».



    Iroquois

     

    Contes et Légendes 2:  LA LÉGENDE DU SIROP D'ÉRABLE!


    Par un matin froid et piquant, il y a fort longtemps, 
    un chef iroquois du nom de Woksis sortit de sa hutte.
    Puisqu'il devait aller à la chasse, il retira son «Tomahawk» de l'érable 
    dans lequel il l'avait plantée la veille au soir. 
    Le tomahawk avait fait une profonde entaille dans l'arbre
    mais Woksis n'y fit pas attention. Il partit chasser.
    Un récipient en écorce de bouleau était posé au pied de l'érable.
    Goutte à goutte, la sève, qui ressemblait à de l'eau, 
    s'écoula de l'entaille faite dans le tronc de l'érable et remplit le récipient.
    Le lendemain, la femme de Woksis remarqua que le récipient était plein. 
    Pensant que la sève incolore était de l'eau, 
    elle s'en servit pour faire un ragoût de gibier.
    Le soir venu, au souper, Woksis sourit et dit à sa femme:
    «Ce ragoût est délicieux. Il a un goût sucré.»
    N'y comprenant rien, la femme trempa son doigt dans le ragoût
    qui avait mijoté tout l'après-midi.
    Woksis avait raison. Le ragoût était sucré. 
    On venait de découvrir le sirop d'érable!

     

    Contes et Légendes 2:  LA LÉGENDE DU SIROP D'ÉRABLE!



    Ce climat, qui passe du chaud au froid et du froid au chaud au gré des saisons, 
    nous fait bénéficier d'une richesse naturelle.
    Une eau sucrée provenant de nos érables qui subissent ces changements climatiques.

     

    Contes et Légendes 2:  LA LÉGENDE DU SIROP D'ÉRABLE!



    Au Québec, et ailleurs en Amérique du Nord, 
    il y a beaucoup d'érables, et certains produisent une eau sucrée qui,
    grâce à l'imagination de l'homme est transformée en sirop et autres produits dérivés.
    Quarante litres d'eau font un litre de sirop d'érable. 
    Donc, pour produire ce sirop, on doit posséder une érablière et une cabane à sucre 
    qu'on appelle aussi au Québec : «La sucrerie».

     

    Contes et Légendes 2:  LA LÉGENDE DU SIROP D'ÉRABLE!




    Chaque printemps, c'est une fête pour ceux qui aiment les produits de l'érable.

     

    Contes et Légendes 2:  LA LÉGENDE DU SIROP D'ÉRABLE!



    Il y a, un peu partout au Canada, de nombreuses parties de sucre. 
    Ils peuvent donc savourer, à leur goût, les nombreux plats préparés avec du sirop d'érable.

     

    Contes et Légendes 2:  LA LÉGENDE DU SIROP D'ÉRABLE!

     

     

    Contes et Légendes 2:  LA LÉGENDE DU SIROP D'ÉRABLE!

     

    Les adultes et les enfants s'en donnent « à coeur joie»,
    et profitent de cette saison magnifique.

     

    Contes et Légendes 2:  LA LÉGENDE DU SIROP D'ÉRABLE!



    Le sirop d'érable et ses dérivés font partie intégrante de la culture québécoise. 
    Plus qu'un simple produit issu de la tradition, le sirop d'érable
    est l'un des éléments culturels associés
    aux Québécois et aux Canadiens partout dans le monde.

     

    Contes et Légendes 2:  LA LÉGENDE DU SIROP D'ÉRABLE!

     

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    Conte de Noël: La maison orange brûlée

     

     

    Une conte de Noël inédit, créé pour Châtelaine par la romancière Perrine Leblanc.


    Par Perrine Leblanc | Illustrations: Geneviève Godbout
    du magazine Châtelaine

     

     

    Contes et Légendes 2:  Conte de Noël: La maison orange brûlée

    Illustration: Geneviève Godbout

     

    Patrick, fils d’Odette et d’Armand A., est né le 7 décembre 1940 à Saint-Jean-de-Brébeuf, un hameau fondé dans les monts de l’arrière-pays gaspésien pendant la crise économique des années 1930.


    Aidé de son père, de son frère, de ses trois beaux-frères et de quelques amis montés avec leurs épouses dans cette colonie de peuplement pour se tricoter une nouvelle vie, Armand A., travailleur du bois, choisit d’établir sa famille sur le lopin de terre disponible coincé entre l’église et la maison d’Anselme L. Comme des forçats, mais par amour et sens du devoir, les hommes libres charrièrent du bois et les matériaux à la sueur de tout. En trois saisons, ils bâtirent une demeure solide dont la couleur extérieure, choisie pour la distinguer des autres maisons du hameau, provenait d’un reste de peinture à bateau jaune canari qui résisterait, pensaient-ils, à juillet et à janvier, au soleil et au froid.


    Patrick A., né dans le lit conjugal, fut baptisé en même temps que la maison, qui reçut le nom de Soleil pour sa gueule jaune canari insolente en hiver.


    La première tempête se présenta le 24 décembre sous la forme d’une poudrerie ravageuse qui transforma tout déplacement de plus de quelques mètres en exploit de défricheur touche-à-tout. Mais la solitude ne gâcha pas le premier Noël de la famille A. à Saint-Jean-de-Brébeuf, qu’on appelle plus simplement Brébeuf. Pour le réveillon, la famille d’Anselme L. rejoignit donc celle d’Armand A. au Soleil, où il faisait bon et chaud sous les pelisses.

     

     

    Contes et Légendes 2:  Conte de Noël: La maison orange brûlée

    Illustration: Geneviève Godbout

     

    Odette échangeait les derniers potins du village avec Marie L. devant le feu en nourrissant au sein son enfant tout neuf, tandis que les hommes jouaient aux cartes sur la table de la cuisine en buvant une eau-de-vie frelatée. Un ragoût mijotait et du pain venait de sortir du four, ça sentait le repas de fête au rez-de-chaussée ; l’alcool réchauffait la conversation des hommes mais pas le ventre des femmes.


    – S’il te plaît, Armand, une goutte pour me réchauffer, dit Odette à son homme.


    Armand hésita. L’alcool était de fabrication douteuse et il n’aimait pas trop l’idée que son fils boive de l’alcool ; mais lui-même n’était pas mort en en buvant, c’était l’hiver, il faisait froid et c’était Noël. Il ramassa la bouteille par le cou et s’approcha de sa femme, une main derrière le dos pour dissimuler un paquet qu’il déposa en douce devant elle, sur la table basse.


    – Une goutte pour toi et une goutte pour endormir le petit, dit-il en remontant sur les épaules de sa femme son châle de laine.


    Il essuya de son pouce le lait qui coulait sur le menton de son fils, lécha son pouce ni vu ni connu, embrassa sa femme sur la tempe, puis versa un peu d’alcool dans le gobelet métallique qui contenait de l’eau. Odette le but d’une traite en fermant les yeux. Le liquide était infect – du feu –, mais toute forme de chaleur était appréciée l’hiver. Armand trempa un doigt dans le chaudron à bouilli. Sa femme lui décocha un regard qui voulait tout dire. Il rit trop fort, l’enfant sursauta. Il en profita pour glisser sur les genoux d’Odette la boîte qu’il avait enveloppée, la veille, dans un sac de farine à imprimé fleuri. Au village de Nouvelle, il avait réussi à mettre la main sur un mètre de ruban de satin rouge cerise. Il trouvait que ça faisait joli sur le paquet. Et Odette pourrait s’en servir pour se coiffer ou enjoliver une de ses robes. Elle déballa le cadeau d’une main. C’était un oiseau sculpté dans le bois, entre les pattes duquel Armand avait gravé le petit nom de leur fils, Pat.


    Le 25 décembre 1940, minuit sonna pour la première fois dans la maison jaune canari de Brébeuf. Un oiseau de bois venait de s’installer à demeure sur le comptoir de la cuisine.


    Saint-Jean-de-Brébeuf n’existe plus que dans les mémoires et les livres d’histoire. La pauvreté, le manque de volonté politique dans le domaine de la reforestation et le feu ont chassé les derniers habitants du hameau en 1971. La maison en bardeaux jaunes délavés par les années a été descendue à Nouvelle comme un immense bagage de vie. Construite avec les moyens du bord et les matériaux de la forêt par un homme que j’ai baptisé Armand A., mais que je ne connais ni d’Ève ni d’Adam, elle a changé de hameau et de terreau. J’aime croire qu’au moment où cette maison fut déracinée, huit oiseaux de bois avaient rejoint sur le comptoir de la cuisine celui de Patrick A.

     

     

    Contes et Légendes 2:  Conte de Noël: La maison orange brûlée

    Illustration: Geneviève Godbout


    Repeinte et rénovée il y a peu, elle n’a changé de mains que tout récemment. Elle n’en a pas pour autant perdu ses racines. Je le sais, parce que son nouveau propriétaire, c’est ma mère. Ma mère est née à Nouvelle, et son père a grandi à Brébeuf entre les deux guerres. Mon grand-père maternel aurait pu croiser Patrick A. à l’école, à l’église ou chez Anselme L. Il aurait pu travailler le bois avec Armand A. Il a peut-être chassé ou travaillé à la scierie avec un des fils nés au Soleil dans les années 1940. Il a peut-être embrassé une des sœurs de Patrick A. derrière l’église après la messe. Il a vu cette maison, j’en suis certaine, mais il ne saura jamais que sa fille l’a achetée pour nous ; le ciel n’a pas pu attendre et il repose au cimetière de Nouvelle. Le Soleil de Brébeuf a une histoire et la gueule d’une maison de famille, et c’est dans cette maison repeinte en orange brûlé que nous passerons, mes frères et moi, les fêtes de Noël 2016.


    Il y aura un sapin – qui sent bon, qui perd ses aiguilles, qu’on peut couper soi-même derrière la maison et brûler après les fêtes comme une offrande –, un vrai sapin. Nous ne serons pas 11 à table comme à l’époque des colonies de peuplement, comme au temps de la jeunesse de mon grand-père, mais nous inviterons des amis et des proches. Après le repas du 24 décembre, nous déballerons nos cadeaux, nous mangerons la bûche sucrée comme une cuillerée d’enfance, nous irons peut-être marcher derrière la maison en raquettes, après quoi nous déposerons notre fatigue à l’étage du dessus, où se trouvent les chambres. Nous monterons l’escalier construit en 1940 par des mains d’hommes de peu. Les marches, usées par les talons et la pointe des pieds de la première famille qu’elle a protégée, et par les fesses et les genoux des enfants boudeurs que je n’ai pas connus, craqueront à chaque pas. C’est le bruit d’une maison qui a du vécu. C’est le bruit d’une maison qui en a vu de toutes les couleurs. Je me mettrai au lit avec mon amoureux, si je m’en trouve un avant les fêtes. Mes frères feront ce qu’ils veulent avec leurs blondes. Ma mère se mettra au lit avec son amoureux, si elle s’en trouve un avant les fêtes.


    Au solstice d’hiver, mes frères et moi mettrons le cap sur Nouvelle, ce village immense mais peu peuplé, scindé par le cordon gris de la 132 qui fait le tour de la péninsule gaspésienne. La maison de ma mère sera notre refuge dans la baie des Chaleurs, le point zéro de notre famille. Les routes que nous emprunterons convergeront désormais, chaque année pour les fêtes de Noël, vers cette maison de Brébeuf remise au monde à Nouvelle.

     

    Perrine Leblanc est l’auteure de L’homme blanc (Le Quartanier et Boréal) et de Malabourg (Gallimard et Folio).

    Geneviève Godbout a notamment illustré Rose à petits pois (La Pastèque). Malou, son premier album en tant qu’auteure, sera publié en 2017.

     

     

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