• Grand Reportage 5: Édith Blais: La captive du désert

     

     

    Édith Blais: La captive du désert

    Elle a réussi à sortir des griffes de ses ravisseurs, mais 450 jours de captivité ne pouvaient que transformer Édith Blais.

     

     

    Edith Blais, La captive du désertTHE CANADIAN PRESS/GRAHAM HUGHES

     

    On dit de certaines personnes qu’elles empruntent une pente dangereuse ou s’engagent sur une mauvaise voie. Édith Blais regrettera sans doute longtemps d’avoir choisi une route peu sécuritaire du Burkina Faso pour se rendre au Togo aux côtés de son compagnon de voyage et ami, Luca Tacchetto; une simple vérification sur Internet aurait tout changé. Le 17 décembre 2018, ils ont été capturés par un groupe de djihadistes déterminés à faire de ces jeunes Occidentaux une précieuse monnaie d’échange.

    Leur captivité va durer 450 jours au cours desquels ils seront trimballés un peu partout dans le désert, séparés, réunis, exténués, la peur au ventre, dont celle de mourir loin des leurs. Pour cette trentenaire originaire de Sherbrooke qui parcourait le vaste monde depuis plusieurs années déjà, l’expérience, traumatisante, sera aussi l’occasion de faire preuve de patience et d’ingéniosité. Autant de leçons, et de doutes, consignés dans Le sablier (Les Éditions de l’Homme, 2021), un récit détaillé de sa détention, parsemé de poèmes écrits en captivité, par une femme qui prône encore aujourd’hui le respect et la tolérance.

     

    En mars 2020, votre arrivée au pays ne manque pas d’ironie: après tout ce temps passé en captivité, vous voilà… confinée en raison d’une pandémie mondiale. Ce contexte particulier a-t-il été bénéfique ou nuisible à votre retour à la vie normale?

    Juste après ma libération, à Bamako, j’ai été accueillie par plein de gens, dont beaucoup de journalistes; la même chose se serait produite au Québec, et ça aurait été difficile. Revenir à la vie tranquillement, être confinée avec ma famille, c’était encore mieux, car la COVID-19 a fait en sorte que je ne me suis pas fait envahir. J’avais beaucoup de temps à consacrer à mon livre, que j’ai continué à écrire plus tard pendant mon séjour à Jasper, dans les Rocheuses; cette nature me fait le plus grand bien.

     

    On ne compte plus les épreuves que vous avez traversées : chaleurs excessives, nuits glaciales, grève de la faim, soif, isolement, et vision floue puisque vous n’aviez ni lunettes ni verres de contact. Pour contrer les effets de l’immobilisme, vous avez eu recours à une manière ingénieuse de soulager ses méfaits: le yoga!

    Je n’avais tellement plus d’énergie après ma grève de la faim que je le pratiquais tôt le matin, parce que dès le lever du soleil, la chaleur était si forte que je n’y arrivais plus. Faut dire qu’à ce moment de la journée, les hommes me voyaient moins parce qu’ils étaient occupés. J’en faisais un peu aussi lorsque le soir tombait, tout en me cachant, et le plus souvent allongée, ce qui n’était pas idéal, mais beaucoup mieux que de passer la journée couchée à ouvrir et fermer les yeux. Je travaillais beaucoup les jambes, car mes muscles étaient atrophiés. Lors de ma fuite avec Luca, je suis convaincue que le yoga m’a aidée.

     

    Tout comme lui, et sous la contrainte, vous vous êtes convertie à la religion musulmane. Avez-vous retiré quelque chose de cette expérience particulière?

    Je n’ai rien gagné, et je n’ai rien perdu. En fait, j’ai tout effacé de ma mémoire: les prières comme mes minces connaissances de la langue arabe. Mais ça m’a permis d’occuper mon esprit, ce qui était bénéfique à ce moment-là pour ma santé mentale. Je ne peux même pas dire que je comprends mieux la religion musulmane parce que j’étais plongée dans un contexte vraiment étrange. Disons que ça m’a un peu sauvé la vie puisque j’ai pu retrouver Luca grâce à cette conversion, une condition pour que nous soyons à nouveau réunis.

     

    Sa présence vous a donné la force de vous enfuir, mais vous avez aussi connu trois femmes occidentales en captivité qui l’étaient depuis plus longtemps que vous et qui, du moins pour deux d’entre elles, retrouveront plus tard leur liberté. Vous sentiez-vous coupable de les laisser derrière vous?

    Quand je me suis échappée, je me sentais mal, mais j’ai pour principe de lâcher prise si je ne peux rien faire pour changer une situation. À mon retour, j’ai pris contact avec le fils de Sophie Pétronin et le frère de sœur Gloria Cecilia Narvaez. Les proches de Sophie étaient contents d’avoir des nouvelles d’une personne de l’intérieur, qui avait partagé son quotidien il n’y a pas si longtemps. Sophie me parlait souvent de son fils et de son petit-fils, me racontait des souvenirs d’eux… et elle ramassait des roches pour faire un aquarium avec son petit-fils! Chaque fois que nous étions déplacées, nous amenions son sac de roches avec nous !

     

    Après cette expérience traumatisante, quel aspect de votre personnalité n’a pas changé et qu’est-ce qui est radicalement différent aujourd’hui dans votre vie? Mis à part vos cauchemars récurrents qui heureusement s’estompent avec le temps.

    Ce qui est demeuré intact, c’est ma foi en la vie. Nous sommes sur Terre pour évoluer, notamment à travers les épreuves, et penser cela m’a aidée à traverser celle-ci. Ce qui a changé ? J’étais trop téméraire, trop confiante, et je repoussais constamment mes limites. Adolescente, je souffrais d’agoraphobie, j’ai travaillé fort pour m’en débarrasser, et je suis allée à l’extrême pour me prouver que j’étais capable de me dépasser. Maintenant, je n’ai plus rien à prouver, je suis plus calme, je ne cherche pas à m’occuper constamment ni à accumuler: moins je possède de choses, plus je me sens libre.

     

    On dit souvent qu’une crise représente une occasion de changement.

    Ce à quoi j’ajouterais: plus grande est la crise, plus grand est le chan­gement!

      

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