6 août 1806

    Fin du Saint Empire Romain Germanique

     

    François 1er d'Autriche (1768-1835), par Moritz Daffinger, XIXe siècle, Musée Condé, ChantillyLe 6 août 1806, dans l'indifférence générale, l'empereur d'Autriche François 1er déclare renoncer à la dignité d'empereur du Saint Empire Romain Germanique fondé par Otton 1er près de mille ans auparavant. 

    C'est l'ultime conséquence des traités de Lunéville et de Presbourg, consécutifs l'un et l'autre des défaites des Habsbourg face aux offensives françaises.

    Le Saint Empire et la carte de l'Allemagne issue des traités de Westphalie avaient déjà été très largement remaniés suite au recez (procès-verbal) imposé à la Diète germanique par le Premier Consul Napoléon Bonaparte le 25 février 1803.

    Entrevoyant la disparition prochaine du Saint Empire, l'empereur François II de Habsbourg regroupe sous l'appellation d'empire les États héréditaires de la famille des Habsbourg-Lorraine - les seuls sur lesquels il ait une autorité réelle. Le 11 août 1804, il s'attribue officiellement le titre d'empereur d'Autriche et roi de Bohème et de Hongrie sous le nom de François 1er.

    Première réunion de la Confédération du Rhin le 25 août 1806 (gravure de propagande)

    De l'Empire à la Confédération du Rhin

    Deux ans plus tard, au sommet de sa gloire, l'Empereur des Français Napoléon 1er, fort de ses victoires sur l'Autriche puis sur la Prusse, à Iéna et Auerstaedt, peut envisager de reconfigurer la carte de l'Allemagne entre le Rhin et l'Elbe. 

    Le 12 juillet 1806, il porte sur les fonts baptismaux la Confédération du Rhin (Rheinbund), qui regroupe seize États allemands sous la «protection» de Napoléon 1er. De nombreuses alliances matrimoniales avec la famille Bonaparte vont lier les souverains de ces «États confédérés du Rhin» à la France.

    Dès l'année suivante, une vingtaine de nouveaux États sont intégrés à la Confération, y compris la Saxe et la Bavière, à la seule exception notable de la Prusse et de l'Autriche.

    Vassaux régulièrement humiliés par l'Empereur des Français, ils doivent accepter les marchandises françaises à des conditions préférentielles et se couper de leur commerce avec l'Angleterre. Ils vont plus tard, en 1812, fournir à la Grande Armée de l'«ogre» 120.000 soldats destinés à la guerre contre la Russie.

    Prenant acte de cette nouvelle entité, l'empereur d'Autriche François 1er enterre le vieux titre impérial hérité d'Otton 1er. Sans durer aussi longtemps, le nouvel empire d'Autriche, essentiellement implanté dans le bassin du Danube, autour de Vienne, connaîtra de belles heures avant de sombrer un siècle plus tard, à l'issue de la Grande Guerre.

    Fabienne Manière

     
    Pin It

    votre commentaire
  • 6 août 1284

    La Corse devient génoise

     


    Le 6 août 1284, près de la petite île de La Meloria, au large de Livourne, la flotte de Pise est complètement anéantie par celle de Gênes.

    La bataille de la Meloria, 6 août 1284

    Cette bataille de Meloria consacre la suprématie de la République de Gênes sur la Méditerranée occidentale. Pise, de son côté, tombe sous l'influence de Florence, sa rivale en Toscane.

    La rivalité entre les cités italiennes a des conséquences importantes pour une île oubliée, la Corse

    Territoire pontifical en vertu d'une donation qui aurait faite par Pépin le Bref au pape Étienne II en 754, l'île passe de la tutelle de Pise à celle de Gênes sans cesser d'appartenir officiellement au Saint-Siège. Mais sous l'administration génoise, sa situation tend à se dégrader...

    Elle est divisée en deux régions administratives séparées par la chaîne montagneuse centrale : l'En-Deçà-des-Monts (capitales : Bastia et Calvi) et l'Au-Delà-des-Monts (capitale : Ajaccio). Ces régions recoupent les limites des départements institués par la Révolution en 1793, le Golo et le Liamone, ainsi que des départements institués par la Ve République en 1976 : la Haute-Corse et la Corse du Sud. Elles sont elles-mêmes subdivisées en 90 pièvi (ou piéves), l'équivalent des cantons actuels ; chaque pièva correspond à peu près à une vallée.

    Pin It

    votre commentaire
  •  

    6 août 1945

    Une bombe atomique sur Hiroshima !

     
     

    Le 6 août 1945, trois mois après la capitulation de l'Allemagne, l'explosion d'une bombe atomique au-dessus de la ville d'Hiroshima, au Japon, précipite la fin de la Seconde Guerre mondiale et inaugure l'Âge nucléaire.

    Depuis lors plane sur le monde la crainte qu'un conflit nucléaire ne dégénère en une destruction totale de l'humanité...

    André Larané

    Hiroshima après la bombe atomique du 6 août 1945

    Un projet ancien

    Dès avant la Seconde Guerre mondiale, les savants réfugiés aux États-Unis (y compris Albert Einstein) ont averti le président Franklin Roosevelt du risque que Hitler et les nazis ne mettent au point une bombe d'une puissance meurtrière exceptionnelle fondée sur le principe de la fission nucléaire.

    Julius Robert Oppenheimer (22 avril 1904, New York - 18 février 1967, Princeton)En novembre 1942, désireux de devancer à tout prix les Allemands, le président américain inaugure en secret un programme de mise au point de la bombe atomique sous le nom de code Manhattan Engineer Project.

    Il en confie la direction au physicien Julius Robert Oppenheimer.

    À la mi-1945, la bombe est pratiquement au point mais les conditions de la guerre ont entre temps changé. L'Allemagne nazie est à genoux et s'apprête à capituler sans conditions. Seul reste en guerre le Japon, mais celui-ci est loin de disposer d'une puissance militaire, industrielle et scientifique comparable à celle de l'Allemagne.

    Résistance désespérée du Japon

    À l'instigation des généraux qui tiennent le pouvoir, le Japon s'entête dans une résistance désespérée.

    Les Américains ont pu en mesurer la vigueur lors de la conquête de l'île méridionale d'Okinawa: pas moins de 7.600 morts et 31.000 blessés dans les rangs américains entre avril et juin 1945! Dans la conquête de l'île d'Iwo Jima, 5.000 Américains sont tués. Les Japonais, quant à eux, n'ont que 212 survivants sur 22.000 combattants....

    Les avions-suicides surnommés kamikaze («vent divin») et jetés contre les navires américains montrent également que les Japonais ne reculent devant rien pour retarder l'échéance.

    Bombardement de Tokyo le 19 mars 1945 (80.000 morts)Les bombardements conventionnels qui se multiplient depuis le début de l'année 1945 n'ont pas davantage raison de leur détermination. Le plus important a lieu le 19 mars 1945 : ce jour-là, une armada de 234 bombardiers B-29 noie Tokyo sous un déluge de bombes incendiaires, causant 83.000 morts.

    L'état-major américain avance le risque de perdre 500.000 soldats pour conquérir Honshu, l'île principale de l'archipel (un débarquement est projeté le... 1er mars 1946). Le président Truman, dans ses Mémoires, évoque même le chiffre d'un million de victimes potentielles (sans étayer ce chiffre).

    Plus sérieusement, d'aucuns pensent aujourd'hui qu'une soumission de l'archipel par des voies conventionnelles aurait coûté environ 40.000 morts à l'armée américaine. Une évaluation raisonnable compte tenu de ce que les Américains ont perdu en tout et pour tout 200.000 hommes dans la Seconde Guerre mondiale, tant en Europe que dans le Pacifique (c'est cent fois moins que les Soviétiques).

    C'est ainsi qu'émerge l'idée d'utiliser la bombe atomique, non plus contre l'Allemagne mais contre l'empire du Soleil levant, en vue de briser sa résistance à moindres frais.

    Le président Franklin Roosevelt meurt le 12 avril 1945 et son successeur à la Maison Blanche, le vice-président Harry Truman, reprend à son compte le projet d'un bombardement atomique sur le Japon.

    Celui-ci paraît d'autant plus opportun qu'à la conférence de Yalta, le dictateur soviétique Staline a promis d'entrer en guerre contre le Japon dans les trois mois qui suivraient la fin des combats en Europe, soit avant le 8 août 1945.

    Le 3 juin 1945, l'empereur Showa (Hiro Hito), qui a compris que son pays a de facto perdu la guerre, demande par l'entremise de l'URSS l'ouverture de négociations de paix. Mais Staline, qui voudrait participer à l'invasion de l'archipel et au partage de ses dépouilles, fait traîner les choses. Les généraux nippons, partisans d'une résistance à outrance, s'en tiennent satisfaits. 

    Or, Truman commence à s'inquiéter des visées hégémoniques de Staline. Il souhaite donc en finir avec le Japon avant qu'il n'ait l'occasion d'intervenir. Il souhaite aussi ramener le dictateur soviétique à plus de mesure.

    Dans la perspective de l'après-guerre, il ne lui déplaît pas, ainsi qu'aux militaires et au lobby militaro-industriel, de faire la démonstration de l'écrasante  supériorité militaire américaine. Ce sera le véritable motif de l'utilisation de la bombe atomique, la plus terrifiante des «armes de destruction massive».  

    Le bombardement

    Le 16 juillet 1945, l'équipe de scientifiques rassemblée autour de Robert Oppenheimer procède dans le désert du Nouveau Mexique, sur la base aérienne d'Alamogordo (près de Los Alamos), à un premier essai nucléaire. L'expérience est pleinement réussie et convainc le président Truman de passer à la phase opérationnelle.

    Le champignon atomique en 1945Un ultimatum adressé au Japon le 26 juillet par les États-Unis, la Grande-Bretagne et la Chine fait implicitement allusion à une arme terrifiante.

    Dans les cercles du pouvoir, chacun est partagé entre la crainte d'ouvrir la boîte de Pandore et la hâte d'en finir avec la guerre. Pour éviter de tuer des civils innocents, on évoque l'idée d'une frappe atomique sur le sommet du Fuji Yama, la montagne sacrée du Japon.

    L'idée est rapidement abandonnée car son efficacité psychologique est jugée incertaine et en cas d'échec, les Américains, qui ne disposent que de deux bombes A (A pour atomique), seraient en peine de rattraper le coup.

    Disons aussi que, faute d'expérience, les scientifiques du projet Manhattan ne mesurent pas précisément les effets réels de la bombe atomique sur les populations. Et la perspective d'une bombe atomique sur une ville ennemie choque assez peu les consciences après les bombardements massifs sur les villes d'Allemagne et du Japon, les révélations sur les camps d'extermination nazis et les horreurs de toutes sortes commises sur tous les continents.

    Finalement, au petit matin du 6 août 1945, un bombardier B-29 s'envole, solitaire, vers l'archipel nippon. Aux commandes, le colonel Paul Tibbets. La veille, il a donné à son appareil le nom de sa mère, Enola Gay.

    Dans la soute, une bombe à l'uranium 235 de quatre tonnes et demi surnommée Little Boy. Sa puissance est l'équivalent de 12.500 tonnes de TNT (trinitrotoluène, plus puissant explosif conventionnel) avec des effets mécaniques, radioactifs et surtout thermiques).

    Le colonel Tibbets et son équipage devant le bombardier Enola Gay, quelques heures avant de lancer la bombe atomique sur Hiroshima (6 août 1945)

    L'objectif est déterminé pendant le vol. Parmi plusieurs cibles potentielles (Nigata, Kyoto, Kokura et Hiroshima), l'état-major choisit en raison de conditions météorologiques optimales la ville industrielle d'Hiroshima (300.000 habitants).

    La bombe est larguée à 8h15, heure locale. Elle explose à 600 mètres du sol, à la verticale de l'hôpital Shima. 

    Elle lance un éclair fulgurant, sous la forme d'une bulle de gaz de 4000°C d'un rayon de 500 mètres ! Puis elle dégage le panache en forme de champignon caractéristique des explosions atomiques.

    70.000 personnes sont tuées et parfois volatilisées sur le coup sous l'effet conjugué de l'onde de choc, de la tempête de feu et des rayonnements gamma. La majorité meurent dans les incendies consécutifs à la vague de chaleur. Plusieurs dizaines de milliers sont grièvement brûlées et beaucoup d'autres mourront des années plus tard des suites des radiations (on évoque un total de 140.000 morts des suites de la bombe).

    L'explosion d'Hiroshima annoncée par Harry S Truman (8 mai 1884, Lamar, Missouri - 26 décembre 1972, Kansas City)Le président Truman annonce aussitôt l'événement à la radio, non sans abuser son auditoire sur la nature prétendûment militaire de l'objectif (un mensonge comme le pouvoir américain en a l'habitude) :

    « Le monde se souviendra que la première bombe atomique a été lancée sur Hiroshima, une base militaire. Pour cette découverte, nous avons gagné la course contre les Allemands. Nous l'avons utilisée pour abréger les atrocités de la guerre, et pour sauver les vies de milliers et de milliers de jeunes Américains. Nous continuerons à l'utiliser jusqu'à ce que nous ayons complètement détruit le potentiel militaire du Japon » (*).

    Cette attaque sans précédent n'ayant pas suffi à vaincre la détermination des dirigeants japonais, les Américains décident trois jours plus tard, le 9 août, de larguer leur deuxième bombe atomique. Celle-là est au plutonium et non à l'uranium 235, une différence au demeurant insignifiante du point de vue des futures victimes.

    Le bombardier B-29 de Charles Sweeney survole d'abord la ville de Kokura. La cible étant occultée par les nuages, il poursuit sa route vers Nagasaki (250.000 habitants) où une éclaircie du ciel lui permet d'effectuer le funeste largage. 40.000 personnes sont cette fois tuées sur le coup et des dizaines de milliers d'autres gravement brûlées (80.000 morts au total selon certaines estimations). Plusieurs milliers de victimes sont catholiques, la ville étant au coeur du christianisme japonais.

    La reddition

    La veille de l'attaque de Nagasaki, l'URSS a déclaré la guerre au Japon et lancé ses troupes sur la Mandchourie. Mais ce sont les victimes d'Hiroshima et de Nagasaki qui convainquent le gouvernement japonais de mettre fin à une résistance désespérée. Le 2 septembre, le général américain MacArthur reçoit la capitulation sans conditions du Japon.

    La Seconde Guerre mondiale est terminée... et le monde entre dans la crainte d'une apocalypse nucléaire.

    Points de vue

    Notons que l'opinion publique ne prit guère la mesure des événements qui venaient de se produire ces 6 et 9 août 1945. Ainsi le quotidien français Le Monde titra-t-il le 8 août 1945, comme s'il s'agissait d'un exploit scientifique quelconque : «Une révolution scientifique. Les Américains lancent leur première bombe atomique sur le Japon».

    Parmi les rares esprits lucides figure le jeune romancier et philosophe Albert Camus, qui écrit dans Combat, le même jour, un article non signé : «Le monde est ce qu'il est, c'est-à-dire peu de chose. C'est ce que chacun sait depuis hier grâce au formidable concert que la radio, les journaux et les agences d'information viennent de déclencher au sujet de la bombe atomique. On nous apprend, en effet, au milieu d'une foule de commentaires enthousiastes, que n'importe quelle ville d'importance moyenne peut être totalement rasée par une bombe de la grosseur d'un ballon de football. Des journaux américains, anglais et français se répandent en dissertations élégantes sur l'avenir, le passé, les inventeurs, le coût, la vocation pacifique et les effets guerriers, les conséquences politiques et même le caractère indépendant de la bombe atomique. Il est permis de penser qu'il y a quelque indécence à célébrer une découverte qui se met d'abord au service de la plus formidable rage de destruction dont l'homme ait fait preuve depuis des siècles».

    Pin It

    votre commentaire
  •  

    Rochefort-sur-Mer (2014)

     

    L'Hermione : derniers coups de pinceaux...

     

    6 juillet 2014. Précipitez-vous ! Il ne reste que peu de temps pour aller se perdre dans les soutes de L'Hermione !

    Les canons de L'Hermione, à Rochefort-sur-mer, en 2104 (photo: Gérard Grégor)

    La frégate de La Fayette, reconstruite à l'identique (ou presque, sécurité oblige...) à Rochefort-sur-mer (Charente-maritime), commence à sentir le vent du large la chatouiller.

    Les mâts de L'Hermione, à Rochefort-sur-mer, en 2104 (photo: Gérard Grégor)Pour le moment, la belle continue à se pavaner dans les anciennes formes de radoub du vieux port de Colbert, consciente de l'élégance de ses nouveaux mâts et des toiles d'araignées qui désormais s'y agrippent.

    Sa mise en beauté est presque terminée : il manque bien un joli fanal pour orner sa poupe, mais on peut faire confiance à l'efficace Association Hermione-La Fayette, qui s'active depuis plus de vingt ans, pour régler ce détail et finir de la pomponner.

    Elle aura alors fière allure, la coquette, du haut de ses 47 m, lorsqu'elle déploiera ses 2 200 m2 de voiles (9 terrains de tennis).

    Ils ne seront pas trop de 80, marins professionnels et volontaires, pour l'aider à affronter avec finesse les pièges des océans !

    Les canons de L'Hermione, à Rochefort-sur-mer, en 2104 (photo: Gérard Grégor)

    En octobre 2014, les choses vont devenir plus sérieuses : c'est toute la ville de Bordeaux qui va défiler devant notre star pour l'habituer un peu aux foules avant le grand départ pour l'Amérique, en avril prochain. L'aventure n'est pas finie ! Pour ceux qui ne pourront pas se déplacer pour l'admirer, voici un aperçu de ses charmes plus ou moins cachés... Bonne visite !

    Isabelle Grégor

    Cordages de L'Hermione, à Rochefort-sur-mer, en 2104 (photo: Gérard Grégor)     

     

    Pin It

    votre commentaire
  •  

    Rochefort-sur-Mer (2012)

    Larguez les amarres ! La seconde naissance de L'Hermione


     

    Un marin de l'Hermione, le 6 juillet 2012  (photo : Gérard Grégor, pour Herodote.net)

    En ce 6 juillet 2012, les amateurs d'Histoire et de marine ont les yeux tournés vers Rochefort-sur-mer, en Charente-Maritime.

    Depuis près de 20 ans en effet, bordage après bordage, rivet après rivet, un navire du XVIIIe siècle revoit le jour dans une des vieilles formes de radoub du port : l'Hermione.

    Remontons le temps pour revivre deux grandes aventures : le destin de cette frégate, rendue célèbre par Lafayette, et sa patiente reconstruction. Tous à bord !

    Isabelle Grégor

    Lire aussi : notre reportage du 6 juillet 2014

    L'Hermione dévoilée au public le 6 juillet 2012  (photo : Gérard Grégor, pour Herodote.net)

    Sous les ordres du «fils aîné de la Liberté»

    Joseph-Désiré Court, Portrait de Marie-Joseph Motier, marquis de La Fayette, 1792, musée national du château de Versailles.

    Ce 21 mars 1780, amarrée aux quais de Rochefort, l'Hermione accueille à son bord un major général de 23 ans, Gilbert Motier, plus connu sous le nom de marquis de La Fayette. Destination : l'Amérique !

    Plein d'ardeur, le jeune homme déjà couvert de gloire a rejoint le mouvement d'opinion favorable à l'indépendance américaine. S'il a fortement contribué à convaincre Louis XVI d'envoyer un corps expéditionnaire lutter contre les Anglais, sa jeunesse ne lui permet pas de se porter à la tête de ces troupes.

    Qu'importe ! Il part en éclaireur annoncer la bonne nouvelle aux insurgés. Dans une lettre à sa sœur, il explique les causes de cet engagement : «Défenseur de cette liberté que j'idolâtre, libre moi-même plus que personne, en venant comme ami offrir mes services à cette république si intéressante, je n'y porte que ma franchise et ma bonne volonté, nulle ambition, nul intérêt particulier; en travaillant pour ma gloire, je travaille pour leur bonheur. […] Le bonheur de l'Amérique est intimement lié au bonheur de toute l'humanité ; elle va devenir le respectable et sûr asile de la vertu, de l'honnêteté, de la tolérance, de l'égalité et d'une tranquille liberté » (Lettre du 7 juin 1777).

    Célèbre en France pour son rôle pendant la Révolution, il est devenu de l'autre côté de l'Atlantique le symbole des liens d'amitié entre les États-Unis et notre pays.

    Claude Vernet, Vue du port de Rochefort, 1763, musée de la Marine, Paris

    Rochefort, un écrin boueux

    Il était logique que cette expédition parte de Rochefort : dissimulé dans les terres près de l'embouchure de la Charente et éloigné des côtes anglaises, le site avait été choisi en 1666 par Louis XIV pour construire un nouvel arsenal maritime. Il s'agissait de rattraper notre retard sur l'ennemi pour rétablir l'honneur maritime du pays, assouvir le désir de gloire du jeune roi, âgé de 28 ans, et s'imposer sur ces terres huguenotes proches de La Rochelle.

    La Corderie royale aujourd'hui à Rochefort-sur-Mer (photo : Gérard Grégor, pour Herodote.net)

    Incité à faire «vite, beau et grand», Colbert bâtit de toutes pièces une ville, ignorant les mises en garde qui s'inquiétaient de la présence de marais. Effectivement, des sommes folles vont être englouties pour stabiliser ces sols mouvants, au point que Louis XIV se serait écrié : «Rochefort est sûrement pavé d'or !». Plus grave : l'air malsain décime les habitants, tuant en 1780 près de 3.000 personnes. Les hôpitaux de la Marine, où s'installe en 1722 la première école de médecine et chirurgie navale du pays, ne peuvent venir à bout du fléau.

    L'arsenal, pourtant, se développe avec notamment la magnifique Corderie royale, dont les 374 mètres de long, établis sur une plate-forme posée sur des pieux, permettent la confection d'encablures de 200 mètres.

    Mais décidément, Rochefort n'est pas le port idéal : il faut tirer les navires à bras d'homme jusqu'à la mer ! L'arsenal est supprimé en 1927, la Corderie incendiée par les Allemands en 1944. Il faudra attendre les années 1970 pour que la ville redécouvre son passé maritime et se relance dans la construction d'un seul navire, mais d'exception : l'Hermione.

    Gérard Édelinck, Halage d'un navire à la cordelle devant la Corderie royale, 1718, CCI de Rochefort

    Une sculpture flottante pour faire la guerre

    La maquette de l'Hermione

    Fille de Ménélas et de la belle Hélène, Hermione était pour les Grecs la petite-fille de l'Océan. Quel beau nom pour un bateau plein de noblesse ! Mis à l'eau en 1779, ce bâtiment est une frégate, c'est-à-dire un navire à trois mâts avec un pont de batterie, très apprécié pour sa solidité et sa vitesse. Il fut notamment choisi par Bougainville puis Lapérouse pour effectuer leurs voyages autour du monde.

    Destinée à la guerre, l'Hermione accueille 26 canons de 12 (d'après le poids des boulets : 12 livres). Elle commence à s'illustrer contre les corsaires qui naviguent au large de nos côtes.

    Mais c'est grâce à La Fayette que notre frégate entre dans l'Histoire en permettant au jeune officier d'aller annoncer au général Washington l'envoi de renforts français.

    Après avoir eu l'honneur de recevoir à son bord le tout nouveau Congrès américain, elle enchaîne pendant deux années les combats contre les Anglais avant de regagner son pays. Revenue d'une dernière campagne dans l'océan Indien, elle finit tristement sa carrière au large du Croisic le 20 septembre 1793, échouée sur des rochers dans l'estuaire de la Loire. En 1984, des plongeurs découvrirent son épave, reposant sur le plateau du Four. Le lion qui composait sa figure de proue n'a pas refait surface, mais il revit aujourd'hui à Rochefort et a retrouvé toutes ses couleurs.

    Petite visite à bord en 1780

    44 mètres sur 11 : les hommes qui embarquent à bord de la frégate savent que ce n’est pas pour un voyage d’agrément! 316 matelots, soldats, charpentiers, voiliers, canonniers vont devoir s'entasser tout en faisant de la place à «la viande sur pattes» constituée par une quinzaine de moutons et des dizaines de poules.

    La nourriture est en effet le nerf de la guerre : il faut que l'équipage soit nourri correctement pour éviter fatigue et maladies, en particulier le scorbut, dû au manque de vitamine C. Pas moins de 30 tonnes de biscuits et 84 000 litres d'eau sont ainsi nécessaires au maître coq pour assurer une traversée de 6 mois.

    Le confort est spartiate pour les marins qui partagent les plats en s'installant où ils peuvent, et dorment chacun (depuis 1776) dans son propre hamac ou «branle» (d'où l'expression «branle bas !» en cas de combat) installé dans le faux-pont, sombre et humide.

    Vêtus de leurs propres «hardes», ils sont originaires des côtes et ont souvent commencé comme ces mousses âgés d'une dizaine d'année qui courent après les rats.

    Matelot, vice-amiral et amiral au temps de Louis XVI, dans Alfred de Marbot, Costumes militaires français de 1439 à 1815, 1850

    À l'arrière de la frégate, les 8 officiers bénéficient de logements particuliers, même si la chambre du commandant est elle aussi encombrée de canons ! Accompagnés de domestiques qui rappellent leur origine noble, ils ont reçu une formation théorique et portent l'uniforme. Ils donnent les ordres et tiennent leur journal de bord, en essayant d'ignorer les moqueries des matelots qui s'en donnent à cœur joie lors des «charivaris», ces chants improvisés qui leur donnent du courage pour manœuvrer le lourd cabestan !

    La poupe de L'Hermione, à Rochefort-sur-mer, en 2104 (photo: Gérard Grégor)

    Deux siècles plus tard, une drôle d'idée...

    1992 : quelques membres du Centre International de la Mer et élus de la ville de Rochefort créent l'Association Hermione-Lafayette. Dans leurs têtes trotte une idée un peu folle : reconstruire un navire du XVIIIe siècle. Les vieux murs de la Corderie royale ne les y incitent-ils pas tous les jours ? Ils savent aussi que d'autres projets ont été menés à bien dans le monde, comme les répliques de l'Endeavour de James Cook (1994, Sydney) ou celles des navires de Christophe Colomb (1992, Palos de la Frontera).

    Mais le défi reste de taille ! Il s'agit de créer un véritable spectacle permanent autour de cette reconstruction, d'inciter le public à s'approprier le chantier et de faire revivre le passé maritime de la ville.

    Le choix s'arrête vite sur l'Hermione qui rappelle un épisode fort de l'amitié franco-américaine. En quelques années, les passionnés et les bonnes volontés des deux côtés de l'Atlantique vont permettre au rêve de devenir réalité, non sans remous et écueils !

    20 ans de gestation

    Ce fut d'abord aux historiens de prendre les choses en main et d'aller fouiller dans les archives pour retrouver les plans de notre navire. Peine perdue : ils avaient disparu. Qu'à cela ne tienne! Ceux de sa sœur, la Concorde, feront l'affaire! Le CRAIN (Centre de Recherches pour l'Architecture et l'Industrie Nautique) dessine les premières épures, transmises à une entreprise spécialisée dans la restauration des charpentes des monuments historiques.

    Marine, chantier de construction, Planche de l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, 1772

    Le chantier est officiellement ouvert le 4 juillet 1997.

    La suite n'est que la réplique des étapes d'un chantier de construction du XVIIIe siècle : pose de la quille puis des éléments de la coque, calfatage, installation de la structure interne (ponts, escaliers, cloisons, lest...), fabrication des canots, décoration extérieure...

    Enfin à flot, l'Hermione quittera sa forme de radoub le 6 juillet 2012 pour parader devant Rochefort avant de rejoindre son nouveau chantier où elle finira sa mise en beauté en recevant ses mats et cordages. Mais nous ne sommes plus au XVIIIe siècle : au lieu de moins d'un an à l'époque, plus de 15 auront aujourd'hui été nécessaires pour mener à bien le chantier lui-même.

    L'Hermione en cours de construction © CMT 17 - S. MORAND

    Contre vents et marées

    Avec toutes nos techniques modernes, construire un navire du XVIIIe siècle peut sembler un jeu d'enfant. Mais pour les concepteurs du projet, la facilité doit s'effacer devant l'Histoire. Dès le début, il était acquis que cette réalisation ne se ferait qu'avec les moyens de l'époque, ou du moins en s'en rapprochant le plus possible. Charpentiers, forgerons et autres voiliers devaient retrouver les gestes de leurs ancêtres.

    L'Hermione en construction en 2009 (photo : Gérard Grégor, pour Herodote.net)

    Mais si, autrefois, la main-d’œuvre expérimentée ne manquait pas, seulement quelques artisans ont aujourd'hui le savoir-faire indispensable. D'où la durée du chantier !

    N'oublions pas également les difficultés rencontrées : où trouver les 400.000 pièces de bois, en particulier les pièces courbes qui donneront leur forme au navire ? Comment empêcher ce bois, tout au long des années de travail, de sécher trop vite ? Comment alléger le navire ? Les bûcherons ont donc couru les forêts à la recherche des perles rares, des brumisateurs ont été installés, fibres synthétiques et clous en acier ont été acceptés. Encore quelques efforts et tout sera prêt pour la grande traversée vers Boston, prévue en 2015 !

    L'Hermione en cours de construction en 2005 (photo : Gérard Grégor, pour Herodote.net)

    Concilier authenticité et modernité

    On ne plaisante pas avec la sécurité ! Mettre à l'eau un bateau digne de Louis XVI ne doit pas faire oublier que les règles ont changé. Parce que l'Hermione ne pouvait naviguer sans l'autorisation des organismes de contrôle, il fallut faire des concessions. Tout d'abord, aucune sortie et entrée de port n'aurait pu être accordée si le navire n'avait bénéficié de l'aide d'un moteur et d'hélices pour éviter tout accident de manœuvre et risque de naufrage en pleine mer. Pour la même raison, chaînes et ancres modernes mais aussi GPS et donc électricité seront ajoutés.

    Pour les 30 marins confirmés attendus, au lieu des 316 nécessaires à l'époque, sanitaires et surtout équipements de sauvetage et matériel de protection, comme des rambardes supplémentaires pour éviter toute chute, sont prévus. Quant aux 26 canons, dont affuts et roues n'ont pu être construits en orme, aujourd'hui disparu, ils ne seront bien entendu pas aptes à tirer un seul boulet !

    L'Hermione en cours de construction en 2009 (photo : Gérard Grégor, pour Herodote.net)

    Sources :

    - Jean-Marie Ballu, L'Hermione, l'aventure de sa reconstruction, éd. du Gerfaut, 2007.
    - Emmanuel de Fontainieu et Yves Gaubert, L'Hermione. De Rochefort à la gloire américaine, éd. de Monza, 2002.

    Pin It

    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique