• Histoire Moderne 2: Les Khazars - Juifs de la steppe

     

    Les Khazars

    Juifs de la steppe

     

     

    Alliés de l’empire byzantin orthodoxe et en butte aux volontés expansionnistes des Arabes musulmans, les chefs khazars vont se convertir à la religion des tribus d’Israël. Un choix pour le moins surprenant de la part de ces redoutables nomades de la steppe, mais rationnel d'un point de vue géopolitique...

    Thomas Tanase
     

    Expédition menée par Ibn Fadlan sur la Volga, illustration extraite de l'ouvrage : Les plus anciennes nouvelles arabes sur les Bulgares de la Volga, Ch. M. Fraehn, 1823.

    La conversion au judaïsme

    D’après les sources arabes, la religion des Khazars était à l’origine tout à fait représentative des pratiques religieuses des peuples de la steppe. Ils vénéraient le Tengri, la divinité supérieure assimilée à la voûte céleste, le tout sans doute accompagné d’un culte des esprits et de pratiques chamaniques.

     

    Les ruines de la forteresse de Sarkel (située sur la rive droite du Don inférieur, dans l'actuel oblast de Rostov, au sud-ouest de la Russie) fut édifiée par les Khazars vers 830. L'agrandissement montre des prisonnières travaillant sur les fouilles, dans l'expédition archéologique du professeur Artamonova dans les années 1949-1951.

    Les dignitaires étaient enterrés avec toutes leurs richesses, y compris leurs chevaux, pour les accompagner dans l’autre monde. Au Xe siècle, le voyageur arabe Ibn Fadlan note aussi des sacrifices d’esclaves lors de leurs funérailles, selon une pratique venue de la steppe.

    Il semble que l'autorité était partagée chez les Khazars entre deux personnes : le pouvoir royal supérieur était exercé par un khan dépositaire du qut, la force magique qui lui permettait de régner ; le pouvoir politique effectif était quant à lui confié à un bek.

    Le khan vivait à l’écart avec ses concubines. On ne pouvait donc entrer en contact avec lui qu’avec le respect le plus insigne. Mais en cas de catastrophes ou de défaites, il pouvait être exécuté. De même, après quarante ans de règne, il était mis à mort de manière rituelle, à savoir étranglé afin que son sang ne soit pas versé.

     

    Artefacts extraits des fouilles de Sarkel, musée de l'Ermitage, Saint-Pétersbourg, Russie, B.R. Long, DR.

    Des marchands chrétiens et musulmans se sont rapidement installés le long des voies commerciales qui animaient l’empire khazar. Les fourrures, le miel et la cire venus des terres slaves transitaient des ports de Crimée vers Constantinople ou empruntaient la Volga pour accéder au monde musulman à travers le Caucase.

    Les esclaves capturés à la guerre nourrissaient aussi les flux commerciaux vers le Moyen-Orient et la Méditerranée. Les taxes sur ces échanges ont procuré aux Khazars tissus et produits de luxe.

    Progressivement, ils se sont sédentarisés et ont développé une économie urbaine. De petites communautés juives se sont aussi installée le long des axes commerciaux. C’est dans ce contexte qu’est intervenu la conversion du peuple khazar au judaïsme. Les sources arabes du IXe siècle la datent du califat d’Haroun al-Rachid, aux environs de l’an 800, mais elle a dû se faire progressivement à partir des années 730.

     

    Artefacts extraits des fouilles de Sarkel, musée de l'Ermitage, Saint-Pétersbourg, Russie, B. R. Long, DR.

    En 737, une victoire momentanée des troupes musulmanes dans le Caucase aurait obligé un khan khazar à se convertir à l’islam mais cette conversion n'a pas été suivie d’effet, ledit khan ayant été rapidement mis à mort.

    Se convertir au judaïsme présentait pour les Khazars un intérêt évident : préserver leur indépendance tout en entrant dans le monde des religions monothéistes et des grands empires sédentaires ! En effet, s’ils avaient adopté la foi chrétienne, ils seraient entrés dans la sphère d’influence byzantine. Devenir musulmans était une option encore moins envisageable puisque le califat était un ennemi de toujours. 

    Dans un premier temps, seul le clan dirigeant a dû se convertir. La diffusion du judaïsme a dû s’élargir ensuite, au cours des IXe et Xe siècles, à des couches plus larges de la population, même si elle est restée globalement minoritaire. D’autres Khazars sont tout de même aussi devenus chrétiens ou musulmans, sans oublier ceux qui ont choisi de conserver leur foi traditionnelle.

    À l’instar des autres empires de la steppe, le pouvoir khazar a laissé cohabiter les différents cultes. En 860, l’empereur byzantin Michel III et le patriarche Photios ont bien tenté de rebattre les cartes en envoyant saint Cyrille, le futur apôtre des peuples slaves, en mission. Mais le judaïsme était manifestement déjà bien installé et les résultats de cet apostolat furent modestes.

     

    Un fragment de brique avec des symboles juifs, menorah (chandelier), lulav (branche de palmier) et etrog (cédrat), retrouvé sur le site funéraire de Čipska šuma, embouchure du Danube, près de Čelarevo (Bačka, Voïvodine), D.R.

     
    Des sources concordantes

    La nouvelle de la conversion des Khazars parut si inouïe qu’elle est arrivée jusqu’en Andalousie (al-Andalus), l’Espagne sous domination musulmane.

     

    Hasdaï ibn Shaprut, ministre d'Abd al-Rahman III. L'agrandissement montre un aperçu de l'intérieur de Ben Ezra, la synagogue la plus ancienne du Caire.

    C'est ainsi que vers 950, Hasdaï ibn Shaprut, ministre juif du grand Abd al-Rahman III, essaye depuis Cordoue d’en savoir plus et envoie ses émissaires auprès des Khazars. Plusieurs documents ont été retrouvés, parmi lesquels une longue lettre écrite, semble-t-il, par Hasdaï pour présenter l’émirat de Cordoue aux Khazars.

    Ses émissaires semblent cependant avoir été bloqués à Constantinople, où un informateur juif aurait rédigé un rapport pour Hasdaï : ce serait l’origine d’un texte anonyme retrouvé dans la genizah de la synagogue du Caire (la pièce où l'on déposait les textes que l’on voulait conserver).

    Cependant, un roi khazar nommé Joseph a bien écrit une lettre sous deux formes - une longue et une abrégée - destinée au ministre juif Hasdaï ibn Shaprut vivant dans l’émirat de Cordoue. Un émissaire de Hasdaï a donc probablement réussi à entrer dans le royaume khazar pour rapporter cette réponse. Selon les écrits de ce roi, ce serait un bekconverti, Boulan, qui aurait contribué vers l’an 730 à diffuser le judaïsme.

     

    Notons que la genizah du Caire a aussi conservé une lettre de recommandation pour un voyageur, sans doute écrite au Xe siècle, qui mentionne une communauté juive à Kiev, exactement au moment où cette ville commence à apparaître sur la scène historique. 

    Enfin, il existe aussi un dialogue fictif écrit par Juda Halevi, le fameux poète et philosophe juif ibérique du XIIe siècle, qui explicite les raisons de la conversion au judaïsme des Khazars.

    La conversion des Khazars est aussi le signe de l’accélération des échanges sur un espace géographique élargi, depuis la Méditerranée jusqu’à la Volga et la mer Baltique. C’est l’époque où le chef des services de la poste (et du renseignement) des califes de Bagdad, ibn Khordadhbeh, décrit un réseau de marchands juifs, les Radhanites, qui circulent de la péninsule ibérique jusqu’à la Chine en traversant l’Égypte, ou bien gagnent Constantinople, puis l’empire khazar et les régions slaves.

    Pendant ce temps, des Vikings descendent les fleuves russes depuis la Baltique jusqu’à Constantinople tandis que, dans le sens inverse, des caravanes de plusieurs milliers d’hommes partent de Bagdad pour rejoindre les Bulgares de la haute Volga. La prise de contact entre les Khazars et le ministre juif andalou d’Abd al-Rahman III n’est finalement que l’un des effets les plus surprenants de cet élargissement du monde.

    L'arrivée des Magyars va rebattre les cartes dans la steppe et conduire à la disparition des Khazars et l'oubli de leur singulière judéité...

     

    Abd-al-Rahman III reçoit des émissaires, Dionisio Baixeras Verdaguer, 1885, université de Barcelone.

     

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