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    29 juin 1966

     

    Premiers raids américains sur Hanoï

     

    Le 29 juin 1966, le président américain Lyndon Baines Johnson déclenche les premiers raids aériens sur les villes de Haiphong et Hanoï, au Nord-Vietnam. Il s'agit d'une nouvelle « escalade » dans la guerre non déclarée qui oppose les États-Unis et leur allié sud-vietnamien au Nord-Vietnam.

    André Larané
     
     
    Prétexte - Bienvenue
     

    Entre le 2 août et le 4 août 1964, deux destroyers américains, le Maddox et le Turner Joy, qui se sont aventurés dans les eaux territoriales du Nord-Vietnam, essuient des tirs de la part des Nord-Vietnamiens. C'est du moins ce qu'affirment les services secrets de Washington (les équipages des navires concernés nieront plus tard la réalité de cette agression).

     

    Défense civile à Hanoi pendant les bombardements

    Cet incident du golfe du Tonkin vient à point pour le successeur de Kennedy, Lyndon Baines Johnson, qui est entré en campagne électorale face au républicain Barrry Goldwater, lequel agite à tout va la menace de subversion communiste.

     

    Prenant prétexte de l'« agression », le président lance dès le 4 août les premiers raids américains sur les positions communistes au Sud-Vietnam et, le 7 août, il obtient du Congrès les pleins pouvoirs militaires pour un engagement contre le Nord-Vietnam. Cette détermination lui vaut une réélection triomphale le 4 novembre suivant.

     

    Américains et Vietnamiens commencent à bombarder le Nord-Vietnam le 7 février 1965. Ils espèrent par ces bombardements priver les maquisards communistes du Sud-Vietnam et les troupes d'invasion nord-vietnamiennes de leurs approvisionnements en armes et en carburant. Mais ils n'arrivent jamais à couper la fameuse « piste Ho chi-Minh » et les navettes maritimes par lesquelles transitent, du nord au sud, hommes et matériels.

     

    L'escalade atteint son maximum avec le bombardement des villes du Nord-Vietnam, à partir du 29 juin 1966. Elle se double d'une intervention massive de troupes au sol. Tout cela pour aboutir en 1975 à un humiliant retrait.

     

    Histoire Moderne:  Premiers raids américains sur Hanoï - 29 juin 1966

     

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    9 août 1942

     

    Le « match de la mort »

     

     

    Les Soviétiques l’ont surnommé le « match de la mort » : une rencontre de football où la victoire signifiait la mort. C’est la menace qui aurait pesé en effet sur les têtes des joueurs du FC Start de Kiev (Ukraine) affrontant le 9 août 1942 une équipe de soldats allemands de l’armée de l’air en finale d’un tournoi organisé par les services de propagande nazis.

     

    Les joueurs des équipes soviétique et allemande avant le match du 9 août 1942 à Kiev

    Le jeu plus fort que la peur

     

    Lors de l'invasion de l'URSS, la Wechmacht capture des centaines de milliers de prisonniers soviétiques. Mais elle ne tarde pas à relâcher ceux dont elle pense n'avoir rien à craindre. Parmi eux des joueurs du Dynamo de Kiev, un club omnisports créé par la police et le NKVD (police politique) soviétiques.

     

    Au printemps 1942, huit anciens joueurs du Dynamo et trois joueurs du Lokomotiv se rassemblent à l'initiative de l'un d'eux, reconverti dans la boulangerie, et fondent une nouvelle équipe, le FC Start. Ils adoptent l'équipement de l'Union soviétique, maillot et chaussettes rouges, short blanc, parce que c'est tout ce qu'ils ont de disponible. 

     

    L'équipe participe à un premier match le 7 juin face à une autre équipe ukrainienne mais dans le cadre d'une ligue créée par des collaborateurs de l'occupant allemand.

     

    Après quelque hésitation, les ex-vedettes du Dynamo poursuivent les compétitions au sein de la ligue. Peut-être dans le désir de rendre à leurs compatriotes le goût de vivre. Elles affrontent des équipes ukrainiennes et d'autres constituées de troupes d'occupation (hongroises ou allemandes), enchaînant victoire sur victoire.

     

    L'affiche du match de la revanche à Kiev le 9 août 1942, entre Soviétiques et Allemands

     

    Le 6 août, les voilà face une sélection de la Luftwaffe, la Flakelf. Les Allemands leur suggèrent de ne pas gagner mais les Ukrainiens, bien qu'affamés et amaigris, s'imposent 5 à 1 face à leurs adversaires bien nourris et surentraînés !

     

    Cette victoire de l'« équipe des boulangers » fait mauvais effet sur les autorités d'occupation qui craignent qu'elle ne développe l'esprit de résistance chez les habitants de Kiev. Ceux-ci se montrent au demeurant assez apathiques face à l'occupation allemande qui apparaît à beaucoup comme un moindre mal au regard de ce que fut l'oppression stalinienne.

     

    La Flakelf demande une revanche que le FC Startaccepte. La partie s'engage trois jours plus tard sur le stade Zenit.

     

    C'est un match sous haute surveillance par lequel les Allemands veulent humilier la population, laquelle est appelée à remplir les gradins, sous le regard des troupes d'occupation...

     

    Histoire Moderne:  Le « match de la mort » - 9 août 1942

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    8-13 octobre 1906

     

    La Charte d'Amiens fonde le syndicalisme révolutionnaire

     

    Le 8 octobre 1906 s’ouvre à Amiens le congrès de la Confédération Générale du Travail (CGT), qui groupe 2400 syndicats français et deux cent mille adhérents. Cinq jours plus tard en sort une motion qui va entrer dans l’Histoire syndicale sous le nom de Charte d’Amiens.

     

    Ce texte très court (2000 signes) définit encore aujourd’hui en théorie les objectifs du syndicalisme français, en radicale opposition avec les syndicalismes allemand et britannique.

     

    Grève des mineurs dans le Nord-Pas-de-Calais après la catastrophe de Courrières (1906)

    Révolutionnaire ou réformiste ?

     

    La CGT est née à Limoges en 1895, à peine plus de dix ans après la légalisation des syndicats ouvriers. Au départ simple association de quelques fédérations nationales de syndicats, elle se structure et se renforce au congrès de Montpellier, en 1902.

     

    Victor Griffuelhes (Nérac - Lot-et-Garonne, 14 mars 1874 ; Saclas - Seine-et-Oise, 30 juin 1922)

    Ses effectifs bondissent à plus de cent mille membres sous l’impulsion de son secrétaire général Victor Griffuelhes, un ancien militant anarchiste.

     

    Il organise le 1er mai 1906 la première grève générale pour la journée de huit heures. Ce coup d’éclat met le monde syndical en ébullition, d’autant qu’il survient juste après la catastrophe de Courrières et la répression des mineurs par l’armée.

     

    L’année précédente, la sphère politique a vu naître le premier parti constitué comme tel : la Section française de l’Internationale ouvrière (SFIO). Ce parti est dirigé par Jules Guesde et se réclame du marxisme.

     

    Partageant peu ou prou les mêmes convictions, syndicalistes et militants politiques s’interrogent sur la meilleure façon de les promouvoir.

     

    Jules Guesde s’est violemment opposé à Alexandre Millerand en 1899 quand ce « socialiste indépendant » a choisi de participer au gouvernement « bourgeois » de Pierre Waldek-Rousseau.

     

    Il souhaite faire de son parti, avec le concours de la CGT, le fer de lance de la révolution à venir. Mais au sein de la confédération syndicale, les « guesdistes » sont nettement minoritaires.

     

    Ils doivent compter avec les réformistes qui veulent se cantonner dans des revendications purement syndicales pour l’amélioration des conditions de travail et des rémunérations.

     

    Quant à la mouvance anarchiste regroupée autour de Victor Griffuelhes, elle prône une action révolutionnaire, à l'écart des partis politiques, avec rien moins que l’objectif de renverser la société capitaliste et de confier l’outil de production aux syndicats !

     

    Le débat va être tranché au congrès d’Amiens au profit des derniers !

     

    Victoire en trompe-l’œil du syndicalisme révolutionnaire

     

    Le IXe congrès confédéral réunit plus de 800 délégués dans l’école publique du faubourg de Noyon, à Amiens. Trois motions sont débattues. Celle des « guesdistes », présentée par la Fédération du Textile, est mise en minorité par la coalition contre nature des réformistes et des anarchistes.

     

    La motion réformiste, présentée par la Fédération du Livre, exprime « le caractère exclusivement économique de l'organisation syndicale ». Mais elle est retirée par ses promoteurs qui veulent plus que tout rester à l’écart des partis politiques. Ils se rallient donc à la motion de Victor Griffuelhes, laquelle préconise la grève générale comme moyen de faire triompher la révolution et « l'expropriation capitaliste ».

     

    Après une semaine de débats est donc votée ladite motion. Elle obtient 830 voix sur 839 !

     

    Mais même si elle est acceptée à la quasi-unanimité des congressistes, n'y voyons pas le reflet des aspirations de la classe ouvrière ou des huit millions de salariés français car les délégués présents à Amiens représentent en tout et pour tout un millier de syndicats et beaucoup sont des néophytes qui ont reçu un mandat en blanc d'un ou même plusieurs syndicats...

     

    Histoire Moderne:  La Charte d'Amiens fonde le syndicalisme révolutionnaire - 8-13 octobre 1906

     

     

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    25 avril 1841

    Mayotte, française par accident

     

     

    L'île de Mayotte a été vendue à la France le 25 avril 1841 par le sultan local. Elle est devenue le 31 mars 2011 un département d'outre-mer de plein droit suite au référendum du 29 mars 2009 initié par le gouvernement français. 

     

    Elle n'en demeure pas moins une société de type colonial, où une poignée d'« expats »(expatriés) tente de contenir une population démunie, jeune, illettrée, en croissance exponentielle, attachée à son identité comorienne ou africaine, toujours au bord de l'explosion.

     

    Mayotte, comorienne avant tout
     

    Mayotte (374 km2), située dans l'archipel des Comores, entre l'Afrique et Madagascar, est en fait constituée de deux îles entourées d'un récif corallien et d'un lagon que l'on dit le plus beau du monde ! Sa population a crû de 3.000 habitants en 1841 à près de 300.000 au début du XXIe siècle. Près de la moitié sont des immigrants illégaux venus des Comores ou d'Afrique noire.

     

    Rien ne distingue les Mahorais, habitants originels de Mayotte, de leurs voisins des autres îles comoriennes. La grande majorité parle une langue bantoue (africaine), leshimaoré. Les autres parlent un dialecte malgache, le shibouski. Le français demeure une langue d'importation comme en Afrique noire.

     

    Tous les habitants ou presque sont musulmans. Ils suivent le droit islamique appliqué par 22 cadis (juges) officiels. La polygamie est très largement pratiquée.  Elle est tolérée par la loi française mais interdite (en théorie) aux nouvelles générations nées après 1985. La production se réduit à quelques productions vivrières et les exportations, insignifiantes, à des clous de girofle et du parfum dérivé de l'ylang-ylang.

     

    Une possession délaissée

     

    Les Comores étaient, au XIXe siècle, l'objet de luttes incessantes entre les chefs locaux, les « sultans batailleurs ». Leur principale activité consistait dans le trafic d'esclaves à destination du Moyen-Orient.

     

    Le sultan qui régnait sur Mayotte, en bisbille avec son voisin de l'île d'Anjouan, appela au secours un Français, le commandant Pierre Passot. Par le traité du 25 avril 1841, il céda son île à la France en contrepartie d'une indemnité de 1000 piastres.

     

    C'est ainsi que Mayotte est entrée dans le giron de la France. Jusqu'à la fin de l'époque coloniale, la présence française à Mayotte et aux Comores se ramena à très peu de chose, l'archipel n'ayant guère d'intérêt pour la métropole.

     

    L'esclavage fut néanmoins aboli à Mayotte dès le 9 décembre 1846, soit sous le règne de Louis-Philippe et avant le décret de Schoelcher. Il est vrai que l'abolition n'affectait ici les intérêts d'aucun planteur européen... 

     

    De proche en proche, les sultans voisins demandèrent à bénéficier du protectorat de la France et en 1887, l'ensemble de l'archipel (Mayotte, Anjouan, Grande Comore et Mohéli) devient colonie française.

     

    Au XXe siècle, les Comores sont de fait gouvernées à partir de la colonie voisine de Madagascar. Surpeuplées, pauvres et sans ressources, éloignées des grandes routes maritimes, elles n'intéressent guère l'administration coloniale.

     

    Maladresses parisiennes

     

    Après la Seconde Guerre mondiale, Paris dissipe les espoirs des élites qui, aux Comores comme à Madagascar et même en Afrique noire, caressent l'espoir d'une intégration pleine et entière dans la République.

     

    En 1968, la France concède à l'archipel des Comores une large autonomie interne, prélude à l'indépendance. Mais dès lors, Paris accumule les maladresses en réveillant la rivalité entre les îles.

     

    Ainsi la capitale administrative est-elle transférée de Dzaoudzi (Mayotte) à Moroni (Grande Comore). L'arrogance des nouveaux fonctionnaires ne tarde pas à indisposer les Mahorais.

     

    Pour ne rien arranger, le gouvernement  parie sur un riche commerçant d'Anjouan, Ahmed Abdallah, pour diriger le pays après l'indépendance. Mais l'homme, irascible et sans assise politique, fait peur aux Mahorais. Lors du référendum du 22 décembre 1974, ils se prononcent à 63% contre l'indépendance et les autres Comoriens à 95% pour.

     

    Le Parlement, embarrassé, décide de faire fi de la légalité internationale et exige que la future Constitution des Comores soit approuvée île par île. Comme on pouvait s'y attendre, elle est rejeté par Mayotte cependant qu'Ahmed Abdallah proclame de façon précipitée une indépendance unilatérale. C'est ainsi que Mayotte reste sur le bas côté.

     

    Moins d'un mois plus tard, le 3 août 1975, Ahmed Abdallah est renversé. Trop tard pour changer le cours des choses. Les Nations unies dénoncent cette violation des frontières issues de la colonisation : la résolution 3385 du 12 novembre 1975 réaffirme « la nécessité de respecter l’unité et l’intégrité territoriale de l’archipel des Comores, composées des îles d’Anjouan, de la Grande-Comore, de Mayotte et de Mohéli ».

     

    Il n'empêche que le 8 février 1976, les habitants de Mayotte expriment par référendum à 99% leur volonté de rester dans le giron de la France. Ils n'ont plus envie de retrouver la pétaudière comorienne.

     

    Sous la protection de la France

     

    Depuis lors, l'île est administrée par des fonctionnaires venus en quasi-totalité de métropole.

     

    Elle est toujours revendiquée par le gouvernement comorien qui a l'appui de la communauté internationale. Mais les dissensions au sein des Comores et la quasi-sécession de l'île d'Anjouan rendent improbable la mainmise des Comoriens sur Mayotte.

     

    Dans l'indifférence des médias et des commentateurs, le gouvernement de Nicolas Sarkozy leur ouvre la voie de la départementalisation.

     

    Le 29 mars 2009, les Mahorais se prononcent à une écrasante majorité sur la transformation de leur collectivité en département d'outre-mer, à l'image des vieilles colonies de la Martinique, la Guadeloupe, la Guyane et la Réunion.

     

    Ils renoncent à la voie de l'indépendance, sur laquelle se sont engagés les territoires d'outre-mer de Polynésie et Nouvelle-Calédonie, qui sont comme eux vieilles terres de culture et d'Histoire avec une identité propre.

     

    Le défi mahorais

     

    À l'automne 2011, des émeutes violentes - avec mort d'homme - opposent la jeunesse de Mayotte aux policiers venus de métropole. Elles révèlent une société coloniale très éloignée du rêve assimilationniste et dont le fonctionnement est assuré plutôt mal que bien par les « expatriés » ou « m'zungus » (administrateurs, enseignants, médecins).

     

    Certains de ces métropolitains blancs, riches de leurs salaires et de leurs primes, se laissent corrompre par l'atmosphère locale : soirées alcoolisées, consommation sexuelle de mineures etc.

     

    Sauf à échouer, la départementalisation de l'île nécessitera dans les décennies à venir des efforts considérables de l'État français pour faire fi aux défis politiques, sociaux, culturels et économiques :



    - corruption endémique de la classe politique locale,
    - analphabétisme et méconnaissance de la langue française,
    - prévalence du droit coutumier coranique sur la loi française,
    - principaux commerces aux mains des marchands indo-pakistanais,
    - sous-développement aigu et absence de toute activité économique significative,
    - surpeuplement et natalité exubérante,
    - forte pression migratoire en provenance des Comores, de Madagascar, voire de l'Afrique des Grands Lacs (on compte en 2009, à Mayotte, plusieurs milliers d'enfants clandestins à la charge de la collectivité et dont la mère a péri dans un naufrage),
    - montée des violences entre Mahorais et immigrés illégaux comoriens ou africains.

     

    L'avenir s'avère d'autant plus sombre que les Mahorais de souche tendent à abandonner leur île aux immigrants illégaux. Ils usent de leur citoyenneté pour aller chercher une vie plus sereine à la Réunion ou en métropole (Marseille abrite plus de Comoriens que Mayotte). 

     

    Par une aberration singulière, les immigrants illégaux et leurs enfants, qui ne peuvent sortir de l'île légalement, pourraient bientôt devenir les seuls habitants permanents de l'île, aux côtés des policiers et administrateurs métropolitains.

     

    Sans doute la départementalisation de Mayotte demeurera-t-elle dans l'Histoire comme le legs le plus coûteux et le plus lourd de conséquences de la présidence Sarkozy

     

    Histoire Moderne:  Mayotte, française par accident - 25 avril 1841

     

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    MONTRÉAL, 375 ANS D’HISTOIRE
     

    MARIE-JOSÈPHE

    ANGÉLIQUESYMBOLE DE

    L’ESCLAVAGE À MONTRÉAL

     

    Chaque dimanche de l’année, un pan de l’histoire de Montréal vous est conté. Aujourd’hui, les démarches de Montréal pour obtenir les Jeux olympiques.

     

    Histoire Moderne:  L’ESCLAVAGE À MONTRÉAL

     

    À l’image de la Nouvelle-France, de la Province de Québec et du Bas-Canada, Montréal a été territoire esclavagiste durant 200 ans. S’il y a un personnage symbolisant cet état de fait, c’est Marie-Josèphe Angélique, esclave noire torturée, pendue et brûlée après avoir été reconnue coupable d’incendie criminel au terme d’un procès alambiqué.

     

    Tout commence le samedi 10 avril 1734, vers 19 h, lorsqu’un incendie se déclare dans le grenier de la résidence de Thérèse de Couagne, veuve de François Poulin de Francheville, rue Saint-Paul. Le brasier se propage et, en quelques heures, détruit 46 des 387 immeubles de la ville, dont l’Hôtel-Dieu, hôpital récemment reconstruit. Il n’y a pas de morts, mais des centaines de personnes se retrouvent sans toit.

     

    Très vite, les soupçons se tournent vers Marie-Josèphe (certains utilisent la graphie Marie-Joseph) Angélique, esclave chez Mme de Couagne depuis neuf ans. La jeune femme – qui est née à Madère, au Portugal, et qui aurait été âgée de 29 ans – n’avait-elle pas, quelques mois plus tôt, tenté de fuir avec son amant, le Blanc Claude Thibault, contrebandier de sel exilé au Canada ? N’aurait-elle pas mis le feu à la résidence de sa propriétaire qui songeait à la vendre à un homme de Québec qui, à son tour, voulait l’envoyer travailler aux Antilles ?

     

    Histoire Moderne:  L’ESCLAVAGE À MONTRÉAL

     

    C’est la rumeur qui court en ville au moment de son arrestation, le lendemain de l’incendie. On a dit aussi qu’elle avait pris la fuite après l’incendie. Après un long travail de dépouillement des archives du procès, l’archiviste et historienne Denyse Beaugrand-Champagne affirme au contraire qu’elle est restée sur place pour aider sa maîtresse à sauver les meubles de la maison.

     

    Chose certaine, dès le lundi 12 avril, Marie-Josèphe comparaît devant le juge Pierre Raimbault, de la Juridiction royale de Montréal, lui-même résidant de la rue Saint-Paul et… propriétaire d’esclaves. Comme les avocats sont interdits dans la colonie, elle doit se défendre seule.

     

    Le procès dure six semaines. Plusieurs témoins comparaissent, mais aucun n’est capable de faire la preuve formelle de la culpabilité de l’accusée. Leurs témoignages reposent sur des ouï-dire. Marie-Josèphe nie tout. Arrive alors Marie-Amable Lemoine dit Monière, fillette de 5 ans. Témoignant le 26 mai devant le juge, la fillette assure qu’« étant assise sur la porte, la négresse prit du feu sur une pelle et monta au grenier ».

     

    C’en est fait. Marie-Josèphe Angélique est condamnée à l’amputation de la main droite et à être brûlée vive au bûcher. En processus d’appel devant le Conseil supérieur du Québec, sa peine est « atténuée ». On ne lui coupera pas la main et elle sera pendue avant d’être brûlée. Mais avant, on doit lui arracher des aveux. Ce qui sera fait sous la torture des brodequins, appareil servant à broyer les jambes. Le lundi 21 juin 1734, Marie-Josèphe Angélique est embarquée dans un tombereau à vidanges et amenée devant l’église paroissiale pour faire amende honorable. Elle est exécutée sur une place publique près des lieux ravagés par l’incendie.

     

    « L’histoire de Marie-Josèphe Angélique est aujourd’hui un symbole de la résistance des Noirs et de la liberté. Elle est aussi révélatrice de la façon dont on percevait les esclaves à cette époque. »

    — Martin Landry, historien

     

    « Il est en effet difficile de savoir si elle a réellement mis le feu et si elle l’a fait de façon volontaire, explique l’historien Martin Landry. Les incendies étaient nombreux à Montréal durant cette période et plusieurs d’entre eux étaient accidentels. »

     

    Comédienne et réalisatrice du documentaire Les mains noires consacré à cette femme, Tetchena Bellange déclare de son côté : « Marie-Josèphe Angélique nous rappelle que la famille montréalaise est constituée depuis des siècles de Noirs aussi. Sa vie nous révèle des facettes cachées de notre histoire. Cette esclave forte, rebelle et éprise de liberté fait partie de notre répertoire de femmes québécoises qui ont dit “Non !” aux atteintes à la dignité humaine. »

     

    ESCLAVES MONTRÉALAIS

     

    Outre cette histoire, que sait-on des esclaves montréalais ? L’historien Marcel Trudel, un des plus importants spécialistes de la question, a dénombré 1525 esclaves, soit 1007 Amérindiens et 518 Noirs, à Montréal sous les régimes français et anglais.

     

    « À Montréal, les esclaves amérindiens appartiennent surtout à des personnes de la haute société : marchands, officiers militaires, seigneurs, clercs, etc., rappelle de son côté Martin Landry. Les femmes amérindiennes sont plus nombreuses que les hommes et souvent très jeunes (l’âge moyen au décès était de 17,7 ans). Elles sont surtout employées aux travaux domestiques. Certaines d’entre elles peuvent s’affranchir grâce au mariage mixte, en devenant les conjointes légitimes de leur maître. En ce qui concerne les hommes, ils sont surtout utilisés pour le commerce des fourrures et participent aux expéditions de traite en tant que membre d’équipage. »

     

    « Les esclaves héritent en général des tâches les plus ingrates, lit-on par ailleurs sur le site web du Centre d’histoire de Montréal. Ils vident les pots de chambre, transportent les seaux d’eau potable plusieurs fois par jour depuis la petite rivière Saint-Pierre, coupent et transportent le bois pour les nombreuses cheminées, lavent les planchers, battent les tapis, font la lessive au fleuve, soignent les animaux et passent de longs moments à tourner la broche pour cuire la viande. »

     

    Après l’exécution de Marie-Josèphe Angélique, ses cendres furent dispersées au vent. Recherché après l’incendie, Claude Thibault ne sera jamais retrouvé.

     

    On s’entend généralement pour dire que 4200 esclaves ont vécu au Québec entre 1629 et 1833. Le 20 février 2012, le conseil municipal de Montréal a adopté une résolution consacrant un espace public à Marie-Josèphe Angélique. Sise à deux pas du métro Champ-de-Mars, cette place rend hommage à cette femme et constitue une façon de reconnaître l’existence de l’esclavage dans l’histoire de Montréal.

     

    Une plaque du gouvernement du Québec est aussi installée à l’intersection des rues Vaudreuil et Sainte-Thérèse, dans le Vieux-Montréal.

     

    POUR ALLER PLUS LOIN

     

    Grâce à ses ouvrages Histoire de l’esclavage au Canada français, Deux siècles d’esclavage au Québec (en collaboration avec Micheline D’Allaire) et son Dictionnaire des esclaves et de leurs propriétaires, l’historien Marcel Trudel fait autorité sur le sujet. Le procès de Marie-Josèphe Angélique de Denyse Beaugrand-Champagne (Libre Expression) et le documentaire Les mains noires – Procès de l’esclave incendiaire de Tetchena Bellange sont d’autres œuvres bien documentées pour qui souhaite en apprendre davantage sur le sujet.

     

     

    MARGUERITE D’YOUVILLE

    Avant d’entrer dans les ordres, elle est mariée et a six enfants (quatre morts en bas âge). Sont époux et elle possèdent des esclaves.

     

    LES JÉSUITES

    Plusieurs communautés religieuses possèdent des esclaves. L’ouvrage Deux siècles d’esclaves au Québec de Marcel Trudel en recense 46 chez les jésuites et  31 au Séminaire de Québec.

     

    MADELEINE DE VERCHÈRES

    On la connaît d’abord pour ses actes héroïques face aux attaques des Iroquois, mais beaucoup moins pour le fait qu’elle possédait des esclaves.

     

    JAMES MCGILL

    Marchand prospère, le fondateur de l’Université McGill fait le commerce de fourrures et de plusieurs types de marchandises. Ses esclaves sont l’une de ses sources d’enrichissement.

     

    FRONTENAC

    Ce gouverneur de la Nouvelle-France possédait des esclaves. La cinéaste Marquise Lepage l’évoque dans son documentaire Le rouge et le noir… au service du blanc.

     

    Histoire Moderne:  L’ESCLAVAGE À MONTRÉAL

     

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