• Livres à Lire: La reine de rien: un conte de Noël signé Geneviève Pettersen

     

    La reine de rien: un conte de Noël signé Geneviève Pettersen


    Romancière et chroniqueuse à Châtelaine, Geneviève Pettersen signe un conte de Noël décapant, exclusivement pour nos lectrices.

     

    22 déc. 2015 Par Geneviève Pettersen

     

    Livres à Lire:  La reine de rien: un conte de Noël signé Geneviève Pettersen

    Photo:Carolyn Lagattuta/Stocksy

     

     

    C’était le 24 décembre pis j’étais évachée dans le sous-sol chez mon père.

    J’entendais Danièle préparer toutes sortes d’affaires pour le réveillon. Elle recevait sa mère, ses millions de sœurs pis je sais plus trop qui. Papa avait invité personne, sauf un client à lui qui venait de divorcer. Je le connaissais pas. Je savais juste qu’il chauffait des avions. C’est mon père qui me l’avait dit quand il était descendu le matin pour m’avertir de porter du linge normal pis de pas me maquiller comme un char volé. Fallait pas que je lui fasse honte devant l’aviateur pis la famille de sa blonde. Je pense que ça le stressait de recevoir sa nouvelle belle-famille. Il voulait bien paraître pis ça me tombait sur les nerfs qu’il soit venu dans mon sous-sol juste pour me dire ça. Il venait jamais. Même pas pour me dire de faire le ménage ou de me lever de mon lit quand je dormais passé midi.

    Quand je suis déménagée chez eux, à la fin de l’été, mon père m’a dit que le sous-sol, ce serait comme mon genre d’appartement. Je pensais qu’il allait le rénover ou de quoi de même, m’installer un frigidaire pis bâtir une entrée indépendante. D’ailleurs, c’est ça qu’il m’avait promis la dernière fois qu’on était allés à la pêche ensemble. Mais non. Quand je suis arrivée, les murs du sous-sol étaient encore en vieille tapisserie laitte avec des motifs de vignes dessus. La seule chose que mon père avait changée en bas, c’était le divan. Il était allé porter l’ancien au « dépôt sec » pis avait descendu celui du salon parce que Danièle en voulait un neuf. Je suppose qu’il devait trop lui faire penser à ma mère. Ça faisait mon affaire. Je l’aimais le divan d’en haut. C’était un gros quatre-places importé en velours vert forêt avec des pattes sculptées dans du bois exotique. Danièle m’avait même descendu les coussins brodés qui allaient avec. Ma mère m’avait déjà dit qu’ils étaient cousus avec du fil en or. C’était vraiment forfait.


    Je soupais tout le temps sur le divan vert astheure. Je me mettais un coussin sur les genoux pis j’installais mon assiette dessus. Je mangeais en regardant Flash. Je trouvais ça cool que la fille de Chambres en ville soit rendue animatrice. En tout cas.

    Il était six heures du soir pis ça sentait la tourtière dans toute la maison. Marie-Ève a téléphoné pour me demander si je sortirais après mon party de famille. Je le savais-tu, moi ? Marie-Ève m’a dit qu’en tout cas, si on décidait de faire de quoi, faudrait qu’elle se sauve par la fenêtre de sa chambre quand ses parents dormiraient. Elle était en punition parce que sa mère avait trouvé des capotes dans son sac à dos. Je lui ai dit de me rappeler plus tard pis qu’on verrait à ça.

    J’ai entendu la sonnette de la porte d’entrée pis mon père a crié mon nom. Je portais ma robe noire du Château pis le collier tattoo que Keven m’avait donné huit jours avant de se pendre. Je savais pas quoi me mettre dans les pieds parce que j’avais juste des Doc pis des bottes hautes plateformes, ça fait que j’ai décidé de ­rester en pieds de bas pour pas me faire engueuler par mon père.

    En haut, la maison était toute décorée. Danièle avait même acheté un centre de table en sapin chez Chicoutimi-Nord Fleuriste. Ses sœurs venaient d’arriver avec leurs maris pis leurs enfants. Tout le monde s’embrassait sur les joues, pis je trouvais que le mari de la plus vieille sœur de la blonde à mon père sentait déjà la boisson. La mère à Danièle est arrivée pas longtemps après avec ses pantoufles dans un sac en plastique. L’aviateur, lui, était en retard. Danièle arrêtait pas de demander à mon père quand est-ce qu’il arriverait. Ça lui tentait pas que la tourtière sèche. Mon père lui a dit de se calmer les nerfs, que c’était Noël pis que, de toute façon, on mangeait jamais avant 9, 10 heures dans le temps des fêtes. La mère à Danièle a dit que c’était pas bon pour la digestion de manger à minuit.

     


    Mon père a fait le tour des invités pis leur a servi du Cinzano. Il m’en a même offert un verre. J’ai dit non. Je trouvais que ça goûtait le sur. Je me demandais ce que ma mère aurait pensé de ça. Des étrangers dans sa maison, je veux dire. En ce moment, elle s’en sacrait sûrement. Elle était au chalet avec son chum pis elle devait revenir juste après le jour de l’An. Je me demandais si elle allait m’appeler sur le VE2 pour me souhaiter joyeux Noël. Ça m’étonnerait. On se parlait plus tant que ça depuis que j’avais décidé de venir habiter chez mon père.

    Danièle a décidé de commencer à servir même si le client de mon père arrivait pas. Il devait être sur le bord, qu’elle répétait. Au pire, elle lui garderait une assiette au chaud. On a commencé à manger. Personne me parlait, sauf pour me demander de lui passer le sel ou le ketchup. Mon père s’est plaint que c’était sec. Il avait raison. La tourtière à ma mère clanchait tellement celle à Danièle. Une des sœurs à Danièle racontait que sa plus vieille aurait besoin de broches, mais qu’elle voulait aller voir un autre orthodontiste pour un deuxième avis. Elle était certaine que le sien, c’était un crosseur. Mon père lui a dit d’aller voir celui en bas de la rue Racine. Paraissait que c’était le meilleur en ville pis que tu pouvais payer en plusieurs « shottes ». Pendant qu’il expliquait à sa fausse belle-sœur qu’il était allé à l’école avec l’orthodontiste, son client est entré. Il a même pas sonné. Il était avec une espèce de guedaille plus jeune que lui habillée avec une robe rouge pleine de zircons. Sa robe était tellement courte qu’on aurait dit qu’elle avait oublié de mettre sa jupe. Mon père s’est levé de la table pis est allé se présenter à la fille. Danièle l’a suivi. C’était clair qu’elle haïssait la fille. Les deux nouveaux invités sont venus s’asseoir avec nous comme s’ils nous connaissaient depuis toujours. L’aviateur parlait de hockey avec le mari de la sœur de Danièle pis la gawa avec qui il était racontait qu’elle venait juste d’arriver de Québec.

    L’aviateur s’appelait André. Danièle lui a apporté son assiette en s’excusant. Elle savait pas qu’il venait avec quelqu’un. Avoir su, elle aurait gardé deux assiettes dans le four. Elle faisait chauffer la tourtière de la fille au micro-ondes. Ça serait pas long. La pâte serait peut-être un petit peu molle, mais ce serait bon pareil. Là, pour aucune raison, mon père s’est levé pis il a dit que le souper était dégueulasse. J’ai pas compris pourquoi il faisait ça. C’est sûr que ça faisait environ 10 Cinzano qu’il buvait en plus du vin. Il buvait les coupes que Danièle lui servait en trois gorgées, fait qu’il avait de l’avance sur le reste du monde.

     

    La blonde à mon père savait plus où se mettre. Je pense que c’est la première fois qu’elle voyait mon père si saoul. Ça me faisait rire parce que je savais que ce serait crissement pas la dernière. Mon père est descendu dans le sous-sol et est remonté avec plein de steaks. Il a dit qu’il nous ferait ses fameux steaks au poivre. Ça serait bien meilleur que cette marde-là. Danièle a dit que les steaks étaient congelés. C’est pas grave, que mon père lui a répondu. Il avait une technique spéciale pour les décongeler pis les cuire en même temps dans le four, comme au Deauville. Il a sacré la viande à broil pis a commencé à préparer une sauce au poivre. Je pense qu’il a vidé la moitié de la bouteille de VSOP dedans parce que, quand il a décidé de mettre le feu pour la faire flamber, la flamme a monté jusqu’au plafond. Danièle a paniqué pis est allée ouvrir la fan. Le feu a monté encore plus haut, jusque dans la fan. J’avais peur qu’on passe au feu. Danièle s’est mise à crier aigu, pis ses sœurs aussi. Le détecteur de fumée est parti. Mon père est monté sur une chaise en riant pis lui a crissé un coup de poing pour qu’il arrête. Tout le monde cherchait un extincteur, pis mon père riait encore plus pis les traitait de tapettes. Voir si le feu allait pogner. Il avait fait cette sauce-là des millions de fois. J’ai décidé de descendre dans mon sous-sol avec mon assiette de tourtière pour appeler Marie-Ève. En haut, j’entendais la visite qui sacrait son camp. Je me suis dit que Danièle allait sûrement crisser son camp elle avec. Mais elle est pas partie. Au lieu de ça, elle a tout ramassé pis elle est allée se coucher. C’est là que j’ai compris qu’elle était aussi stupide que ma mère, sinon plus.

    La déesse des mouches à feu paraîtra en format poche au Quartanier en mars 2016. Ce texte, inspiré du personnage principal du roman, a été créé en exclusivité pour Châtelaine.

     

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