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    Marilyse Hamelin: retour vers le futur

     

    «Un vent de conservatisme social souffle sur notre belle province, et c’est une bien mauvaise nouvelle pour les femmes.» La première chronique de notre blogueuse invitée, Marilyse Hamelin.


    Marilyse Hamelin du magazine Châtelaine

     

     

    Matière à Réflexion:  Marilyse Hamelin: retour vers le futur


    Photo: Marilyse Hamelin. Crédit: Philippe Boisvert


    «Avancez en arrière!» Avez-vous déjà entendu un chauffeur d’autobus intimer cette paradoxale directive à ses usagers? Ça m’a toujours fait rigoler.


    Ces jours-ci, je vous avoue que je ris un peu moins. C’est qu’au bout du compte, la formule décrit peut-être trop bien le Québec de 2017. Je trouve qu’un vent de conservatisme social souffle sur notre belle province, et c’est une bien mauvaise nouvelle pour les femmes.


    Il y a un moment déjà que j’observe cette tendance inquiétante. À ceux qui croient que le progrès social, à l’image d’une fusée, est une affaire d’ascension ininterrompue, je rappelle que l’histoire de l’humanité est tout sauf linéaire et que, parfois, pour un pas en avant, on en fait trois vers l’arrière.


    Moi qui ai grandi dans les années 1980, je me souviens bien, par exemple, que nos mères avaient une vie sociale, qu’elles allaient souper chez des amis tandis que nous nous endormions sur place en pyjama et qu’on nous ramenait ensuite, ronflants, dans la voiture.


    Aujourd’hui, je vois beaucoup de jeunes femmes se priver de sorties parce qu’elles doivent mettre leur enfant au lit de bonne heure. On dirait bien que la pression sociale exercée sur les mères a augmenté.


    Bienvenue en 1950!

    Quand une humoriste d’ici, qui remplit des dizaines de salles dans le temps de le dire, déclare sur les ondes de la radio publique que «les gars ne sont pas vraiment intéressés à assister à une soirée où l’on parle d’enfants», que ce sont les mères qui choisissent de s’auto-infliger la charge mentale, que c’est son travail de mère de s’occuper des enfants et celui de son mari de ramener de l’argent au foyer;


    Quand un parti politique potentiellement aux portes du pouvoir remet sur la table la poussiéreuse idée d’une aide financière à la femme au foyer;


    Quand la nouvelle présidente du Conseil du statut de la femme déclare à une journaliste que l’égalité est «presque acquise», alors que tout concourt à nous démontrer le contraire (iniquité salariale, violences conjugale et sexuelle, faible représentation politique…), je ne peux tout de même pas me fermer les yeux et dire que tout va bien.


    Comme je l’ai déjà écrit, il en va chez l’humain de chaque époque de se croire parfaitement moderne et de s’autocongratuler d’avoir atteint le fin du fin en matière de progrès. Il en allait ainsi en Europe occidentale au 19e siècle comme chez les Grecs anciens.


    C’est ce même réflexe qui fait dire aujourd’hui à beaucoup d’hommes – et même de femmes – que l’égalité entre les sexes est atteinte et que le féminisme est un reliquat du passé.


    Or, tant que la parentalité sera considérée comme une responsabilité principalement féminine par défaut, il n’en sera rien.


    Faire fausse route

    Les mères ont statistiquement moins de temps libres qu’il y a 30 ans, car elles sont plus nombreuses que jamais à travailler à l’extérieur de la maison, tandis que le partage des tâches ménagères et des responsabilités parentales n’est toujours pas égalitaire.


    Pire, le retour au traditionalisme ambiant doublé de la pression populaire à la maternité parfaite (merci aux réseaux sociaux qui contribuent au phénomène) m’apparaissent comme autant de reculs inquiétants.


    Comprenez-moi bien: être parent à la maison à temps plein est un choix parfaitement valable, tout comme le fait d’opter pour un boulot à temps partiel pour mieux articuler vie professionnelle et vie familiale. Néanmoins, permettez-moi de demander pourquoi, étrangement, ce sont – dans la très vaste majorité des cas – des femmes qui font ces «choix»?


    Se pourrait-il qu’il reste pas mal plus de vieux relents traditionalistes dans notre inconscient collectif que nous sommes prêts à nous l’avouer?


    Se pourrait-il que la croyance ancestrale que la mère posséderait naturellement la science infuse, elle qui serait apparemment née avec un mode d’emploi intégré, continue de teinter nos décisions, parfois bien inconsciemment?


    Se pourrait-il que la tentation de se réfugier dans les valeurs traditionalistes, associées à une époque où tout paraissait plus simple, se fasse sentir?


    Avancer, tout court

    Le statu quo en matière de charge mentale est résolument inacceptable pour les femmes, parce qu’il est inéquitable. Cela dit, jamais on ne me fera avaler l’idée que la solution aux difficultés qu’elles éprouvent à tout concilier réside dans le fait de se retirer du marché du travail pour rentrer à la maison.


    Je crois qu’il faut plutôt œuvrer à déconstruire les stéréotypes de genre en vue d’assurer une meilleure coparentalité. Par exemple, un père prenant soin de son enfant, qui s’absente du travail à cet effet ou qui reste carrément à la maison pour une longue période, n’est pas un «homme rose», pas plus que les femmes ayant envie de se réaliser professionnellement sont «d’indignes carriéristes».


    Mieux articuler travail et vie familiale doit être une préoccupation également partagée au sein du couple, mieux comprise sur le marché du travail et dans l’ensemble de la société. Le temps est venu pour un rééquilibrage des rôles parentaux. Ça, ce serait un véritable bond en avant. Parce qu’à trop regarder dans le rétroviseur, on oublie d’avancer.

     

    Journaliste indépendante, conférencière et auteure, Marilyse Hamelin dirige le blogue féministe La semaine rose. Son premier essai, Maternité – La face cachée du sexisme, vient tout juste de sortir en librairie.

     

    Matière à Réflexion:  Marilyse Hamelin: retour vers le futur

     

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    Arts martiaux : le retour des lansquenets ?
     

    Arts martiaux : le retour des lansquenets ?

     

    Encore confidentielle mais néanmoins prometteuse, une discipline récente permet aux jeunes européens de redécouvrir leur héritage martial et de lui donner une forme nouvelle. Elle se cache derrière un sigle : AMHE, pour Arts Martiaux Historiques Européens.

    « C’est sûr, la nature ne nous fait pas égaux… » : non, nous ne sommes pas à un colloque de philosophie mais attablés dans un bistrot. Les membres du Cercle Phoenix, un club récent d’Arts Martiaux Historiques Européens, refont le monde autour d’un café non loin de Paris. Loin des cénacles politisés, la pratique des arts martiaux semble mener à certaines prises de conscience.

    Et peut-être plus encore avec un combat d’un genre très particulier. A mi-chemin entre l’escrime sportive et le béhourd, les Arts Martiaux Historiques Européens attirent un public de 2000 passionnés dans l’Hexagone. Armés d’une épée longue à deux mains, ou encore d’une rapière et d’une dague, voire d’une épée et d’un bocle, les escrimeurs se ruent l’un sur l’autre, croisent le fer et se portent férocement des coups de taille et d’estoc. Les protections sont des gambisons modernisés, noires pour se distinguer d’une escrime olympique, souvent jugée « trop sportive » ayant perdu « tout lien avec le duel ».

     

    Retrouver le lien rompu

    Car les AMHE sont l’histoire d’un lien brisé et d’un un retour délibéré aux sources. Les armes à feu, la pénalisation du duel et l’essor général d’une société du confort ont eu raison des traditions martiales européennes. Mais ces nouveaux pratiquants ont exhumé des manuscrits du XIVe au XVIIe siècle, italiens et allemands pour la plupart. Ils les traduisent, les interprètent et en reproduisent les enseignements.

     

    Anton Kohutovic

    Anton Kohutovic

     

    « Au début, nous étions un simple groupe d’escrime de spectacle ; le monde des AMHE était inexistant à l’époque » raconte Anton Kohutovicprécuseur en Slovaquie : « nous n’avions pas de professeur, alors j’ai retranscris et interprété les anciens manuscrits allemands moi-même ».

    Avant de devenir un athlète confirmé, Kohutovic se fit donc chercheur, puisant dans l’école allemande un savoir-faire disparu. Depuis 2001, celui-ci a contribué à la compréhension décisive d’un maître d’armes du XIVe siècle, Johannes Lichtenauer, et de ses élèves : « je me concentre sur la tradition de Lichtenauer et surtout avec une source plus ancienne. Quand j’ai commencé mon interprétation, j’avais ces livres sur ma table tous les jours : Singmund Ringeck, Peter von Danzig, Jud Lew, Hs. 3227a ».

    « Les AMHE constituent culturellement un patrimoine très riche », explique Guillaume Attewell, le fondateur du Cercle Phoenix : « ils permettent de renouer avec les racines de l’Europe aussi bien Germano-Nordique et Anglo-saxonne, que Gréco-romaine. »

    Des Samouraïs d’Occident

    Guillaume Attewell a quant à lui pratiqué les arts martiaux asiatiques pendant près de vingt ans, avant de découvrir les traditions européennes. Malgré son admiration, le constat est pour lui sans appel : « les arts martiaux d’Asie se sont développés et structurés en fonction d’une évolution civilisationnelle bien précise. Cela les rend uniques et adaptés pour leurs peuples. Ici en Europe, nous avons vécu un même processus : les arts martiaux européens sont adaptés au monde occidental. »

    Et de préciser : « par exemple, pour comprendre le pourquoi du comment d’un Ko-Ryu, il faut comprendre la philosophie japonaise, comprendre la logique de l’idéogramme, comprendre le mode de transmission, etc. En d’autres termes, il faut ‘devenir Japonais’ pour extraire l’essence d’un Ko-Ryu. Cela représente des années d’acclimatation à cette socio-culture qui est complètement différente de la nôtre ». Et cette acclimatation implique aussi des différences morphologiques qui peuvent rendre de nombreuses techniques malaisées. En définitive, « quand bien même les arts martiaux asiatiques ont beaucoup de choses à apporter, ils restent beaucoup plus difficiles d’accès. Les arts guerriers d’Europe sont plus facilement appréhendables pour un occidental ». Guerriers, ou martiaux : ce sont les arts du Dieu Mars, celui de la guerre.

    Le défi de la compétition

    Mais la guerre a changé de visage, alors que faire ? L’attrait grandissant pour la compétition était par ailleurs inévitable pour cette discipline récente qui ne pouvait se satisfaire de simples reconstitutions historiques. La Suède, l’un des pays précurseurs, accueille ainsi chaque année depuis 2006 le Swordfish, l’équivalent du championnat du monde. En 2016, un premier combat a été diffusé sur ESPN, la chaîne sportive américaine.

    Mais ce développement est aussi un défi. L’exemple de la boxe anglaise est éloquent, elle qui fut aiguillée par une pratique sportive, des envies de spectacle… et les paris. Par exemple, la seule présence de gants imposants et rembourrés modifie le combat lui-même. La compétition pourrait-elle alors aussi dénaturer les AMHE, à la fois dans sa dimension martiale et son volet historique ?

    « Il est absolument évident que les tournois ont attiré tout le monde récemment », rapporte Kohutovic. « Ce n’est pas vraiment grave », juge-t-il, rappelant cependant que « les autorités d’escrime devraient toujours avoir une compréhension très approfondie des traités », non pour entraver l’approche sportive « mais pour contrôler cette direction de manière correcte ».

    Désireux de professionnaliser sa discipline, il souhaiterait « un plus grand syncrétisme des entre l’escrime moderne et les AMHE. Le public de ces dernières devra être prudent, et tirer le meilleur parti de toutes les sources susceptibles d’offrir quelque chose de pertinent ».

     

    Une pratique martiale

    Guillaume Attewell souhaiterait lui aussi préserver la discipline de certaines dérives, mais plutôt dans le sens de sa martialité : « les compétitions sont utiles, pour tenter certaines choses, mais ne devraient pas être le cœur de la discipline. De nombreuses règles de compétition, par exemple la priorité à l’offensive, traduisent mal la réalité du combat ».

    La discipline contribue à ses yeux à un aguerrissement, au sens littéral. Attewell affectionne le maître italien du XIVe siècle, Fiore Dei Liberi, qui enseignait dans son traité autant la lutte que le combat à la dague ou à l’épée. Plus encore, il organise des stages avec un vétéran du self-defense en France, qui tire sa méthode très agressive du pugilat grec antique. Ainsi Attewell lie-t-il, et c’est une particularité de son club, l’apprentissage des armes blanches et du combat mains nues, se fondant aussi sur des recherches historiques.

    Ses études l’ont mené à une hypothèse : « l’art du combat à mains nues découle directement des armes », et non l’inverse. En d’autres termes : « le combat à mains nues s’est structuré autour de la philosophie du combat armé ». Ainsi les Européens ont-ils bâti un système martial : « en boxe française, par exemple, le direct du poing avant, au début du XIXè siècle, était exécuté comme une fente au fleuret ; là où cette même frappe de nos jours n’exige plus le même engagement du corps ». C’est cette idée de système martial qu’Attewell tâche d’entretenir.

     

    Un art et une éthique

    Mais ce système est-il concevable sans assise éthique ? « Je cherche à transmettre l’art du combat mais aussi une culture : des valeurs, une éthique de l’honneur et du courage, un style de vie typique et naturel, pour ne jamais oublier d’où l’on vient individuellement et collectivement ». Une discipline qui marque autant le corps que l’esprit ? « Pour être un bon escrimeur, il faut être culotté, passionné de géométrie… et bon danseur », s’amuse Attewell.

    Un esprit géométrique ? Anton Kohutovic semble s’accorder avec cet avis, lui qui développe une escrime très précise. Il veut « enseigner des choses très simples, sans pour autant être primitives ». Son approche se veut toute en sobriété : « J’essaie de trouver le moyen le plus efficace à partir des mouvements élémentaires de l’escrime. Des pas, des coups de taille et d’estoc simples ». Aussi cela exige-t-il « la meilleure mécanique corporelle, car c’est une réponse face à des adversaires plus forts, plus grands et plus athlétiques ». Sobre donc, mais diablement efficace :

     

     

    Pour le maître slovaque, l’excellence d’un escrimeur exige un « œil pour le détail et la patience ». Car « on ne peut savoir si quelque chose fonctionne sans de longues heures d’intense travail. Rien ne fonctionne du premier coup ou après dix tentatives ». Le physique est secondaire : « d’autres attributs physiques sont importants, mais ils peuvent être appris ou acquis. Vous pouvez apprendre la rapidité. Vous pouvez améliorer votre endurance en un mois. Mais les capacités psychiques sont très difficiles à atteindre ».

    Polissez-le sans cesse et le repolissez ? Si la nature ne nous fait pas égaux, la pratique des AMHE ne semble pas arranger les choses…

     

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    Etre Breton

     

    Matière à Réflexion:  Etre Breton

     
     

    L’Institut Iliade poursuit son travail de définition des identités charnelles de notre continent. Après la vidéo à succès consacrée à l’identité européenne, la Bretagne, terre de légendes et d’hommes enracinés et aventureux est donc l’objet d’une nouvelle production.

     

    La devise bretonne est limpide : Kentoc’h mervel eget em zaotra, c’est-à-dire « Plutôt la mort que la souillure ». Mais qu’est-ce qu’être Breton ? Tout le monde peut-il se prévaloir de cette identité ? Pour tenter de répondre à ces questions, découvrez la vidéo de l’Institut Iliade sur le sujet.

    Être Breton, c’est appartenir à un peuple et à une lignée. C’est être l’héritier de la grande civilisation celte, faite de conquérants, d’artistes, de marchands et de guerriers qui ont participé à façonner l’Europe.

    Être Breton, c’est être le fruit d’une longe sédimentation humaine sur un territoire qui a modelé son peuple autant que le peuple Breton l’a travaillé.

    Être Breton, c’est être issu d’un peuple qui a réussi à préserver ses particularismes pendant des siècles. Un peuple culturellement et ethniquement européen.

    Être Breton, c’est aimer sa terre en étant tourné vers la mer. Armor, la mer et Argoat, la terre. Indivisible. De la forêt d’Huelgoat à celle de Brocéliande, jusqu’à Ouessant et à la côte d’Emeraude, en passant par l’Atlantique, être Breton c’est être résolument tourné vers l’océan, vers l’aventure.

    Mais être Breton c’est également rester profondément enraciné. C’est se sentir chez soi, de Lannilis au château de Clisson, de Nantes à la pointe du Raz, au bout du monde.

    Être Breton, c’est aussi faire partie de cette diaspora, qui, dans le monde entier, fait connaitre une péninsule, sa langue, ses danses, ses instruments, son histoire, son identité.

    Être Breton, c’est être attaché à cette langue qui vit encore. C’est la parler au nez et à la barbe des hussards noirs de la République. C’est se promettre de l’apprendre un jour et, surtout, c’est se battre pour la protéger.

    Être Breton, c’est avoir pour pères Nominoë et Merlin. Pour mères Anne de Bretagne et Viviane. C’est se reconnaitre dans les légendes arthuriennes, dans l’épopée de Cadoudal, dans le Bleun Brug, dans le Gwen Ha Du.

    Être Breton, c’est être profondément attaché au sacré. C’est être catholique et païen. C’est aimer ces Dieux celtes originels, ces saints venus d’Irlande et cette Eglise apportés par Rome. C’est respecter ces rites et ces solstices qui parsèment l’année.

    Être Breton, c’est s’agenouiller devant un calvaire et se recueillir dans un bosquet.

    Être Breton c’est vivre ces grands pardons, ces fêtes au grand jour et ses repos familiaux et silencieux.

    Être Breton, c’est partager une mémoire bretonne et une histoire celte, française, et européenne. C’est ne jamais oublier les batailles sanglantes et la chouannerie mais c’est aussi accepter un attachement à la France.

    Être Breton, c’est respecter ces centaines de milliers de nos compatriotes qui ont cru, un jour, à un destin plus grand, tout en remplissant leur devoir en servant la France, parfois au prix du sang.

    Être Breton, c’est ne jamais donner sa confiance d’emblée. Mais ne jamais la trahir si elle est accordée.

    Être Breton, c’est aimer faire la fête, parfois jusqu’à l’excès, avec ses amis, avec son clan, avec son village.

    Être Breton, c’est refuser la posture, les faux semblants, le mensonge.

    Être Breton, c’est être fier. C’est appartenir à un peuple libre, insolent, courageux, travailleur et déterminé. Un peuple venu du fond des âges qui n’est toujours pas résigné à sortir de l’histoire.

     

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    Esthétique européenne : Le Serment des Horaces, de Jacques-Louis David (1785)

    Esthétique européenne : Le Serment des Horaces, de Jacques-Louis David (1785)

     
     

    L’Histoire romaine de Tite-Live et les Viris illustribus d’Aurelius Victor nous narrent le combat de trois frères romains contre trois frères albains.

    L’épisode se situe au milieu du VIIe s. av. J.-C., sous le règne de Tullus Hostilius, troisième roi de Rome. La cité est alors en conflit contre celle d’Albe-la-Longue, pour mettre un terme aux hostilités, les autorités décident que trois héros de chaque camp s’affronteront dans un combat à mort.

    Les Romains choisissent les Horaces et les Albains les Curiaces. Seul Publius Horatius survivra, et tuera l’une de ses sœurs en rentrant chez lui, la voyant pleurer l’un des Curiaces, son époux. Il sera jugé pour crime par l’assemblée du peuple, mais saura se défendre en arguant que nul Romain ne devrait pleurer un ennemi de Rome, surtout quand la personne devrait pleurer deux de ses frères et remercier Mars de la survie du troisième. Son père, de plus, supplia l’assemblée de ne pas lui retirer son dernier fils et un quatrième enfant. Le père devra alors purifier sa famille par des rituels et son fils sera condamné à passer sous le joug afin de lui rappeler qu’il doit agir suivant les lois de Rome, qui interdisent le meurtre entre membres d’une même famille, mais acquitté de la peine de mort pour la moralité de son geste.

    Nous sommes ici en plein néo-classicisme : peinture d’histoire, message moral austère, thème antique et couleurs primaires au premier plan, suivant l’exemple du Poussin, peintre le plus estimé alors en France. L’architecture du fond, du classicisme le plus simple, découpe la scène en trois parties. Elle est d’ordre dorique, l’ordre mâle. Le groupe viril de droite s’oppose à la coulée molle des femmes, tandis qu’au milieu prend place le pater familias invoquant le Ciel face au salut romain de ses trois fils. Ce manifeste du néo-classicisme rompt avec l’esthétique mouvementée et sensuelle du moment, au profit d’une simplicité et d’une froideur masculines. Dans quelques années éclatera la Révolution qui, dans ses tendances les plus extrêmes, auxquelles David adhérera, marquera une volonté de retour aux temps de la monarchie spartiate ou de la république romaine, de patriotisme exalté et de cruauté morale.

    Gaspard Valènt, pour le SOCLE. Source : lesocle.hautetfort.com

     

    Le Serment des Horaces, de Jacques-Louis David (1785)

     

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    Le pape et le suicide de la civilisation

    européenne

     

    Le pape et le suicide de la civilisation européenne

     

    Peut-on être catholique aujourd’hui et refuser la submersion migratoire de l’Europe ? Telle est la brûlante question à laquelle tente de répondre par l’affirmative Laurent Dandrieu, rédacteur en chef des pages « Culture » de Valeurs actuelles dans un essai brillant d’intelligence, de rigueur et de lucidité.

    C’est pour répondre justement à ce malaise des catholiques qui ne se reconnaissent plus dans le discours ecclésial sur l’immigration que Laurent Dandrieu a écrit ce livre, pour « que l’on ne puisse pas dire, le jour où les Européens auront voulu sauver leur continent du suicide, qu’ils aient trouvé sur leur chemin un obstacle insurmontable : l’Eglise ».

     

    Une lignée de papes immigrophiles

    Le pape et le suicide de la civilisation européenne

    Le pape et le suicide de la civilisation européenne

     

    Au fil des pages, Laurent Dandrieu dresse l’implacable constat d’une Eglise nageant dans un messianisme délirant, confondant questions d’ordre politique et réponses théologiques où la figure du « Migrant » est quasi-sanctifiée. Cette dérive n’est pas née d’hier et le journaliste consacre une importante partie de son livre à démontrer que les positions du pape François pratiquant « l’idolâtrie de l’accueil » s’inscrivent dans la continuité des papes précédents.

    Si Pie XII, premier pape à reconnaître le droit naturel des hommes à migrer, émet des réserves et conditions à cette émigration, Laurent Dandrieu relève qu’à partir de Vatican II, « la hiérarchie des priorités de l’Église, de Jean XXVIII à Benoît XVI est constante : le droit de migrer est un droit de l’homme fondamental, dont les raisons et la légitimité ne peuvent être remises en cause, sans obligation de nécessité mais au nom de simples opportunités d’une meilleure réalisation de ses capacités, de ses aspirations et de ses projets ».

    Relevant que le droit des nations à réguler l’immigration reste en principe reconnu, Laurent Dandrieu constate qu’en pratique toutes les politiques qui tentent de mettre en œuvre cette régulation sont condamnées par l’Eglise comme l’expression d’un insupportable égoïsme de nantis.

     

    François, le pape qui n’aime pas l’Europe

    François, le premier pape non issu du continent européen, porte à son apogée cette sanctification de l’immigration, multipliant les gestes symboliques (comme de ramener à Rome des familles de clandestins musulmans de Lesbos dans son avion) dans un contexte brûlant (crise des migrants, terrorisme islamique). Selon lui, l’Europe doit ouvrir largement ses portes à tous ceux qui sont « à la recherche d’une vie meilleure ». Rejoignant les vieilles lunes de l’extrême gauche, la notion même d’immigrés clandestins n’aurait plus de sens puisque les frontières seraient abolies…

    Pour le pape jésuite d’origine sud-américaine, indifférent aux racines européennes de l’Église, l’Europe n’existe qu’à travers l’entité bruxelloise et ne possède pas d’identité propre, ses seules références culturelles sont les Lumières, les droits de l’homme et la démocratie. Pour lui, « L’identité européenne est, et a toujours été, multiculturelle et dynamique », « formée par de multiples invasions ». Sans immigration, elle est condamnée à n’être plus qu’une « Europe grand-mère, vieille et stérile… ».

     

    Un discours éminemment politique

    Par ses prises de position répétées, l’Église déborde largement d’une démarche caritative et humanitaire pour s’inscrire dans le discours dominant de l’idéologie des droits-de-l’homme. Le migrant est considéré comme un individu abstrait, un « Immigré à majuscule », sans prendre en compte ses origines, sa religion ou sa différence de culture et n’est vu que du point de vue personnel ou familial sans considérer les conséquences d’une immigration massive pour le pays d’accueil.

    Pire encore, toute politique d’assimilation est rejetée car l’immigré a « le droit de conserver sa langue maternelle et son patrimoine spirituel », ouvrant ainsi la voie aux pires dérives communautaristes.

    A la Vieille Europe, autrefois forteresse de la Chrétienté, passée par pertes et profits, l’Église oppose désormais l’immigration conçue comme « une voie nécessaire pour l’édification d’un monde réconcilié » (Jean Paul II), « une préfiguration anticipée de la Cité sans frontières de Dieu » (Benoît XVI), voire « une nouvelle humanité pour laquelle toute terre étrangère est une patrie et toute patrie une terre étrangère » (François).

     

    « Les chers immigrés musulmans »…

    Ce désarmement moral face à l’invasion migratoire est aggravé par une vision angélique de l’islam dont l’Eglise, engagée depuis Vatican II dans la frénésie du dialogue inter-religieux, feint d’ignorer les incompatibilités avec la civilisation européenne, refusant d’en condamner la violence intrinsèque – hormis Benoît XVI lors de son fameux discours de Ratisbonne. Laurent Dandrieu déplore que l’Eglise actuelle porte ainsi sur l’islam un regard christianocentrique le réduisant à ses seuls aspects spirituels et à ses « fausses ressemblances » avec le christianisme.

    Le pape François multiplie là encore les déclarations iconoclastes, renvoyant notamment dos à dos violences islamistes et violences commises par des catholiques. Cet aveuglement minore encore la perception du danger que fait peser l’immigration de masse sur l’identité européenne.

     

    L’Eglise s’aligne sur Terra Nova ?

    Reprenant la formule du sociologue québécois, Mathieu Bock-Coté, Laurent Dandrieu considère que l’Eglise est passée dans le camp du « parti immigrationniste », le « Big Other » de Raspail – la religion de l’Autre, du Migrant, du lointain… Ce faisant, elle délaisse le peuple, « cet immense vivier de baptisés » qu’elle considère avec indifférence, voire avec une pointe de mépris. Pour l’Eglise en effet, le christianisme culturel des Européens de souche, attachés à leurs clochers et à leurs crèches, lui semble de peu de foi et lourd de bas instincts identitaires.

    Abandonnant ainsi les périphéries populaires autochtones au profit de la « nouvelle évangélisation » des périphéries exotiques qui se déversent sur l’Europe, l’Eglise applique pour ses ouailles la même stratégie que le think-tank « Terra Nova » pour l’électorat de gauche.

     

    Vers une nouvelle Réforme ?

    Selon Mathieu Bock-Côté, ce livre représente une « méditation subtile et éclairante sur le destin de notre civilisation ». à ce titre, il intéressera tous les Européens, catholiques ou non, qui s’interrogent sur le devenir de l’Europe en ces années décisives. Œuvre courageuse de la part d’un catholique sincère et convaincu qui ose dénoncer les positions suicidaires d’une Eglise passée « de Lépante à Lesbos », Laurent Dandrieu se refuse pourtant à la résignation.

    Détectant les premiers signes du réveil dans une partie du clergé, notamment en Europe de l’Est, il appelle à ce que l’Eglise puise dans sa tradition millénaire pour évacuer ces « vertus chrétiennes devenues folles » décrites par Chesterton. S’il reconnaît qu’il s’agit « d’une voie étroite », cette nouvelle Réforme n’est pas sans évoquer celle appelée également de ses vœux par Dominique Venner dans les dernières pages de son livre testament Le Samouraï d’Occident : « Je souhaite que vienne de l’intérieur une nouvelle Réforme dans l’esprit d’un retour à nos sources authentiques dont le pape Benoît XVI a ouvert les perspectives dans son discours de Ratisbonne en 2006. »

    Effectivement, à l’origine religion importée du Proche-Orient, le christianisme s’est progressivement européanisé pour prendre souche sur le continent, devenant un élément incontournable de notre identité. Mais le grand mouvement entamé depuis les années soixante de retour à ses origines, abolissant la part européenne de son héritage pour revenir à sa radicalité évangélique, représente un péril mortel. À l’image de la phrase du penseur catholique Joseph de Maistre selon laquelle « l’Évangile hors de l’Église est un poison », il est à craindre que l’Église, oublieuse de la raison grecque et de l’ordre romain, n’utilise ce poison pour se suicider, comme s’en inquiète Laurent Dandrieu, emportant avec elle « ce miracle venu d’Athènes et de Rome (…), la plus rayonnante civilisation que la terre ait porté. »

     

    Benoît Couëtoux du Tertre

    Eglise et immigration : Le grand malaise. – Le pape et le suicide de la civilisation européenne par Laurent Dandrieu, Editions Presses de la Renaissance, janvier 2017, 288 pages, 17,90 euros

     

    Matière à Réflexion:  Le pape et le suicide de la civilisation européenne

     

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