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    Le Pays d'Auge : quintessence de

    la Normandie

     

    Par Hugues Dérouard
     
    source : Détours en France n°215
     
     

    Des maisons à pans de bois, des pommiers, des prairies verdoyantes où paissent des vaches, des fromages odorants... Aux yeux du monde entier, le pays d’Auge est un condensé de la Normandie. Au fil de ses routes buissonnières, découvrez notre circuit de 2 jours dans l'arrière-pays de la Côte Fleurie. 

     
     

    Il suffit de quitter le littoral et les plages de la Côte Fleurie, de pénétrer légèrement à l’intérieur des terres pour découvrir une campagne totalement préservée, marquée par la présence séculaire des haies qui bordent encore routes et chemins. Bienvenue dans le pays d’Auge ! Pour beaucoup, cette région de bocage, à cheval entre Calvados et Orne, apparaît comme la quintessence de la Normandie, avec ses villages de caractère. Justement: la première halte mène à Beuvron-en-Auge, labellisé « Plus Beau Village de France » après avoir été réhabilité à partir des années 1970.


    Les plus beaux villages du pays d'Auge

     

    Beuvron fait penser à un décor de cinéma : autour de magnifiques halles restaurées, s’aligne un pimpant ensemble de maisons normandes, en brique, à pans de bois droits ou obliques, aux murs essentés d’ardoise. Le plus impressionnant est sans conteste le Vieux Manoir, un petit château avec sa tourelle d’angle, son encorbellement et ses colombages aux poutres finement sculptées (XVe-XIXe siècles).

     

    Aux portes de Beuvron, s’étend un paysage de prairies vertes et humides, où paissent les vaches qui donneront les meilleurs fromages normands, et de vastes vergers de pommiers qu’il faut voir au printemps lorsque leurs fleurs éclosent. La campagne est parsemée de fermes à colombages, isolées dans leur clos, et de haras secrets, souvent dissimulés par un rideau d’arbres. C'est une chance: le magnifique haras de Sens, où sont élevés de futurs cracks, ouvre ses portes à la visite.

     

    À proximité, le château de Crèvecœur-en-Auge, sauvegardé par la fondation Schlumberger, offre le superbe témoignage d’une seigneurie rurale, entourée de douves. Son château fortifié et les bâtiments à pans de bois de la basse-cour, avec grange, chapelle et colombier carré, forment une belle harmonie.

     

     

    Terroir Augeron : producteurs fermiers et fromagers normands

     

    En suivant le cours de la Vie, on pourra aussi découvrir, en pleine campagne, le manoir de Coupesarte,une demeure du XVIe siècle privée (seul l’extérieur se laisse s’admirer), au sein d’un domaine agricole. Encore ceint de douves remplies d’eau, avec ses tourelles d’angle, sa savante ossature en bois et ses briquettes, il est resté dans son jus. Le manoir, les dépendances (granges, écuries) et les douves sont classés au titre des monuments historiques.

     

    Ensuite, on rejoint Saint-Pierre-en-Auge, jadis grande place agricole et commerçante. Immanquable, son marché séculaire se tient le lundi matin dans une halle immense en pierre et en charpente en chêne, bâtie au Moyen Âge par les moines de l’abbaye bénédictine. Producteurs fermiers, fromagers, vendeurs de cidre et marchands de volailles font goûter au terroir augeron.

     

    Passé Livarot (qui est aussi un fromage, à la croûte orangée), on peut gagner, en 15 kilomètres, Camembert. Mondialement connu, ce village est étonnamment petit : moins de 200 habitants ! Un joli tableau, avec ses maisons serrées autour de son église au milieu de prés... Selon la légende, c’est sur ses hauteurs, au manoir de Beaumoncel, que la paysanne Marie Harel perfectionna la recette du fameux camembert, à la fin du XVIIIe siècle.

     


    Les châteaux de Saint-Germain-de-Livet et de Breuil-sur-Auge

    Pour rejoindre la Côte Fleurie, le mieux est d’emprunter la D64 qui suit le cours de la Touques, serpentant à fleur de champs. Plusieurs pépites se dévoilent lors de cette escapade, comme l'incontournable château de Saint-Germain-de-Livet.

     

    Ce bijou d’origine médiévale, encore entouré de douves, est la réunion d’un manoir à pans de bois de la fin du XVe siècle et d’une demeure Renaissance à la façade en pierre et en brique vernissée. Passé Lisieux, une halte s’impose au Breuil-sur-Auge pour son superbe château des XVIe-XVIIe siècles où, dans les dépendances du parc, on élabore une eau-de-vie fort renommée.

     

    Les chais de vieillissement, installés dans l’ancienne orangerie, lui font mériter son surnom de "cathédrale" du calvados, avec ses immenses fûts posés sous une charpente en carène. Enfin, aux portes de Pont-l'Évêque (encore un village qui a donné son nom à un goûteux fromage ! ), Beaumont-en-Auge, juché sur une petite colline, avec ses maisons à pans de bois colorés au pied de l'église Saint-Sauveur, est une carte postale augeronne. 

     

     
     
     

    Patrimoine français - 2:  Le Pays d'Auge : quintessence de la Normandie

     
     
     
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    Deauville, histoire d'une station

    balnéaire mythique

     

    Par Hugues Dérouard
     
    source : Détours en France n°215
     
     

    Les planches, la plage, les hôtels, les boutiques de luxe, les décapotables, les yachts et les ventes de yearlings. Deauville ne compte que quatre mille résidents permanents. Pourtant, cette chic cité, à deux heures de Paris, est la station normande la plus connue au monde.

     

     

    Les plaisirs iodés

    Difficile de l’imaginer aujourd’hui mais, au milieu du XIXe siècle, il n’y a rien, ou presque, à « Dosville ». Seulement un tout petit village sur les coteaux du mont Canisy, dominant une vaste zone de marais et de dunes. En 1858, avec la vogue des bains de mer, le duc de Morny, financier et demi-frère de Napoléon III, flaire la bonne affaire. Il pressent le potentiel de ce site pour accueillir et satisfaire la haute société parisienne avide de plaisirs iodés et de divertissement.

    « Quelle immensité et quelle beauté ! Nous allons bâtir ici le royaume de l’élégance »,

    Le duc de Morny.
     

     

    Le duc de Morny s’associe avec un médecin, un banquier et un architecte pour créer de toutes pièces, à l’ouest de Trouville, rive gauche de la Touques, une station balnéaire, en suivant un plan orthogonal. Très vite, des villas cernées de jardins magnifiques jaillissent des marais. Suivent une gare, un hippodrome, des hôtels, des bains hydrothérapiques... Après la chute du Second Empire, Deauville s’essouffle pourtant, à l’ombre de sa voisine et grande sœur, Trouville.

     

    La villa Strassburger a été construite en 1907 pour le baron Henri de Rothschild. 
     
     

    Le tout-Paris en villégiature

     

    Il faut attendre le début du XXe siècle, pour que, avec le soutien du maire Désiré le Hoc, Eugène Cornuché, le patron du casino trouvillais et de la brasserie parisienne Maxim’s, impulse à Deauville un nouvel élan. Le casino est construit en 1912, dans un style néoclassique qui rappelle le Petit Trianon de Versailles. Il est doté d’un superbe théâtre à l’italienne.

     

    La même année, Le Normandy, hôtel aux allures de manoir normand, est élevé. Un autre palace, Le Royal, sort de terre à son tour, en 1913. Coco Chanel, la grande couturière, ouvre une de ses premières boutiques: c’est dans cette station balnéaire qu’elle invente le beige Chanel, s’inspirant du sable mouillé de la plage. La légende est née. Le Tout-Paris, aristocrates et célébrités, s’invite en villégiature :  la capitale n’est qu’à deux heures.

    « Deauville, c’est pratique: c’est près de Paris mais finalement assez éloigné de la mer »,

    Tristan Bernard, en référence à la largeur de la plage.

    Venir à Deauville, c’est mettre ses pas dans ceux des illustres personnages qui séjournèrent ici, de Marcel Proust à Eugène Boudin, de Sacha Guitry à Clint Eastwood : une manière de prendre un peu la lumière des stars internationales qui défilent sur les planches, au mois de septembre, pendant le festival de Cinéma américain...

     

    Second empire et Art déco

     

    Les rues sont peuplées de boutiques de luxe qui rayonnent autour de la centrale place Morny et qui font de Deauville le «XXIe arrondissement de Paris ». Les arpenter, c’est aussi contempler un musée à ciel ouvert de l’architecture balnéaire. Sur les planches, tout d’abord, on ne peut manquer les Bains pompéiens, exceptionnel et complexe ensemble Art déco. Résolument modernes pour leur époque, ils sont construits en béton et recouverts de mosaïques.

     

    À côté, Le Point de Vue, ancien club-house du Deauville Yacht-Club, lui aussi de style Art déco, et aujourd’hui espace d’expositions, impressionne tout autant. Tout près, dans un style Second Empire, la villa Le Cercle, plus sobre mais tout aussi admirable, avec la rotonde axiale percée de baies cintrées, a été édifiée en 1873, pour accueillir les propriétaires des écuries de course.

     

     
     

    Des folies architecturales 

    C’est par sa centaine de villas que Deauville subjugue. Une promenade entre le front de mer et le cœur de ville permet de se rendre compte de l’exubérance, de la variété et de la densité de « folies architecturales », bâties entre 1860 et nos jours... Boulevard Eugène-Cornuché, on peut voir la villa Les Abeilles, un chef-d’œuvre de style normand, avec épis de faîtage, mâtiné d’Art nouveau. Un bijou signé Auguste Bluysen – l’auteur du Grand Rex à Paris –, et habité dans les années 1930 par l’industriel André Citroën. Sur le même boulevard, la villa Camélia, décorée de lambrequins et de garde-corps en bois à motifs ajourés, évoque la rusticité montagnarde. Construite en 1864 pour le marquis de Salamanque, elle est l’une des plus anciennes de la cité. Toujours à la même adresse, la villa Grisélidis (1871) semble tout droit sortie de la Renaissance flamande, avec ses pignons à redans. L’Augeronne, avenue de la République, constitue la quintessence du courant régionaliste normand, puisque la demeure ras-semble des éléments récupérés sur d’anciennes bâtisses du pays d’Auge après la Seconde Guerre mondiale...

     

    Le visiteur pourra encore découvrir, avenue du Golf, la villa mauresque El Djezaïr, datant des années 1930. S’il fallait n’en découvrir qu’une, ce serait la très belle villa Strassburger, dres-sée au milieu d’un vaste parc planté de pommiers. Cette extravagante propriété a été voulue, en 1907, par le baron Henri de Rothschild, amateur de courses de chevaux, à proximité de l’hippodrome. Elle est acquise par le richissime éditeur américain Ralph Beaver Strassburger en 1924 ; son fils l’a léguée à la ville en 1980. Par bon- heur, elle est ouverte au public.

     

    Patrimoine français - 2:

     

    Patrimoine français - 2:  Deauville, histoire d'une station balnéaire mythique

     

     

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    Les îles Chausey, l'archipel du sublime

    Par Tuul Morandi
     
    source : Détours en France N°223
     
     

    À quelques encablures de Granville, l’archipel de Chausey déploie ses îlots granitiques, aux plages paradisiaques, sur un dégradé de bleu marin. Montons à bord du Lys Noir, vénérable deux-mâts, hissons les voiles et mettons le cap sur ces îles normandes. Dépaysement garanti.

     

     

    Vue aérienne des îles Chausey (Normandie)

    «Je préfère voguer 17 kilomètres à bord d’un vieux gréement vers les îles Chausey, que prendre un avion pour le bout du monde », nous confie une habituée, en s’installant sur le pont en bois vernis du voilier. Christian Penneau, le skipper, nous accueille : « Bienvenue sur le Lys Noir. Nous naviguerons à la voile, comme dans le temps. Destination, les îles Chausey. Vous êtes sur un bâtiment centenaire, un yawl aurique, un deux-mâts avec 250 mde voilure, construit en 1913, à Arcachon, pour le compte d’un prince allemand... » Il est 10 heures. Christian Penneau entreprend les manœuvres pour quitter le port de Granville, la rivale de Saint-Malo. La marée est haute et le luxueux yacht largue les amarres. Les cordages claquent sur les mâts nus, qui s’élèvent vertigineusement vers le ciel.

     

    Le Lys Noir, vieux gréement de 1914

    Dès que le Lys Noir atteint la pleine mer, Julien, le second, défait les nœuds. Sous le commandement du skipper, nous voici les mains sur les drisses pour hisser tout d’abord le tapecul, la voile rectangulaire à l’arrière. Celle-ci prend le vent et enfle immédiatement avec un bruit sec. Julien, aidé par des passagers volontaires, monte ensuite la grand-voile, la trinquette, et le foc. Le vent s’engouffre dans les toiles immaculées, le moteur est éteint, un silence étrange s’installe à bord, le navire glisse doucement sur l’eau. « Quand on ne voit pas l’horizon comme aujourd’hui, il faut regarder la boussole sur la console. Essayez de garder le cap à 280° », me recommande Christian Penneau avant de me céder sa place de barreur. C’est plus difficile qu’on ne pourrait l’imaginer : le navire fait des embardées. Au fur et à mesure, pourtant, cela devient naturel. Le vent et la voile ne font qu’un.

     

    Du granit posé sur l'océan

     

    Les îles Chausey à marée basse (Normandie)

    Les îles Chausey se dessinent bientôt à l’horizon : elles apparaissent telles de grosses vagues noires qu’aurait fait naître l’Océan. La légende affirme qu’à marée basse, autant d’îlots que de jours dans l’année émergent de ces eaux turquoise. Nus, bruts, sombres... ces cailloux granitiques jaillissent, innombrables, lorsque la mer se retire loin – son niveau s’abaisse jusqu’à 14 mètres lors des grandes marées ! À marée haute, « seules » 52 îles sont visibles, ce qui fait néanmoins de Chausey le plus grand archipel d’Europe. C’est aussi l'un des plus étonnants. Imaginez, en plein milieu de la Manche, un paysage minéral qui émerge des eaux émeraude ! « Là, c’est la Mauvaise. Plus loin, il y a la Petite Mauvaise », indique Julien. Il pointe du doigt les îlots, lorsque le Lys Noir dévie de sa trajectoire pour se faufiler parmi eux, rendant la croisière plus spectaculaire. D’autres îles, aux formes évocatrices sculptées par l’érosion, s'appellent : Puceau, Dormeur, Pi-Pi, Enfer... Plus de 200 noms ont été ainsi imaginés par les îliens. Nous ne sommes pas dans les Marquises ; pourtant, on se prend à chanter du Jacques Brel : « Et la mer se déchire infiniment brisée / Par des rochers qui prirent des prénoms affolés » ! Au Moyen Âge, les moines du Mont-Saint-Michel utilisèrent les roches granitiques de Chausey, dures et meubles à la fois, pour bâtir l’abbaye.

     

    La Grande-Île se découvre à pied

     

    La Grande-Île et son phare, îles Chausey (Normandie)

    Il est midi. Le Lys Noir emprunte le chenal naturel du Sound et longe la Grande-Île, la seule à être habitée. Le phare de la Tour, quelques maisons éparses, ainsi que l’hôtel-restaurant du Fort et des Îles, surplombent le gou- let, où se joue le ballet des plaisanciers et des pêcheurs de homard. « Vous pouvez faire le tour de l’île à pied en 2 heures. Le vent vient de l’est aujourd’hui. Alors, je vous conseille d’aller sur la plage de Port- Marie, qui est surveillée, ou celle de Port- Homard au pied du château Renault », nous lance Christian Penneau, tandis qu’un Zodiac nous transfère à terre. Depuis la cale, nous grimpons les quelques marches qui mènent sur le plateau, d’où l’on peut contempler les îlots alentour. Ici, tout se découvre à pied. Sur ce bout de terre de 2 kilomètres de long et 500 mètres de large, habité seulement par une dizaine de personnes qui vivent à l’heure des marées, il n’y a ni voiture ni vélo.

     

    Maison du peintre Marin-Marie sur la Grande-Île, îles Chausey (Normandie)

    Parmi les constructions dispersées sur l’île, la maison Marie, belle bâtisse blanchie à la chaux et aux volets bleus, se distingue. C’est là que vécut le célèbre peintre, écrivain et navigateur Marin-Marie (1901-1987). Un peu plus haut, nous apercevons la chapelle Notre-Dame, bâtie en 1850. Les vitraux qui l’éclairent sont l’œuvre d’Yves Durand de Saint-Front, le propre fils de Marin-Marie.

     

    Village des Blainvillais, îles Chausey (Normandie)

    En contrebas, le hameau des Blainvillais aligne quelques maisons de pêcheurs, au creux d’une anse vaseuse. Au XIXe siècle, des hommes, originaires de Blainville sur la côte Ouest du Cotentin, ont débarqué pour travailler. L’abondant varech de Chausey fournissait la soude qui était utilisée pour fabriquer le savon de Rouen. Au fil du temps, les soudiers se sont faits marins : sous les rochers de Chausey, se cachent bouquets et homards bleus. Le sentier qui fait le tour de l’île mène ensuite à l’ancien sémaphore, point culminant qui offre une vue à 360°. À marée basse, lorsque le soleil inonde l’archipel, les couleurs explosent. De longs cordons de sable blanc ourlés d’écume relient alors les îlots qui semblent flotter. Les rochers se dénudent, dévoilant écueils esseulés, algues vertes, vasières luisantes et chenaux tortueux. Mollusques, crustacés et coquillages abondent en ces lieux, pour le grand bonheur des pêcheurs à pied.

     

    Nous reviendrons à Chausey

     

    Le Vieux Fort, la plage Port Homard et la plage Grande Grève, îles Chausey (Normandie)

    Il est 17 heures 30. Le Lys Noir est déjà reparti, la dernière navette pour Granville quitte Chausey. Nous nous retrouvons presque seuls sur l’immense plage dominée par un fort du XVe siècle : le château Renault a été la propriété de la famille du constructeur automobile jusqu’en 1978. De là, le sentier littoral longe les rochers, mène vers le phare, passe devant le fort Vauban et ses casemates habitées par des pêcheurs, avant de rejoindre l’hôtel du Fort et des Îles et sa terrasse avec vue sur l’archipel. Un dicton prétend que : « Qui va à Chausey une fois, y revient trois cents fois ». Un autre voyage, à une autre saison ? C’est sûr, nous reviendrons.

     

    Patrimoine français - 2:  Les îles Chausey, l'archipel du sublime

     

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    Le val de Saire, la côte « sous le vent »

    de la presqu'île

     

    Par Tuul Morandi
     
    source : Détours en France n°223
     
     

    Niché à l’embouchure de la Saire dans le nord-est du Cotentin, Saint-Vaast-La-Hougue a le vent en poupe. Élu « Village préféré des Français » en juin 2019, ce petit port de pêche a tout pour plaire : un riche patrimoine distingué par l’Unesco, un littoral aux eaux transparentes et une huître qui sublime les plateaux de fruits de mer. L’île de Tatihou, accessible à pied et en engin amphibie, ajoute un brin d’originalité. Plus au nord, dans son décor de carte postale, Barfleur est l’autre perle du val de Saire. 

     
     
    La grande jetée de Saint-Vaast-la-Hougue

    Commençons par une balade à l’extrémité de la grande jetée, au sud du village, pour embrasser du regard l’ensemble d’une baie tanguant entre ciel et mer. L’île de Tatihou en face, la presqu’île de La Hougue au sud et la pointe de Saire au nord, entourent « la plus belle rade de France » – l’expression est de Vauban. En attendant l’ouverture de l’écluse, pêcheurs et plaisanciers s’affairent dans le port le plus accueillant, dit-on, du Cotentin. Abrité des forts vents d’ouest, « Saint- Va », comme le nomment les locaux, offre une dernière escale aux bateaux en partance vers les îles britanniques.

     

     

    Saint-Vaast-la-Hougue, vue aérienne

    Aujourd’hui havre pour les plaisanciers, autrefois position hautement stratégique face à l’Angleterre, Saint- Vaast-La-Hougue est entré dans l’Histoire après un épisode tragique pour la flotte française. Au large de sa rade s’est jouée, en 1692, une bataille qui s’est soldée par l’incendie de 12 vaisseaux français et par le naufrage du Soleil Royal, un bâtiment de guerre de premier rang. Cette défaite face aux ennemis héréditaires, les Anglais, sera à l’origine de la construction de deux tours jumelles fortifiées par Vauban, l’une à La Hougue, l’autre à Tatihou ; ce qui permettait un tir croisé protégeant la rade de toute attaque extérieure.

     

    La chapelles des marins

     

    La chapelle des marins à Saint-Vaast-la-Hougue

    Quand on remonte la grande jetée, impossible de manquer la chapelle des Marins, sise face aux flots, à la pointe d’une avancée rocheuse. « Au Moyen Âge, c’est ici que battait le coeur du village. La chapelle, unique vestige de l’église paroissiale de Saint-Va construite au XIe siècle, est dorénavant un lieu de recueillement pour les familles des marins disparus et dépourvus de tombe, explique Annick Perrot, historienne et passionnée par sa ville. Saint-Va fut d’abord et avant tout un village de matelots et de marins pêcheurs. » Preuve en est, les nombreuses maisons de pêcheurs alignées dans le quartier historique à deux pas du port. Il suffit de flâner dans la rue des Paumiers ou l’impasse Triquet pour les découvrir.

     

    La tour Vauban 

     

    Les fortifications de la Hougue édifiées par Vauban à Saint-Vaast-la-Hougue

    Depuis la chapelle, le Sentier du littoral mène, en une dizaine de minutes, à la presqu’île de La Hougue. Une enceinte fortifiée et une douve protègent la tour Vauban, 20 mètres de haut et 16 mètres de large. À 3 kilomètres, sur l’île de Tatihou, sa soeur jumelle lui fait face. Depuis la terrasse, une vue à 360° embrasse le village, la rade, la mer et la colline de La Pernelle. Du côté de l’anse du Cul-de-Loup, les parcs ostréicoles tapissent la mer sur près de 30 hectares. Des hommes tournent les poches d’huîtres sur les tables alignées, tandis que des tracteurs chargent les coquilles prêtes à être commercialisées. « C’est le plus ancien bassin de la Manche. Des traces écrites prouvent l’existence de “parcs à conserver” des huîtres depuis le XVIe siècle. »

     

     

    Parcs à huîtres de Saint-Vaast-la-Hougue

    Les plus courageux parcourront les 7,5 kilomètres du sentier Vauban, balisé par l’office de tourisme. Nous, nous rentrons au port en empruntant la rue de Verrüe, principal axe commercial du village, où il est impossible de manquer la vitrine de la maison Gosselin, fondée en 1889. Pousser la porte de cette épicerie fine, c’est comme partir pour un voyage gastronomique au pays des produits du terroir, du café, du thé, de la confiserie, des liqueurs…

     

    L’île de Tatihou 

     

    L'île de Tatihou et ses parcs à huîtres

    Nous rejoignons le quai Vauban, direction la cale de marée basse. Il est temps, en effet, de larguer les amarres vers la perle des « perles du val de Saire », l’île de Tatihou. De là, nous embarquons pour une traversée d’une dizaine de minutes sur le Tatihou-II, un véhicule amphibie unique en son genre, qui flotte à marée haute et roule à marée basse. Autrefois, on menaçait les enfants désobéissants d’un : « Si tu n’es pas sage, tu iras à Tatihou ! »

     

    Engin amphibie pour aller sur l'île de Tatihou

    De 1948 à 1984, ce tapis vert posé sur la mer à un kilomètre à vol d’oiseau de Saint-Vaast-La-Hougue, a abrité un centre de rééducation pour adolescents. Aujourd’hui, dans un bâtiment de l’ancien lazaret (qui servait à la mise en quarantaine des personnes débarquant de pays où sévissait une épidémie), un passionnant musée nous apprend que ce bout de terre de 28 hectares a, de tout temps, été peuplé. Dans son Histoire ancienne, l’île a puisé son nom. « “Tat” est un nom propre scandinave, certainement celui d’un chef Viking ; “Hou” signifie une terre entourée d’eau », nous explique Margaux Marie, guide au musée.

     

    Tour de Benjamin de Combes, classée Patrimoine Mondial de l'UNESCO, sur l'île de Tatihou

    L’Histoire moderne de Tatihou, elle, est représentée par la tour Vauban, les fortifications, ainsi que les blockhaus, qui s’élèvent au sud-est de l’île, retraçant deux siècles et demi de constructions militaires, de la bataille de la Hougue à la Seconde Guerre mondiale. De son côté, l’ancien lazaret évoque la peste de Marseille XVIIIe siècle. « Le lazaret fut construit en 1722, pour placer en quarantaine les marins débarquant à Saint-Va. Marchandises et équipages étaient tous soumis aux purifications par fumigation, pour éviter la propagation de la maladie. »

     

    Un site ornithologique majeur

     

    Derrière les épaisses murailles du lazaret, un jardin exhale le parfum de plantes venues d’ailleurs. À l’extérieur, de mars à novembre, un troupeau de 80 brebis pâturent paisiblement, limitant le développement excessif de la végétation. À leur départ, les bernaches cravants stationnent par centaines dans ces herbes rasées par les moutons, ce qui facilite leur alimentation. Tatihou est classée « Site ornithologique majeur », avec plus de 150 espèces d’oiseaux qui nichent, habitent ou passent l'hiver en toute tranquillité sur cette terre sauvage.

     

    Barfleur, port ducal

     

    Le port de Barfleur

    À une dizaine de kilomètres de Saint-Vaast-La-Hougue, Barfleur, ancien site stratégique des ducs de Normandie, a plus d’un atout dans son jeu. Labellisé « Plus Beau Village de France », c'était jusqu’au Moyen Âge le port le plus important de la région. Même si son aura est plus modeste, la cité continue de vivre au rythme des marées. Les Barfleurais ont l’habitude de venir s’installer devant la cale, le temps d’une pause méditative avec vue sur la mer. « C’est ici qu’a commencé l'épopée de Guillaume le Conquérant en Angleterre », commente Véronique Lacoste, de l’office de tourisme.

     

    Barfleur, vue aérienne, et le phare de Gatteville ou phare de Gatteville-Barfleur et le sémaphore situés à la pointe de Barfleur

    À cet endroit même, la duchesse Mathilde avait fait construire le Mora, le navire qui a transporté son époux Guillaume vers Hastings, en 1066 : il y livra une fameuse bataille. « C’est un Barfleurais, Étienne, qui pilotait le navire », rappelle notre guide en montrant la plaque scellée en son honneur, sur un rocher de l’ancienne cale. « Guillaume, duc de Normandie, conquiert le royaume d’Angleterre la même année. Dès lors, Barfleur devient le port principal de Normandie. Richard Coeur de Lion, Jean sans Terre… Ils sont tous passés par ici, entre les XIe et XIIe siècles. » Depuis, la mer a gagné sur la terre, jusqu’à engloutir l’ancien port ducal et une partie du village ancien.

     

    le phare de Gatteville ou phare de Gatteville-Barfleur et le sémaphore situés à la pointe de Barfleur
     

    Un charme authentique

     

    Port de Barfleur

    Au bout du quai, l’église Saint-Nicolas, silhouette trapue, flanquée d’un clocher raccourci pour mieux résister aux vents, défie la mer, comme si elle voulait protéger le pays des intempéries. Barfleur s’apprécie en déambulant dans ses ruelles pittoresques. Depuis le parvis de l’église, la vue plonge dans la rue Saint-Nicolas, l’ancien quartier des pêcheurs, où de petites maisons de granit coiffées de schiste bleu s’alignent dans une belle harmonie. « Certaines possèdent des crochets à leur lucarne, qui servaient à étendre les filets », explique Véronique Lacoste. Par son charme authentique, les lieux attiraient artistes et écrivains en villégiature. Le peintre Paul Signac vécut au numéro 96, de 1932 à 1935. Auparavant, Jules Renard avait rédigé, dans la cité portuaire, son roman L’Écornifleur, paru en 1892. « La plage, la plage de sable fin… » écrivait-il, inspiré par celle de l’Église, à deux pas de chez lui. Il s’y installait pour contempler longuement la pointe de Barfleur avec, pour seule compagnie, le phare de Gatteville qui s'élève à 75 mètres.

     

    Singulières faîtières

     

    Barfleur, labellisé Les Plus Beaux Villages de France

    « Levez les yeux vers les toits des maisons, afin de comprendre une des originalités du village », nous invite Véronique Lacoste. Des épis de faîtage à dentelle métallique et en terre cuite vernissée rehaussent les demeures. « C’est la marque de fabrique locale. Cette tradition remonte à loin, on les voit sur les toitures anciennes du val de Saire, de même que sur l’église Saint-Nicolas. » C’est du bout de la jetée que le port présente son profil le plus photogénique : les couleurs des chalutiers jouent avec les reflets de l’eau. « Barfleur peut vite changer d’aspect. Quand il fait beau, c’est riant ; et quand il fait gris, le village plonge dans une certaine profondeur. » Barfleur, chacun peut y trouver son bonheur.

     

    Patrimoine français - 2:  Le val de Saire, la côte « sous le vent » de la presqu'île

     

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    Granville, la grande rivale de

    Saint-Malo

     

    Par Tuul Morandi
      
     
     

    Gardienne de la baie du Mont-Saint-Michel, Granville se dresse face aux flots, invincible sur son éperon rocheux. Tour à tour cité corsaire, port morutier et cité balnéaire, la « Monaco du Nord », comme on la surnomme, offre toute la mer sur un plateau. Et de multiples facettes qui ne demandent qu’à être découvertes.

     
     
    Granville vue du ciel

    « Figurez-vous que ce sont les Anglais qui ont, en 1439, fondé une cité militaire sur ce promontoire schisteux. C’était durant la guerre de Cent Ans et leur objectif était de conquérir le mont Saint-Michel », nous apprend Valérie Coupel, guide-conférencière à l’office de tourisme. Une fois les Anglais chassés, le roi Charles VII fera de Granville une place défensive, dominant la mer et l’arrière-pays. Toutefois, ce sont les terre-neuvas, dès le XVIe siècle, puis les corsaires, qui feront la renommée de la grande rivale de Saint-Malo. Pêcheurs, armateurs, mais aussi banquiers et artisans, tous liés aux activités portuaires, peuplaient alors la « Haute-Ville ».

     

    Le temps des pêcheurs-corsaires

     

    La Haute-Ville, le cœur historique de Granville

    Pour accéder à l’ancienne cité perchée sur son rocher aux allures de forteresse avec ses murailles, nous empruntons la rue des Juifs qui mène à la Grand’Porte. Depuis les hauteurs, nous avons une belle vue plongeante sur le port. « Pendant quatre siècles, les marins partaient vers Terre-Neuve, au large du Canada, pour pêcher la morue. Un voyage difficile et long : il durait plus de six mois, commente Valérie Coupel. C’est parmi les meilleurs marins rompus aux navigations exigeantes qu’étaient sélectionnés les corsaires du roi, en temps de guerre. Ceux de Granville étaient grandement réputés. » Parmi eux : Georges-René Pléville Le Pelley, affublé d’une jambe de bois. La statue érigée en son honneur, sabre au clair, semble encore vouloir défendre la ville. Le port morutier est devenu depuis la première place coquillière de France grâce au bulot, la principale espèce à y être débarquée : 6 000 tonnes chaque année.

     

    Le port de Granville
     
     

    Une église née de la mer

     

    l'église Notre-Dame-du-Cap-Lihou à Granville

    Nous franchissons le pont-levis et la Grand’ Porte, et nous sommes alors transportés au Moyen Âge, dans des ruelles pavées et désertes, à l’abri des hauts murs des bâtisses en granit et où seules les mouettes rieuses se font entendre. En prenant à gauche sur le chemin de ronde, impossible de ne pas remarquer la maison du Guet, un manoir à l’étrange architecture mêlant style normand à colombages et tourelles parées d’ardoise. « Elle a l’air très ancienne mais, en réalité, elle date du XXe siècle », nous confie Valérie Coupel. En face, Notre- Dame-du-Cap-Lihou (XVIIe-XVIIIe siècles), édifiée sur un ancien site de pèlerinage, domine la ville depuis son parvis légèrement surélevé. « Cette église est résolument tournée vers la mer, avec ses deux chapelles consacrées à la Vierge et à saint Clément. Son existence même viendrait d’une statue de la Vierge remontée dans le filet d’un pêcheur ! » À l’intérieur, trois maquettes de bateaux : des ex-voto témoignant de la gratitude des marins réchappés d’un naufrage. Des vitraux aux couleurs éclatantes, réalisés par le maître verrier Jacques Le Chevallier (1896-1987), illuminent la nef.

     

    Une ville commerçante

     

    La Haute-Ville, le café Rafale sur la place Cambernon

    Depuis l’église, descendons la rue Notre-Dame pour pénétrer dans la Haute-Ville. Les rues Notre-Dame et Saint-Jean, les deux artères principales, coupent le secteur d’ouest en est, des venelles les traversent du nord au sud. Au numéro 8, Valérie Coupel nous montre une ancienne échoppe « que l’on reconnaît à sa pierre d’étal, sur laquelle étaient allongés les volets de la maison pour servir de présentoirs. Les boutiquiers agrandissaient ainsi leur espace. » À Granville, les rues du Marché : au-Pain, aux-Cuirs, au-Blé…, disent tout des commerces qu’elles accueillaient autrefois. Sur la place Cambernon, le bar La Rafale, qui fut le lieu de rendez-vous des pêcheurs, constitue un point de repère pour les visiteurs. De là, ils doivent prendre la direction des remparts Nord par la rue de l’Égout. Le nez au vent, l’archipel de Chausey pour horizon, nous longeons le littoral jusqu’au cap Lihou. Nous pourrions marcher des heures ainsi, enveloppé dans le souffle de la mer.

     

    L'essor des bains de mer

     

    Des plages adossées aux falaises de Granville

    « Sous le ciel de Méditerranée, Granville serait un autre Monaco », a écrit en 1885 le géographe et écrivain Élisée Reclus. Lorsqu’en 1870, est inaugurée la ligne Paris-Granville, la foule se presse à bord des « trains de plaisir ». Le tourisme de bains de mer est en plein essor et l’ancien port de pêche se mue peu à peu en élégante cité de villégiature, où il faut aller pour voir et être vu. « Frank Jay Gould, un milliardaire et philanthrope américain, qui connaissait bien la principauté de Monaco, a eu le premier l’idée de fonder ici une station balnéaire », éclaire Françoise Mouchel, auteure d’ouvrages sur la ville. En 1881, est ouvert l’hôtel des Bains au style anglo-normand. Suivent l’inauguration du casino aux tours symétriques inspiré de celui de Monaco, en 1911, et, dans la foulée, celle de l’hôtel Normandy. La promenade du Plat Gousset où s’alignent aujourd’hui les cabines de plage, voyait alors défiler « le beau monde ». Port paisible le reste de l’année, Granville était, « pendant les trois mois d’été, un quartier élégant de Paris », comme l’a souligné Christian Dior, l’enfant du pays, dans son autobiographie publiée en 1956. « Sous l’impulsion d’industriels qui veulent tous posséder leur maison de rêve, des villas bourgeoises, de différents styles, rivalisant d’originalité, se dressent sur la falaise qui surplombe la plage, nous précise Françoise Mouchel. La famille Dior a été la première à acquérir une villa sur les hauteurs du Plat Gousset. » 

     

    La promenade du Plat Gousset à Granville
     
     

    La villa Dior, le souvenir d'un grand Granvillais

     

    La villa Les Rhumbs à Granville

    Dans ses mémoires Christian Dior et moi, au sujet de sa demeure familiale, le couturier écrivait : « Ma vie et mon style doivent presque tout à sa situation et à son architecture ». Le manoir de son enfance, son jardin, et Granville même, ont été ses grandes sources d’inspiration. « Le rose doux de sa maison et le gris des cieux granvillais, sont deux couleurs de prédilection dans ses créations », confirme Brigitte Richart, directrice du musée. Comme Christian Dior avant elle, elle aime s’attarder sur la terrasse du jardin face à la mer. « À peu de chose près, c’est d’ici qu’il contemplait le paysage, à la fois le même et toujours changeant, en perpétuel mouvement. Il aimait observer toutes les nuances de gris entre le ciel et la mer. » Quelle meilleure idée qu’une promenade longeant la pergola, le miroir d’eau et la roseraie, dessinés par le jeune Christian et sa mère Madeleine, pour terminer en douceur cette journée granvillaise ?

     

    Patrimoine français - 2:  Granville, la grande rivale de Saint-Malo

     

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