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    Troubles anxieux: histoires de peur

     

    Difficile parfois de mettre le doigt sur le problème. Les appréhensions d'un... (PHOTO THINKSTOCK)

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    Difficile parfois de mettre le doigt sur le problème. Les appréhensions d'un enfant sont-elles le fruit d'une crainte passagère ou d'un véritable trouble anxieux? Voici comment deux jeunes ont dompté l'anxiété et, surtout, comment y voir plus clair.

    L'anxiété a de nombreux visages. Elle prend parfois les traits d'une phobie, d'une peur qui prend toute... toute la place. Deux adolescentes et leurs proches ont accepté de nous raconter tout le chemin parcouru pour mettre des craintes irraisonnées à la porte.

    Gabrielle et les poux

    Gabrielle* n'a jamais attrapé un seul pou. Et pourtant, ces bestioles lui ont volé une grande partie de son enfance. La peur incontrôlable d'être en contact avec ces parasites l'a amenée au bord du gouffre.

     

    Assise à la table de la cuisine, l'adolescente raconte sans réserve ce qu'est la vie avec une phobie, accompagnée de sa tante Karina, avec qui elle vit désormais.

    Gabrielle, 16 ans, a toujours été de nature inquiète, mais c'est à l'école que les choses se gâtent. Dès la maternelle, elle craint les microbes. Elle se lave frénétiquement les mains, plusieurs fois par jour. «J'avais la peau gercée jusqu'ici», raconte l'adolescente en se frottant les avant-bras.

    Et comme bien des parents, la mère de Gabrielle craint les poux. Elle multiplie les consignes pour que sa fille s'en tienne loin. Rapidement, toutes les craintes de la fillette se cristallisent dans ces nouveaux ennemis.

    L'anxiété, une histoire de famille

    Plusieurs proches de Gabrielle souffrent de troubles anxieux. Le terreau est donc fertile chez l'enfant, et la peur grandit. Tous les soirs, après l'école, Gabrielle s'arrête chez sa grand-mère et lui demande de fouiller sa tête. Avant d'aller au lit, elle retrace le fil de sa journée et interroge sa mère au sujet de gestes qui pourraient lui amener des poux. Un train ininterrompu de questions... jour et nuit.

    «Si elle ne me répondait pas, je faisais d'énormes crises», raconte l'adolescente. Épuisée, sa mère cède et accepte de répondre aux questions de Gabrielle. La peur prend ainsi une «ampleur démesurée», malgré un suivi psychiatrique.

    «Arrivée au secondaire, je regardais partout dans mes cheveux trois fois par jour. Je me chicanais avec tout le monde. Je voyais des amis, mais je voulais juste qu'ils partent.»

    Gabrielle refuse alors de s'asseoir sur le sofa de la famille, de toucher les vêtements qui tombent sur le sol, d'avoir des contacts physiques, et elle dort même avec un sac de plastique sur son oreiller.

    En guerre ouverte avec sa mère, toujours avec les poux en trame de fond, Gabrielle s'enfonce. Elle tente de se suicider à 15 ans. «C'était vraiment à cause des poux», souffle-t-elle.

    Malheureuse, Gabrielle flirte avec la délinquance. Sa mère n'en peut plus, et Karina lui propose de prendre le relais. Orthopédagogue, elle a elle-même souffert de troubles anxieux dans le passé. Elle déménage chez l'adolescente et laisse son appartement à sa soeur.

    Un défi par jour

    Immédiatement, elle entreprend de donner un défi par jour à sa nièce. S'asseoir sur le sofa deux minutes. Puis cinq. Au bout d'un très long processus, Gabrielle arrive à s'y coucher, puis à mettre un jeté sur sa tête. «Ç'a été très difficile. Elle s'en est même pris physiquement à moi, mais j'avais un but: que sa maison ne soit plus une zone de danger», se rappelle Karina. Elle se montre compréhensive, mais elle tient bon.

    Au fil des mois et des défis, Gabrielle se défait peu à peu de sa peur. Onze mois plus tard, elle fait ce constat: «Je peux maintenant m'aider moi-même. J'avais trop peur, mais j'ai compris que je pouvais faire plein d'affaires aujourd'hui ! Nana [Karina] me l'a montré», confie l'adolescente, tout sourire. Elle accepte désormais les câlins, et même de détacher ses épais cheveux foncés.

    Parallèlement, elle reçoit l'aide d'une travailleuse sociale et participe à un groupe de soutien pour adolescents anxieux, où elle a rencontré un ami de qui elle est très proche. «Mon anxiété a beaucoup diminué», raconte-t-elle.

    Lorsque l'entrevue tire à sa fin, Gabrielle pousse un soupir et sourit. «Je suis en train de réaliser que... eh bien... ça va vraiment bien, maintenant. Je suis heureuse, hein, Nana?»

    *Prénom fictif. Pour protéger son intimité, nous avons accepté de lui accorder l'anonymat.

    Alyssa-Rose et les insectes

    Toute petite, Alyssa-Rose pouvait passer des heures à jouer à l'extérieur au chalet familial. Puis, du jour au lendemain, tout bascule. À 6 ans, une peur incontrôlable des insectes la fige sur place. Plus question pour elle de mettre le nez dehors.

    L'anxiété, qui prend la forme d'une phobie, devient rapidement un réel handicap. «Elle s'est mise à fuir tout ce qui volait et à faire des crises, raconte sa mère, Caroline Émond. Pourtant, elle n'a pas été piquée par un insecte. Rien ne pouvait laisser présager que cette peur ressortirait.»

    Une peur qui envahit toutes les sphères de la vie d'Alyssa-Rose. À la récréation, elle refuse de bouger dans la cour de l'école. La tête calée dans les épaules, elle est terrifiée. «J'avais vraiment très peur que les abeilles me piquent», se remémore l'adolescente, aujourd'hui âgée de 16 ans.

    La peur est irrationnelle, mais l'enfant n'y peut rien. À l'école, elle est appuyée par plusieurs spécialistes, mais les sorties à l'extérieur demeurent pénibles tout le long de son primaire. «Elle ne pouvait plus fonctionner normalement, se rappelle sa mère. Les enfants la montraient du doigt... Ça ne l'a pas aidée à se faire des amis.»

    Un pas à la fois

    À 12 ans, Alyssa-Rose reçoit un diagnostic de trouble du spectre de l'autisme. Le fait qu'elle exprime peu ses sentiments complique la situation. Caroline privilégie alors l'approche des «petits pas» pour aider sa fille. Au chalet, elle demande à sa fille de s'asseoir près d'elle, sur le balcon: d'abord cinq minutes, puis de plus en plus longtemps. La mère et la fille discutent alors de tout et de rien, pour éviter de mettre l'accent sur la peur.

    «Je ne voulais pas que sa peur gagne sur elle. Je voulais qu'on trouve des solutions pour l'aider à la combattre.»

    Elle sait de quoi elle parle: à l'âge de 19 ans, elle est passée par un épisode d'agoraphobie. Sa peur des endroits publics l'empêchait de poursuivre ses études au cégep, de se rendre au centre commercial et même au restaurant. Comme sa fille, c'est en s'exposant très graduellement à sa peur et en acceptant l'aide d'un psychologue qu'elle est parvenue à surmonter sa phobie, et à reprendre ses études quelques mois plus tard.

    «Quand tu as vécu avec un trouble anxieux, tu as peut-être plus de facilité à aider quelqu'un qui vit une situation semblable», résume-t-elle.

    «Une vraie souffrance»

    Aujourd'hui, Alyssa-Rose parvient à marcher jusqu'à l'école. Une grande victoire sur la peur, souligne sa mère, fière. L'adolescente n'aime toujours pas les insectes, mais elle tolère leur présence. «J'ai appris à fermer la porte de ma peur», explique l'adolescente, consciente du chemin parcouru.

    Une route parfois difficile, qui demande un grand investissement, se rappelle sa mère: «C'est très prenant. Comme parent, tu es vidé de ton énergie après les crises, mais ce qu'il faut savoir, c'est que ce ne sont pas des caprices ou un moyen d'attirer l'attention. C'est une vraie souffrance, et ça peut vraiment arriver à n'importe qui.»

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    ILLUSTRATION LA PRESSE

     

    De l'anxiété à l'optimisme

    Avoir peur, s'inquiéter ou vivre de l'anxiété est normal. Sain, même. Sauf quand ça devient envahissant. Comment repérer l'anxiété malsaine? Que faire pour ne pas la nourrir?

    Un réflexe naturel

    Le mot lui-même a beau faire un peu peur, il y a des situations où il est naturel de vivre de l'anxiété. Comment reprocher à un enfant d'avoir mal au ventre à une semaine de la rentrée? Même les enseignants ont parfois des papillons dans le ventre au moment de se présenter devant une vingtaine de nouvelles paires d'yeux. Si tout le monde traverse ce genre de moments de stress et d'inconfort, tout le monde n'y réagit pas de la même façon. L'anticipation peut facilement se transformer en appréhension: peur de la nouveauté, peur de perdre la face, peur de dormir chez un ami, peur de perdre ses parents, peur de rater un examen... Se projeter dans un avenir inconnu est, pour certains enfants, source d'anxiété.

    Peurs nocives

    «L'adulte qui a peur de quelque chose se fait un film, voit l'événement catastrophique se produire et peut même ressentir les émotions qu'il ressentirait dans une telle situation. Ce n'est pas aussi clair pour les enfants. Leurs pensées sont un peu plus brouillées. Ils vont savoir qu'ils ont des peurs, avoir des espèces de flashs, mais ce n'est pas un film continu», explique Ariane Hébert, psychologue et auteure d'Anxiété - La boîte à outils. Comment savoir si le stress ou la peur de notre enfant sont normaux ou envahissants? «C'est toujours une question de quantité, de fréquence et d'intensité», dit Nathalie Couture, elle aussi psychologue et auteure de guides destinés aux petits, dont Incroyable moi maîtrise son anxiété. Les deux spécialistes s'entendent pour dire que l'anxiété devient problématique si elle empêche l'enfant de participer à des activités (une fête d'amis, par exemple) ou nuit à son développement personnel, social ou scolaire.

    Plus anxieux qu'avant?

    Aucune donnée scientifique ne permet de conclure qu'il y a plus d'enfants anxieux qu'avant. Ariane Hébert signale néanmoins que «la pensée commune» chez les penseurs et chercheurs intéressés par la question incite à croire que, oui, il y en a plus qu'avant, «en raison de notre rythme de vie». Il se peut aussi que les parents d'aujourd'hui favorisent involontairement l'anxiété chez leurs petits... Leurs exigences et leurs attentes seraient «nettement plus élevées qu'autrefois», juge d'une part Ariane Hébert. Entre le programme international, les cours d'arts martiaux et l'apprentissage d'une troisième langue, les enfants subiraient plus de pression. Par ailleurs, les parents actuels étant aussi «très engagés» envers leurs enfants, ils seraient aussi «très peu tolérants à l'inconfort» vécu par leur progéniture.

    Parentalité anxiogène?

    «Un parent qui sent son enfant anxieux va s'activer beaucoup, raconte la psychologue. Souvent, on maintient l'enfant dans l'anxiété parce qu'en essayant de l'apaiser à tout prix, on lui évite d'être confronté à des situations anxiogènes, ce qui lui évite aussi d'apprendre des stratégies pour calmer son anxiété. Ces stratégies-là se vivent dans le malaise et, comme parent, on a du mal à tolérer ça.» Ariane Hébert dit ne blâmer personne, seulement poser un constat. Nathalie Couture, elle, juge d'abord qu'un parent qui essaie de comprendre les émotions de son enfant, «c'est toujours gagnant». Puis, elle nuance: «Si on est présent dans la surprotection, peut-être que ça n'aidera pas. Si un parent ne laisse pas son enfant vivre ses propres expériences de peur qu'il arrive quelque chose, peut-être que l'enfant va se bâtir en étant incertain de ses capacités, dit-elle. Ça fait partie des facteurs de risque de développer de l'anxiété.»

    Guider vers l'optimisme

    Que faire? Rassurer l'enfant, bien sûr. Valider son émotion. Ensuite? «L'important, c'est de lui remettre [le problème] sur les épaules, lui demander: qu'est-ce que tu pourrais faire?», suggère Ariane Hébert. Il est important selon elle que l'enfant comprenne que l'anxiété vient de l'intérieur. Dans son livre Incroyable moi maîtrise son anxiété, Nathalie Couture explique entre autres aux petits qu'ils ont en eux un «Petit Plus» et un «Petit Minus» et que, en gros, quand ils sont anxieux, c'est qu'ils écoutent plus «Petit Minus». Ariane Hébert suggère par ailleurs de «créer un réflexe d'optimisme» chez l'enfant en l'incitant notamment à voir aussi le positif dans toute situation. Pourquoi ne pas demander à notre enfant qui vient soi-disant de passer une mauvaise journée à l'école, de la raconter de nouveau, mais en prenant le temps de se rappeler ce qui s'est bien passé, ce qui a été agréable? Un truc tout simple qui pourrait aussi bénéficier à bien des adultes!

    Un juste degré d'anxiété

    Le niveau d'anxiété qu'on vit a un effet sur nos performances. Trop, c'est comme pas assez. Explications.

    Illustration inspirée de la loi de Yerkes-Dodson, qui établit un lien entre la performance cognitive et le degré de stimulation.

    Optimal

    «Être stressé ou anxieux avant un examen va faire en sorte que je vais mettre des choses en place: je vais étudier, me préparer à l'avance, demander de l'aide à mon professeur s'il y a des notions que je comprends mal. Ça, c'est de l'anxiété normale», dit Nathalie Couture, auteure d'Incroyable moi combat l'anxiété. Dans un cas comme celui-là, le fait d'appréhender un échec augmente la vigilance et suscite des actions constructives.

    Faible

    L'anxiété est orientée vers le futur. Elle est marquée par l'anticipation et implique d'appréhender les conséquences de nos actes, rappelle Ariane Hébert dans Anxiété - La boîte à outils. L'incapacité à se projeter dans l'avenir peut faire qu'un enfant va négliger sa préparation à un examen, par exemple, puisqu'il ne songera pas à la possibilité d'un échec ni à son impact. Dans pareil cas, le niveau d'anxiété est trop faible pour provoquer une réaction qui pourrait être saine.

    Élevé

    Étudier de manière compulsive des notions qu'on maîtrise déjà témoigne d'un niveau d'anxiété hors de la normale. «Ça devient un problème quand il y a une perte de qualité de vie, quand l'enfant se sent envahi par ces émotions-là», dit Ariane Hébert. Elle parle alors de «rupture de fonctionnement», situation où on peut par exemple observer des difficultés de sommeil ou l'incapacité à faire un devoir (ou un examen).

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    Incroyable moi maîtrise son anxiété. Nathalie Couture et Geneviève Marcotte. Éditions Midi Trente, 48 pages.

    Anxiété - La boîte à outils. Ariane Hébert. Éditions de Mortagne, 176 pages.

     

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