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Par Frawsy le 26 Septembre 2018 à 15:41
Violence en ligne : les trois quarts des femmes
en sont victimes, dit Pénélope McQuade
Menaces de viol, intimidation, vidéos obscènes, l’animatrice Pénélope McQuade a tout vu sur ses réseaux sociaux. Elle a décidé de contre-attaquer.
Anne Fleischman de la revue Châtelaine
Pénélope McQuade. Photo: Productions Esperamos II
«Ta gueule, salope». «Je te crisserai un coup de batte de base-ball». «J’espère que vous allez avoir le cancer.» Les propos haineux, racistes ou misogynes d’une extrême violence polluent de plus en plus les réseaux sociaux. Et leurs auteurs, appelés des trolls, s’attaquent à bien des personnalités publiques, dont Pénélope McQuade. En 2014, elle recevait régulièrement des menaces de viol. Cette violence verbale lui a donné envie de comprendre le phénomène du trollage et la multiplication de messages orduriers sur les réseaux sociaux. Avec le réalisateur Hugo Latulippe, elle est partie à la rencontre des trolls et de leurs victimes dans Troller les trolls, un documentaire-choc. Châtelaine s’est entrenu avec elle quelques jours avant la diffusion.Qu’est-ce qui vous a le plus surpris dans votre enquête?
Je n’avais pas mesuré l’ampleur du phénomène, même si je savais parfaitement que les réseaux sociaux véhiculaient des idées haineuses. Ça a été une découverte choquante. Le fait qu’il s’agisse d’un phénomène toléré et même banalisé par les victimes est aussi très dérangeant. Quant aux trolls eux-mêmes, ils ne sont pas du tout ce à quoi je m’attendais. J’imaginais des hommes jeunes, seuls dans leurs sous-sols avec leur méchanceté au bout des doigts. J’ai rencontré des pères de famille, des personnes qui ont toute l’apparence de la normalité, des dames qui posent avec des chatons sur leur profil Facebook… Bref, monsieur et madame Tout-le-monde. Mais quand l’un deux m’a lu en direct et sans même sourciller ses propres commentaires racistes publiés sur les réseaux sociaux, des propos d’une vulgarité inouïe, j’ai été estomaquée!
Qu’est-ce qui autorise les gens à se comporter si mal sur Internet?On a tous été élevés avec un certain sens de la civilité, avec à l’esprit les limites à ne pas franchir dans la vraie vie. Mais sur les réseaux sociaux, les trolls ont complètement perdu ces notions de savoir-vivre et n’hésitent pas à sauter par-dessus la clôture pour aller insulter leur voisin. C’est comme si les mots se désincarnaient parce qu’ils passaient par un clavier. De véritables personnalités médiatiques haineuses prennent ainsi vie sur Internet, et l’impact sur les victimes peut être dévastateur.
Quel est le point commun de tous ces trolls?Une haine profonde envers les femmes, les personnes différentes, en particulier les musulmans, la société en général… Ce mouvement est né d’une grogne latente parmi une certaine frange de la population persuadée que les gouvernements ne la représentent pas et que les médias ne lui laissent jamais la parole. Chaque page Facebook, chaque blogue, chaque commentaire devient une manière de dire: «On ne me demande jamais mon opinion aux nouvelles, mais, moi, je vais la donner!» C’est devenu leur façon d’exister. Un bon nombre est même convaincu de se porter à la défense du Québec.
Dalila Awada. Photo: Productions Esperamos IIVous consacrez la première partie de votre documentaire aux femmes. Sont-elles toujours des victimes désignées?
Les trois quarts des femmes ont déjà été confrontées d’une manière ou d’une autre à des violences en ligne, selon l’ONU. C’est hallucinant. Il ne s’agit pas juste de personnalités publiques, mais aussi de femmes anonymes en position d’autorité dans les entreprises, le monde de l’éduction, ou encore la recherche scientifique. Les femmes ont une immense vulnérabilité sur les réseaux sociaux. Quand j’ouvre la messagerie Facebook et qu’apparaît tout d’un coup une vidéo d’un gars qui se masturbe, il y a une prise de contrôle totale et complète de mon univers, avec un réel désir de domination. La technologie rend la chose encore plus violente. Prendre possession du sentiment de sécurité des femmes, même pendant quelques secondes, est intolérable.
Une raison de plus pour ne pas banaliser ces situations?C’est vraiment une question de sécurité! On a décidé d’éclairer certains quartiers de Montréal pour rassurer les gens. Pourquoi ne pas faire de même pour tout un pan de notre vie virtuelle? Beaucoup de personnes ne se sentent pas en sécurité derrière leurs propres écrans. Pire encore, elles n’osent pas chercher de l’aide ou porter plainte parce qu’elles ont l’impression que ce n’est pas si grave. Mais ça l’est.
Est-ce que le phénomène du trollage est le symptôme d’un mal profond qui s’installe sur le Québec?Un extraterrestre qui visiterait des centaines de sites Internet se dirait que le Québec est raciste, misogyne, incapable de dialoguer politiquement… C’est ce qui m’inquiétait au début de mon enquête: est-ce vraiment ce qu’est devenu «mon» Québec? Oui et non. Le documentaire dresse un portrait fidèle d’une partie de la population qu’on ne veut pas toujours voir. Heureusement pas de tout le Québec, mais de certains Québécois. Les réseaux sociaux agissent comme un amplificateur pour ces voix haineuses, mais aussi comme un multiplicateur. Avant, les commentaires sur les médias en ligne étaient anonymes et pouvaient être très acrimonieux. On a donc décidé d’interdire l’anonymat, en pensant que ça allait calmer le jeu et que les internautes allaient être moins agressifs. C’est tout le contraire qui est arrivé! Si madame untel constate que monsieur untel pense comme elle, ça va la légitimer dans son droit d’expression de sa haine ou de son mépris.
Avez-vous réussi à «troller les trolls», comme le dit le titre de votre documentaire?C’était l’idée de départ mais, finalement, on a décidé de ne pas alimenter cette toxicité. Analyser les trolls pendant une heure sans jamais leur donner le contrôle, mettre sous les projecteurs qui ils sont et ce qu’ils font est une bonne manière de les déboulonner. On voulait également réduire l’espace entre la personne derrière son clavier et celle qui reçoit ses messages. L’idée était d’essayer de comprendre les trolls et non de les confronter. Sans compréhension de ce phénomène, on n’arrivera jamais trouver des solutions viables.
Troller les trolls, 3 octobre à 20h, sur Télé-Québec.
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Par Frawsy le 9 Juin 2018 à 15:04
Stone, le monde est stone? Pas au Québec!
Le «pot» sera légal au pays sous peu. Mais au Québec, cette nouvelle réalité est partie de travers…
Marilyse Hamelin de la revue ChâtelainePhoto: Unsplash/Thought Catalog
On pourra bientôt acheter et fumer du pot en toute quiétude au pays. Ce sera chose faite au plus tard cet automne, peut-être même avant, le projet de loi C-45 étant à l’étude par le Sénat en vue de son adoption.Or le Québec est très en retard dans le développement de son industrie, lui qui ne compte que sept producteurs sur 104 au pays. Avec moins de patients consommant du pot thérapeutique et moins de médecins qui acceptent d’en prescrire, il fait bande à part. (Tout ça, je l’ai appris en suivant le blogue d’Annabelle Blais du Journal de Montréal, qui se spécialise dans les enjeux entourant la légalisation du cannabis.)
D’ailleurs, jusqu’à tout récemment, le Québec était la seule province à vouloir interdire la culture de la marijuana à domicile, contre la volonté d’Ottawa (le Manitoba vient d’adopter la même position). Simple prudence ou circonspection tirant sur la méfiance?
Il est vrai, la culture du cannabis nécessite de grandes quantités d’eau et cela peut engendrer beaucoup d’humidité à l’intérieur d’un appartement si on n’en contrôle pas le taux à l’aide d’un déshumidificateur, mais n’y a-t-il pas lieu de faire de l’éducation et de la sensibilisation plutôt que d’interdire complètement?
Sans compter qu’il serait tout à fait possible de permettre la culture à l’extérieur durant la belle saison, par exemple sur son balcon ou dans son jardin. Et pourquoi permettre aux gens de brasser leur propre bière, mais pas de cultiver leur cannabis? Le gouvernement se montre ici bien paternaliste…Comme l’estime Sandhia Vadlamudy, directrice générale de CACTUS Montréal, un organisme oeuvrant auprès de personnes toxicomanes, le fait de cultiver son propre pot — de surcroît lorsqu’il s’agit d’un besoin thérapeutique — coûte bien moins cher que d’aller l’acheter au magasin. C’est une question d’accès et d’équité sociale pour les moins nantis.
Prévenir sans diaboliserÀ l’occasion d’un panel que j’ai animé dans le cadre des Assises de l’Union des municipalités du Québec (UMQ) à Gatineau il y a deux semaines, Mme Vadlamudy a rappelé que si le cannabis est un produit comportant des risques, il ne faut pas «le diaboliser» pour autant ni «stigmatiser les usagers». Elle préconise plutôt une éducation «à la consommation sécuritaire».
Je suis bien d’accord. Bien sûr qu’il faudra faire un travail de sensibilisation pour prévenir les dépendances, particulièrement auprès des jeunes. Mais souvenons-nous aussi que plusieurs d’entre eux ne sont jamais privés de consommer du pot, légal ou non.
Et puis je trouve risible le deux poids deux mesures avec lequel on traite le cannabis et l’alcool. Comme si ce dernier était inoffensif… L’alcool engendre une foule de problèmes sociaux — alcoolisme, violence conjugale, morts sur les routes, coma éthylique chez des mineurs et j’en passe —, ce qui n’empêche pas une société d’État de célébrer sa consommation comme un art de vivre dans un magazine qu’elle commandite et sur ses réseaux sociaux, notamment.
Loin de moi l’idée de bannir l’alcool, mais le temps est peut-être venu d’arrêter de jouer les vierges offensées dès qu’il est question de cannabis et de plutôt envisager une éducation à la consommation responsable.
Conditions à la baisse
Cette frilosité du gouvernement québécois face au cannabis se traduit jusque dans la structure de la nouvelle société d’État responsable de la vente aux particuliers, la Société québécoise du cannabis (SQDC), où les employés auront des conditions de travail inférieures à celles de leurs homologues de la Société des alcools du Québec (SAQ).
Voilà encore une entourloupe à courte vue de ce gouvernement qui ne s’en prive pas depuis son élection en 2014. Or ce tour de passe-passe visant à économiser pourrait au contraire s’avérer coûteux en raison du roulement de personnel à prévoir, comme le souligne judicieusement Philippe Hurteau, chercheur à l’IRIS dans cette vidéo. Et ce, sans compter les problèmes associés à du personnel inexpérimenté…
Nouveau climat socialCe malaise diffus entourant la légalisation du cannabis n’est qu’une illustration parmi d’autres du vent de conservatisme social soufflant sur notre «belle province»; une illustration néanmoins saisissante, vu la valeur symbolique et culturelle du pot. Elle semble bien loin l’époque du Québec peace and love, vous ne trouvez pas?
Et tout cela s’inscrit sur une toile de fond où les deux partis qui semblent pouvoir l’emporter en octobre (le PLQ et la CAQ) promettent d’en finir avec «l’État providence» — le fameux modèle québécois.
On peut le dire, le Québec a vieilli et il s’est ringardisé.
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Par Frawsy le 29 Mai 2018 à 16:41
Le français qui s’efface
Comment se porte le français au Québec?
Ou plutôt, qui s’en préoccupe encore, pour vrai?
Josée Boileau de la revue ChâtelainePhoto: iStock.com/Oko_SwanOmurphy
Il y a quelques jours, je participais à une conférence qui posait une question troublante – pour moi, du moins: «La langue a-t-elle besoin d’un second souffle?».Il était question de l’état du français au Québec. La discussion, qui réunissait des passionnés de ce dossier, s’appuyait sur un rapport de quatre chercheurs de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Historiens et sociologues, ils se sont penchés sur l’évolution de l’Office québécois de la langue française (le titre du rapport le dit bien : Brève histoire de l’OLF/OQLF : mobilisation, incitation, contrainte, accompagnement) dont la première mouture fut mise en place dès 1961 et dont les pouvoirs ont été renforcés lors de l’adoption de la loi 101, en 1977.
Le rapport se concentre donc sur un organisme-phare de la protection du français au Québec, mais l’arrière-scène qui est mis en lumière est plus vaste. Au fond, ce dont il est question, c’est de l’attachement de la collectivité à la défense du français. Comme les chercheurs l’écrivent : « pas d’avancée significative de la francisation sans un appui de la société civile ».
Or le sujet n’agite plus les foules, et ce depuis un bon moment. Ou plutôt, on s’entend sur l’importance du français comme valeur commune au Québec, mais de là à agir en conséquence, c’est autre chose! Les paradoxes sont légion.
Par exemple, il semblerait que 94,5% des Québécois sont capables de soutenir une conversation en français. C’est bien la preuve, n’est-ce pas, que nous avons triomphé des tensions linguistiques des années 1960!
Fort bien, mais pourquoi alors certains élus montréalais, maire ou mairesse en tête, se sentent-ils tenus de s’exprimer en français et en anglais quand ils s’adressent à leurs concitoyens? Ou encore : pourquoi tenir un débat des chefs en anglais dans le cadre des prochaines élections québécoises si quasiment tous les Québécois comprennent le français? Tous les chefs de partis ont pourtant répondu « présent » avec empressement!
Autre exemple : le gala Artis célébrait récemment la production télévisuelle québécoise. La télé d’ici est depuis longtemps la démonstration même de l’effervescence de la culture en français au Québec, une véritable réussite. La fête, pourtant, n’a pas pu se passer de l’anglais. C’est sous l’insigne du « love » que le gala se déroulait et c’est une chanson américaine qu’a entonnée Ariane Moffatt – à qui l’on doit tant de splendides chansons – pour rendre hommage aux femmes artistes.
À dire vrai, ce n’était même pas un faux pas. De nos jours, l’inspiration et les préférences musicales des uns et des autres sont nettement anglophones. Suffit de voir ce que répondent les personnalités en tout genre quand elles sont interviewées sur leurs chansons préférées. Jamais n’est-il question de chansons en français, qu’elles soient d’ici ou de France : elles ne sont plus ni des choix spontanés, ni des références.
Cela a d’ailleurs des échos dans la littérature. Pour des raisons professionnelles, je lis beaucoup, beaucoup d’auteurs québécois. Or ceux-ci, particulièrement les jeunes, aiment bien illustrer les états d’âme de leurs personnages en s’appuyant sur des extraits de chansons… en anglais. Comme si la langue de l’intime ne pouvait plus correspondre à la langue maternelle (phénomène constaté aussi dans le choix musical de bien des séries télé du Québec).
À quoi s’ajoute le fait que dans ces mêmes romans québécois, on trouve régulièrement des échanges en anglais entre les personnages. Ça se voit aussi dans des romans édités en France, mais alors tant les dialogues que les mots anglais sont traduits en note de bas de page. Ici, jamais. Les éditeurs laissent passer, tenant pour acquis que tout le Québec est bilingue. Comme s’ils ne mesuraient pas la portée symbolique de mettre sur le même pied anglais et français comme langue commune du Québec.
Évidemment, ce dont je parle ne relève pas du champ de la loi ou des attributions d’un organisme comme l’OQLF. Et pourtant, j’y vois un lien. C’est comme si au Québec, une fois adoptée la loi 101 et la mise en place des organisations chargées de l’appliquer, on a estimé que le défi linguistique était réglé. Il y a bien quelques sursauts de temps en temps, face au « bonjour-hi » des commerces du centre-ville montréalais par exemple. Mais la prise de conscience que la bilinguisation du Québec s’étend ne dure jamais longtemps.
Pourtant, nous en avons des attentes en matière de triomphe du français au Québec. Mais alors notre regard se tourne vers les… immigrants. Le français c’est dorénavant leur affaire, pas la nôtre.
Un récent sondage Léger indique que 73% des Québécois (79% des francophones) estiment que connaître minimalement le français « devrait être une condition obligatoire pour demeurer au Québec ». Encore plus de Québécois croient que les cours de français devraient être obligatoires pour les nouveaux arrivants.
Surtout, pour 85% des francophones (et 76% des Québécois dans leur ensemble), la francisation des immigrants apparaît comme un « enjeu vital pour l’avenir du Québec ». Il semblerait même que ce souci devienne un enjeu électoral, si on en croit les discours politiques ces derniers temps.
Mais que fait-on dans la réalité? On persiste au jour le jour à s’adresser en anglais aux nouveaux arrivants – ce qui inclut nos échanges personnels, le comportement de bien des élus et la correspondance avec l’administration publique. De même, il est toujours plus facile pour un unilingue anglophone que pour un unilingue francophone de se trouver un emploi à Montréal. Depuis des décennies (j’ai fait des reportages sur ce sujet au tout début des années 1990), des immigrants nous ont souligné cette hypocrisie d’un Québec qui s’affiche français mais qui dans les faits, s’en passe facilement.
Dans le rapport des chercheurs de l’UQAM, on lit que l’OQLF a atteint un stade de routinisation et que son action est dorénavant marquée par le pragmatisme : compromis et négociation sont à l’ordre du jour plutôt que de chercher le respect intégral de la loi 101. Tout le monde est content : ça évite les confrontations.
Je trouve que c’est à l’image de notre rapport collectif au français : bien des compromis, de plus en plus de renonciations. Ouf! on évite les chicanes! Mais que ça rapetisse le champ d’utilisation du français. Que ça fait doucement s’effacer la grande spécificité du Québec sur ce continent.
Et alors, est-ce si grave? disent de plus en plus de gens, non pas dans les sondages mais lorsqu’ils en parlent dans la vraie vie. Moi, je réponds encore oui… Mais sommes-nous si nombreux de mon camp?
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Par Frawsy le 28 Mai 2018 à 14:53
Devrait-on demander aux gens leurs origines?
S’enquérir des origines de quelqu’un, ce n’est pas tabou, ni raciste ! Du moins tant que ce n’est pas la seule chose qui nous intéresse…
Manal Drissi de la revue Châtelaine
Photo: Maude Chauvin
La première fois que j’ai entendu le slam de Queen KA, poétesse québécoise aux origines tunisiennes, sur les enfants d’immigrants, c’est comme si un silement dont je n’avais pas conscience s’interrompait. Comme si je découvrais le silence apaisant et me rendais soudain compte du bruit sourd qui jusque-là m’habitait. Nous avons, comme elle le dit si justement, le cul entre deux chaises.La semaine dernière, la plateforme Rad publiait à son tour des témoignages de Québécois portant une double identité, dont Queen KA, Sarahmée Ouellet, Dalila Awada, Mehdi Bousaidan, Karim Ouellet et Richardson Zéphir.
Il se passe quelque chose, me suis-je dit. Nous prenons la parole. Nous prenons la scène et les ondes et, la tête haute, nous défrichons une place plurielle dans l’imaginaire collectif.
Une phrase de Queen KA, prononcée dans le slam et reprise dans la vidéo de Rad, m’a toutefois semblé faire particulièrement réagir les commentateurs : « Je préfèrerais qu’on me demande où je vais, plutôt que de me demander d’où je viens ».
Demander les origines de quelqu’un est-il entré au palmarès des sensibilités de la gauche épidermique? La curiosité est-elle à présent une branche du racisme? Le genre est rendu fluide et les origines taboues! Qu’on m’apporte vite un Sharpie, je sens monter en moi les slogans de manif!
Un instant. (Sur un air connu) Enwèye embarque, ma belle, je t’emmène… en zone grise.
Étant white passing, c’est-à-dire que ma mère a légué son teint basané seulement à ma sœur (je consulte pour ça), je passe souvent inaperçue comme immigrante, souvent même davantage que ma sœur qui porte un prénom commun et qui est née ici. C’est mon nom qui fait céder le barrage d’interrogations: « C’est de quelle origine, ça, Manal?/T’es née ici?/T’es arrivée à quel âge?/Comment ça se fait que t’as pas d’accent? ».
À la banque, au garage pour un changement de pneu, en faisant une réservation, ce refrain se répète presque systématiquement quand je rencontre de nouvelles personnes. Je ne m’en formalise pas; j’ai l’habitude. L’échange se déroule en général sans heurts et mène parfois à des discussions intéressantes.
La question est cependant bien plus large.
Il est rare qu’on me demande mon signe astrologique. Et quand ça arrive, je trouve amusant qu’on tente de prêter aux astres un rôle dans mon identité. Ah bon? Je suis plus têtue, distraite ou généreuse parce que je suis née telle date? Fabuleux.
Si toutefois, au quotidien, la première information dont les gens s’enquéraient après mon nom, c’était mon signe astrologique; si, en grand nombre, des gens associaient ma réponse à des préjugés défavorables; si être poisson diminuait de moitié mes chances d’être convoquée en entrevue d’emploi ; si mon signe astrologique était instrumentalisé pendant les campagnes électorales, si j’étais régulièrement réduite à un cliché, mon amusement se dissiperait certainement.
Ceux qui posent la question candidement oublient qu’elle existe en dehors d’eux, sur différents tons, sous différents prétextes, et qu’elle traîne parfois à sa remorque de l’ignorance, de l’intolérance ou de la haine.
Je peux certes rire d’un « T’es marocaine? Ma belle-sœur a marié un Libanais! », mais c’est moins drôle quand une dame refuse de me vendre un miroir sur Kijiji, puis accepte quand je la contacte sous un nom fictif plus commun. C’est moins drôle quand la première chose qu’on me demande sur Tinder, c’est mon origine et ma religion parce que « je sors pas avec des musulmanes, elles veulent nous convertir ». C’est moins drôle quand les critiques de mon travail public, dans mon inbox, se concluent par « si t’es pas contente, retourne dans ton pays ».
Ces expériences négatives, bien que plus courantes dans le climat actuel, demeurent rares. Elles sont néanmoins marquantes, s’inscrivent dans une expérience commune et, additionnées à toutes les questions bienveillantes mais redondantes, peuvent causer un sentiment de lassitude. Insidieusement, à toujours être ramené à ses racines, on finit par se sentir étranger chez soi.
Non, il n’est pas raciste de s’enquérir des origines de quelqu’un. La question n’est pas à proscrire, ni taboue. La plupart des gens sont fiers de partager leur héritage. Est-il pour autant normal que la question des origines soit posée si souvent, si rapidement, dans tous les contextes, aux mêmes personnes, avec l’attente implicite d’une réponse complète et courtoise? L’on devrait pouvoir parler de ces choses-là sans polariser la question.
Si certains voient dans cette phrase de la slammeuse Queen KA un rejet de la curiosité et de la bienveillance, j’y vois pour ma part un appel à s’intéresser au moins autant au chemin que l’on défriche qu’à celui que l’on a parcouru. J’y vois un rappel qu’à trop fouiller sous terre, on oublie que l’apport des racines s’observe surtout dans le feuillage qu’elles ont nourri de leur sève.
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Par Frawsy le 24 Décembre 2017 à 15:05
10 bonnes raisons de détester Noël
Noël : ses chants, ses cadeaux, ses téléfilms, ses repas interminables et ses décorations kitschs... Tout un programme. Quitte à passer pour des trouble-fêtes et se faire enguirlander, voici 10 preuves que Noël, ça sent le sapin.
© Giphy
Chaque année, vos collègues et vos proches sont surexcités à l'idée de fêter Noël. Sauf qu'accrocher des guirlandes sur un arbre qui pique, dépenser tout votre salaire en cadeaux pour ceux que vous aimez (et ceux que vous aimez moins), ou réécouter "All I Want For Christmas is You" de Mariah Carey, ça vous fout les boules. Rassurez-vous : vous n'êtes pas seul(e). Voici 10 bonnes raisons de détester cette fête, 100% anti-esprit de Noël et pleines de mauvaise foi.
1. C'est dangereux
Entre ceux qui s'ouvrent la main au lieu des huîtres (alors qu'il y a une technique toute simple), ceux qui veulent se faire mousser en sabrant le champagne (en envoyant le bouchon dans l'œil de Gégé), ceux qui raffolent des fruits de mer (et qui finissent le repas aux WC), ou encore ceux qui voient leur sapin prendre feu, sachez qu'en ne fêtant pas Noël, vous ne courez aucun de ces risques. Néanmoins, il y a quelques conseils que vous pourrez prodiguer à vos proches. En leur rappelant que c'est grâce à vous qu'ils n'ont pas fini aux urgences.
2. La famille, ce n'est pas toujours formidable
On déteste toujours autant tonton José qui nous prend pour une dinde et on doit tout de même se le farcir tous les ans. Sans oublier la sempiternelle dispute entre notre mère et mamie Jacqueline sur la cuisson du chapon, les commentaires désobligeants de tatie Geneviève sur notre vie (amoureuse, professionnelle et même vestimentaire) et nos cousins bizarres, avec lesquels on n'aurait jamais traîné en temps normal (mais que l'on a appris à accepter apprécier avec le temps). La famille, c'est sacré et sacrément chiant parfois.
3. Ce n'est jamais le bon cadeau
Feindre l'euphorie lorsque l'on reçoit un moule à œuf carré, une gomme en forme de cactus ou du scotch décoratif, c'est épuisant. Puisque c'est le geste qui compte, on ne nous en tiendra pas rigueur lorsque le présent sera revendu sur un site marchand pour pouvoir acheter ce bloc-notes en forme de salami que l'on voulait tant, hein ?
4. Les boutiques sont prises d'assaut
S'il y a bien un moment pendant lequel on ne peut pas faire son shopping tranquillement, c'est bien à l'approche des fêtes de Noël. Et ça, notre âme de dépensière compulsive apprécie moyen. Entre les files d'attentes interminables, les gens qui vous bousculent à tout va, les étals inaccessibles (et mal rangés) parce qu'il y a trop de monde et les vendeurs à la limite du burn-out, on ne peut même plus claquer paisiblement tout l'argent que l'on n'a pas.
5. Ce n'est pas écologique (sauf Noël Mamère)
Les rues sont éclairées de kilomètres de guirlandes électriques. Sans compter celles de nos voisins dont le salon ressemble à une discothèque de mauvais goût depuis qu'ils ont installé leurs décorations. En 2010, l'Ademe a évalué la puissance nécessaire aux illuminations de Noël en France à 1.300 MW, soit presque l'équivalent de celle d'une centrale nucléaire. Faut-il ajouter à cela les pauvres sapins déracinés qui ne seront pas replantés ?
6. Ça fait grossir
C'est toujours la même rengaine : après les fêtes, notre balance affiche toujours "+ 3 kilos" que l'on met un an à perdre... et que l'on récupère au Noël suivant. Néanmoins, on attend qu'une chose à chaque fin d'année : s'empiffrer d'amuse-gueules, de saumon fumé, de foie gras, de dinde, de marrons et d'autres mets festifs, en faisant passer le tout avec beaucoup de champagne.
7. Ce n'est pas très fashion
Parce que les pulls, chaussettes, bonnets, grenouillères et autres vêtements de Noël sont certes rigolos, mais ne seront jamais tendance. Et ce n'est pas la famille royale britannique, même immortalisée en statue de cire, qui dira le contraire.
8. Sur le petit écran, ce n'est pas glorieux
Chaque mois de décembre, Noël bouscule la grille des programmes télé. Pire encore : TF1 a osé déprogrammer l'année dernière Les feux de l'amour pour diffuser des téléfilms mielleux et des classiques du grand-écran que l'on a vu 3.000 fois et qu'on n'a justement pas envie de revoir (Beethoven, Love actually, ou La Course au jouet, pour ne citer qu'eux). Seul Le Grinch mériterait de passer en boucle (bon, Maman j'ai raté l'avion, aussi).
9. Nos oreilles saignent
Les chansons de Noël sont l'œuvre d'artistes américains qui n'avaient pas d'inspiration et qui ont profité des fêtes pour se faire plein d'argent tout en torturant nos tympans. De plus, si les grelots étaient un instrument de musique, ça se saurait.
10. Le Père Noël est une ordure
Et ça, c'est la meilleure des preuves. Joyeuses fêtes quand même.
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