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    Annie Cloutier, rebelle au foyer

     

    Son combat féministe : rester à la maison pour élever ses petits.

     

     

    5 juin. 2014 Par Marie-Hélène Proulx | Photo : Charles Briand du magazine Chatelaine

     

    Cultivée, polyglotte, éloquente, Annie Cloutier aurait pu mener une carrière féconde. Rédactrice en chef du Devoir, par exemple, rêvasse-t-elle parfois. Mais, tout bien pesé, c’est à la maison qu’elle vit l’aventure la plus « exaltante », dit cette doctorante en sociologie de 40 ans, maman de trois beaux blonds âgés de 11 à 18 ans, auteure du récent essai Aimer, materner, jubiler – L’impensé féministe au Québec, dont vous pouvez lire ici un extrait. On a pris le thé chez elle, à Québec.

     

    Photo : Charles Briand

    Photo : Charles Briand

     

    Vous affirmez que les femmes au foyer sont déconsidérées par la frange  « dominante » du mouvement féministe au Québec, qu’elles passent pour des « fofolles déconnectées ». D’où tirez-vous ce constat ? Est-ce un mépris que vous subissez vous-même ?

     

    Très peu. Enfin, il m’affecte très peu. Il faut dire que mes premières années de mère au foyer, je les ai passées dans une petite ville des Pays-Bas, mon chum étant néerlandais. Là-bas, la maternité à temps plein est simplement au nombre des choix qui se présentent : on n’en fait pas tout un plat. Je vivais donc cela avec sérénité. C’est à mon retour au Québec que j’ai compris l’isolement dont souffrent celles qui font ce choix ici. Pour mon mémoire de maîtrise, j’ai interviewé une dizaine de jeunes mères au foyer scolarisées, issues de la classe moyenne. Elles disaient avoir l’impression d’être jugées improductives, non performantes, et estimaient que le féminisme ne reconnaissait pas leur choix. « On n’a aucune représentation nulle part, aucune voix au chapitre », m’a dit l’une d’elles.

     

    C’est vrai qu’elles s’écartent de ce que dicte le féminisme québécois officiel – je me réfère surtout ici aux positions du Conseil du statut de la femme du Québec (CSF), du moins avant que Julie Miville-Dechêne n’en prenne la présidence, en août 2011. Je le sais pour avoir épluché La Gazette des femmes de 2000 à 2011 : la question de la maternité au foyer n’y est à peu près jamais abordée. On ne sait même pas combien elles sont ; c’est dire comme on s’y intéresse…

     

    L’archétype de la femme libre promu par le féminisme dominant, c’est celui de la travailleuse rémunérée, indépendante financièrement, qui retourne au boulot à temps plein sitôt son congé de maternité terminé. Il faut se conformer à cette idéologie, sous peine de trahir celles qui se sont battues pour nous ! Le CSF a même dénoncé la prestation fédérale de 100 $ par mois pour frais de garde (Prestation universelle pour la garde d’enfants – PUGE), parce qu’elle permet aussi aux parents au foyer d’en profiter. Hors des garderies à 7 $, point de salut. Le mot d’ordre, c’est « concilier ». Sauf que ce moule ne convient pas à toutes. Quand je vois ces femmes épuisées, dépressives, absentes du travail à répétition, rongées par la culpabilité, ça me paraît d’autant plus évident. Je tiens mordicus à nos acquis – les CPE, par exemple –, mais je souhaite qu’il y ait aussi de la place pour d’autres choix.

     

    Pourquoi avoir fait ce choix, personnellement ?

    Contrairement à bien des mères au foyer, je ne suis pas restée à la maison parce que je pensais que ce serait mieux pour mes enfants. À ce propos, je n’ai pas d’opinion. C’est plutôt que ça me rendait heureuse. J’adore être proche de mes garçons. J’en aurais voulu cinq, mais mon chum a mis un holà. Ce n’était pas toujours facile pour lui d’être seul pourvoyeur, même s’il était d’accord avec notre partenariat. Ça implique des sacrifices matériels. Notre maison est confortable, mais on ne va pas dans le Sud l’hiver, et j’ai souvent les mêmes vêtements sur le dos… Je mène toutefois une vie qui a du sens à mes yeux. J’ai du temps pour m’occuper des autres, j’en ai pour réfléchir, étudier, écrire. Notamment dans le but de changer les représentations qu’on se fait de la maternité au foyer.

    À lire : un extrait de l’essai Aimer, materner, jubiler  L’impensé féministe au Québec, d’Annie Cloutier.

     

    Ce choix n’est-il pas risqué sur le plan financier ?

     

    Je répète toujours qu’il ne faut pas être niaiseuse. À la base, le couple doit percevoir cette décision comme une alliance favorisant tout le monde, et sceller celle-ci par un contrat en bonne et due forme. Le rempart le plus sécuritaire reste le mariage, à cause de la loi sur le partage du patrimoine familial. Ça donne droit à la moitié de tous les biens accumulés pendant la vie à deux, y compris les régimes de retraite et les REER du conjoint qui travaille. Sinon, il faut au moins signer un contrat d’union de fait. Dans le mien, j’avais négocié un soutien financier jusqu’à ce que je termine ma maîtrise, advenant une séparation. Discussion douloureuse, mais nécessaire… Si on se quittait, je pourrais aujourd’hui enseigner au cégep. Ce que je fais d’ailleurs de temps à autres, pour bonifier le revenu familial.

     

    Par ailleurs, je connais bien des travailleuses qui se sont beaucoup appauvries après leur séparation parce qu’elles avaient surtout investi leur revenu dans les dépenses courantes de la famille, et non dans des actifs ou des REER. Autrement dit, les iniquités matérielles peuvent aussi exister au sein de couples unissant deux salariés.

     

    Reste que vous avez accumulé un retard important sur le marché du travail. Si vous retourniez au boulot demain matin, vous n’accèderiez probablement pas à des postes d’un niveau aussi élevé que si vous aviez travaillé toute votre vie. Avec salaire et conditions à l’avenant…

     

    C’est vrai, et j’assume les conséquences de mes choix. La poursuite des ambitions professionnelles ne correspond pas à ma définition d’une vie bien vécue. Je trouve cela angoissant. Mon chum a une carrière intéressante qui l’a mené partout sur la planète, et pourtant, je dis toujours que c’est moi qui ai la part belle.

     

    Cela dit, il faudrait que les employeurs reconnaissent l’expérience de la maternité à la maison. Des années à gérer le budget, l’horaire, les conflits et les maladies de tout le monde, sept jours sur sept, ça vaut son pesant d’or. Sans compter que beaucoup de mères au foyer scolarisées se font un devoir de rester à jour dans leur domaine pendant leurs années à la maison. Cela m’a frappée lorsque je les ai interviewées pour mon projet de maîtrise.

     

    Vous écrivez dans votre essai qu’un « sens profond, souterrain » chuchote aux femmes « qu’une mère – plus qu’un père – a le devoir de se tenir proche de son enfant, et que personne aussi bien qu’elle ne peut accomplir cette fonction ». Croyez-vous que les femmes soient effectivement mieux équipées que les hommes pour s’occuper des enfants ?

    Aimer-Materner-Jubiler

     

    Pour moi, il ne fait aucun doute que, aujourd’hui encore, la plupart des femmes sont mieux préparées. Au départ, du moins. À cause de la culture et de l’éducation, de ce qui est transmis de génération en génération depuis toujours dans presque toutes les cultures – je dis « presque » par précaution, mais c’est probablement la totalité. Ça ne signifie pas que les hommes ne peuvent pas apprendre. De plus en plus s’y mettent, d’ailleurs. Les féministes ont beaucoup poussé et poussent encore pour que l’éducation des enfants et les tâches domestiques soient assumées à part égale.

     

    Quant à moi, je n’y tiens pas mordicus. Je suis agacée par le discours égalitariste, qui tend à faire des hommes et des femmes des êtres indifférenciés. Cette altérité a été forgée par des millénaires de culture, en réponse à quelque chose de très profond, de fondamental. J’y vois là un bel héritage : le don de soi, l’entraide, les soins aux plus démunis… J’aime l’idée que cela reste la prérogative des femmes. On peut être différent, mais d’égale dignité.

     

    Attention, je n’insinue pas que la maternité soit un destin biologique, une obligation divine, une vocation plus légitime. Je ne condamne en rien les femmes qui font d’autres choix. Je plaide pour qu’une diversité de modèles coexistent, y compris le couple traditionnel. Pour ma part, il m’a comblée.

    Société:  Annie Cloutier, rebelle au foyer

     

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    Rencontre avec Trish Deseine

     

     

    Marie-Claude Lortie nous fait mieux connaître l’auteure franco-irlandaise de livres

    de recettes à succès.

     

    Par Marie-Claude Lortie du magazine Chatelaine

     

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    Je ne me souviens pas exactement du jour où je suis tombée amoureuse des livres de cuisine de Trish Deseine, mais je me rappelle très bien comment on me l’avait décrite. « Tu vas adorer, m’avait dit un ami déjà converti. Elle est d’origine irlandaise mais vit en France, elle a quatre enfants, elle est blonde et magnifique. Et ses recettes sont excellentes. »

     

    Nouvelle maman d’un troisième enfant à l’époque, je cherchais sans cesse des exemples de mères à la fois glamours et gourmandes, et qui évoluaient dans un univers stylé et contemporain, loin des clichés déprimants de la soccer mom. C’est ainsi que je suis partie à la recherche des recueils de Trish Deseine. Et, comme on me l’avait prédit, j’ai cliqué. Chez moi, le livre Les 118 recettes françaisesdemeure à ce jour un de ceux que j’utilise le plus. J’aime tout. Les chefs qu’elle a choisis pour ses classiques réinventés, la saveur des plats, la douceur des photos, la reliure et la typographie ancienne… Sans parler de son Petit Noël à la maison, dont j’ai fait, je pense, toutes les recettes. J’aimerais être Fanfreluche pour pouvoir plonger dans les pages et investir sa salle à manger pour me l’approprier. La copier-coller.

     

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    Il y a quelques années, grâce à Twitter, j’ai commencé à lire au quotidien cette créatrice de grands best-sellers gourmands, dont Ma petite robe noire et autres recettes et Je veux du chocolat ! – c’est le genre d’auteur qui va chercher des tirages d’un demi-million et ça aussi, ça m’impressionne. Je me suis rendu compte qu’elle avait une autre qualité qui me rejoint. Trish Deseine n’a pas peur d’exprimer des opinions politiques ! Elle trouve fou que l’engouement pour la cuisine de chefs laisse de côté des pans entiers de la population qui n’ont accès ni aux produits ni au savoir. Elle se préoccupe de la provenance des aliments, se demande comment amener les démunis à s’intéresser à la cuisine. Et elle se soucie des droits des femmes, surtout en Irlande, où la liberté de choix en matière d’avortement est loin d’être acquise. Bref, non seulement c’est une superbe Franco-Irlandaise qui a quatre enfants et une carrière passionnante mais, en plus, elle est pertinente, allumée, engagée.

     

    J’ai joint Trish dans le sud de la France, où elle a maintenant élu domicile, pour en apprendre davantage sur elle.

     


    Des problèmes politiques et sociaux dont on devrait se préoccuper un peu plus ?
    On devrait rediriger les fonds générés par l’industrie du divertissement culinaire pour faire l’éducation alimentaire de ceux qui ont besoin d’aide pour survivre dans notre jungle obésogène. Et, également, améliorer les droits des femmes en Irlande pour tout ce qui touche la procréation.

     

    Vous êtes féministe ?
    Oui, bien sûr! C’est toujours très important. Ne nous faisons pas d’illusions: malgré tous les débats, tous les efforts de changement, le pouvoir reste entre les mains des hommes, les salaires ne sont toujours pas égaux et, dans bien des endroits sur la planète, les droits et libertés des femmes en matière de procréation ne sont toujours pas garantis, ou sont même inexistants. En Irlande, c’est différent. Il y a une tradition matriarcale qui facilite l’accès des femmes à certains postes de pouvoir politique et économique, mais en même temps, des droits fondamentaux sont bafoués dans le domaine de la contraception.

     

    J’élève mes trois garçons pour qu’ils soient le plus féministes possible et ma fille pour qu’elle soit forte et ait confiance en elle. Mais, comme célibataire de 49 ans, féministe, mère de quatre enfants, je me sens parfois un peu seule dans mes luttes. Surtout en France, où les attentes envers les femmes sont très précises. Il faut être attirante d’une manière précise, et exprimer ses désirs et ses besoins de façon presque codifiée, dictée par les goûts – archaïques et conformistes – des hommes.

     

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    Trish Deseine admire les femmes fortes comme l’écrivaine Maya Angelou, disparue en mai dernier. Et a un faible pour les cocktails du Lockhart, à Londres.

     

    Votre femme politique préférée ?


    Je n’en ai pas. Je préfère les écrivaines et les militantes, comme Gloria Steinem, Maya Angelou ou Caitlin Moran. Et je crois qu’on peut changer beaucoup de choses par l’art et la culture.

     

    Quel personnage de télé ou de film aimeriez-vous être ?


    Le personnage de Sarah Woodruff dans La maîtresse du lieutenant français (interprété par Meryl Streep). Elle veut indépendance et amour, et les trouve. Mais actuellement, je me sens plutôt comme Ruth, la mère, dans Six pieds sous terre, qui essaie tant bien que mal de réinventer sa vie alors que ses enfants quittent la maison.

     

    Vous êtes seule chez vous et vous décidez de vous gâter. Vous cuisinez quoi ?


    Je mets une bouteille de champagne Selosse au froid et, en attendant qu’il devienne bien frais, je me prépare des pâtes extracrémeuses avec des produits de la Maison de la Truffe, et beaucoup de pecorino. Ou alors du mascarpone, du pecorino, du zeste de citron et du bon poivre noir. Rien de tout ça ne serait à partager, à moins que ce ne soit au lit, évidemment…

     

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    Petit-déjeuner parfait ?


    Le petit-déjeuner irlandais. Toast de soda bread avec beaucoup de beurre irlandais et de marmelade de pamplemousse rose Filligans, avec le café le meilleur possible – parfois un défi là-bas.

     

    Votre apéro ?


    Mon obsession du moment est un cocktail de prosecco, mescal et sirop d’agave que j’ai goûté au Lockhart, à Londres. Ou encore, puisque je viens d’emménager dans le Languedoc, je dirais un verre de rosé avec des glaçons ou un bon vieux pastis. Mais je n’arrive pas à suivre le rythme local de deux par jour !

     

    Votre look signature ?


    Je ne suis pas la mode. Je porte du 16, et c’est difficile de trouver des vêtements intéressants dans ma taille si je ne veux pas paraître d’une autre époque. Je porte beaucoup de noir, parfois du blanc et du gris. J’investis plutôt dans de bonnes coupes de cheveux, des bijoux, des manteaux, des sous-vêtements, des chaussures, des sacs à main…

     

    Des vêtements qui vous font rêver ?


    Pyjama de soie, pull de cachemire, vêtements en lin irlandais.

     

    Votre parfum ?


    Jour d’Hermès.

     

    Vos parfums préférés dans la nature ?


    Le cou chaud et humide d’un cheval ou le museau d’une vache.

     

    Pour se gâter, Trish Deseine se prépare des pâtes extracrémeuses avec des produits de la Maison de la Truffe.

     

    Pour se gâter, Trish Deseine se prépare des pâtes extracrémeuses avec des produits de la Maison de la Truffe.

     

    Les vacances parfaites ?


    Une villa perdue dans les collines du comté de Donegal en Irlande. J’y étais cet été.

     

    J’aime mon travail parce que…


    J’aime voir une idée qui m’habite devenir réalité. Mais je déteste être en retard pour les dates de tombée.

     

    J’aime être mère parce que…


    J’adore le sens de l’humour de mes enfants. Ils sont vraiment très drôles. Mais que c’est difficile de les voir souffrir ! Trop pénible.

     

    La tâche domestique que vous détestez le plus ?


    Repasser. Je refuse de le faire.

     

    La maison idéale ?


    En bois, vitrée du plancher au plafond du côté qui offre une vue, isolée quelque part dans les collines du Donegal, près d’une plage.

     

    Êtes-vous parfois découragée par le désordre dans la maison ?


    Seulement 50 fois par jour !

     

    Chirurgie plastique, Botox… Vous en pensez quoi ?


    J’ai presque 50 ans, et ces techniques ont beaucoup évolué, donc je ne dis pas non. Mais je vais d’abord investir dans ma nouvelle maison !

     

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    Rencontre avec Geneviève Coutu,

    négociatrice en bourse

     

    L’une des rares femmes traders au Québec.

     

    Par Marie-Hélène Proulx du magazine Chatelaine

     

    Négociatrice en bourse chez Pavilion Global Markets, à  Montréal, 38 ans, maman de deux garçons de 7 et 8 ans.

     

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    Geneviève Coutu (Photo : Maude Chauvin)

     

    Mon style

    Du noir, du blanc, du marine. Dans mon milieu, on s’accorde peu de fantaisie côté vêtements… Pour ne pas faire ennuyeux, je mise sur de belles coupes féminines. J’adore la griffe Ports, qui a créé cette robe noire, et puis Escada et Hugo Boss. J’ose aussi les bijoux massifs !

     

    Mon équilibre

    Je carbure à l’adrénaline au travail. Il faut absorber quantité d’informations hyper vite, prendre les bonnes décisions… J’adore ça. Mais impossible de sortir le midi ! J’ai les yeux rivés sur huit écrans, à surveiller les marchés boursiers. Vive les gouttes oculaires ! Par contre, mes soirées et mes week-ends m’appartiennent. Mon exutoire : cuisiner pour mon monde. Chaque semaine, je reçois des amis au chalet.

     

    Mon meilleur conseil

    Si une jeune fille voulait pratiquer mon métier – et j’espère qu’il y en aura beaucoup ! –, je lui diraisd’avoir confiance en ses capacités. Même si nous sommes peu nombreuses, nous avons notre place. Nous sommes aussi performantes que les hommes.

     

    Mon défi

    Apprendre à accepter que tout n’est pas parfait. Ni au travail ni à la maison. Il y a toujours un lit fait de travers, une couette qui dépasse, un dossier que j’aurais pu mieux gérer. On perd beaucoup de temps à ruminer tout ça. Du temps qui pourrait être investi de manière plus productive.

     

    Ma routine beauté

    Mes cheveux sont toujours attachés. Comme j’ai 10 minutes top chrono pour faire ma mise en beauté le matin avant d’aller conduire les enfants à l’école, c’est mon truc pour avoir l’air impeccable, quelle que soit la température.

     

    Je ne pars pas sans…

    Mon sac Louis Vuitton. C’est un symbole. Je l’ai acheté à la fin de mon dernier congé de maternité, sachant que je retournais au travail pour de bon, que je n’aurais pas d’autres enfants. Ça marquait le début d’une autre phase de ma carrière.

     

    Je suis…

    L’une des rares femmes traders au Québec. Même si on travaille pour des sociétés compétitrices, les autres traders et moi, on se fait parfois des week-ends de filles.

     

    Société:  Geneviève Coutu, négociatrice en bourse

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    Une nuit avec Julie Snyder

     

    Rencontre en deux temps avec la femme la plus puissante de la télé québécoise.

     

    Par Jean-Yves Girard du Magazine Chatelaine

     

     

    Une rencontre en deux temps : j’ai suivi la démone telle une ombre lors d’un (très long) tournage de l’émission Le banquier, puis je l’ai interviewée pensant ses vacances. Et elle s’est livrée comme rarement.

     

    Photo : Jean-Claude Lussier

    Photo : Jean-Claude Lussier

     

     18 h  
    Quelqu’un m’attend à la réception de TVA, portable vissé à l’oreille. Louis Noël
    est directeur des communications aux Productions J, la boîte de Julie Snyder. Au bout de 17 ans, il est bien plus que ça : ami loyal, bras droit, bras gauche, protecteur, conseiller. « Julie m’écoute, confie Louis du bout des lèvres (cet homme est une tombe). Mais elle fait à sa tête. »
    J’arrive dans la loge, miniruche bourdonnante : coiffeuse, maquilleur, assistante de la styliste, adjointe de direction. Et Julie, bien sûr, jambes fines juchées sur talons (Louboutin), taille de guêpe cintrée dans une robe blanche courte (Balenciaga). La femme – possiblement – la plus puissante de la télé québécoise joue l’hôtesse et me présente avec le bagou craquant qu’on lui connaît. Ce soir, par contre, elle est « seulement » animatrice : Le banquier est une production de TVA.

     18 h 30  
    Julie tue le temps assise dans un fauteuil et feuillette la version 2014 du guide touristique des îles de la Madeleine en poussant des oh ! et des ah ! Pourtant, le bel archipel, elle le connaît par cœur depuis que Pierre-Karl Péladeau le lui a fait découvrir presque de force. « Je ne voulais pas y aller. C’était un cadeau d’anniversaire, et je voulais plutôt un bracelet. » Elle a eu les deux, le voyage et le bijou. « Et je suis tombée amoureuse des Îles. » Elle y sera dans trois jours, pour un mois de vacances. Méritées. Les dernières semaines, le tournage de L’été indien, talk-show qu’elle coproduit avec la France et coanime avec Michel Drucker, l’a mise sur les rotules. Et il y a les deux Banquier qu’elle doit enregistrer avant de partir. « Je suis brûlée. »

     18 h 35  
    Un jeune homme entre, suivi d’un caméraman. « C’est Martin Proulx, mon avocat à perruques. » Le diplômé en droit, attaché aux Productions J, est aussi une vedette du web, où il fait des imitations déjantées de Marie-Mai, d’Anne-Marie Dussault et de Céline Dion. Julie a flairé le talent et produit ses capsules avec Marie-France Bazzo pour le site de Télé-Québec (Le
    16 heures, première le 6 octobre). Par amitié, elle a accepté d’enregistrer un topo diffusé au cours d’un spectacle pendant la semaine de la Fierté (gaie). « Bonjour les beautés ! Je ne peux pas être avec vous, mais j’ai trouvé un bouche-trou, Céline Dion ! » (Parodiée par Martin lui-même.) Louis Noël a des réserves sur le mot bouche-trou : et si la star s’offusquait d’être cataloguée ainsi ? Julie hésite, puis tranche : « Céline a de l’humour, elle va en rire. »

     18 h 50  
    Il y a du retard pour le tournage, qui devait commencer vers 20 h et se terminer autour de minuit. On parle maintenant de 2 h du matin, minimum. C’est un Banquier spécial La voix, il y a des numéros chantés et des surprises, les répétitions prennent du temps. Julie comprend qu’elle n’ira pas dormir à son chalet des Cantons-de-l’Est, où sont ses enfants : elle a un tournage tôt demain. Elle enlève sa robe, passe un peignoir blanc. La soirée sera longue.

     19 h  
    L’animatrice apprend le nom des beautés dans l’ordre. Sa mémoire est phénoménale. Ce soir, exit les mannequins : les 26 valises seront tenues par 26 chanteurs et chanteuses qui ont concouru à La voix. Son adjointe la fait répéter. Entrée à 20 ans aux Productions J comme réceptionniste, Marie-Pier en a aujourd’hui 27, dont 5 dans la bulle de la boss. Qui, à l’évidence, sait s’entourer de gens zen, compétents et dévoués. « Je n’ai pas de vie. Julie dit souvent que c’est elle qui a trouvé mon chum. Dans un sens, elle a raison : je serais encore célibataire si je n’avais pas rencontré

     19 h 25  
    Une visiteuse vient faire un coucou :
    c’est France Lauzière, vice-présidente, Programmation, au Groupe TVA. Julie lui glisse qu’elle aimerait qu’on fasse moins de retouches dans les publicités du Banquier. « J’ai des rides sous les yeux, c’est normal. » J’en profite pour faire une petite interview de corridor : « France, entre vous et moi, êtes-vous la patronne de Julie ? » Sourire. « Non, Julie est une grande complice du réseau. » Mais encore ? « Julie est exigeante, oui, mais encore plus envers elle-même qu’envers les autres. Et quand on lui dit non, alors la négociation commence. » Rires.

     19 h 40  
    Marie-Pier me demande ce que je veux manger, Mannica, la chef personnelle de Julie, est là pour ça. « Elle est formidable. Dans son contrat pour L’été indien, Stromae a demandé que Mannica cuisine pour lui. » (Il avait goûté à ses plats quand il était venu participer à Star Académie.) Allez, soit, si Stromae aime Mannica… D’accord pour une omelette ?

     19 h 45  
    Tout passe par le téléphone de Marie-Pier, parfois même les appels des enfants de Julie. Au bout du fil, Romy, dite Romynette. « Vous vous êtes amusés aux glissades d’eau ? » s’informe la maman à sa fille en ajoutant, du même souffle, qu’elle doit se coucher tôt pour être en forme samedi « parce qu’on part en vacances ». Romy, cinq ans, c’est une miniJulie, tout le monde me l’a confirmé en souriant. Quant à Thomas, neuf ans, en digne fils de Pierre-Karl Péladeau, il aime les chiffres. « Il m’a demandé si je faisais de l’argent avec L’été indien, dit Julie. Je lui ai expliqué que non, parce qu’on tournait dehors, qu’il y a eu des jours de pluie et des retards. Et ensuite il m’a demandé si j’en faisais avec Le banquier. Là, Thomas, oui. »

    20 h  
    Arrivée de l’omelette aux légumes. Verdict : quand Mannica ouvrira son resto – un projet –, Stromae et moi, nous serons là.

     20 h 10  
    Quelqu’un vient chercher Julie pour l’emmener dans une autre pièce où l’attendent la concurrente et ses proches. Plus qu’une prérencontre de courtoisie, c’est un cours en accéléré sur la gestion du stress et le tournage d’une émission de télé. « Juliiie ! Je capote, je ne peux pas croire que c’est toi. Je ne veux pas pleurer… T’es belle, t’es un modèle pour moi, on est pareilles toutes les deux, moi aussi je suis folle… » Julie, en peignoir, est d’une gentillesse et d’une simplicité rassurantes. Elle fait des blagues, dédramatise. « Si tu te trompes, t’arrêtes et tu recommences, on arrangera ça au montage, ça va être parfait. »

     21 h 15  
    Grosse réunion de production dans la loge d’à côté : Stéphane Laporte, concepteur, mène la conversation avec à sa droite Julie, toujours en peignoir blanc et babouches. Autour : réalisateur, assistants, recherchistes, monteur, coordonnateur de la con-currente, productrice. Il y a du retard et de la tension dans l’air. On parle du déroulement de l’émission, des invités spéciaux, on prévoit le « moment émotif » au cinquième bloc. Qu’est-ce ? Réponse le 12 octobre, jour de diffusion de ce Banquier.

     21 h 35  
    Retouche maquillage-coiffure pendant que Julie, dans sa chaise, répète ses textes. Prend un pot de beurre d’amandes bio et en mange à la petite cuillère. « Je tiens avec ça, du yogourt et du café. »

     21 h 50  
    La régie. Un mur d’écrans de télé, un réalisateur, plein de gens qui ont une raison d’être là. « Sans joke, dit Julie à tout le monde et à personne, on est en retard, ça n’a pas d’allure. J’ai mal à la tête. » Encore en peignoir, elle tient un conciliabule avec Stéphane derrière la console. Complices depuis 20 ans, ces deux-là se comprennent à demi-mots. « Bon, je vais aller m’habiller, on n’est pas sortis d’ici. Ça sent le temps supplémentaire », dit-elle en croisant un technicien. Du studio tout près s’échappe une rumeur : la foule tape dans ses mains. Comme un cœur qui bat.

    22 h 10  
    Julie revient habillée, coiffée, maquillée. Parfaite. Avale un café que lui apporte Mannica. « On y va, Daniel, dit-elle au réalisateur, let’s go. » Je la suis dans une espèce d’antichambre, séparée du plateau de tournage par une mince cloison. La concurrente arrive. « T’es belle », dit l’animatrice. « C’est toi qui es belle », répond l’autre, visiblement nerveuse. « On va avoir du fun, tu vas t’amuser. J’espère que tu auras un gros montant. »

     22 h 25
    De la régie, j’entends dans le studio la foule hurler : « Cinq, quatre, trois, deux, un ! » Début de l’enregistrement. Daniel, le réalisateur, offre un spectacle fascinant. Comme Kent Nagano, il se sert de ses bras et de son corps pour donner ses instructions aux virtuoses de la caméra : « Mixe à la DEUX, allez à la SIX, va à la QUATRE, reviens à la UUUUN… »

    22 h 40  
    Julie vient dans la régie mais reste debout – sa robe blanche se fripe rien qu’à la regarder. Elle ne pourra pas s’asseoir de la nuit, sauf sur le bout d’un banc et d’une fesse, et encore. Elle revoit ses notes avec Marie-Pier, parle de la concurrente avec Stéphane (« Elle est bonne en mosus », dit-il).

     

     
     
     
    Photo prise à minuit, deux jours plus tard, exclusivement pour nous. De gauche à droite :  Louis Noël – Productions J, Marie-Pier Lefebvre, adjointe – Productions J, Esther Teman, productrice déléguée – Le banquier, Julie Snyder, Daniel Rancourt – réalisateur - Le banquier.

    Photo prise à minuit, deux jours plus tard, exclusivement pour nous. De gauche à droite :
    Louis Noël – Productions J, Marie-Pier Lefebvre, adjointe – Productions J, Esther Teman, productrice déléguée – Le banquier, Julie Snyder, Daniel Rancourt – réalisateur – Le banquier.

     

     23 h 15  
    Pauses. Il y en aura bien d’autres. Pourquoi ? Parce que l’offre du banquier est refusée, ou une performance doit être reprise, ou une erreur irrécupérable au montage a été commise, ou Dieu sait quoi qui survient pendant le tournage d’une émission.

    1 h 20  
    Irruption dans la régie de trois invités-surprises.

    1h 50
    « J’ai pu d’énergie », dit Julie, entrant dans la régie. « Amuse-toi », l’encourage Stéphane.

    2 h 20  
    Je cogne des clous et dis à Louis Noël que je vais partir. Quand Julie entre en régie, Louis l’informe : « On va perdre un joueur ». Julie : « Jean-Yves, non, non, tu restes, le concept, c’est une nuit avec moi et la nuit continue. » Je me rassois. Julie retourne en studio sans avoir bu son café. Il est sur la table, tiède. Personne ne me regarde, je l’enfile.

    2 h 30  
    Reprise du tournage, la belle a un sursaut d’adrénaline. Diantre, d’où vient-il ? Et dire qu’elle n’a même pas bu son dernier café.

    3 h 05  
    Dernière pause.

    3 h 29  
    Fin du tournage. Confettis, musique, Julie danse sur les meubles. Séance d’autographes et de photos. Une foule l’entoure : elle dira oui à tout le monde.

    3 h 50
    L’animatrice quitte le studio pour sa loge, me voit : « Oh, t’es encore là ! » Julie m’avait oublié. Elle envoie valser ses Louboutin, passe dans une pièce, enlève sa robe – « Je suis tellement tannée de la voir que je pense que je ne la mettrai plus jamais ».

     4 h  
    Julie insiste pour que Louis prenne son VUS hybride et me reconduise chez moi avec mon vélo. On se dit au revoir, elle part avec maquilleur et adjointe. Planté sur le trottoir devant TVA, j’attends le directeur des communications et je vois une auto arrêter au coin de la rue. Marie-Pier en sort et vient vers moi. « Julie veut être sûre que Louis va venir te chercher. » J’insiste : « Va te coucher, c’est pas nécessaire. » « Non, dit-elle, Julie ne partira pas tant que Louis ne sera pas arrivé. » Louis arrive, Marie-Pier retourne à l’auto, qui disparaît dans la nuit.

     

    Photo par Jean-Claude Lussier.

    Photo : Jean-Claude Lussier.

     

    UNE SEMAINE PLUS TARD

    On s’est parlé au téléphone. Longuement. Rieuse, détendue, adorable, enfin sur ces Îles qu’elle a adoptées, Julie était assise à une table de pique-nique et un peu sur un nuage. J’ai vite compris pourquoi…

    Julie : As-tu survécu à ta nuit avec moi ?

    Jean-Yves : Oui, mais tout juste. [Elle éclate de rire.]

    Julie : Moi, je suis encore brûlée, brûlée. Le lendemain, j’ai tourné une promo pour Le banquier jusqu’à 2 h du matin et, le surlendemain, on a fait un autre enregistrement, qui s’est terminé à 4 h, un record. Quand je suis rentrée chez moi, le soleil se levait. J’ai fait les valises des enfants de 5 h à 7 h, dormi de 7 h à 9 h, je me suis levée, j’ai préparé mes choses et on est partis aux Îles. J’étais un peu zombie.

    JY : T’es en vacances, mais tu travailles quand même un peu…

    Julie : Oui, on a installé une salle de montage pour L’été indien, sinon pas de vacances. L’hiver dernier, si je n’avais pas eu ce gros show à préparer, avec ce qui s’est passé dans ma vie personnelle… [elle cherche ses mots]. Je n’avais plus envie de travailler, d’ailleurs j’ai tout arrêté pendant plusieurs semaines. Par contre, j’avais des engagements envers France 2 et TV5 Monde, je ne pouvais pas me défiler. Ça m’a tenue en vie professionnellement, c’est sûr. Et d’avoir la confiance de ces partenaires, qui n’ont rien à voir avec Québecor, ça m’a redonné confiance en moi. Je suis pas mal plus insécure qu’on peut le penser…

    JY : Peux-tu me donner un bilan de santé de ton couple, près de trois mois après ton passage remarqué à l’émission de Paul Arcand ?

    Julie : À la fin de mai, on était engagés dans un processus de réconciliation, sans savoir si on allait y arriver ou pas. Et aujourd’hui, je pense qu’on y est arrivés. Par contre, Pierre-Karl et moi, on veut continuer ce qu’on a commencé, c’est­-à-dire une médiation dirigée par une psychanalyste, docteure en psychologie, extraordinaire. Pierre-Karl a eu cette ouverture que très peu d’hommes d’affaires, ou d’hommes tout court, manifestent. Plein de femmes, je te le jure, m’ont dit que si lui, un « mâle testostérone » et tout le kit, dit publiquement qu’il suit une thérapie de couple, leur chum (ou leur mari) en est capable aussi.

    JY : Il est avec toi, aux Îles ?

    Julie : Oui, on a repris la vie commune. On l’a dit aux enfants : « Papa et maman se sont réconciliés. » Ils sont très contents. Mais je voulais qu’on revienne ensemble parce qu’on s’aime profondément, pas pour Thomas et Romy. On vit même comme une deuxième passion. Comme si on se redécouvrait… Je n’aurais jamais pensé ça.

    JY : As-tu appris quelque chose sur toi ?

    Julie : Énormément. J’ai pris conscience de choses que je ne voyais pas. Ça m’a apporté un apaisement, parce que je ne suis pas naturellement une personne apaisée. Et je suis devenue, de façon homéopathique, un peu plus reposante pour les gens. Je veux continuer à travailler sur moi, je souhaite ça à tout le monde. Paul Valéry disait : « Pour entrer en soi, il faut être armé jusqu’aux dents. » C’est vrai, et c’est sûrement la plus belle bataille, la plus essentielle.

    JY : Pierre-Karl et toi, vous n’êtes pas mariés. Allez-vous le faire ?

    Julie : Ça pourrait arriver [rire de démone]. On ne sait jamais. Je pense qu’on n’a jamais été aussi bien ensemble. Je ne dis pas que c’est facile tous les jours. Il faut beaucoup de maturité, d’ouverture d’esprit.

    JY : Tu te vois première dame ?

    Julie : Mon Dieu, je commence juste à me voir revenue avec Pierre-Karl, fais-moi pas sauter d’étape ! Je suis passée du processus de réconciliation à « On est ensemble ». Pour l’instant, ça s’arrête là. Où je me vois, c’est première dans le cœur de Pierre-Karl. Dans le mien, il est l’homme de ma vie.

     

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    La rupture, une affaire de femmes

     

    Deux fois sur trois, c’est madame qui part.

    11 mar. 2014 Par Louise Gendron du magazine Chatelaine
    Photo: Elisa Lazo de Valdez/Corbis

    Photo: Elisa Lazo de Valdez/Corbis

     

    Monsieur s’en va refaire sa vie. Avec une femme plus jeune, évidemment. Ça, c’est le cliché. La réalité, c’est que, deux fois sur trois, c’est elle qui part. Et ne le regrette pas. Même si souvent elle en paie le prix.

    C’est vrai depuis plus de 100 ans, paraît-il. Au Canada, aux États-Unis, en France, en Grande-Bretagne et un peu partout en Occident, ce sont les femmes qui, en grande majorité, décident de rompre.

    Des études américaines parlent de 7 fois sur 10. Et même de 9 sur 10 chez les couples qui ont fréquenté l’université.

    Ici ? Très difficile d’avoir des statistiques. Entre autres parce que les Québécois sont les champions mondiaux de l’union de fait. Ce qui permet d’économiser une fortune en cadeaux de mariage. Mais ne facilite pas la cartographie de nos vies amoureuses. Vous auriez pu vous mettre en ménage ou vous séparer trois fois au cours des dernières années sans que Statistique Canada en entende jamais parler.

    D’après une étude effectuée à la fin des années 1990 dans les régions de Montréal et des Basses-Laurentides, dans 7 cas sur 10, la femme avait recours au tribunal, soit pour une demande en divorce ou pour régler un cas de garde ou de pension alimentaire. C’est ce que rapporte Céline Le Bourdais, démographe à l’Université McGill. Évaluation confirmée par Me Anne-France Goldwater, qui plaide des causes de divorce et de séparation depuis plus de 30 ans.

    Et pourquoi partent-elles ? Le sociologue français François de Singly s’est longuement penché sur la question. « Les femmes attendent davantage d’une relation », écrit-il dans Séparée – Vivre l’expérience de la rupture (Armand Colin). Alors que monsieur, une fois installé dans une relation stable, peut souvent se contenter du confort de la routine. Peut-être parce que sa relation de couple s’ajoute aux autres facettes de sa vie sociale et professionnelle. Alors que, pour une femme, le couple devient souvent l’essence de son existence, en colore tous les aspects.

    « Les femmes veulent se sentir reconnues, poursuit de Singly, avoir l’espace pour se réaliser en tant que personnes. Et se sentir en équipe avec un partenaire qui les apprécie pour elles-mêmes. »

    Bref, pour elles, il y a le « je » et le « nous ». Et les deux sont aussi importants.

    Mais pas au même titre pour tout le monde. Le sociologue distingue trois formes de couples. Une où le « nous » prédomine. Une qui privilégie le « je ». Et une autre où les deux perspectives sont également importantes.

    Celles qui ont privilégié le « nous » partent le jour où elles comprennent qu’elles ont davantage investi que leur conjoint, qui, lui, a conservé son identité et son individualité. C’est le cas de Véronique (tous les noms mentionnés dans ce reportage sont fictifs), qui avait énormément misé sur le couple qu’elle formait avec Tristan depuis l’âge de 16 ans (il l’avait accompagnée à son bal de finissants !). Belle maison, niveau de vie confortable, tout semblait idéal.

    Elle travaillait dans l’entreprise de son mari, jusqu’à ce que la naissance d’un enfant handicapé l’oblige à rester à la maison. Malgré les rendez-vous chez le médecin, l’ergothérapeute et les séances de physiothérapie, elle restait l’épouse parfaite qui attend son mari chaque soir avec un repas au four et une bouteille de vin sur la table. Qui donne des réceptions raffinées (un vin différent pour chaque service, dans un verre différent, lavé à la main s’il vous plaît).

    « Il ne s’intéressait pas aux enfants, dit-elle. Il vidait une bouteille de rouge tous les soirs en parlant de son travail et de sa vie. J’écoutais. Il contrôlait tout, jusqu’au contenu du panier à lessive ! J’avais l’estime de moi à 1 000 degrés sous zéro. »

    Au bout de 20 ans, elle en a eu assez. Ils ont divorcé. C’était il y a huit ans. Depuis, Véronique a changé de région, est retournée aux études, a repris le contrôle de sa vie. Le bonheur ? « Mon deuil est fait, dit-elle. Et je n’ai aucun regret. Je ne suis pas complètement heureuse parce que je n’ai pas d’amoureux. Mais je ne me mettrai pas en couple pour éviter la solitude. »

    Selon l’Institut Vanier de la famille, 84 % des femmes (contre 73 % des hommes) affirment que le divorce ou la séparation a été émotionnellement difficile. Et 72 % d’entre elles (comparativement à 52 % des hommes) parlent de l’impact financier négatif de la rupture. Bref, la séparation est plus douloureuse pour elles. Pourtant, elles sont plus nombreuses qu’eux (90 % comparativement à 80 %) à se dire plus heureuses après la rupture.

    « J’aurais dû partir bien avant. » Mélanie a quitté son conjoint après 17 ans de vie commune. « Il était un père responsable pour nos deux enfants, raconte-t-elle. Mais pour le reste, il vivait comme un célibataire. Pas de projets, pas de complicité, pas d’intimité. On se chicanait tout le temps. »

    Ils ont entrepris une thérapie de couple, puis une deuxième. En vain. « Il souhaitait qu’on reste ensemble, mais il ne voulait rien changer dans la relation… »

    Mélanie a longtemps hésité à imposer une séparation à ses enfants. « Pourtant, je n’étais bien ni dans mon boulot, ni dans ma vie, dit-elle. Ça ne pouvait pas continuer. »

    Trois ans plus tard, les enfants sont en garde partagée, elle a vendu son commerce, a l’impression de s’être retrouvée, d’être en paix dans sa nouvelle vie. Et elle ne regrette rien. « Au moins, nous avons réussi notre séparation. »

     

    Société:  La rupture, une affaire de femmes

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