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    Un masque de la tribu des Hopis, exposé à Paris le 5 avril 2013 (Photo Miguel Medina/AFP)

    Vendredi 12 avril 2013, 18h00
    Des masques Hopis se sont arrachés vendredi aux enchères à Drouot à Paris pour plus de 900.000 euros au total, en dépit des suppliques de la tribu amérindienne d'Arizona qui réclamait la restitution de ces objets sacrés et a tenté d'en stopper la vente par voie de justice.

    "C'est une honte ! It's a shame !", s'est écriée une femme alors que la vente, organisée par la maison Neret-Minet Tessier & Sarrou, débutait dans une salle pleine à craquer, surchauffée, décorée de peintures tribales et de la photo géante d'un grand chef Hopi datant de 1935.

    Les 70 masques "Katsinam" provenant d'une collection privée estimée entre 600.000 et 800.000 euros sont en bois et en cuir, souvent très colorés, parfois sertis de plumes, certains représentant des animaux. Ils incarnent l'esprit des ancêtres pour les Hopis.

    Ils se sont arrachés pour un montant total de 931.435 euros (frais compris) chez Drouot, contrairement aux récentes ventes d'art précolombien "fragilisées par les demandes de pays comme le Mexique ou le Pérou qui réclament la restitution des oeuvres d'art", selon une experte.

    Un masque de la tribu des Hopis, exposé à Paris le 5 avril 2013 (Photo Miguel Medina/AFP)

    Les acheteurs, venus très nombreux chez Drouot, n'ont pas hésité à enchérir, tendant leurs cartes de crédit, leur chéquier.

    Un masque heaume en bois noir et turquoise doté de plumes noires déployées, baptisé mère-corbeau, a atteint 198.272 euros (avec les frais).

    Dans la salle, des visages attristés, comme celui de Jean-Patrick Razon, à la tête de Survival International France, une association de défense des peuples indigènes, à l'origine, avec les Hopis, de la procédure judiciaire.

    L'ambassadeur des Etats-Unis, Charles H. Rivkin a twitté en direct être "attristé d'apprendre que des objets culturels sacrés #Hopis soient mis aux enchères aujourd'hui". L'acteur Robert Redford a quant à lui jugé la vente "sacrilège" dans une lettre demandant la restitution des masques.

    "Comme vendre la Torah"

    Un masque de la tribu des Hopis, exposé à Paris le 5 avril 2013 (Photo Miguel Medina/AFP)

    "Ce ne sont pas de simples objets d'art, nous croyons qu'ils renferment l'esprit. C'est comme pour les Juifs, si quelqu'un essayait de vendre la Torah. On ressent la même chose pour ces Katsinam", a déploré Bo Lomahquahu, 25 ans, membre des Hopis et étudiant en lettres à Paris.

    "Ce sont vraiment des masques très importants que nous n'exposons pas en public, qui servent à nos rites de passage. Ils ne sont pas destinés aux musées", a expliqué le jeune homme, dont le nom signifie "aigle merveilleux".

    A ses côtés, un défenseur du Comité de solidarité avec les Indiens des Amériques exhibait un drapeau noir, rouge, jaune et blanc, "le drapeau du renouveau des nations indiennes".

    Parmi les acheteurs, Alain Giraud, qui vient de traduire de l'anglais un livre écrit par le chanteur Joe Dassin (1938-1980) "Cadeau pour Dorothy" (Flammarion, 2013).

    Joe Dassin, a-t-il expliqué à l'AFP, était diplômé d'ethnologie aux Etats-Unis dans les années 60 et avait été adopté par une tribu de Hopis.

    En accord avec la soeur du chanteur décédé, la Fondation Joe Dassin a acquis l'un des premiers masques à la vente, une "tête de boue" des années 1910-1920 partie à 3.700 euros, qu'elle compte restituer à la tribu.

    A midi, un juge du tribunal des référés avait maintenu la vente, estimant que ces masques avaient certes une "valeur sacrée" pour les Hopis, mais que cela n'en faisait pas des "biens incessibles".

    Dénonçant une "vision trop restrictive et mal fondée du droit", l'avocat français qui défendait les Hopis, Me Pierre Servan-Schreiber, s'est félicité que cette affaire ait au moins eu le mérite de montrer une "très forte mobilisation" en faveur des Hopis.

    "C'est le début d'une réelle prise de conscience de l'opinion publique qui comprend que tout ne peut pas être acheté ou vendu, surtout pas quelque chose de si intime et sacré. Peut-être que dans dix ans nous gagnerons", a-t-il dit.