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    Mais pourquoi s'embrasse-t-on sur les joues pour se saluer ?

     

     

     

    En France, s'embrasser sur les joues pour saluer une personne est un geste anodin. Dans d'autres pays, cette tradition est souvent mal comprise. Mais pourquoi ? Des experts nous expliquent la portée de ce geste routinier.

     

    C’est un geste tellement routinier qu’il en devient presque anodin. Pourtant, on ne fait pas la bise de la même manière partout. Dans la Sarthe, par exemple, on se fait la bise quatre fois. Alors que dans le Finistère, un bisou sur la joue suffit, selon le vote des internautes du site Combiendebises.

     

    Outre le nombre de bisous, il y a aussi l’ordre des joues. Dans la partie nord de la France, on a tendance à tendre la joue droite avant la gauche. Tout l’inverse de l’Alsace et la région niçoise. Des différentes versions de la bise existent donc en fonction des régions. Néanmoins, une chose est certaine : la bise est une tradition française. Mais pourquoi ?

     

    "Il y a une démocratisation du baiser"

    "C'est d'abord un signe d'égalité : on se fait face", explique le philosophe Gérald Cahen, cité par L’Express. "Ce qui est frappant aujourd'hui, c'est que tout le monde embrasse tout le monde. A la génération de nos parents ou de nos grands-parents, on n'embrassait pas un adulte à la fin du premier repas pris ensemble. Il y a une démocratisation du baiser, dans une société où on a besoin de recréer des contacts qui manquent", poursuit Gérald Cahen.

     

    Pour David Breton, spécialiste d’anthropologie, il ne faut pas chercher midi à quatorze heures. "La bise est l'occasion de montrer son affection, son amitié ou encore son respect", estime-t-il. Tout simplement. Néanmoins, la bise est plus prisée chez les jeunes. "Les enfants sont l'objet d'innombrables baisers de la part de tous", précise le sociologue. Dans le monde adulte, le rituel est moins fréquent. Notamment en raison du monde professionnel : il est plus fréquent de se serrer la main dans les entreprises.

     

    "Je ne te connais pas, mais vivement qu'on se connaisse"

    Au caractère sociologique de la question s’ajoute un phénomène physique. Faire la bise, c’est aussi une opportunité rare de toucher le visage d’autrui. "Ce qui est intéressant avec la bise c'est qu'elle prend pour support le visage, généralement peu touché par les interactions entre individus. Et la joue, partie du corps sans grand intérêt, devient le siège visible du sentiment", analyse David Breton.

     

    Difficile de trouver des ondes négatives en faisant la bise. Suzanne Lallemand, anthropologue au CNRS spécialiste des familles, estime que c'est le moyen de faire connaissance, surtout entre adolescents où la socialisation fait parfois peur. "Elle (la bise, ndlr) signifie : 'Je ne te connais pas, mais vivement qu'on se connaisse'''.

     

    Pour ceux qui pensent que la bise est seulement adressée à une femme, détrompez-vous. La tradition grandit de plus en plus entre les hommes, depuis les années 1960-1970 et l'époque dorée des féministes.

     

    "Ce sont ces trentenaires qui ont le plus intégré les transformations issues des luttes féministes des années 1960-1970", indique, dans Le Parisien, la psychosociologue Dominique Picard. "Depuis que les femmes ont obtenu plus d’égalité socioprofessionnelle, les hommes ont moins besoin d’afficher leurs différences. Ils peuvent s’épiler ou se mettre de l’anti-cernes sans tomber de leur trône", poursuit-elle. 

     

    Une tradition qui remonterait à la Bible

    "Jusqu’à récemment, il ne me serait pas venu à l’esprit d’embrasser mes amis", avoue Gérald Cahen, auteur de Le Baiser - Premières leçons d’amour. "Je ne fais la bise à un ami de 60 ans que depuis quelques années ! On se sentait bêtes avec notre poignée de main désuète", s'amuse l'écrivain dans Le Parisien.

     

    La bise ne date pas de la dernière pluie. Cette façon de se saluer remonterait en réalité à la Bible. "Dès que Laban eut entendu parler de Jacob, fils de sa sœur, il courut au-devant de lui, il l'embrassa et le baisa, et il le fit venir dans sa maison", peut-on lire dans La Genèse, chapitre 29 verset 13.

     

    Société 2:  Mais pourquoi s'embrasse-t-on sur les joues pour se saluer ?

     

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    Suis-je prisonnière de l’algorithme de Facebook?

     

     

    «J’ai l’impression de vivre dans une bulle, un univers parallèle où tout le monde pense pareil et dit la même chose.» Geneviève Pettersen se demande si l’algorithme de Facebook n’est pas en train de modifier notre manière de comprendre le monde.

     


    Geneviève Pettersen du magazine Châtelaine

     

     

    Si comme moi vous naviguez sur les médias sociaux, vous devez savoir que ce qui gouverne cette mer agitée est une petite bête intelligente, calculatrice et, surtout, contrôlante. Son nom: algorithme. C’est l’algorithme qui régit, filtre et oriente tout ce que vous voyez sur les médias sociaux. En clair, c’est lui qui décide que vous allez lire le statut d’un chroniqueur influent avant celui de matante Gertrude. Et il est bien là, le problème.

     

     

    Société 2:  Suis-je prisonnière de l’algorithme de Facebook?


    Photo: iStock

     

    L’algorithme est calculé d’une façon «simple». Grossièrement, la visibilité des publications tient compte de 4 facteurs principaux :

    – le créateur: l’intérêt qu’engendre l’utilisateur (profil ou page Facebook) qui publie le contenu;
    – le post: la performance de la publication, c’est-à-dire l’engagement;
    – le type: la publication préférée de l’utilisateur (statut, photographie, liens, vidéo);
    – la récence: le degré de « fraîcheur » de la publication en termes de date.

    Source: Siècle digital


    En dehors de ces critères, point de salut. C’est la faute de ce calcul si vous avez l’impression que ce sont toujours les mêmes personnes qui s’expriment ou partagent du contenu sur les médias sociaux.


    J’ai l’impression de vivre dans une bulle, un univers parallèle où tout le monde pense pareil et dit la même chose. Il est rare que défilent sur ma page Facebook des opinions divergentes de la mienne ou de mon cercle d’amis virtuel. Toujours juste un côté de la médaille. À cause de ce satané algorithme, tout le monde a les mêmes opinions et s’exprime sur les mêmes affaires, aime les mêmes choses et condamne les mêmes réalités. Ce sont les mêmes articles, chroniques et vidéos qui circulent, comme aimantés les uns aux autres. Et ce sont ces contenus mis de l’avant par l’algorithme qui finissent par former une mégaboule de neige qui écrase tout sur son passage.


    C’est ma faute, vous allez me dire. J’ai juste à moins aller sur Facebook, à devenir amie avec des gens de la CAQ ou à liker la fanpage de Richard Martineau. Certes. Mais le problème est plus sournois que ça. J’ai vu défiler la semaine dernière bon nombre d’interventions où on remettait en question l’information qui circule sur les médias sociaux, lesquels sont devenus parmi les premières, sinon les seules source d’info pour une grande partie de la population.


    Moi-même, je lis chaque matin les articles qui défilent sur mon mur. Je vérifie la source et m’assure que les textes que je consomme proviennent de médias «crédibles», mais ce n’est pas le cas de tout le monde. Ce n’est tellement pas le cas de la majorité que, lors du dernier droit de la campagne électorale américaine, beaucoup de gens ont cru – à tort – que le pape François appuyait Donald Trump. Tout ça parce qu’un article émanant d’un site de fausses nouvelles a été partagé des millions de fois et que l’algorithme s’en est de ce fait emparé.


    Je pense à ça, et ça m’étouffe. Est-ce que mon existence, mes opinions et la façon dont j’appréhende le monde sont désormais régies par l’algorithme de Facebook? Peut-être aussi que j’écoute un peu trop la série Black Mirror, qui explore les côtés sombres de la technologie et ses effets sur la société. N’empêche qu’il y a quelque chose d’inquiétant dans ce bruit de fond uniforme dans lequel on se vautre à la journée longue.

     

    Société 2:  Suis-je prisonnière de l’algorithme de Facebook?

     

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    J’aurais pu oublier moi aussi mon enfant dans l’auto

     


    « Je vais vous dire une affaire, moi. Cet accident horrible aurait pu m’arriver à moi. » Notre chroniqueuse Geneviève Pettersen revient sur le décès d’un bébé cette semaine à Saint-Jérôme.

     

    Geneviève Pettersen de la revue Châtelaine

     


    J’étais censée écrire sur autre chose, mais après avoir lu les centaines de commentaires à propos de ce père qui a oublié, hier, son bébé de moins d’un an dans une voiture alors que la température avoisinait 40 degrés, j’ai décidé d’ajouter mon grain de sel. Comme ça, vous ne comprenez pas comment c’est possible d’oublier un bambin sur le siège arrière de l’auto? Vous vous dites qu’à vous, ça n’arriverait jamais. Et vous croyez dur comme fer que ce père est un être abject qui ne mérite pas de se voir confier la garde d’enfants?


    Pour être très honnête, je dois vous avouer que chaque fois qu’un terrible accident du genre se produit, la tentation du jugement est grande. Je regarde mes enfants et je suis convaincue, moi aussi, qu’il me serait impossible de les oublier dans l’auto. Je me demande dans quel état mental il faut être pour tout simplement zapper le fait qu’on devait aller porter le plus petit au CPE. Je crois que ce sentiment est humain et normal. Devant l’horreur et l’incompréhension, la tentation de se voiler la face, de se draper dans l’indignation et de crier qu’à nous, ça n’arriverait jamais, est le premier réflexe. C’est la façon dont la plupart des humains se protègent de l’horreur.

     

    Société 2:   J’aurais pu oublier moi aussi mon enfant dans l’auto

    Photo: iStock

     

    Parce que c’est bien d’horreur dont il s’agit. Il n’y a rien de plus horrifique, pour un parent, que de perdre un enfant par sa propre faute. Ce père de famille de Saint-Jérôme a, par distraction ou je ne sais trop, oublié son bébé dans son petit banc d’auto. L’enfant est mort et c’est de sa faute. Point barre. Pouvez-vous imaginer la détresse et la peine que ressent ce père en ce moment ? Songez au sentiment de culpabilité qui le rongera toute sa vie. Pensez à la mère de ce petit, qui sera, on la comprend, sans doute incapable de cesser de lui en vouloir. Imaginez les regards accusateurs à l’épicerie, au dépanneur et à la caisse. Pouvez-vous vous mettre à la place de ce pauvre homme une minute ? Non. Vous en êtes incapables. Il est bien plus sécurisant, pour le tribunal populaire, de le condamner sans équivoque. Vite ! Que roule sa tête aux pieds des parents tellement bons qu’un tel drame ne pourrait jamais se jouer dans leur vie.

     

    Je vais vous dire une affaire, moi. Cet accident horrible aurait pu m’arriver à moi. Je me rappelle d’un matin où, particulièrement épuisée, au bout du rouleau, j’ai attaché mes deux filles dans ma voiture. Je me suis assise côté conducteur et j’ai démarré. C’est à ce moment-là que ma plus vieille a demandé où était son petit frère. Mon sang a fait trois tours quand j’ai réalisé que mon petit bébé était là, sur le trottoir, dans sa coquille à -25 C. Sans ma fille, je suis CERTAINE que je serais partie en l’oubliant. Et Dieu seul sait ce qui aurait pu arriver.


    J’ai oublié mon fils sur le trottoir. Je n’étais pas encore habituée à toute cette dynamique à trois et je sous-estimais, comme bien du monde, les effets pernicieux que le manque de sommeil a sur ma personne. Alors, chaque fois que je lis dans le journal ou sur internet qu’un parent a oublié son petit quelque part, je me rappelle de ce matin-là. Oh, je ne vous dis pas que je ne le juge pas un instant, mais je me ressaisis. Et je pense à mon fils dans son petit banc d’auto. Je pense qu’il aurait pu être sur la banquette arrière, qu’on aurait pu être en été, et que ce père, ça aurait très bien pu être moi.

     

     

     

     

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    Dharma, ou la question de nos origines indo-européennes

     

    Entretien avec Jean Haudry

     

    du site:  http://institut-iliade.com/

     


    Société 2:  Dharma, ou la question de nos origines indo-européennes. Entretien avec Jean Haudry

     
     

    Propos recueillis par Christopher Gérard pour la revue Antaios, équinoxe de printemps 2001. Source : archaion.hautetfort.com — Agrégé de grammaire, Docteur ès Lettres, professeur de sanskrit et ancien doyen de la Faculté des Lettres et Civilisation de l’Université Jean-Moulin (Lyon), directeur d’études à l’Ecole pratique des Hautes Etudes, Jean Haudry est l’un des grands spécialistes du monde indo-européen. Il a fondé en 1981 l’Institut d’Etudes indo-européennes, récemment transformé en société savante indépendante à la suite d’une campagne de diabolisation. Il est l’auteur d’ouvrages fondamentaux sur le sujet comme L’Indo-Européen (Que sais-je ? 1798), Les Indo-Européens (Que sais-je ? 1965, retiré du catalogue), La religion cosmique des Indo-Européens (Archè/Belles Lettres), etc.

     

    Qui êtes-vous ? Comment vous définir ?

    Je me définis comme un linguiste spécialiste des langues indo-européennes anciennes qui est passé progressivement de l’étude des formes et des structures grammaticales et lexicales à celle du sens correspondant, et du sens aux réalités et aux situations, donc aux locuteurs de la langue reconstruite. C’est ainsi que je suis passé de la reconstruction de l’indo-européen à l’étude de la tradition indo-européenne.

     

    D’où vous est venue cette passion pour les Indo-Européens ? Qui furent vos maîtres et que leur devez-vous ?

    Cette passion des Indo-Européens m’est venue par une évolution naturelle qui s’observe chez plusieurs de mes prédécesseurs, et consiste en une quête du réel, du concret, du spécifique, démarche à contre-courant de nos jours où l’on privilégie le virtuel, l’abstrait et l’universel. Mes principaux maîtres dans l’enseignement supérieur ont été, par ordre chronologique, le latiniste Jacques Perret, les indianistes Louis Renou et Armand Minard, le linguiste généraliste André Martinet, l’indo-européaniste Emile Benveniste. Je leur dois non seulement ma formation dans les domaines correspondants, mais aussi un appui décisif dans les débuts de ma carrière : Renou et, après sa disparition, Minard ont dirigé ma thèse de doctorat d’état sur l’emploi des cas en védique ; j’ai été l’assistant à la Sorbonne de Perret et de Martinet, et l’approbation que Benveniste a donnée à mes premiers essais a sûrement pesé lourd.

     

    Vous avez connu Georges Dumézil. Marcel Schneider, qui fut son ami, suggère que la fascination pour le Nord du grand historien des religions fut « le secret du Renan du XXème siècle ». Qu’en pensez-vous ? Quelle était l’attitude de Dumézil face au Sacré ? Peut-on parler comme Schneider « d’une sorte de panthéisme spiritualiste »?

    Je n’ai connu personnellement Georges Dumézil qu’assez tard, et très peu. Etudiant, puis assistant, à Paris, je me suis consacré exclusivement – outre mon service – à l’apprentissage des langues indo-européennes anciennes et de la linguistique générale, avant de m’engager dans la préparation de ma thèse. Nommé chargé d’enseignement à Lyon en 1966, de nouvelles tâches s’y sont ajoutées, sans parler des péripéties inattendues de 1968 et années suivantes. C’est après plusieurs années de contre-révolution et d’administration que j’ai pu reprendre mes recherches, et en élargir l’horizon. J’ai lu ou relu Dumézil et éprouvé le regret de n’avoir pas suivi ses enseignements quand j’en avais la possibilité. Je ne l’ai rencontré que trois fois en privé, à l’occasion de soutenances de thèse qu’il m’avait demandé d’organiser à l’Université pour deux de ses anciens élèves, et pour lui présenter le premier jet de mon ouvrage sur les Indo-Européens destiné à la collection Que sais-je ? Cet entretien fut naturellement consacré à cet ouvrage et les précédents, si j’ai bonne mémoire, à organiser la soutenance, et à évoquer des souvenirs de sa propre thèse de doctorat. C’est dire que nous n’avons pas abordé aucun des points que soulève votre question. J’ai donc toujours ignoré ses convictions philosophiques, ainsi que ses opinions et appartenances politiques, avant qu’elles ne soient divulguées de la façon que l’on sait. Je n’ai pas l’impression qu’il ait éprouvé une fascination particulière pour le Nord, que ce soit au plan géographique ou anthropologique. Ses domaines d’élection étaient plutôt Rome, le monde indo-iranien, l’Arménie (et, hors du monde indo-européen, le Caucase) ; s’il y a adjoint le monde nord-germanique, c’est simplement parce que du point de vue de la religion les autres secteurs du monde germanique ancien, christianisés plus tôt, ne fournissent guère de données. Et s’il a rappelé dans un passage de Jupiter, Mars, Quirinus la « prédominance marquée du type nordique » chez les Indo-Européens, ce n’est pas de la fascination, mais l’énoncé d’une évidence. Plus généralement, l’étude des religions, surtout quand elle est comparative, ne constitue pas, en général, une expérience du sacré : Julius Evola disait fort justement que la science est une connaissance morte de choses mortes. Principe qui souffre quelques exceptions, dont la plus notable est Mircea Eliade. Mais je ne sais si c’était le cas pour Dumézil.

     

    L’une des critiques qui revient de plus en plus souvent aujourd’hui chez divers chercheurs (Lincoln, Dubuisson, etc.) plus ou moins hostiles au principe même de la démarche dumézilienne, est que le mythologue aurait été trop soumis à une vision centripète et « platonicienne » des mythes. Qu’en pensez-vous ?

    Parmi les sycophantes qui se sont attaqués à Dumézil, il y a eu un peu de tout. Des gens animés par la passion politique, de véritables procureurs staliniens des procès de Moscou. Il y a eu aussi des fruits secs, incapables de produire quoi que ce soit d’original, qui se retranchent derrière la méthodologie, rideau de fumée qui masque leurs insuffisances, et leur permet de s’en prendre à ceux qui ont produit, avant que de leur production se dégage une méthode. Il est vrai que les reconstructions duméziliennes sont le plus souvent synchroniques, voire achroniques, en tout cas non historiques. Mais c’est inévitable dans un premier temps, tout comme pour les reconstructions linguistiques. C’est seulement dans un deuxième temps, et sur la base de données nouvelles, que l’on peut espérer parvenir, dans les cas les plus favorables, à une chronologie relative, voire à une datation. Il n’y a là rien de « platonicien », et moins encore de maurrassien !

     

    Comment définiriez-vous la notion de sanatana Dharma ?

    Le dharma sanatana : l’adjectif sanatana est un dérivé en –tana- (indo-européen *-t(e)no-, suffixe probablement issu d’un dérivé de la racine *ten- « tendre », « s’étendre »), bâti comme les adjectifs latins cras-tinus sur cras « demain » , diu-tinus sur diu « longtemps », matu-tinus sur * matu- « le matin », et leurs homologues grecs et lituaniens sur une forme adverbiale (non attestée) *sana, « jadis » (ou sens similaire), tirée de l’adjectif sana- « ancien, vieux » (latin sen-ex, etc.). Il signifie « originel », « qui se prolonge depuis l’origine ». Qualification paradoxale pour dharma, forme récente (le Rigvéda ne connaît que dharman-, avec le sens de « fait de maintenir, de se maintenir, maintien, comportement », et désignant une réalité qui l’est aussi : le système des castes (jati-) des droits et des devoirs correspondants, bien qu’il soit censé se fonder sur la structure même de l’univers, s’est constitué progressivement en Inde. Une première attestation figure dans un texte appartenant aux parties récentes du Rigvéda, où le terme utilisé est varna- « couleur (symbolique )» Mais la codification des droits et des devoirs de chacune des trois castes aryennes (les « deux fois nés ») et de la quatrième caste, non aryenne, la répartition de la vie des brahmanes en quatre périodes ne se fixent que dans les dharmasatra et dharmashastra, dont le plus connu est le Manava- dharmashastra, les « lois de Manou ». Naturellement, si l’on traduit sanatana par « éternel », la conception d’un dharma sanatana relève de l’illusion commune aux diverses sociétés traditionnelles sans écriture de la permanence de leurs institutions. Mais si l’on adopte une traduction comme « immémorial », « traditionnel », la conception apparaît justifiée : le système des quatre castes de l’époque classique provient effectivement de celui des trois varna de l’époque védique, et de la période précédente (indo-iranienne) ; système qui, à son tour, reflète la structure indo-européenne des trois fonctions et des trois couleurs –initialement cosmiques – qui leur sont associées : le blanc du ciel du jour, le rouge des deux crépuscules, le noir de la nuit.

     

    Vous avez préfacé la traduction française du livre de L. Kilian De l’ Origine des Indo-Européens (Labyrinthe, Paris 2000), où est défendue la thèse de l’origine paléolithique et nordique des IE. En quoi cette thèse vous semble-t-elle probable ?

    Ce que Lothar Kilian nomme, après Herbert Kühn et d’autres, l’origine paléolithique des Indo-Européens est une conception d’archéologues fondée sur des continuités constatées ou supposées entre diverses cultures préhistoriques d’Europe, et sur la constatation qu’aucune des cultures néolithiques ne correspond à la zone d’expansion des Indo-Européens. Le linguiste ne peut pas les suivre, pour la simple raison que le vocabulaire reconstruit comporte un certain nombre de termes qui attestent de façon claire la pratique de l’agriculture et de l’élevage, et l’utilisation du cuivre, ce qui correspond au néolithique récent ou âge du cuivre. D’autre part, une part notable de la tradition correspond manifestement à une société de l’âge du bronze (donc postérieure à la période commune), la « société héroïque » de la protohistoire. Mais « ne pas suivre » ne signifie pas « rejeter », bien au contraire : l’hypothèse paléolithique s’intègre dans une conception évolutive de la reconstruction, linguistique et culturelle. Elle donne consistance à un petit nombre de données linguistiques bien établies, mais difficilement explicables dans une culture du néolithique final, comme la place qu’y tient le vocabulaire de la chasse. La reconstruction des cultures est une entreprise pluridisciplinaire ; chaque discipline y apporte ce qu’elle peut apporter. Il en va tout autrement de l’hypothèse « nordiste ». Ici, l’étude des traditions, confirmée par l’interprétation de certains termes, comme la notion, rare dans les langues du monde, de « ciel du jour », indo-européen *dyew-, et l’absence, tout aussi exceptionnelle, d’une désignation du « ciel », et surtout l’équivalence entre termes relatifs au jour de vingt quatre heures et termes relatifs à l’année (la notion d’ »aurore(s) de l’année ») conduisent à chercher l’origine de cette part de la tradition indo-européenne bien plus loin vers le nord que ne le font les archéologues, Kilian inclus. En attendant une possible convergence, ni les uns ni les autres n’ont intérêt à s’autocensurer.

     

    Vous avez défendu l’hypothèse du type nordique comme type idéal, ce qui fait pousser des cris d’orfraie à certains que le concept même d’ethnie terrorise. Quels sont les principaux arguments à opposer aux tenants de plus en plus nombreux d’une vision centrifuge et dissolvante de cette recherche des origines ?

    Qu’il y ait eu chez les Indo-Européens un « type idéal », celui de leurs héros et de leurs Dieux, est une évidence : tous les peuples en ont un, qui correspond naturellement au type dominant (par le statut, sinon par le nombre). Xénophane de Colophon en tirait un argument en faveur du relativisme en matière de religion : « les Ethiopiens se représentent leurs Dieux noirs et avec un nez épaté, les Thraces leur prêtent des yeux bleus et des cheveux roux. » Grâce au réalisme de l’art classique, et plus encore de l’art hellénistique, nous savons parfaitement comment les Grecs se représentaient leurs Dieux et leurs héros, en quels termes ils en faisaient le portrait ; et, plus tard, comment les physiognomonistes ont décrit le « Grec véritable », par opposition aux métèques, esclaves, etc. : il est à l’origine semblable aux barbares du nord. Comme chez eux, le type nordique domine dans la couche supérieure de la population. Tout cela est bien connu depuis plus d’un siècle ; la formule de Dumézil à laquelle je faisais allusion précédemment résume les conclusions auxquelles les chercheurs étaient parvenus à l’époque. Ce n’est pas l’étude des momies du bassin du Tarim (Xin-jiang), parmi lesquelles le type nordique est bien représenté, qui risque de les infirmer. Mais à quoi bon opposer des arguments aux négateurs d’évidence ? A ceux qui refusent d’admettre ce qui ne va pas dans le sens de leur argumentaire, et surtout de leurs objectifs, avoués ou inavoués ? Comme l’un des objectifs majeurs de l’idéologie dominante est le métissage des peuples d’Europe à partir de populations africaines et asiatiques, l’évidence leur est inacceptable. A leurs yeux, plus on apporte de preuves et de témoignages, plus on aggrave son cas, ainsi qu’il arrive en d’autres occasions.

     

    Peut-on dire que le fondement de la « Tradition » indo-européenne consisterait en une religion de la vérité ?

    Ce que j’ai nommé, à tort ou à raison, « religion de la vérité », en donnant à religion sa valeur originelle de « scrupule qui inhibe, qui retient », ne représente pas, tant s’en faut, l’ensemble de la tradition indo-européenne, et ne tient qu’une part modeste dans la religion proprement dite, même si, dans le monde indo-iranien, le vocabulaire du culte (les nombreux dérivés de la racine *yaž- « ne pas offenser ») est fondé sur le « culte négatif » ; bien moins, par exemple, que les trois fonctions duméziliennes. Elle correspond à un ensemble de règles de comportement (respect des engagements contractuels, de la justice distributive, etc.), qui ne valent initialement que pour les chefs dans leurs rapports avec d’autres chefs de la même ethnie. L’hymne avestique à Mithra (yašt 10) en fournit une bonne illustration. Elle ne s’étend aux rapports internes du groupe que dans la « société héroïque » de la période finale de la communauté indo-européenne, et surtout dans les périodes suivantes ; périodes où les rapports contractuels qui lient le seigneur et ses hommes, qu’il a recrutés hors de son lignage et parfois même de sa tribu, l’emportent sur les liens naturels, ceux du lignage. Une telle société est par nature instable : aucune communauté ne peut reposer durablement sur des base contractuelles, en dépit du mythe rousseauiste du « contrat social ». Bien vite, les liens lignagers reprennent leur importance. Par exemple, au Moyen Age, on voit des jeunes compagnons quitter le compagnonnage seigneurial pour s’établir, se marier, et recevoir de leur seigneur un fief viager qui peut devenir à son tour un bien héréditaire. Au plan religieux, le « culte négatif », consistant à « ne pas offenser » la divinité, « ne pas violer » (ses engagements, etc.) s’accompagne toujours d’un « culte positif » consistant en sacrifices, rites, prières, etc.

     

    Société 2:  Dharma, ou la question de nos origines indo-européennes. Entretien avec Jean Haudry

     

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    Aimer le sexe grâce à Weight Watchers?

     


    Une campagne publicitaire australienne mêle étrangement poids et plaisir au lit, comme si les femmes rondes ne pouvaient être fières de leur corps et en tirer du plaisir.

     

    Par Joanie Pietracupa du magazine Châtelaine

     


    Il y a deux semaines, je suis tombée un peu par hasard sur une nouvelle publicité pour la campagne Weight Watchers Black récemment lancée en Australie. Dans la vidéo tournée en noir et blanc, on aperçoit des femmes rondes parler à la caméra, le visage grave et leurs bras camouflant tant bien que mal leurs courbes (pas si) généreuses, dire des choses comme «On n’a jamais fait l’amour complètement nus parce que je ne supportais pas l’idée qu’il voit mon corps en entier» ou «Au lit, je n’arrivais pas à lâcher prise, je ne faisais que penser à mon ventre». Évidemment, ces confessions et ces mines affligées sont accompagnées par une musique de fond au piano, parce qu’il faut bien dramatiser le tout, pas vrai? Il s’agit d’un sujet sé-ri-eux, semble vouloir dire Weight Watchers.

     

    Société 2:  Aimer le sexe grâce à Weight Watchers?

    ronde.et.alors.joanie.pietracupa.weight.watchers

     

    Sur le coup, j’ai un peu ri. Comme si le fait de se sentir gênée ou mal à l’aise dans la chambre à coucher était réservé aux femmes qui souffrent d’embonpoint! Premièrement, c’est archi faux. F-A-U-X. Je connais une tonne de femmes enveloppées, moi la première, qui sont confiantes et qui prennent leur pied au lit. Deuxièmement, oui, c’est vrai, plusieurs personnes sont trop complexées pour se dénuder entièrement ou pour se laisser aller au plaisir charnel. Mais savez-vous quoi? C’est une question d’insécurité par rapport à soi-même (son apparence, sa personnalité, ses valeurs, ses compétences) et pas seulement par rapport à son poids. Il existe beaucoup de femmes minces qui n’apprécient pas les relations sexuelles parce qu’elles n’ont pas une grande estime d’elles-mêmes. Pour aimer le sexe, il faut avoir confiance en soi et en son (ou sa) partenaire. Et ce, peu importe de quoi on a l’air.

     

     

    J’ai regardé à nouveau la vidéo et là, je ne riais plus. Mais quelle publicité ambiguë, qui utilise l’insécurité féminine et le fat-shaming pour faire vendre! Qui donc parmi l’équipe marketing de Weight Watchers s’est dit que c’était une bonne idée de se servir de la vie sexuelle des rondes comme argument de vente? Qu’il s’agissait du meilleur moyen de motiver les femmes enrobées à perdre du poids?


    Car ne nous y méprenons pas: la campagne de Weight Watchers a beau convoquer de manière éhontée le body-positivisme en multipliant les mots-clics comme #LoveYourself dans sa vidéo, cela ne suffit pas à en faire une publicité positive et inspirante. Le sous-entendu est à peine masqué: être ronde vous empêche d’avoir une vie sexuelle épanouie, parce qu’aucune femme qui a un surplus de poids ne peut (et, surtout, ne devrait) être à l’aise avec son corps, indésirable et indésiré, bien entendu. D’un côté, la campagne nous incite à nous accepter pour mieux nous libérer de nos complexes, et de l’autre, elle nous encourage à transformer notre corps pour mieux correspondre aux critères de beauté véhiculés par la société.


    La bonne nouvelle, c’est que la publicité a été retirée par Weight Watchers, qui a avoué au site Mumbrella «avoir fait beaucoup d’erreurs dans cette campagne». Et c’est peu dire! Ce que je trouve déplorable, c’est que la compagnie se la joue pro-body-positivisme, alors qu’en réalité, c’est dans l’ADN de la marque de vendre du bonheur en vantant les mérites de la minceur, et ce, depuis ses touts débuts en 1963. Je préfère, et de loin, les compagnies authentiques qui véhiculent des messages francs aux initiatives faussement positives et carrément dégradantes. Weight Watchers, je t’en prie, concentre-toi sur ton rôle de gourou du régime et arrête de surfer sur la vague de la diversité corporelle pour faire mousser tes ventes. De toute façon, tout le monde y voit clair, les femmes rondes qui aiment le sexe les premières.

     

     

    Société 2:  Aimer le sexe grâce à Weight Watchers? + vidéo

     

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