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Par Frawsy le 23 Février 2022 à 08:24
Notre-Dame de Rouen : une flèche
dans le chœur
Si Rouen est souvent appelée la « ville aux cent clochers », elle est avant tout celle de la plus haute flèche de France, élevée au XIXe siècle. À l’époque de sa construction, cette aiguille en fonte faisait même de la cathédrale Notre-Dame le plus haut édifice du monde !
Incendies, pillages, ouragans, bombardements... Rares sont les cathédrales à avoir autant souffert et évolué au fil du temps. Aujourd’hui, c’est le style gothique flamboyant qui domine à Notre-Dame de Rouen, commencée au début du XIIIe siècle après que la ville – dont la cathédrale romane – eut été détruite par un incendie en 1200. L’histoire de sa flèche est à l’image de la vie tourmentée de Notre-Dame ! Une première flèche de bois et de plomb est construite au XIIIe siècle : couronnant la tour-lanterne, au-dessus de la croisée du transept, cette « tour Grêle », comme on l’appelle, n’est alors que sur deux niveaux. Au début du XVIe siècle, elle brûle dans un incendie accidentel. Un charpentier réalise très rapidement, en 1544, une nouvelle flèche sur six niveaux, dans un style marqué par la Renaissance. Mais, en 1822, malédiction, elle est à nouveau détruite par la foudre. L’architecte Jean-Antoine Alavoine propose alors une grande flèche en fonte – très moderne pour l’époque –, cette matière ayant l’avantage d’être moins combustible que le bois et plus légère que la pierre. Le projet est interrompu : les Rouennais critiquent le recours au métal, et le débat est virulent. Pour Flaubert, c’est tout simplement une « tentative extravagante de quelque chaudronnier fantaisiste ».
L'édifice le plus haut du monde
Certains parlent encore de « monstrueux accouplement du fer avec la pierre ». Grâce à la détermination d’un chanoine, le projet est mené à bien à partir des années 1870, sous la direction de l’architecte Jacques-Eugène Barthélémy. Quatre clochetons de cuivre (dont l’un est tombé lors de la tempête de 1999), œuvre du ferronnier Ferdinand Marrou, seront plus tard ajoutés à la base de cette flèche à la structure métallique qui semble percer le ciel. À l’époque de son inauguration, c’est tout simplement la plus haute flèche de France, avec ses 151 mètres, et même le plus haut édifice du monde ! Maupassant, le Normand, vomit sur cette « flèche aiguë de la cathédrale, surprenante aiguille de bronze, laide, étrange et démesurée ». Il y avait bien eu, avant celle de Rouen, les hautes flèches des cathédrales de Beauvais (153 mètres) et de Lincoln en Angleterre (160 mètres), mais aucune des deux ne fit long feu. D’ailleurs, ce « pic de Normandie » a bien failli disparaître lui aussi, lors des bombardements de 1944. La flèche vacille, mais tient bon, tant bien que mal. Pour limiter les effets du vent, une structure en acier lui a été ajoutée dans les années 1970.
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Par Frawsy le 23 Février 2022 à 08:23
La cathédrale de Reims, une très
gracieuse majesté
Les colosses ont parfois une grâce improbable. C’est bien le cas de Notre-Dame de Reims, chef-d’œuvre gothique et cathédrale symbole à plus d’un titre : parce qu’elle est celle des sacres royaux, parce qu’on l’a ressuscitée d’entre les ruines, et parce qu’elle affirme mieux qu’aucune autre, depuis huit siècles, l’incomparable légèreté de la pierre.
Le jour du baptême de Clovis, le futur saint Rémi fait entrer son église dans l’histoire de France. Entre 816 et 1825, du fils de Charlemagne, Louis le Pieux, à Charles X, 35 rois ont été sacrés dans cette cathédrale. Plus tard, le 8 juillet 1962, de Gaulle et Adenauer y ont aussi scellé la réconciliation franco-allemande, comme une plaque le rappelle à l’entrée... Un symbole puissant, sachant les bombardements systématiques qu’elle avait endurés en 1914.
En ruine après la Première Guerre mondiale
Albert Londres, qui faisait là ses premières armes de grand reporter, en fit un article fameux : « C’était la moins abîmée de France. Rien que pour elle, on se serait fait catholique. Ses tours montaient si bien [qu’on] les suivait au-delà d’elles-mêmes, jusqu’au moment où elles entraient dans le ciel [...]. C’était la majesté religieuse descendue sur la terre. » Le 14 septembre, il avait vu les premières pierres tomber sous les obus. Le 29, il était revenu : « La cathédrale de Reims n’est plus qu’une plaie. » La restauration fut lancée dès 1918 : l’architecte Henri Deneux allait consacrer vingt ans à relever ce qui avait pris deux cent cinquante ans à bâtir, et quatre à détruire. Son travail, malgré le manque initial de main-d’œuvre et de matériaux, fut un modèle d’équilibre entre avancées techniques, telle la spectaculaire reconstruction de la charpente en ciment armé, et fidélité historique. Pour inscrire Reims au patrimoine mondial, en 1991, l’Unesco n’a pas barguigné... Ce fut par ailleurs l’occasion de procéder à des fouilles archéologiques sous la cathédrale, autrement impensables, qui ont fourni de précieux renseignements sur son histoire et celle des édifices antérieurs. On a ainsi appris que la toute première église était bâtie sur des thermes romains. Une autre campagne, menée en 2007 sur le parvis, a mis au jour des éléments datant du Moyen Âge.
Innovations en couleurs
La cathédrale que nous connaissons fut entreprise en mai 1211, un an exactement après l’incendie de la précédente, qui datait du IXe siècle. L’affaire fut menée tambour battant : le chœur et ses chapelles ainsi que le transept à deux collatéraux montèrent vite. Mais la vitesse coûtait cher, et la pression financière sur les bourgeois les mena, vers 1235, à une révolte qui ralentit considérablement le rythme, et sans doute aussi, les ambitions des bâtisseurs. L’absence d’un second bas-côté et des chapelles latérales pour la nef donne plus de sveltesse à l’ensemble, et l’abandon des flèches sur les tours confère à l’édifice un supplément de majesté. Pour la façade, montée indépendamment, on ne craignit pas d’innover : pour la première fois, au creux des hautes voussures des trois portails, les tympans sculptés cédèrent la place à des vitraux hauts en couleur.
La cathédrale des anges
L’architecte avait du goût pour les fenêtres : celles de la nef plurent à Villars de Honnecourt qui en annota le croquis, dans son carnet, d’une formule signifiant « j’aime beaucoup ». C’est la profusion des décors sculptés qui frappe le plus : gâbles, clochetons, pinacles, crochets, feuillages, colonnettes, animaux échappés du règne des gargouilles, statues chapeautées de dais de dentelle... pas un coin de mur ne reste en jachère. On a compté sur la façade 530 statues, 2 300 au total. Les anges aux ailes largement déployées y sont si nombreux qu’ils ont suscité le surnom de « cathédrale des anges ». Les meilleurs ymagiers ont juxtaposé là leurs styles, les uns encore hiératiques et sévères, d’autres réinventant les drapés antiques, et surtout, singularisant les visages, les égayant de sourires mutins, d’attitudes familières... autant de traits où s’annoncent déjà l’humanisme et la Renaissance. Nombre de ces statues sont visibles au palais du Tau (l’ancien archevêché), et remplacée in situ par des doublures – des copies « haute technologie » pour les plus récentes, comme la Reine de Saba installée sur le portail nord. En 2016, les trois portails avaient retrouvé leur blancheur, à peine teintée de quelques traces polychromes.
Le sourire de Reims
Le célébrissime Ange au sourire, saint Nicaise pour les intimes, passait jadis complètement inaperçu dans son coin du portail nord de la façade. Jusqu’au bombardement du 19 septembre 1914, qui le laissa décapité. En attendant que ses morceaux pieusement recueillis puissent être recollés (ce qui ne fut fait qu’en 1926), il devint aux yeux du monde entier, grâce à une habile campagne de presse, le symbole de la barbarie prussienne et du raffinement français en danger. Avec son air épanoui et malicieux – une audace de la part du sculpteur, vers 1260, mais pas la seule de l’édifice ! –, il est désormais la mascotte et la star de la cathédrale, photographié sous tous les angles.
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Par Frawsy le 22 Février 2022 à 10:33
Notre-Dame de Strasbourg,
la géante rouge
Résolument flamboyante, reconnaissable entre toutes par sa pierre rouge et sa flèche aussi effilée qu’unique, le véritable triomphe de la cathédrale, selon Victor Hugo, la cathédrale de Strasbourg attire chaque année quelque quatre millions de visiteurs. Il est vrai qu’on l’aperçoit de loin : depuis les Vosges ou la Forêt-Noire, paraît-il.
Grimper au sommet de la tour de Notre-Dame... le jeune Goethe, arrivant à Strasbourg en 1770, n’a rien de plus pressé. Même le vertige dont il souffre ne peut l’empêcher de hanter l’étroite terrasse où, écrit-il dans ses Mémoires, « j’étais [...] suspendu en l’air comme une montgolfière ». Et selon l’usage, le poète glisse la pièce au gardien, ancien tailleur de pierre, pour qu’il grave son nom sur le mur intérieur de la flèche, non loin du cantique censé éloigner la foudre.
Quand Goethe réécrit l'histoire de Notre-Dame
«C'est une chose admirable de circuler dans cette monstrueuse masse de pierre toute pénétrée d'air et de lumière, évidée comme un joujou de Dieppe, lanterne aussi bien que pyramide, qui vibre et qui palpite à tous les souffles du vent», s'extasie Hugo, qui a affronté lui aussi, vers 1840, les 330 marches. Il aurait pu ajouter qu’avec ses 142 mètres, elle était la plus haute construction d’Occident (elle ne fut détrônée qu’en 1874, par la néogothique Saint-Nicolas de Hambourg). Et que ses huit escaliers accolés, qui grimpent en vrille sans jamais se croiser, sont un prodige de sophistication géométrique... Ce n’est pas la flèche seule, mais la façade tout entière de la cathédrale qui subjugue Goethe. « Les petites choses comme les grandes sont à leur place, et l’immensité nous apparaît sous la forme la plus agréable, comme l’ensemble nous offre l’image de la stabilité et de la durée... », souligne-t-il dans L’Architecture allemande, un essai dithyrambique et indûment nationaliste.Une armée d'architectes
Dans son enthousiasme, Goethe y attribue au seul Erwin de Steinbach la paternité de toute la cathédrale de Strasbourg... dont la construction a pris plus de deux siècles ! En réalité, la première pierre de la nef strasbourgeoise remonte aux environs de 1235, soit dix ans avant la naissance de maître Erwin. Elle reprend les fondations et la crypte d’une cathédrale romane, réduite en cendres avant même de posséder son transept. Celui-ci sera donc réalisé en premier, de 1176 à 1225, évoluant en douceur d’un nord encore roman à un sud déjà gothique. La nef, achevée en 1275, sera un modèle d’architecture rayonnante. Reste le massif occidental : narthex, portails, tours... Les travaux démarrent dès 1276, sur un dessin de 1260. Steinbach, lui, ne sera appelé en renfort qu’en 1284.
À plusieurs reprises, il remaniera ses plans : sa façade est, selon les spécialistes, la toute première dont la réalisation eut été impossible sans dessin. À sa mort en 1318, le deuxième niveau – celui de la rosace – est en cours : son fils Jean y travaillera encore vingt ans. Après lui, encore six architectes : Gerlach élève le troisième étage ; Conrad étire la galerie des Apôtres au-dessus de la grande rose ; Michel de Fribourg et Claus von Lohre se relaient pour dresser le beffroi de la tour nord, puis Ulrich d’Ensingen et Jean Hültz de Cologne pour achever la flèche en 1439. Il n’y aura pas de seconde flèche : le gothique passe de mode, et de plus, la nappe phréatique sur laquelle on a bâti – d’où la légende d’un mystérieux lac souterrain – rend le sous-sol instable. Au XIXe siècle, la canalisation du Rhin faillit d’ailleurs conduire le vaisseau de pierre au naufrage, car le niveau de l’eau ayant baissé, les énormes pieux de bois qui le soutenaient depuis huit siècles se mirent aussitôt à pourrir. L’architecte Johann Knauth, autre héros méconnu de la cathédrale, la sauva in extremis dans les années 1900, par injection de béton...
Sculpteur facétieux et mystère du rayon vert
En d’autres temps, un ymagier aurait sûrement glissé son effigie quelque part, entre deux scènes bibliques : il n’était pas rare de dévier du programme iconographique imposé au profit de figures plus anecdotiques. Ainsi, le meunier et son cheval, dignes représentants des Strasbourgeois qui contribuèrent gracieusement aux travaux de construction, quand les finances firent défaut ; ou bien ce petit chien assoupi au pied de la monumentale chaire de Geyler de Kaysersberg, qui est celui du célèbre prédicateur ; ou encore le mystérieux quidam accoudé à sa balustrade, face au pilier des Anges. Le sceptique aurait prédit l’écroulement du chef-d’œuvre (18 mètres et 12 statues, portant la voûte du transept sud), et le sculpteur facétieux l’aurait condamné à attendre sur place que cela se produise ! Le malheureux, d’où il est, ne peut même pas voir le fameux « rayon vert » qui, chaque matin d’équinoxe, vient auréoler la Vierge et le Christ de la chaire. De toute façon, les amateurs de mystique médiévale ont dû déchanter : ce phénomène apparu en 1972 aurait suivi le nettoyage des vitraux sud de la nef, lesquels datent du XIXe siècle.
12 heures 30 précises
Transept sud. À 12 h 30 pile, l’horloge astronomique Renaissance, haute comme une maison et parée comme une vitrine de Noël, s’anime : les apôtres saluent le Christ, le coq chante trois fois, les dieux païens défilent sur leurs chars. Outre l’heure, l’horloge indique les mouvements de la lune et des planètes, calcule le calendrier liturgique... Il suffit de la remonter chaque semaine, et d'en graisser les rouages.N'oubliez pas si vous le désirez vous pouvezvous abonner à ma newsletter,c'est gratuit.
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Par Frawsy le 9 Février 2022 à 07:30
Randonnée iodée dans la baie du
Mont-Saint-Michel
Soumise aux plus fortes marées d’Europe, la baie du Mont-Saint-Michel est un amphithéâtre où les éléments sont en représentation quotidienne. À la fois décor et personnage principal de ce spectacle incroyable : Sa Majesté le mont. Quand entrent en scène sables mouvants, herbus, mer, ciel et horizon, tous les repères disparaissent. Et nous, nous applaudissons...
« Tombelaine est là où personne ne va et d’où personne ne revient, dit-on. Aujourd’hui, nous allons... y aller. Et en revenir ! », explique non sans humour Jack Lecoq, dont la baie est le territoire professionnel depuis trente-cinq ans. Vêtu d’un ciré jaune, bonnet marin vissé sur la tête et une pancarte « Guide attesté » accrochée dans le dos, il nous embarque pour un aller-retour de 6 kilomètres au milieu d’un désert iodé, avec le Mont-Saint-Michel et le rocher de Tombelaine pour repères. Les membres du groupe qu’il accompagne écoutent attentivement ses dernières recommandations. Il est 14 heures, la mer s’est retirée à une dizaine de kilomètres en cette période de vives-eaux. Tout le monde est pieds nus : il est temps de commencer la randonnée !Un escalier de dentelle suspendu dans le ciel
Dès les premiers pas, il nous faut éviter les flaques qui rendent notre démarche mal assurée ! Un peu plus loin, une traînée d’écume blanche serpente sur le sable encore mouillé. « Ce matin, c’est ici que la mer s’est arrêtée dans sa montée, éclaire Jack Lecoq. Les Montois appellent cette marque “la laisse de mer”. Elle ressemble à la mousse de la fameuse omelette de la mère Poulard. » Passé “la laisse”, une boue qui colle aux pieds se glisse entre les orteils, s’accroche, tenace, et finit par former de gros pâtés glissants. « Il s’agit de la tangue, un mélange de sable, de vase et de coquillages brisés. Elle est excellente pour l’agriculture ; les paysans l’ont longtemps utilisée pour fertiliser leur sol... Attention, ça patine ! », prévient le guide. Première pause. « Observons un instant le mont, avant de nous en éloigner », invite-t-il.
Depuis ce point, c’est la partie gothique flamboyant de l’abbaye qui s’offre à nous. Elle se révèle dans ses moindres détails, jusqu’à l’escalier de dentelle qui mène aux toits, comme suspendu dans le ciel. « Le jour où le parking a fermé et que le mont a retrouvé son caractère îlien, ce fut un événement. Certains de mes amis ont espéré cela toute leur vie mais ils n’ont pas eu la chance de le voir : ils sont partis bien avant. » Aujourd’hui, lors des grandes marées, d’un coefficient supérieur à 110, le mont Saint-Michel redevient donc une île. Et cela, 35 à 40 fois par an. « Quand j’étais enfant, les herbus gagnaient sur la mer. À présent, c’est l’inverse. C’est émouvant », témoigne Jack Lecoq. Le Couesnon est doté depuis 2009 d’un nouveau barrage, qui permet au fleuve de chasser loin les sédiments. « Le mont s’est ensablé puis il s’est désensablé ! J’ai vu les deux processus. C’est comme voir quelqu’un vieillir et rajeunir : c’est incroyable ! »
À la vitesse d'un cheval au galop
« On va rencontrer des sables mouvants, vous devriez les sentir sous vos pieds. Ne restez pas trop longtemps dessus et, surtout, ne piétinez pas », commande Jack Lecoq, en s’avançant vers le large. « Si jamais, vous vous enlisez, il faut essayer de libérer les jambes calmement, une par une, en les remuant lentement pour “re-liquéfier”, libérer l’eau des sables. Inutile de forcer, vous vous enfoncerez davantage. En réalité, ces mystérieux sables mouvants, c’est comme de la cuisine : mettez du sable et de l’argile dans un peu d’eau, vous obtenez des sables mouvants ; mélangez juste le sable et l’argile, ce sera de la tangue ! » Notre guide explique que le corps humain, du fait de sa densité, ne devrait pas s’enfoncer plus haut que la poitrine. Puis il nous rassure: « Dans les pires des cas, les pompiers viendront vous aider. » Cependant, il ajoute : « Sachez que l’on ne meurt pas asphyxié dans le sable. Le danger réside dans le fait qu’une fois piégé dedans, vous ne pourrez pas appeler les secours. Vous risquez de mourir noyé sous la mer qui va revenir inéluctablement. Et plus vite que vous ne le pensez ! » Au mont Saint-Michel, c’est connu, la marée monte à la vitesse d’un cheval au galop... Lors de sa longue carrière, il a pu voir des imprudents quasi quotidiennement : des promeneurs isolés lors de la marée montante, d’autres piégés dans les sables mouvants. Même pour quelqu’un d’expérimenté, la traversée de la baie reste dangereuse. « La formation de guide est très encadrée. Tous les trois ans, nous faisons une mise à niveau avec les pompiers. »Dans les bras de Couesnon
Heureusement, notre traversée des sables mouvants s’est déroulée sans incident ! À présent, nous nous attaquons aux cours d’eau qui terminent leur course dans la mer. « Je vais aller sonder la profondeur et le courant. On ne rigole pas : vous attendez mon signal », commande, sans rire effectivement, Jack Lecoq. À son appel, nous nous tenons tous par la main et affrontons le fort courant, glacial, qui nous arrive au-dessus des genoux. « Retournez-vous et regardez le mont. Une vraie pyramide au milieu de la mer ! », nous conseille notre guide, une fois le cours d’eau franchi. Malgré les années, il ne peut s’empêcher d’être émerveillé, encore. Il cite Victor Hugo. « Le mont Saint-Michel est à l’Océan ce que Khéops est au désert. Et de poursuivre : Imaginez-vous en oiseau qui survole la baie, les sables vus du ciel ressemblent au Sahara. Avec les rires des oiseaux, en plus ! » Dans cet estuaire, goélands et mouettes partagent leur habitat avec des aigrettes garzettes. Étonnant de croiser sous cette latitude ces oiseaux migrateurs plus familiers de la Méditerranée ! Effet du changement climatique ? Probablement. « Ce petit héron niche sur le rocher de Tombelaine depuis 1997. »
Quand Tombelaine avait fière allure
Face à nous, la terre se fond avec l’horizon, les repères disparaissent, laissant une immensité vide, presque angoissante. Au large, se devinent les îles Chausey. « Imaginez que les pierres de granit étaient apportées en radeau, depuis Chausey, pour être utilisées par les moines lors de la construction de la cité sur le mont », s’enthousiasme Jack Lecoq. Une fois passé le delta où les cours d’eau et les sables mouvants imposent le parcours, nous voici sur un grand plateau de sable sec et mou. « Le Couesnon creuse d’un côté, la Sée et la Sélune de l’autre. Cela crée une sorte de talus, une zone de dépôts maritimes. Vous pouvez constater que c’est plus difficile de marcher dessus. »
Près de deux heures se sont écoulées et nous sommes à Tombelaine, le petit frère du mont Saint-Michel – dont l’ancien nom était le mont Tombe. Les deux rochers, nous explique notre guide, sont comme les icebergs qui ne donnent à voir, à la surface, qu’un dixième de leur masse. Comme Saint-Michel, Tombelaine accueillait les pèlerins au Xe siècle. « Au Moyen Âge, il y avait un village et une église : l’île avait fière allure. » Les Anglais en avaient fait une place forte pour leur tentative de conquête du mont, durant la guerre de Cent Ans. L’île fut aussi un refuge stratégique durant les guerres de Religion, notamment pour les troupes de Gabriel de Montgomery. « Mais tout fut rasé sur ordre de Louis XIV. » L’île est devenue un sanctuaire pour une dizaine d’espèces d’oiseaux marins, qui y ont élu domicile : goélands, aigrettes garzettes, faucons pèlerins, canards colverts, passereaux...
Un écosystème précieux
Après une nouvelle pause, nous faisant demi-tour, avec le mont Saint-Michel en ligne de mire. Il fut, à l’image de Rome et de Saint-Jacques-de-Compostelle, un haut lieu de pèlerinage de l’Occident médiéval. La traversée de la baie, toujours semée d’embûches, faisait partie intégrante du cheminement vers le Ciel. Nous mettons donc nos pas dans ceux des miquelots, qui venaient s’assurer l’éternité auprès de l’Archange. Nous parvenons enfin au pied du mont. Jack Lecoq nous indique le rivage herbeux, en précisant que « comme la mer ne vient pas souvent recouvrir la grève, les sédiments s’accumulent, des plantes halophytes, adaptées à la salinité du sol, poussent peu à peu jusqu’à constituer des herbus et des prés-salés. » La mer recouvre ces prairies planes à végétation basse, uniquement lors des grandes marées ; les moutons y pâturent le reste du temps. Plus de 4 000 hectares de ces herbus bordent les estrans et produisent des matières organiques, dont se nourrissent poissons et microalgues. Qui vont à leur tour alimenter moules, coques, palourdes, praires, huîtres... « Les marées dictent la loi et règlent un écosystème précieux. Quant au mont Saint-Michel, il protège le littoral et le bocage normand ! Car, en tant que site classé à l’Unesco, nous avons pu refuser le béton et l’autoroute. Et sauver, ainsi, les terres sauvages et agricoles. Le mont est notre capital ! »
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Par Frawsy le 4 Février 2022 à 09:23
Les plus beaux villages des Cévennes
Pour entrer dans la catégorie des « villages remarquables », de nombreux critères sont pris en compte : esthétiques, patrimoniaux et culturels. Forts de leur géographie composée de schiste et de châtaigneraies et de leur histoire protestante, les bourgs des Cévennes ont des arguments à faire valoir ! Choisis pour leur notoriété ou découverts au gré du reportage, voici les six qui composent notre best of.
Sainte-Énimie, la consacrée des gorges du Tarn
Ville-étape du canyon du Tarn, la commune dresse ses petites maisons médiévales au pied du plateau calcaire. Un carrefour marchand et religieux au coeur des causses, qui mérite bien mieux que le tourisme « traversant » de l’été. Les puristes opposeront que ce village des gorges du Tarn n’est pas dans les Cévennes. Tout juste ! D’un point de vue géographique, la commune fait partie des causses lozériens, « coincée » entre celui de Sauveterre au nord et de Méjean au sud. Mais Sainte-Énimie appartient à l’aire d’adhésion du Parc national des Cévennes. Et c’est un des « Plus Beaux Villages de France ». Alors nous l’avons joint sans état d’âme à notre sélection.
La légende de sainte Énimie
En prime, le village doit sa réputation à sainte Énimie dont la légende, au VIe siècle, a infusé jusqu’à nos jours. « Cette femme très belle, très croyante, ne voulait pas se marier à un homme mais à Dieu. Elle lui a demandé de contracter la lèpre pour ne pas être séduite. Mais souffrant trop, elle l’a imploré de l’aider. Un ange lui a alors enjoint de se baigner dans la source de Burle. De guérisons en rechutes, elle comprend que Dieu lui envoie un message et décide de s’installer ici dans un ermitage, sous la falaise. Cet ermitage, on l’aperçoit depuis la source, résurgence du causse de Sauveterre formant au pied du village une vasque claire, avant d’aller se jeter dans le Tarn. Au-dessus de la fontaine, Sainte-Énimie a conservé ses attributs médiévaux.
Génolhac, médiévale et camisarde
À première vue, son aspect disparate et peu restauré ne plaide pas en sa faveur. Si nous avons choisi Génolhac, c’est parce qu’il témoigne d’une double histoire : haut lieu de la révolte des camisards, le village était aussi ancienne ville-étape sur le chemin de Régordane, grâce à sa position favorable sur un axe majeur de commerce et de pèlerinage dès le Moyen Âge. Très fréquenté du Xe au XIIIe siècle, le chemin de Régordane reliait le royaume de France au Languedoc, du Puy-en-Velay jusqu’à Saint-Gilles. Marchands et pèlerins faisaient halte dans les hostelleries de Génolhac. À l’époque, Génolhac était une autoroute marchande : depuis le Gévaudan et le Massif central, des convois de charrettes et de mulets chargés de viande, bois, seigle, châtaignes ou tissus de lainevcroisaient ceux qui, depuis la Méditerranée, remontaient sel, soie, huile d’olive et vin. Au début du XVIIIe siècle, des soldats du Roi furent dépêchés dans les Cévennes pour mater la révolte des camisards. Parmi ces protestants irréductibles, leur chef local, Nicolas Joany, brûlera l’église en 1702 et détruira le couvent de Dominicains au début de l’année 1703. Un passé révolu car temple et nouvelle église cohabitent désormais sur cette terre qui, il y a vingt ans, accueillait encore deux boucheries : l’une tenue par un catholique ; l’autre par un protestant. Tout un symbole.
La Guarde-Guérin, Halte-là !
Une apparition sur un plateau désert, comme un décor de cinéma. Le bourg moyenâgeux de La Garde-Guérin surgit là où personne n’imaginerait qu’un village puisse se déployer. À l’origine, La Garde-Guérin est née de l’existence du chemin de Régordane, une voie marchande et religieuse tracée entre Languedoc et Auvergne à travers les Cévennes. Un axe à risques, dont la portion située entre Villefort et la Bastide était considérée comme la plus dangereuse. Les « routiers » – des mercenaires voleurs et incendiaires –, faisaient régner une menace permanente sur les voyageurs. Dès le Xe siècle, des seigneurs locaux s’enquièrent de la sécurité sur cet axe et bâtissent des places fortes. La Garde-Guérin naît alors au coeur d’un plateau à 900 mètres d’altitude, dominant les gorges du Chassezac. La balade dans les ruelles transporte au Moyen Âge. On découvre le charme des venelles à rigole centrale, bordées de boutiques d’artisans. On observe les vestiges d’un château du XVIe siècle. On grimpe au sommet de la tour de garde, ouvrant la vue sur la forêt de toits et le canyon du Chassezac. On visite l’adorable église romane du XIIIe siècle et son clocher-peigne. Et on se dit que la restauration n’a pas dénaturé l’esprit de ce village.
Saint-Jean-du-Gard, au pays des filatures
Bourg d’allure provençale, Saint-Jean-du-Gard témoigne avec sa Maison Rouge de l’identité cévenole, construite autour de l’agriculture, des filatures de soie et de la religion protestante. Une halte clé pour mieux comprendre le territoire. Une balade sur son marché un mardi, c’est l’assurance de se mettre un peu de Provence dans les yeux. Étals colorés, produits de saison, terrasses de bars de la tour de l’Horloge remplies… pas de doute, le Sud est là ! Ville historiquement combative (avec jardins partagés, accueil de migrants, épicerie solidaire…), Saint-Jean-du-Gard abrite plusieurs obédiences et oeuvres protestantes, l’Armée du Salut, l’Église évangélique libre, l’Église évangélique de Pentecôte. Ce tempérament offensif, elle le doit aussi à ses anciennes usines. Comme celle de la Maison Rouge, ancienne filature fondée au début du XIXe siècle, devenue la mémoire de l’identité cévenole. Le bâtiment, classé, a fonctionné jusqu’en 1965. Depuis 2017, il abrite un musée qui retrace l’activité de l’usine et celle des métiers cévenols : l’agriculture, l’artisanat, les foires et marchés, la vie domestique, l’habitat… «
Banne, le village deux-en-un
À l’extrême sud de l’Ardèche, Banne dénote. Ce village de 650 habitants est coupé en deux. La partie basse, d’origine médiévale (« Le Fort »), ressemble à tous ces bourgs du Sud, tassés par instinct de survie sous un château protecteur aujourd’hui en ruines. La place du Fort et ses platanes, où campe une auberge de luxe, en sont l’épicentre. Une rue et des calades bordées de vieilles maisons aux toits de tuiles, tournées plein sud comme des tournesols, grimpent jusqu’au plateau. Le vent du nord vous y saisit sans crier gare. Au loin apparaissent le massif du Tanargue et la pointe du Ventoux. En bas s’étend la plaine ardéchoise, couverte de vignes. La partie haute du bourg est beaucoup plus récente. Séparée de la première par d’anciennes terrasses agricoles et des champs d’oliviers, elle est symbolisée par le clocher pointu de son église néogothique, édifiée au XIXe siècle sur l’emplacement d’une église romane dont il ne reste rien. Au-dessus d’une nef courte et large, le clocher s’élève haut dans le ciel. Devant l’église, une belle fontaine matérialise une place où se tient chaque lundi après-midi, l’été, un marché de producteurs. L’occasion d’acheter fruits, légumes, miel, produits châtaigniers et huile d’olive de paysans souvent néoruraux, versés dans l’agriculture biologique. Autour de l’église, rues et impasses laissent échapper des vues plongeantes sur la vallée et Banne-le- Bas.
Thines, joyau des Cévennes d'Ardèche
Isolé dans une vallée reculée, ce village raconte la vie cévenole aux siècles passés. Où il est question de châtaignes et de schiste, d’exode rural et d’efforts pour maintenir le bourg en vie. D’où que l’on vienne, Thines ne laisse pas indifférent. Tout est rustique à Thines : la pierre de schiste des maisons au teint de rouille ; celle des calades sommairement taillées dans le socle rocheux ; la lauze des toits ; les croix de bois et de fer posées en mirador sur la vallée ; une boîte à lettres vintage de La Poste… Cela tranche avec l’église Notre-Dame de Thines, formidable exemple d’art roman aux sculptures d’une étonnante finesse – le portail et ses statues sont un modèle du genre. On n’entend que le chant des oiseaux et le bourdonnement de la rivière, en bas dans le vallon. C’est profondément réconfortant. Il n’y a que cinq habitants permanents au village.
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