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    Va me chercher Baby Doll, de Lucie Lachapelle,

    une longue route vers la rédemption

     

    Une traversée du pays en pick-up pour retrouver la fille d’une amie qui se meurt du cancer. C’est ce qu’entreprend avec fougue l’héroïne du roman Va me chercher Baby Doll.


    Par Monique Roy de la revue Châtelaine

     

    Livres à Lire 2:  Va me chercher Baby Doll, de Lucie Lachapelle


    Photo : Getty Images/JMICHL


    L’histoire

    L’amitié qui se développe entre deux femmes derrière les barreaux, « là où des alliances se scellent, qui résistent au temps et à l’adversité ». Alors quand l’une implore, « Va me chercher Baby Doll », l’autre n’hésitera pas à traverser le Canada afin de retrouver et de ramener la fille à sa mère malade.


    Les personnages

    Toutes trois portent des surnoms. Florence, la narratrice, Thérèse et sa fille Camille. Lorsque les circonstances l’exigent, elles brandissent leurs pseudonymes comme des armures : Cartouche, Manouche et Baby Doll. Évadée d’une enfance sombre auprès d’un père violent et d’une mère silencieuse, Cartouche est serveuse et danseuse dans un bar miteux. Elle tue, involontairement, l’agresseur d’une jeune autochtone : 10 ans de pénitencier. Là, elle devient la marraine d’une fille née en prison, Baby Doll, et se lie d’amitié avec sa maman, Manouche.

     

    Livres à Lire 2:  Va me chercher Baby Doll, de Lucie Lachapelle

     

    À 19 ans, Baby Doll, suivant le chemin tracé, se prostitue et vit on ne sait où. Sa mère, malade, supplie son amie Cartouche de la ramener à bon port.

    Au cours de ce road trip entre Montréal, l’Abitibi, Toronto et Saskatoon à la poursuite de Baby Doll, Cartouche croisera plusieurs marginaux… « Derrière leur apparence de dureté, j’ai voulu montrer leur humanité », souligne la romancière.


    L’autrice

     

    Livres à Lire 2:  Va me chercher Baby Doll, de Lucie Lachapelle


    Lucie Lachapelle
    Photo : Jean Kazermirchuk


    Née à Montréal, diplômée de l’UQAM en cinéma, Lucie Lachapelle découvre très jeune l’Abitibi « et l’amour », confie-t-elle. Avec son conjoint cri et leurs deux enfants, elle apprend à connaître le monde amérindien. Enseignante au Nunavik, puis consultante et recherchiste à l’Office national du film du Canada (ONF), elle signe un premier film en 1994, La rencontre, qui traite des relations entre Québécois, Amérindiens et Inuits. En 1996, elle reçoit le prix Gémeaux du Multiculturalisme pour le documentaire Village mosaïque Côte-des-Neiges (ONF). En 2011, elle publie un premier roman, Rivière Mékiskan, prix France-Québec.

    Retournée vivre à Montréal, elle se consacre à l’écriture en tant que conseillère à la scénarisation et autrice. Au téléphone, sa voix est généreuse, riche de toutes les rencontres qui nourrissent ses livres. Ainsi, l’agression qui marque le début du roman est réelle, « l’image de cet incident m’est revenue et j’ai voulu prêter à Cartouche ma colère, mon indignation ».

    À la fois rugueux et bienveillant, ce roman recense des pièges innombrables, des misères inouïes, l’incommunicabilité entre les peuples, entre les familles. « Cet univers dur est réaliste, je l’ai côtoyé », affirme l’écrivaine dont l’œuvre parle de réconciliation.

    Va me chercher Baby Doll, Éditions XYZ, 192 pages

     

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    Flots, de Patrick Senécal:

    la petite fille qui faisait peur

     

    Florence, une petite fille de 8 ans reste muette quand on évoque la disparition de ses parents. Mais le monstre va bientôt surgir…

     

    Le livre «Flots» de Patrick Senécal.

    LESLIBRAIRES.CA

     

    De quoi ça parle

    Elle s’appelle Florence. Elle a 8 ans. Elle vit avec son papa et sa maman. Elle suit des cours de piano. À l’école, ça va, surtout en français. Pas de quoi écrire un roman, quoi! À moins de s’appeler Patrick Senécal et de s’amuser à gribouiller sur ce portrait de famille.

    Quand on la rencontre, Flo est seule chez elle. Sa tante, inquiète de ne plus avoir de nouvelles depuis quelques jours, cogne à la porte, puis entre dans l’appartement. La fillette reste muette. Elle ne répond pas aux questions. Elle a une égratignure sur le visage. Et… Et voilà. Où sont ses parents? Que s’est-il passé? On le découvre petit à petit, à travers les pages du journal intime que l’enfant tient avec un soin maniaque. Maniaque, le mot est là. Flo va toujours au bout de ses entreprises. Bon, il y a ce bruit, parfois, dans sa tête, quand elle fait «des choses». Mais ce n’est pas grave. Florence en est persuadée. Pourquoi? Pour la meilleure des raisons: parce que.

     

    Pourquoi vous aimerez ça

    Des adultes «en vedette» dans les thrillers et les romans d’horreur, on s’attend au pire. On l’espère presque, ainsi le veut le genre. Mais créer, construire et faire agir un psychopathe ayant cet âge que l’on dit tendre est une autre paire de manches. Pour le lecteur, l’expérience peut ébranler. En fait, dans le cas de Flots, on enlève le «peut». Cette lecture ébranle. On en sort hanté. Dans ce nouveau titre, Patrick Senécal exacerbe la tension et joue dans des eaux rappelant celles où il nous avait entraînés dans Les sept jours du talion. Ces eaux dans lesquelles Lionel Shriver nous avait poussés dans Il faut qu’on parle de Kevin. Les pires monstres sont humains. Et quand ils sont enfants, c’est… inhumain.

    Flots n’est pas un roman aimable. Mais l’expérience est fascinante: le romancier est parvenu à se glisser dans la tête d’un monstre d’une espèce rare (espérons!) et il parvient à nous y faire croire. Jusqu’à la dernière ligne, comme un coup de poing au ventre de ceux qui connaissent cette œuvre que, brique après brique, il est en train de construire.

     

    Qui l’a écrit

    À ses débuts, on l’a surnommé le «Stephen King québécois» mais il a depuis dépassé le stade des comparaisons. C’est un maître de l’horreur à part entière. Une vingtaine de romans totalisant plus d’un million d’exemplaires vendus, trois adaptations cinématographiques et une en bande dessinée, une série télé, un balado, ça vous fait une réputation! Il la mérite.

     

    Extrait

    Maman m’a demandé si j’avais envie de regarder un film d’horreur avec elle sur Netflix. Elle était excitée et elle parlait fort parce qu’elle était soûle. Je connais ce mot-là parce que papa lui dit des fois. (…) J’aime ça, les films d’horreur. Quand quelqu’un meurt avec tout le sang qui sort de lui, c’est dégueu, mais en même temps, c’est le fun, je ne sais pas pourquoi. Maman est toujours contente quand c’est un méchant qui meurt, mais elle est toute triste quand c’est un gentil. Moi, ça ne change rien. Même si la personne est gentille ou méchante, elle meurt pareil, alors ça ne change rien. Des fois, ils ont mal beaucoup quand le sang sort d’eux autres, surtout quand on leur arrache un bras ou une jambe ou une autre affaire, mais pas quand on leur coupe la tête parce que là, ils meurent tout de suite. Une tête ne peut plus vivre si elle est coupée, c’est comme ça. Alors quand on leur arrache quelque chose ou quand on sort plein d’affaires dégueu de leur ventre, là, ils crient, ça a vraiment l’air de faire mal, ça ne doit vraiment pas être le fun. Mais comme c’est pas à moi que ça arrive, ce n’est pas grave. (p.16)

     

    Flots, de Patrick Senécal, 27,95$, éditions ALIRE

     

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    Que faire ? Ou comment vivre avec le déclin de l’Europe…

     

    Ce petit livre n’est pas un manuel survivaliste ou un traité de collapsologie. Il ne vise pas le retrait, ni la fuite mais propose au contraire de faire face en s’adaptant sans compromission au monde qui vient.

     
     
     
    Que faire ? Ou comment vivre avec le déclin de l’Europe…
     
     

    Que faire ? Face au spectre menaçant du suicide de notre civilisation, cette question taraude aujourd’hui tous les Européens encore lucides, conscients du gouffre vers lequel nous semblons nous précipiter… L’historien et écrivain David Engels, à travers un petit livre enlevé, tente de répondre à cette question. L’image de la flèche de la cathédrale Notre Dame de Paris prise par les flammes qui orne sa couverture illustre l’urgence et la gravité de la situation que le sous-titre du livre fixe par une simple et sombre phrase : « vivre avec le déclin de l’Europe ».

     

    Vers les âges sombres

    Le ton est donné, volontairement pessimiste. Pour l’auteur « il faut être réaliste mais surmonter le désespoir ». Alors justement, que faire ? Dans les âges sombres qui approchent, il y a deux réponses possibles, si l’une est collective et politique, l’autre est purement personnelle. C’est à celle-ci que s’attache le livre de David Engels. Comme il le souligne dans sa préface, l’objet « n’est pas de sauver la société elle-même, vouée de toute manière à l’échec, mais plutôt d’assurer la survie des idéaux qui l’ont animée. »

    Pour l’auteur, il n’y a en effet pas d’issue possible à la crise identitaire, politique, morale, économique, démographique que traverse l’Europe, qui va continuer et s’amplifier pendant des années, voire des décennies encore. « Oui, assène-t-il, nous allons droit dans le mur – et après ce sera le début des guerres civiles. »

    Mais attention, ce petit livre n’est pas un manuel survivaliste ou un traité de collapsologie. Il ne vise pas le retrait, ni la fuite mais propose au contraire de faire face en s’adaptant sans compromission au monde qui vient. Il expose pour cela « quelques idées et encouragements pour rester fidèles à notre histoire et à notre être au monde » en s’appuyant sur des valeurs de « courage, de persévérance, de fidélité et d’espoir ».

     

    L’État contre le peuple

    Dans un conflit, il est essentiel de distinguer amis et ennemis. David Engels constate froidement que l’État est désormais face à nous. « Ils ne sont plus les vôtres et ne méritent plus votre allégeance » écrit-il ainsi à l’intention des naïfs. Abandonnant les Européens autochtones à leur sort, l’appareil étatique, pris dans une dérive autoritaire, utilise sa force pour surveiller étroitement et réprimer durement toute velléité de révolte, comme le démontrent les dérives liberticides, la surveillance généralisée ou la sévère répression des Gilets jaunes. Nulle solution politique à espérer à court terme non plus à travers les partis et mouvements populistes qui n’ont, d’après l’auteur, ni les soutiens, ni la cohérence doctrinale nécessaire pour renverser le cours des choses, d’autant plus que la crise dont souffre l’Europe dépasse désormais amplement le cadre politique.

     

    Former nos communautés

    La seule solution viable pour David Engels est celle de la communautarisation des Européens. C’est sans doute la leçon la plus radicale et essentielle de son livre. Face à un jeu faussé, nous conduisant inéluctablement à la disparition, il faut faire sécession. Une sécession politique, sociale, économique, géographique. Comment ? En créant des poches de résistance au déclin afin de « viser l’autarcie matérielle et la qualité éthique de notre style de vie ». Pour cela, l’auteur nous enjoint à quitter les grandes métropoles, appelées à devenir des enfers dans les temps à venir, et prône le retour à la terre en s’installant à la campagne ou dans de petites cités encore préservées. Les principes sont simples et déjà connus : posséder de la terre, viser l’autarcie alimentaire, favoriser les circuits courts, privilégier les solidarités traditionnelles. Le livre offre ainsi une série de conseils concrets et réalistes permettant à chacun, selon ses moyens et possibilités, de réaménager sa vie quotidienne pour continuer à vivre selon nos traditions.

     

    Le retour à la tradition

    Encore faut-il perpétuer notre monde et ne pas s’enfermer dans un égoïsme stérile. Voilà pourquoi il faut fonder des familles, ce qui représente au XXIe siècle « un acte aussi contestataire et révolutionnaire que l’était jadis l’amour “libre” », et faire des enfants en étant conscient de cette « guerre de la fertilité » qui menace l’Europe. Cela passe également par le refus des idéologies déconstructivistes comme la théorie du genre ou les délires féministes.

    La sécession que prône David Engels doit aussi être culturelle en retirant nos enfants des établissements scolaires infestés par la racaille et en favorisant les petites structures encore homogènes voire les écoles hors-contrat ou l’enseignement à la maison.

    Contre ce monde moderne qui représente « une forme de conspiration contre toute forme de vie intérieure » (Bernanos), ce « Que faire » n’est pas sans rappeler sous certains aspects les conseils pratiques développés par Dominique Venner dans son livre-testament Le Samouraï d’Occident. En prônant le retour à la Nature, la nécessité de faire son devoir, la quête d’une beauté simple et sans artifice, l’invitation au recueillement, à la lecture utile, à la méditation quotidienne, c’est l’idéal de l’honnête homme européen que David Engels propose.

     

    Se réapproprier l’Europe

    Confronté à une crise civilisationnelle sans précédent, menacé d’invasion par des populations radicalement autres, l’heure n’est plus au repli sur soi des nations. À l’heure où toute l’Europe est assiégée, David Engels rappelle avec raison que « la véritable frontière à défendre coûte que coûte n’est pas située sur le Rhin face à l’Allemagne, ni dans les Alpes mais aux portes du Bosphore qui sépare l’Occident du monde musulman. » Face à la crise que traverse notre civilisation, « la clef d’une réforme fondamentale de notre société se trouve non au niveau national mais au niveau européen. » Il ne s’agit pas pour autant de souscrire à l’actuelle Union européenne. L’Europe puissance qu’il appelle de ses vœux devra « s’inscrire non pas dans un jargon humaniste ou universaliste, mais historique ». Ce retour civilisationnel européen passe un refus de la culpabilisation et une réappropriation de la légitime fierté de notre Histoire

    *

    Si l’on peut regretter parfois un peu de naïveté (sur la fondation d’un « islam tolérant ») ou de fatalisme (sur le caractère définitif de l’installation des populations extra-européennes…), le Que Faire ? de David Engels est un livre concret, prônant un réenracinement qui ne soit pas seulement intellectuel et abstrait mais aussi vécu en nous invitant à « devenir nous-même ». Il relève ainsi d’une inspiration stoïcienne pour la conduite de nos vies – ce qui dépend de nous – préalable indispensable avant d’engager toute Renovatio Europae (titre d’un prochain livre de David Engels) ou Reconquista, sur lesquelles nous n’avons pas prise à ce jour. À nous donc de faire de nos fidélités des citadelles dans l’attente de l’heure, comme le chantait le poète Hofmansthal, « où se rencontrent ceux qui ont su veiller pendant la longue nuit et ceux qui apparaîtront bientôt dans le matin nouveau. »

    BCT

    David Engels, Que faire ? Vivre avec le déclin de l’Europe, 122 pages, 19,50 € – éditions Blauwe Tijger

     

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    Naomi Klein: luttons contre la crise climatique!

     

    Naomi Klein, l’activiste altermondialiste des premières heures, parle de l’urgence de la crise climatique, de son rejet d’Instagram et de la responsabilité personnelle de réduire sa consommation.


    Courtney Shea du magazine Châtelaine

     

    Livres à Lire 2:  Naomi Klein: luttons contre la crise climatique!

    Photo: Kourosh-Keshiri


    Il y a quatre ans, le manifeste Un bond vers l’avant, que vous avez cosigné, proposait un plan de lutte contre les changements climatiques au Canada. Un cycle électoral plus tard, qu’avons-nous fait?

    Je dirais que nous n’avons toujours pas commencé à parler franchement des changements climatiques. Jusqu’à maintenant, le Parti libéral actuellement au pouvoir et certains des gouvernements NPD provinciaux se sont contentés de dire: «Nous allons faire certaines choses pour réduire les émissions, mais pas trop et pas trop vite.» Avec pour résultat que les gens ne comprennent pas bien et manquent de motivation, et que le Canada n’atteint même pas les cibles, pourtant inadéquates, qui ont été fixées sous l’administration Harper. Entretemps, les changements climatiques sont devenus une réalité plus visible pour un nombre croissant de Canadiens: pour ceux qui vivent sur la côte ouest, pour qui l’été est devenu la saison des feux de forêt, le changement climatique n’est plus cette abstraction qui inquiète quand on pense aux enfants à naître; le changement est déjà là.


    En quoi le projet de New Deal vert des démocrates américains et votre « bond vers l’avant » diffèrent-ils des précédentes stratégies pour le climat?

    Pour commencer, ils sont tous deux imprégnés d’une mission. Depuis qu’il est question de changement climatique, on estime pouvoir y remédier dans le cadre d’une économie de marché, à l’aide de demi-mesures inspirées du marché comme une taxe sur le carbone ou un système de quotas d’émission. Le New Deal vert envisage un nouveau cadre – un plan d’infrastructures qui va changer le squelette de notre économie [dépendante des émissions de carbone]. Il s’agit de transformer les transports et la façon d’obtenir des sources d’énergie – en fait, de changer notre mode de vie. Les gens s’inquiètent pour certains emplois; mais le New Deal vert permettra aussi la création de nouveaux emplois. Ainsi, le travailleur des sables bitumineux passera du pétrole et du gaz aux énergies renouvelables. Au bout du compte, notre plus gros problème pourrait être une pénurie de main-d’œuvre.


    Qu’est-ce qui est le plus efficace, l’optimisme ou les prédictions apocalyptiques?

    Une combinaison des deux. Si on veut que les gens fassent un bond vers l’avant, il faut leur indiquer où atterrir; sinon, ils ne feront que sauter sur place. Alors, à quoi ressemble l’action? Trop de Canadiens associent l’action climatique à une augmentation du prix de l’électricité ou du carburant. Ils n’y voient que des pertes. Or, les avantages sont réels. Et honnêtement, qui est satisfait du statu quo? Sommes-nous satisfaits du niveau d’inégalité dans le monde? Et que tant de collectivités boivent de l’eau contaminée et voient leurs droits constamment bafoués?


    Selon vous, le changement climatique est non seulement une crise économique, mais aussi une crise spirituelle. Que voulez-vous dire?

    L’histoire qu’on nous a racontée à propos de notre place sur la planète est un mensonge, une illusion selon laquelle nous serions séparés de la nature. Tous les habitants de Porto Rico vous le diraient: nous ne maîtrisons pas la nature et nous ne sommes pas séparés d’elle. Le charbon nous a faussement fait croire que nous pourrions maîtriser le climat et abolir les distances, mais ce faisant, nous libérons du carbone dans l’atmosphère. Et quelques centaines d’années plus tard, la réaction est violente et nous remet à notre place.


    Les détracteurs du New Deal vert disent que c’est un projet chimérique difficilement applicable. Que leur répondez-vous?

    Je leur dirais: quel projet proposez-vous, alors? Il nous faut une stratégie et elle doit s’appuyer sur nos connaissances scientifiques les plus fiables. Beaucoup des grands patrons en savent plus long sur la politique que sur la science climatique. Ils ont l’air sérieux parce qu’ils portent tous des vestons-cravates, mais ils participent à une vraie farce.


    Dans l’un des essais de votre nouveau livre, La maison brûle, vous dites que l’action climatique est incompatible avec notre culture actuelle de l’« éternel présent ». Pourquoi donc?

    Il semble que la crise climatique ait mal choisi son moment pour apparaître sur le radar de l’humanité, car nous sommes tous en train de nous perdre dans nos écrans. Cette absorption dans le virtuel affecte notre capacité de concentration et d’interaction avec notre milieu. Si on regarde en arrière, le New Deal de Roosevelt, qui venait en réaction à la Grande Dépression, privilégiait d’envoyer les enfants à l’extérieur, pour travailler en forêt et dans les fermes à la conservation du sol et à la plantation d’arbres. Ces enfants ont appris à aimer la nature. Il faut rétablir ce lien.


    Attendez, êtes-vous en train de dire qu’on pourrait profiter de la nature sans en afficher des photos sur Instagram?

    Ce n’est pas possible, d’après vous? Bon, d’accord, on passerait moins de temps à faire des égoportraits, mais on en aurait plus pour reconstituer les milieux humides.


    Vous n’êtes pas sur Instagram. Est-ce pour vous protéger?

    En effet. Twitter est assez nuisible comme ça. J’ai déjà l’algorithme de la haine, je n’ai pas besoin de celui de la jalousie.


    Votre ouvrage phare sorti il y a 20 ans, No Logo, a déclenché certaines des premières conversations sur le développement durable et l’image de marque éthique. Êtes-vous fière?

    Il y a maintenant des marques éthiques et une vraie transparence, ce qui est formidable, mais c’est encore un marché de niche, en fait. Le capitalisme est un système incroyablement résilient. Nous esquivons encore la question fondamentale: notre consommation excessive. Selon moi, le changement le plus important, c’est le développement de la récupération, de la consignation, quel que soit le mot actuellement à la mode. Tout le monde connaît les trois R, mais le recyclage est le seul qui a tenu le coup parce que c’est le seul qui nous permet de continuer à consommer sans fin. Or, nous frappons un mur. Et la Chine nous dit: « Nous ne voulons plus de vos déchets! » Cette consommation effrénée n’est tout simplement plus défendable. Réparer est un autre Rimportant. Et refuser.


    Quelles mesures prenez-vous pour réduire votre propre empreinte carbone?

    D’abord, je voudrais dire que l’idée selon laquelle nous pourrions rétablir le climat par notre action individuelle fait, en quelque sorte, partie du problème. Il faut une organisation politique pour obtenir des changements majeurs dans la réglementation, dans la législation. Ce qui ne signifie pas que je ne fais aucun effort. L’une des raisons qui m’ont poussée à accepter le poste de première titulaire de la chaire Gloria Steinem à l’université Rutgers (au New Jersey), c’est mon mode de vie incroyablement coûteux en carbone à cause de mes conférences partout dans le monde. À présent, je prends moins l’avion et j’y pense à deux fois avant de le faire. Je ne mange pas de produits laitiers et je suis végétarienne. Je me triture l’esprit pour savoir si j’ai vraiment besoin d’acheter telle chose ou si je suis simplement mal dans ma peau ce jour-là. Et puis, je suis mère: beaucoup des gestes que je pose au quotidien sont dictés par le fait que j’élève un être humain qui aime passionnément la planète.


    Des conseils à donner aux parents qui tentent de faire la même chose?

    Je ne pense pas qu’il faille exposer les très jeunes enfants aux aspects les plus effrayants de la crise environnementale. Oui, je parle de pollution à mon fils. Mais il faut vraiment éviter que les premiers contacts des enfants avec le monde naturel soient traumatisants; je m’inquiète du fait que beaucoup de jeunes personnes découvrent en même temps les animaux et leur extinction, si bien que la nature elle-même devient un lieu de perte et de danger. Selon moi, ce que nous pouvons faire de plus important pour nos enfants, c’est de les aider à entrer en contact avec la nature et à s’émerveiller. Nous ne nous battons pour protéger que ce que nous aimons.

    La maison brûle – Plaidoyer pour un New Deal vert, par Naomi Klein, Lux Éditeur, 312 pages

     

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    Livre: Ce qu'elles disent, le nouveau roman de Miriam Toews


    Miriam Toews dévoile les propos de mères, filles et sœurs dans un roman vibrant.

    Monique Roy de la revue Châtelaine

     

     

    Livre À Lire 2: Ce qu'elles disent, le nouveau roman de Miriam Toews

    Photo: Stocksy / Melanie DeFazio

     

    L’histoire

    En 2011, huit hommes d’une communauté mennonite de Bolivie ont été condamnés à de lourdes peines d’emprisonnement, après avoir été reconnus coupables d’agressions sexuelles sur de nombreuses femmes et petites filles entre 2005 et 2009. Ces maris, frères ou fils plongeaient leurs victimes dans l’inconscience à l’aide d’un anesthésiant vétérinaire et, au matin, celles-ci, meurtries, ignoraient ce qui leur était arrivé. On avait vite fait de les accuser de mentir, d’être la proie de démons, de fantômes, ou encore d’imaginer tout ceci. En écho à ces faits réels, Miriam Toews a écrit une fiction offrant à ces femmes l’occasion de décider de la suite des choses. Réunissant quelques-unes d’entre elles dans un grenier à foin, elle leur laisse la parole dans Ce qu’elles disent.

     

    Les personnages

    Elles sont huit, de tous les âges, assises sur des seaux à lait. Greta et Agata, les aînées; leurs filles et petites-filles, Mariche (souvent battue par son mari), Mejal, Autje; Ona (lumineuse malgré la narfa, dépression nerveuse, enceinte à la suite d’un viol), sa sœur Salomé (explosive, bien décidée à modifier, sinon à fuir les lois moyenâgeuses de la colonie), sa nièce Neitje, dont la mère, de désespoir et de honte, s’est suicidée.

    August Epp, instituteur, amoureux d’Ona depuis l’enfance, seul homme accepté dans cette assemblée, doit transcrire les débats de ces femmes analphabètes et rendre compte de la décision qui en ressortira: ne rien faire, rester et se battre, ou partir.

     

    On le lit

    Parce que l’univers sombre et douloureux de cette histoire est éclairé par l’énergie vitale de ces femmes mennonites, rejetant le climat d’obscurantisme dans lequel elles vivent depuis toujours, n’acceptant plus la défaite imposée par la loi de l’homme, qu’il tiendrait de Dieu. Bien qu’analphabètes, elles possèdent un savoir et une puissance, le sens de la justice et de la parole donnée, la force de l’entraide. Margaret Atwood a vu dans ce roman une parenté avec La servante écarlate.

     

    Livre À Lire 2: Ce qu'elles disent, le nouveau roman de Miriam Toews


    Ce qu’elles disent, Boréal, 264 pages, traduction par Lori Saint-Martin et Paul Gagné.


    L’autrice

    Miriam Toews

    Naissance en 1964 à Steinbach (Manitoba), dans une communauté mennonite qu’elle quittera à 18 ans. Études aux universités du Manitoba et de King’s College à Halifax. En 1996, mère de deux jeunes enfants, elle publie un premier roman, Summer of My Amazing Luck (non traduit), tout en travaillant comme journaliste pigiste.

    En 2004, Drôle de tendresse remporte le Prix du Gouverneur général (œuvre de fiction en anglais) et se classe en tête des succès de librairie au pays, conférant une soudaine notoriété à son autrice. Jamais je ne t’oublierai (2013) et Pauvres petits chagrins (2015) racontent le suicide de son père en 1998 et celui de sa sœur en 2010.

    Miriam Toews «mêle le rire et les larmes pour concocter un élixir qui est l’essence même de la vie», a écrit Ron Charles, critique littéraire au Washington Post.

    Miriam Toews vit à Toronto avec son compagnon l’écrivain Erik Rutherford, près de ses enfants, ses petits-enfants et sa mère.

     

    Livre À Lire 2: Ce qu'elles disent, le nouveau roman de Miriam Toews


    Miriam Toews (Photo: Carol Loewen)

     

    Livre À Lire 2: Ce qu'elles disent, le nouveau roman de Miriam Toews

     

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