• le lutin et l'étudiant, conte de Hans Christian Andersen    Un lutin astucieux arriva un beau jour dans une ville et décida de
    s'installer chez un épicier. Ainsi il était sûr d'avoir tous les soirs un
    bon dîner. Tous les soirs, l'épicier lui préparait une assiettée de
    bouillie bien crémeuse, additionnée d'une cuillérée de confiture.
    D
    ans la même maison, au-dessus de la boutique, demeurait un
    étudiant si pauvre qu'il ne possédait que les deux ou trois livres
    dans lesquels il étudiait. Le lutin aurait souhaité être aussi instruit,
    mais la seule pensée d'habiter un grenier lui donnait des frissons.

    U
    n matin, l'étudiant vint acheter un maigre bout de fromage, un
    morceau de pain et un peu de beurre. Alors que l'épicier lui enve-
    loppait le tout dans une page d'un vieux livre tout déchiré, l'étudiant
    vit qu'il s'agissait d'un recueil rare et ancien de poèmes.
    - Reprenez le beurre ! s'écria l'étudiant. Donnez-moi le livre. J'aime
    ..
    mieux lire que manger.
    - Comme vous voudrez, dit l'épicier abasourdi.
    Le lutin, caché derrière une caisse, était perplexe.
       "Pourquoi la poésie serait-elle plus importante que la nourriture ? "
    Le soir venu, il grimpa jusqu'au grenier, et vit, à travers le trou de
    la serrure, l'étudiant en train de lire les poèmes à haute voix.
    - Des mots ! Rien que des mots ! marmonna-t-il.

    M
    ais il se produisit une chose étrange, merveilleuse. Le jeune
    homme était baigné d'une lumière douce, chaude comme un rayon
    de soleil, qui semblait provenir du livre, de même qu'un arbre extra-
    ordinaire commençait à sortir des pages. L'arbre se mit à grandir,
    jusqu'à ce que ses branches chargées de feuilles vertes entourent
    complètement l'étudiant. A son pied jaillirent des fleurs, et les ac-
    cents d'une musique exquise se firent entendre.
    A
    près plusieurs nuits, le lutin revint coller son oeil à la serrure, et
    ce qu'il vit lui parut si beau qu'il resta dans les courants d'air jusqu'à
    ce que ses yeux se ferment malgré lui.
       Une nuit, quelqu'un frappa dans les volets et cria : Au feu ! Au feu !
    L'épicier se sauva dans la rue en pressant son argent contre sa
    poitrine, mais le lutin ne pensa qu'une chose " Le livre de poèmes ! "
    Il monta quatre à quatre les escaliers, se précipita dans le grenier,
    et sans un regard pour l'étudiant encore endormi, saisit le livre qui
    était posé sur la table, sauta par la fenêtre, retomba sur le toit et se
    blottit entre deux cheminées, tenant contre son coeur son trésor,
    enveloppé dans son bonnet rouge.

    L
    e feu n'avait pas fait beaucoup de dégâts. Après la panique, le
    lutin remit le précieux livre sur la table du grenier.
    - Ainsi va la vie ! se dit le lutin. Je prendrai l'étudiant pour maître, et
    ..
    je me résignerai à habiter le grenier. Mais je n'abandonnerai pas
    ..
    mon épicier. J'irai le voir tous les soirs, à l'heure du dîner.
    C
    ar, pour être un lutin, on n'en apprécie pas moins les nourritures
    terrestres.
    Hans Christian Andersen