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    Michel-Ange (1475 - 1564)

    La démesure dans l'art

     

    Le 18 février 1564, Michelangelo Buonarroti, plus connu sous le nom de Michel-Ange, rejoint Dieu et ses anges. L'artiste toscan meurt à Rome à l'âge de 89 ans.

    Jusqu'à sa mort en pleine gloire, il a poursuivi une collaboration âpre et féconde avec tous les papes de la Renaissance, à commencer par Jules II.

    Marie Desclaux.

    Le génie de la Renaissance

    Michel-Ange est né à Caprese, près d'Arezzo (Toscane), le 6 mars 1475, dans la famille d'un modeste fonctionnaire. Tôt orphelin de mère, il est battu par son père qui ambitionne pour lui une carrière prestigieuse et s'oppose à sa vocation artistique.

    Il n'en arrive pas moins à entrer à 14 ans en apprentissage chez un artiste important, Domenico Ghirlandaio. Celui-ci détecte immédiatement chez l'enfant des talents très supérieurs aux siens.

    Il l'introduit auprès de Laurent de Médicis, dit le Magnifique, maître tout-puissant de Florence et principal mécène de son temps.

    Le jeune homme va pouvoir s'épanouir dans l'atmosphère follement optimiste et créatrice de la Florence de ce temps... non sans quelque désagrément : une bagarre avec son apprenti, jaloux de lui, lui vaut un nez cassé et le laisse plus ou moins défiguré.

    Après la chute des Médicis, Michel-Ange se réfugie à Venise puis à Rome. On est au temps où triomphent l'humanisme et l'individualisme.

    L'artiste ne tarde pas à subjuguer les amateurs d'art avec sa Pietà, une statue représentant la Vierge éplorée tenant dans ses bras, le corps de son fils, Jésus-Christ. Sculptée dans un bloc de marbre de Carrare choisi avec soin par l'artiste lui-même, elle figure aujourd'hui en bonne place dans la basilique Saint-Pierre de Rome.

    À 23 ans, Michel-Ange accède à la gloire et bientôt à la fortune. Il confirme son talent avec la statue géante de David, aujourd'hui au musée de l'Académie, à Florence. Mais il se fait aussi remarquer par son tempérament taciturne et ses manières très peu sociables (peut-être une forme particulière d'autisme). Sa sexualité suscite encore des interrogations. On ne lui connaît pas de conquête féminine ni d'attrait pour les femmes. Impuissance ? Homosexualité contenue ?...

    Il est en butte à la concurrence du doux Raphaël, du rude Léonard de Vinci et de quelques autres artistes plus accommodants que lui. Cela ne l'empêche pas de gagner la faveur du souverain le plus emblématique de la Renaissance italienne, Giuliano della Rovere, devenu pape le 1er novembre 1503 sous le nom de Jules II.

    Avide d'en remontrer aux puissants de ce monde, Jules II demande à Michel-Ange de lui sculpter un tombeau monumental. Effrayé, l'artiste empoche l'argent et s'enfuit à Florence. Mais le pape menace de faire la guerre à la République, laquelle convainc Michel-Ange de regagner Rome.

    Michel-Ange commence son travail avec la statue de Moïse, que l'on peut voir aujourd'hui à l'église Saint-Pierre aux Liens, à Rome. Cependant, en 1508, le pape change brusquement d'idée. Il ne veut plus de mausolée et exige de Michel-Ange qu'il décore d'une immense fresque la voûte de la Sixtine.

    La chapelle de Sixte

    La chapelle Sixtine, inaugurée le 31 octobre 1512, doit son nom au pape Sixte IV, né Francesco della Rovere. Celui-ci la fait construire au coeur des palais du Vatican en 1481-1483. Ses murs sont alors peints à fresque par d'illustres artistes tels Botticelli, Ghirlandaio ou Le Pérugin.

    La Création de l'Homme, détail de la Sixtine

    Michel-Ange, qui s'estime plus sculpteur que peintre, se rebiffe. Il soupçonne à juste titre l'architecte favori du pape, Bramante, d'être à l'origine de l'idée, dans le but de le placer en situation d'échec et de le ridiculiser.

    En définitive, vaincu par l'obstination du pape, il passera quatre années extrêmement pénibles sur les échafaudages et nous laissera 800 m2 de fresques imposantes, représentant la création du monde, de l'Homme et le Déluge. Vingt-trois ans plus tard, le pape Clément VII lui demandera une nouvelle fresque pour le mur de l'autel. Ce sera le grandiose Jugement dernier.

    Peu après le saccage de Rome par les lansquenets allemands de l'empereur Charles Quint (1527), le pape Paul III demande à l'artiste de réaménager la place du Capitole, siège du Sénat de la ville. Michel-Ange dessine le plan actuel, remarquable d'équilibre et d'harmonie, avec, au centre de la petite place, la statue en bronze de l'empereur Marc-Aurèle, héritée de l'Antiquité.

    En 1546, le même pape confie à Michel-Ange, architecte en chef du Vatican, le soin de reprendre la construction de la basilique Saint-Pierre de Rome, délaissée depuis la mort de Bramante, 32 ans plus tôt. Michel-Ange remanie les plans de son ancien rival et dessine une majestueuse coupole (136,50 mètres de hauteur totale). Parmi d'autres constructions romaines à mettre au crédit du vieil artiste figurent la Porta Pia et le palais Farnèse, qui abrite aujourd'hui l'ambassade de France.

    Entre christianisme et paganisme

    Sculpteur, peintre, architecte, ingénieur, poète, Michel-Ange est le plus démesuré des artistes de la Renaissance. C'est aussi le plus païen des illustrateurs de la foi catholique. L'énergie et la force vitale qui se dégagent de son oeuvre évoquent davantage la mythologie d'Hésiode que la compassion évangélique.

    Michel-Ange poète

    Ogn'ira, ogni miseria e ogni forza,
    Chi d'amor s'arma, vince, ogni fortuna.

    Chaque colère, misère et violence,
    Qui d'amour s'arme vainc le sort.

    Comment ne pas songer à Zeus devant la scène du Jugement dernier, à la Sixtine ? Et les bustes d'esclaves à demi ébauchés dans le matériau, n'est-ce pas l'Homme créé à partir de la Terre ? Que dire encore des David-Apollon, magnifiques représentations du corps humain ? Il n'y a guère chez Michel-Ange que la Pietà douloureuse de Saint-Pierre de Rome, réalisée à l'âge de 23 ans, qui échappe au soupçon de paganisme.

    Pourquoi Michel-Ange ?

    Depuis un demi-millénaire, le spectacle de Florence et Rome laisse perplexe autant qu'admiratif. Par quel miracle autant de beautés ont-elles pu surgir en l'espace de trois ou quatre générations ?

    A la cour de Laurent le Magnifique comme à celle de Jules II, dans des États et des villes qui ne dépassaient pas quelques centaines de milliers d'âmes, se retrouvaient une pléthore d'artistes dont un seul ferait la gloire d'une grande nation d'aujourd'hui. Que l'on pense à Michel-Ange bien sûr, mais aussi à Léonard de Vinci, Raphaël, Botticelli, Bramante...

    Ces génies auraient-ils été engendrés en cette époque et en ce lieu par une conjonction singulière des étoiles ? Absurde. Plus sûrement, nous devons admettre que c'est l'environnement humain et spirituel qui a permis à ces artistes de s'épanouir pleinement tandis qu'en d'autres lieux et en d'autres époques, ils auraient vécu médiocrement ou, pire, auraient sombré dans la maladie ou la démence.

    Nous pouvons imaginer, pour faire court, que les chromosomes du génie sont également répartis dans toutes les populations humaines... Ces chromosomes se dessèchent le plus souvent car ils tombent en mauvaise terre, dans un environnement peu propice. Et dans des circonstances rarissimes, ils génèrent à foison des Michel-Ange et des Raphaël, des Shakespeare et des Cervantès, des Mozart et des Beethoven.