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Environnement: Pour les récifs coralliens, les aires protégées... ne protègent pas si bien + vidéo
Pour les récifs coralliens, les aires
protégées... ne protègent pas si bien
En Nouvelle-Calédonie, les récifs coralliens isolés contiennent le plus de biomasse, faisant donc mieux que les aires marines protégées, qui sont trop proches des activités humaines. Les mesures de conservation de la biodiversité corallienne doivent donc être réévaluées.
L’état de la biodiversité dans les récifs proches de l’Homme est préoccupant. © Ethan Daniels, Shutterstock
Des études récentes révèlent qu’actuellement 75 % des récifs coralliens sont menacés à l’échelle mondiale (100 % à l’horizon 2050). Ces chiffres s’avèrent particulièrement alarmants, puisque ces réservoirs de biodiversité subviennent directement aux besoins alimentaires, économiques et culturels de nombreuses populations à travers le monde. Les réserves marines, ou AMP, constituent le principal outil pour tenter de préserver les écosystèmes coralliens. Ces aires de protection se révèlent efficaces, puisque l’on observe toujours une augmentation de la quantité de poissons dans la zone définie, après une mise en réserve.
Toutefois, mesurer l’efficacité absolue d’une AMP reste difficile, car cela nécessite de connaître « l’état de référence » de l’écosystème qu’elle protège, c’est-à-dire sa situation d’origine avant la présence de l’Homme. Les données fournies par les premiers naturalistes étant insuffisantes et peu détaillées, cette situation originelle est, dans la majorité des cas, basée sur les réserves marines mises en place pour protéger et restaurer les écosystèmes coralliens. Cette méthodologie soulève des interrogations : comment évaluer les réserves si celles-ci servent de référence ? Ces réserves sont-elles assez grandes, anciennes et restrictives pour être considérées comme état de référence ? Si ce n'est pas le cas, quelles autres sources d'information pourraient fournir aux gestionnaires un véritable état de référence pour des études comparatives ?
C'est pour répondre à cette problématique que cette étude a été menée, dans le cadre du programme Pristine, financé par la Fondation Total. Les objectifs : redéfinir l'état de référence des écosystèmes coralliens, en échantillonnant les récifs parmi les plus isolés de la Planète ; utiliser ces récifs isolés comme référence pour réévaluer l’efficacité des réserves marines.
Des chercheurs de l’IRD, de l’Université de Montpellier, de l’Université de la Nouvelle-Calédonie et de l’Université d’Hawaï ont conduit une étude internationale sur les récifs coralliens de Nouvelle-Calédonie. Les chercheurs ont échantillonné 1.833 communautés de poissons sur l'ensemble de l'archipel de Nouvelle-Calédonie, à partir d’observations sous-marines. Ils ont ainsi évalué, pour la première fois, les niveaux de biomasse, le nombre d’espèces et de fonctions écologiques (diversité fonctionnelle) des poissons de récifs coralliens, le long d’un gradient de densité humaine allant de récifs isolés et inhabités jusqu'à des densités de 2.135 habitants au km2 près de la capitale, Nouméa.
Les récifs situés à plus de 20 heures de Nouméa comptabilisaient le plus de biomasse. © Ethan Daniels, ShutterstockPlus de biomasse dans les récifs isolés que dans
les réserves protégées
Les résultats montrent que l’état de référence, où la biomasse et la biodiversité des communautés de poissons est maximale, se situe dans les récifs isolés des populations humaines, localisés à plus de 20 heures de temps de trajet de Nouméa, au cœur du parc naturel de la mer de Corail. Ce nouveau référentiel a permis aux chercheurs d’évaluer l’état des récifs coralliens de Nouvelle-Calédonie, ainsi que l’efficacité des mesures de protection existantes. Les chercheurs révèlent que dans les récifs exploités et proches de l’Homme, l’état des communautés de poissons est préoccupant, avec une chute de 44 % de la biomasse, 69 % pour les poissons prédateurs, 36 % pour les poissons herbivores et 60 % pour le nombre de fonctions écologiques.
Une comparaison avec les niveaux de biomasse et de biodiversité en poissons issues de 15 AMP indique que le bénéfice lié à la protection est réduit à quelques groupes d’espèces et fonctions (herbivores) et limité pour d’autres (prédateurs). Même les réserves intégrales, où l’accès est interdit, de grande taille et anciennes, ont un effet partiel sur les communautés de poissons. Par exemple, dans la réserve Yves Merlet (172 km2, 38 ans d’existence), les espèces prédatrices ont une biomasse encore 3,5 fois moins élevée que dans les récifs isolés de référence.
Même si elles permettent d’atteindre des niveaux élevés de biomasse pour de nombreuses espèces, les réserves marines de Nouvelle-Calédonie ne peuvent concurrencer les récifs isolés, qui sont les seuls à maintenir l’intégrité des fonctions écologiques sur les systèmes coralliens, notamment celles associées aux prédateurs. Cette étude montre ainsi une complémentarité entre les réserves intégrales de grande taille, qui protègent de nombreuses communautés de poissons proches de l’Homme, et les récifs isolés, qui protègent les fonctions les plus vulnérables. Les chercheurs attirent l’attention sur l’importance de protéger ces récifs isolés, car ils constituent les derniers refuges pour des composantes essentielles de la biodiversité marine.
Ce travail a été réalisé par un consortium incluant des chercheurs des laboratoires Marbec, Eentropie et Live, avec le soutien du CNRS. Il paraît dans la revue Nature Communications.
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