• Alimentation 3: On mange quoi pour vivre 100 ans?

     

    On mange quoi pour vivre 100 ans?


    Une diète-élixir qui garantirait à jamais la forme de ses 20 ans? Bien sûr que ça n’existe pas. Mais des recherches fascinantes menées au Québec commencent tout de même à livrer des pistes pour nous permettre de vivre le plus longtemps possible à l’abri des maladies meurtrières.


    Marie-Hélène Proulx de la revue Châtelaine

     

    Alimentation 3:  On mange quoi pour vivre 100 ans?

    Photo: iStock.com/Knape


    C’est peut-être grâce à 1 793 Québécois qu’on découvrira un jour la recette pour péter le feu au-delà de 100 ans. Leur dévouement est peu connu du grand public: au milieu des années 2000, de valeureux Lavallois, Montréalais et Sherbrookois âgés de 67 à 84 ans se sont pliés aux exigences de l’étude NuAge, un projet unique au monde visant à mieux comprendre l’impact de la nutrition sur notre façon de vieillir.

    «Ces hommes et ces femmes d’une générosité sans borne ont fait ça pour les générations futures, pour qu’elles vivent plus longtemps et en meilleure santé», s’émeut l’une des cinq instigatrices de l’enquête, la pharmacologue Pierrette Gaudreau, professeure au Département de médecine de l’Université de Montréal.

    Tous les quatre mois pendant quatre ans, ces quelque 1 800 personnes ont accepté de répondre à des questionnaires détaillés sur leur alimentation. Les scientifiques notaient minutieusement ce qu’elles avaient mangé dans les 24 dernières heures (à la miette près!), la grosseur des portions, le mode de cuisson et l’heure à laquelle elles avaient pris leur repas. De plus, toutes devaient se rendre à l’hôpital une fois l’an pour se faire examiner dans leurs moindres replis, et subir une armée de tests de force physique et de performance cognitive.

    «Ça a donné lieu à une base de données d’une richesse comme on n’en voit presque jamais», affirme Stéphanie Chevalier, professeure à l’École de nutrition humaine de l’Université McGill. À l’instar d’autres chercheurs d’ici et d’ailleurs sur la planète, la nutritionniste se sert de cette montagne d’informations, comprenant de précieux échantillons de cellules, de salive et de sang, pour épingler les comportements alimentaires qui aident à giguer jusqu’à 90 ans passés.

    Plus vieux, mais plus poqués

    Les Canadiens n’ont jamais vécu aussi longtemps – 79,8 ans en moyenne chez les hommes, et 83,9 ans chez les femmes, selon des données toutes fraîches de Statistique Canada. Si les conditions de vie continuent de s’améliorer, le Québec devrait même compter 55 000 centenaires en 2061, alors qu’on en dénombre seulement 1 800 aujourd’hui. « Mais sans les avancées spectaculaires dans le domaine des médicaments et des interventions chirurgicales, je ne pense pas que la longévité progresserait à ce point », nuance Pierrette Gaudreau, experte en biologie du vieillissement. Autrement dit, on doit davantage à la science nos années de plus qu’à nos comportements vertueux… Et puis, gros bémol : une bonne partie de ce bonus n’est pas passé à jouir des plaisirs terrestres. Car l’espérance de vie en bonne santé, c’est-à-dire sans douleurs physiques ou psychologiques importantes, ni perte des capacités motrices, cognitives ou sensorielles, est pas mal moins élevée que l’espérance de vie tout court : 69 ans pour les hommes, et 70,5 pour les femmes. Ce qui signifie qu’on se tape en moyenne une douzaine d’années avec des problèmes de santé majeurs avant de rendre l’âme. « Mais c’est justement là qu’une alimentation saine peut faire toute la différence, puisqu’elle repousse l’arrivée de maladies chroniques très invalidantes comme le diabète, l’hypertension et les maladies cardiovasculaires », note la nutritionniste Nancy Presse.

    Semer ses graines de bonne heure

    Il est trop tôt pour parler de l’effet «fontaine de jouvence» de certains aliments – si une telle chose existe! –, l’analyse de la collecte de données étant encore en cours. L’équipe de Pierrette Gaudreau souhaite examiner bientôt les causes de mortalité des participants décédés et refaire des tests auprès de ceux qui vivent toujours, dont bon nombre sont désormais nonagénaires. «Une mine d’or pour la science!» lance-t-elle.

    Mais en se basant sur les centaines de recherches que NuAge a générées jusqu’à présent, on peut à tout le moins déterminer des habitudes associées à une meilleure qualité de vie à long terme. Surtout si elles ont été acquises tôt. «La façon dont on se nourrit quand on est jeune, et particulièrement à partir de 40 ans, semble déterminer beaucoup son état de santé en vieillissant, soutient Guylaine Ferland, spécialiste du rôle de la nutrition dans le vieillissement et professeure à l’Université de Montréal. En décortiquant les études effectuées sur de grandes populations, on se rend compte que des conditions présentes au mi-temps de la vie, comme l’obésité ou l’hypertension, peuvent avoir des répercussions importantes plus tard.»

    Et c’est vrai notamment sur le plan cognitif, le dada de cette experte de la santé cérébrale. Grâce à des mesures récoltées auprès d’un sous-groupe de 420 participants à NuAge, elle a découvert que les gens consommant plus de vitamine K – très présente dans les fines herbes, les légumes feuillus vert foncé et les huiles de soya et de canola – performaient mieux à des exercices évaluant leur mémoire et leur capacité d’apprentissage. Ils retenaient plus de mots, et plus vite, que ceux dont le menu quotidien était pauvre en vitamine K. Mais attention, la différence entre les deux groupes n’était pas à trancher au couteau: «Les gens voudraient qu’on leur présente une vitamine miracle pour régler leurs problèmes d’un coup, sauf que c’est impossible. Notre physiologie est trop complexe.»

    Par contre, il semble que des composantes de nos repas soient bel et bien liées à un moindre risque de souffrir de démence ou d’alzheimer. Et ça ne se limite pas à la vitamine K. «En gros, on constate que plus une personne mange de fruits, de légumes et de poissons gras, meilleure est sa cognition à long terme», indique Guylaine Ferland.

    Les légumes en vedette

    C’est ce que les scientifiques du projet NuAge ont appelé la «diète prudente». Et ses caractéristiques se rapprochent drôlement de l’alimentation adoptée par les populations de la fameuse Blue Zone, ces endroits sur la planète où vivent un nombre remarquable de centenaires – dont l’île d’Icarie en Grèce, la région de la Sardaigne en Italie et la péninsule de Nicoya au Costa Rica. Elle est aussi très semblable au modèle nutritionnel méditerranéen, désormais inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Maintes études ont confirmé les vertus protectrices de ce régime (riche en fruits, légumes, légumineuses, noix, graines, produits céréaliers, huile d’olive…) face aux maladies cardiovasculaires et au cancer.

    Ces approches ont toutes en commun de mettre à l’avant-scène les végétaux. «Ils doivent constituer 50% de notre assiette à tous les repas. Et ça exclut les patates!» résume Michel Lucas, professeur au Département de médecine sociale et préventive de l’Université Laval. À ce chapitre, le spécialiste trouve que les Québécois ont du chemin à faire: plus de la moitié d’entre nous ne consomme pas la quantité quotidienne minimale recommandée, soit 5 portions (l’idéal étant 10, ou 800 grammes en tout).

    «C’est vraiment une lacune importante, qui s’explique en partie par la perception qu’ils n’ont pas bon goût», se désole-t-il. Il dénonce d’ailleurs les «publicités stupides» qui véhiculent l’idée que, pour réussir à faire avaler des légumes aux enfants, il faut leur faire croire qu’il s’agit d’autre chose. «Ce n’est pas encore intégré à notre culture de les apprêter afin de mettre en valeur leurs couleurs et leurs saveurs. Pourtant, quand ils sont bien cuisinés, et non trop cuits à la vapeur, y a-t-il quelque chose de meilleur que des choux de Bruxelles ou des champignons?»

    Dix portions de végétaux par jour préviendraient huit millions de morts prématurées par an dans le monde, selon une synthèse récente de 95 études publiée dans la revue International Journal of Epidemiology. «Je dis souvent que ce qui tue les gens tient à deux choses: trop et trop peu, dit Michel Lucas, qui est aussi chercheur invité à Harvard. Trop peu de légumes, de grains entiers, de noix et de poisson dans l’assiette mène à trop de viande, de céréales raffinées, de charcuteries et de boissons sucrées. La qualité alimentaire déficiente est plus meurtrière que le tabac, l’inactivité physique et la surconsommation d’alcool réunis.»

    À la portée de tous

    Le prix des aliments est la préoccupation première des Québécois à l’épicerie – avant même la qualité et les considérations de santé. Or, remplir son panier de végétaux, comme le préconise la «diète prudente», ça fait mal au portefeuille… Sauf si on suit les règles suivantes:

    privilégier les légumes et les fruits de saison;
    faire des conserves et des provisions au congélateur à la fin de l’été;
    surveiller les rabais;
    opter pour les fruits et les légumes surgelés pendant l’hiver.
    À noter aussi qu’en théorie, l’ajout de végétaux dans l’assiette devrait entraîner une diminution de la portion de viande. Ce qui permet des économies (un gros T-bone, ce n’est pas donné!).

    Ensemble, c’est tout

    Pour ne pas finir au cimetière avant son temps, est-il alors plus sage d’embrasser le végétarisme – voire le végétalisme? Pas forcément, estime la nutritionniste Stéphanie Chevalier, de l’Université McGill. Sans condamner ces pratiques – «qui sont des choix écologiques ou moraux qui se valent» –, elle en a contre le courant de pensée antiviande actuel. «En soi, la viande n’est pas un problème, pourvu qu’on en mange en petite quantité. Elle ne devrait pas être la pièce centrale du repas, mais un complément. Trois onces (85 g) de poulet, de poisson ou de viande rouge dans l’assiette, c’est suffisant.»

    Par ailleurs, la spécialiste a découvert, grâce aux participants de NuAge, que consommer des protéines (animales ou végétales) à tous les repas est associé au maintien de la masse et de la force musculaires au fil des années. Ce qui, en principe, permet de conserver son autonomie le plus longtemps possible, un vœu cher à la plupart d’entre nous, qui redoutons de finir nos jours en vieillardes grabataires. Et, bien sûr, de rester en forme et actives, notamment sur le plan social.

    Car ça aussi, ça aide à faire de vieux os. Peut-être autant que de se nourrir sainement – bien que l’importance relative des différents facteurs qui concou-rent à la longévité demeure un mystère. Dans son fascinant ouvrage The Village Effect, paru en 2015, la psychologue montréalaise Susan Pinker démontre, études à l’appui, que casser la croûte régulièrement avec les copains prolonge les jours de 15 ans, en moyenne.

    «En général, les gens qui cultivent leur réseau social s’alimentent mieux et davantage», note la nutritionniste Nancy Presse, qui gère la banque de données NuAge à l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal. Comme chercheuse, elle est très préoccupée par la malnutrition des aînés, «un problème peu reconnu» qu’elle observe souvent, notamment chez les femmes seules. «J’appelle ça le syndrome de la tasse de thé et de la toast.» Par manque d’argent ou de motivation à cuisiner, beaucoup se contentent de quelques bouchées sur un coin de table et finissent par fondre comme neige au soleil. «Les gens pensent que c’est normal de maigrir avec l’âge, mais c’est faux. Ne pas manger suffisamment fait perdre de la masse musculaire et diminue les fonctions immunitaires.»

    Sa collègue Pierrette Gaudreau insiste aussi sur l’importance d’aller à la rencontre de l’autre. «Même quand le goût y est plus ou moins, il faut appeler ses amis, sortir au resto… Car au-delà de l’alimentation, ces précieuses interactions sociales nourrissent l’appétit pour la vie.»

    Se priver pour durer?

    L’un des outils les plus puissants jamais observés par les chercheurs pour prolonger la vie s’appelle la restriction calorique, soit le fait de limiter à long terme sa consommation d’aliments. «Chez les animaux, les résultats sont spectaculaires», affirme la professeure en nutrition Guylaine Ferland.

    Les rats à qui elle faisait suivre une diète sévère, mais équilibrée, comprenant 40 % moins de nourriture, ont vécu en moyenne 30 % plus longtemps que ceux ayant un accès illimité à leurs croquettes. «Ils restaient minces sans être maigres, et conservaient une allure beaucoup plus jeune même à un âge avancé. Aussi, leurs fonctions cérébrales étaient maintenues, tandis qu’on remarquait un déclin de la cognition chez les autres.»

    D’autres scientifiques ont tenté l’expérience depuis la découverte de cet intrigant mécanisme de l’organisme dans les années 1930. Entre autres avec des singes rhésus, et tout récemment avec des lémuriens. Chaque fois, même conclusion: les animaux moins nourris vivent plus vieux et arborent leur fourrure de jeunesse jusqu’à tard dans leur vie.

    Pourquoi? «C’est la question à 10 millions de dollars», dit Guylaine Ferland. Parmi les pistes les plus sérieuses: se priver de bouffe garderait alerte l’hormone de croissance, responsable du bon maintien des muscles et de la gestion du gras, en plus de ralentir l’oxydation des cellules. «Mais on ne comprend pas encore vraiment comment ça agit. Sinon, quelqu’un aurait déjà mis au point la pilule qui imite ces processus!»

    Et puis, rien ne garantit que la restriction calorique fonctionne aussi bien chez les humains que chez les animaux. Jusqu’ici, seuls de modestes travaux ont été réalisés aux États-Unis, auprès de «CRONies» (pour Caloric Restriction With Optimal Nutrition), une poignée de courageux qui retranchent de leur assiette 30 % du nombre de calories recommandées par le département de l’Agriculture américain, tout en veillant à ne manquer d’aucun nutriment. Il semble que ces gens aient un métabolisme remarquable et des corps d’adolescents, même dans la cinquantaine.

    Au Japon aussi, où l’on trouve la plus forte concentration de centenaires au monde (37 pour 100 000 habitants, contre 17,4 pour 100 000 au Canada), certains pratiquent une forme plus douce de privation de nourriture qui s’appelle le hara hachi bu. Cette approche philosophique consiste à manger toujours à 80% de sa faim. De se laisser un p’tit trou en permanence, quoi.

    Oui, mais regarde ma tante Gertrude!

    On connaît toutes un parent ou une voisine qui a ripaillé toute sa vie comme si c’était Noël chaque jour, avant de s’éteindre à 99 ans le sourire aux lèvres, en même temps que sa dernière cigarette. Et il s’en trouve toujours pour les citer en exemple afin de relativiser l’importance de bien se nourrir. Mais en recherche, on travaille avec des probabilités à l’échelle de la population, et non sur le plan individuel, explique la diététiste-nutritionniste Nancy Presse. «Oui, une personne qui mange bien peut mourir d’une crise cardiaque à 60 ans, mais en étudiant plus largement les tendances de groupe, on constate que son risque est plus faible que chez ceux qui ne font pas attention», dit-elle.

     

     

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