• Art et Culture 5: La Roya-Bévéra : une voie royale

     

    La Roya-Bévéra : une voie royale

     

     

    Par Détours en France
     
     

    Cette vallée orientale, au-dessus de Menton, flirte avec l’Italie et sa frontière. La Roya Bévéra a vu son destin façonné par la route du sel et son appartenance à la Maison de Savoie. Des villages perchés, des églises baroques, des ouvrages militaires témoignent d’une histoire riche et tumultueuse jouée dans un fascinant décor de montagne. De Sospel au col de Tende, des oliveraies aux forêts de pins cembros et de mélèzes, voyage dans une vallée royale au charme ravageur.

     

     

     
    collégiale Notre-Dame-de-l'Assomption à Roya
    Collégiale Notre-Dame-de-l'Assomption.
     

    La Roya-bévéra : un axe salicole

     

    Cette denrée précieuse et vitale, transportée dès le Moyen Âge par bateau depuis les salins d’Hyères jusqu’à Nice, puis chargée sur des caravanes muletières empruntant les chemins escarpés des vallées de la Bévéra, de la Roya et du col de Tende pour gagner Turin. En 1295, quand le comte de Provence Charles d’Anjou fait d’une rade protégée près de Nice un port franc et crée Villefranche, le trafic s’accélère. La Roya-Bévéra devient un axe d’échanges dont la suprématie s’affirme à partir de 1388 quand la Maison de Savoie gagne un accès à la mer avec la dédition du comté de Nice. Avec la route du sel, les villages de ces vallées sauvages se développent, s’enrichissent et peuvent se parer des plus beaux atours de l’art baroque.

     

     
    Le Pont Vieux enjambe la rivière. Son existence est attestée depuis le XIIIe siècle, il a été détruit et reconstruit à de nombreuses reprises. Sa tour centrale date au moins du XVIIe siècle.
     

    Sospel, le triomphe de l’art baroque

     

    Le visiteur qui rallie aujourd’hui Nice à Sospel en voiture suit les mêmes lacets que l’ancienne route du sel, bordée de genêts parfumés, de chênes verts, de pins et d’oliviers. La Bévéra coule paisiblement à travers Sospel, laissant entrevoir son lit de roches dans la sécheresse de l’été. Sur ses rives, derrière les roseaux et les buissons verdoyants, se dressent des maisons ocre, jaunes ou bleues ornées de balcons.

    Sur la rive gauche de la Bévéra, au détour d’un lacis de rues étroite, la chapelle Sainte-Croix des Pénitents blancs à la façade azur. Son clocher triangulaire illustre une théâtralité toute baroque. « L’appartenance à la Maison de Savoie a fait déferler le style baroque sur le comté de Nice au XVIIIe siècle. L’architecture de Turin était déjà très marquée par cet art. » précise Isabelle Osché, adjointe à la culture de la ville et guide-conférencière. À l’intérieur de la chapelle, des fresques représentent même de fausses tentures de théâtre.

     

     
    Cathédrale Saint-Michel à Sospel.
     

    Sur l’autre rive, la place Saint-Michel sort aussi le grand jeu du baroque autour d’une calade de galets blancs et gris. On débouche sur l’esplanade un peu par surprise, ébloui par une lumière ravageuse au sortir d’une ruelle médiévale sombre. La cathédrale Saint-Michel dresse une monumentale façade jaune, au fronton triangulaire, ornée de pilastres. Accolé à l’édifice, le clocher en pierre sonne faux.

     

    Le train des merveilles

     

    Une croisière ferroviaire dans les vallées de la Bévéra et de la Roya : une manière originale de découvrir le patrimoine de l’arrière-pays niçois avec des escales à Sospel, Saorge, Saint-Dalmas-de-Tende et Tende. La ligne Nice–Breil-sur-Roya–Cunéo désenclave la vallée et émerveille les touristes. En 1 000 mètres de dénivelé, une suite de viaducs érigés en surplombs de canyons, une centaine de tunnels dont plusieurs en « fer à cheval » ou hélicoïdaux.

    > Découvrez aussi le train des Pignes.

     

    Village de Saorge
     

    En remontant vers le nord

     

    Après Sospel, la route franchit le col de Bruis. Avec l’altitude, les pins cembros remplacent les oliviers. Ces derniers réapparaissent à nouveau quand le ruban de bitume plonge avec franchise vers la Roya qui sinue entre les rochers dans un doux murmure d’eau. Malgré tout, la Méditerranée semble s’éloigner alors que les montagnes dessinent un relief plus impétueux et acéré autour du fleuve. Depuis Tende, il dévale sur une soixantaine de kilomètres avant de se jeter dans la Grande Bleue à Vintimille, en Italie. Dans le sillage de l’ancienne piste du sel, nous remontons la vallée vers le nord. À la sortie d’un virage, des maisons hautes pelotonnées sur le flanc de la montagne attrapent le regard.

     

    Saorge, cœur médiéval

     

    Avec ses toits en lauze violette et ses clochers à bulbe en tuiles vernissées ocre, le village de Saorge séduit immédiatement par les détails de son architecture. Sa position spectaculaire lui donne le charme indéfinissable de ces hameaux perchés, où la vue et le vent stimulent l’imaginaire. Fort d’un emplacement stratégique, en hauteur dans l’arrière-pays niçois et au croisement des vallées de la Roya, du Caïros et de la Bendola, Saorge fut un refuge et un site de défense privilégié.

     

     
    Trois châteaux, aujourd’hui disparus, veillaient sur le village. Avec ses traverses couvertes, ses arcs de confortement entre les maisons, et ses « pountins », petits ponts en pierre permettant d’accéder depuis la rue aux niveaux supérieurs des habitations, le cœur médiéval de Saorge apprivoise le relief, se protège de la pluie, du vent, du temps. Le village s’enorgueillit d’être le dernier de la vallée où l’on sonne les cloches aux mains et aux pieds.
     

    Saorge : une résidence d’écrivains

     

    À l’extrémité de l’amphithéâtre formé par le village, un autre édifice sacré marque le paysage et l’histoire de Saorge. Dans un écrin de verdure, sur un éperon rocheux lorgnant sur l’éblouissant relief de la vallée de la Bendola, le monastère de Saorge recèle quelques curiosités. Baroque, une collection de neuf cadrans solaires peints sur les arcades du cloître et du clocher rivalise avec les fresques qui racontent la vie de saint François d’Assise.

     

     

    Dans la chapelle Notre-Dame, collées derrière le chœur en noyer sculpté d’une délicate dentelle de bois, des notes de chants grégoriens servaient d’antisèches aux moines. Les derniers sont partis en 1988. À l’arrière de l’édifice, un jardin et un potager embaument le jasmin, le seringat et les genêts. Un havre de paix inspirant pour les écrivains en résidence dans cet ancien couvent des franciscains.

     

    Des troupeaux et des hommes

     

    Les oliviers étagés en terrasses sur les pentes du bas de Saorge sont les derniers de la Roya. Plus haut, la vallée devient montagnarde. Peu avant Tende, en quelques lacets et une dizaine de kilomètres, une route bifurque de l’axe principal et s’engouffre dans un paysage alpin, une dépression étroite où se dressent de part et d’autre des à-pics impérieux, léchés par des mélèzes et des pins cembros à l’haleine fraîche.

     

     
    C’est là, à Casterino, à 1 550 mètres d’altitude, que s’installent quelques bergers à la fin du printemps avant de partir en transhumance dans la vallée des Merveilles toute proche. Le troupeau de Céline Giordano, une jeune éleveuse à Casterino est essentiellement composé de brebis brigasques. « Une race rustique, qui a gardé ses cornes, et dont la mèche rugueuse permet de faire du feutre... et des tapis. »

    Ainsi, la laine de ces brebis de la Haute-Roya voyage jusqu’en Sardaigne où sont tissés des tapis reprenant des motifs des gravures rupestres de la vallée des Merveilles. Une manière de consolider une filière autour des ovins et de faire vivre les éleveurs de montagne. Les bergers de Casterino fabriquent également un fromage de transhumance, sans moule, quand ils sont sur les terres d’estive. « On se débrouille avec une planche, un caillou et un morceau de toile. ».

     

     
    Fort central au Col de Tende.
     

    Inutiles forts des cimes

     

    Depuis Casterino, une route buissonnière part à l’assaut du col de Tende à travers les pâturages. Des bergers italiens viennent toujours y faire pacager leurs troupeaux en vertu d’accords anciens. Des vaches piémontaises, avec de gros cuisseaux et des yeux de biche, observent les visiteurs avec nonchalance. À la fin du XIXe siècle, des tensions entre la France et l’Italie ont poussé cette dernière à hérisser les cimes d’une quinzaine d’ouvrages militaires. À l’époque, la crête est encore italienne, le roi Victor Emmanuel II ayant obtenu de conserver les communes de Tende et de La Brigue au moment de la cession du comté de Nice en 1860. Des casernements, des forts et des batteries occupent toujours le dessus de la vallée. Leurs meurtrières ouvrent sur des prairies fleuries.

     

     
    Fort central au col de tende

    Au sommet du col, à 1 871 mètres, le fort central commande l’ensemble du dispositif. Le vent balaye sans répit cet immense trapèze de pierre, cerné d’une fosse, autrefois équipé d’une artillerie de longue portée. Un peu en contre-bas, côté italien, un casernement pouvait abriter jusqu‘à 2 000 personnes. La toiture a disparu, les rebords en schiste de ses fenêtres ont été dérobés, mais ses hautes murailles distillent toujours un sentiment de confinement et de désolation. Aucun coup de canon ou de feu n’a jamais brisé le silence souverain de ces montagnes. Il flotte un parfum de désert des Tartares sur le col de Tende.

     

    Tende, le fief des lascaris

     

    Depuis le col, on distingue les lacets sans fin de la piste qui grimpe péniblement depuis Tende, plus bas dans la vallée. Une route momentanément condamnée alors que s’achèvent les travaux de percement d’un deuxième tunnel entre la France et l’Italie. Tende, l’ancien fief des Lascaris. Enrichie par les taxes sur le sel et autres droits de passage du col au Moyen Âge, cette puissante famille a réussi à faire de ce bourg un comté indépendant jusqu’en 1581.

     

     

    Ainsi, c’est près de 200 ans après Sospel ou Saorge que Tende rejoint le comté de Nice sous la souveraineté de la Maison de Savoie. Le seul vestige du palais des Lascaris du XIVe siècle est une flèche de pierre de l’ancien donjon. Elle défie le ciel sur les hauteurs du village. La vue panoramique dont jouissaient autrefois les seigneurs donne aujourd’hui à contempler un enchevêtrement de toits en lauze entre le gris et le bleu. Dépassent la façade ocre et azur de l’église collégiale et son clocher de style lombard.

    Dans sa chapelle, reposent certains comtes de Lascaris. Dans les ruelles du bourg, des linteaux de porte en schiste vert témoignent de la richesse passée. Gravés du monogramme « IHS » signifiant « Jésus sauveur des hommes », ils éloignent les mauvais esprits de la maison.

     

     
    À La Brigue, la chapelle de Notre-Dame-des-Fontaines recèle un trésor en bon état de conservation : des fresques du XVe siècle attribuées à Jean Canavesio couvrent plus de 200 m2. Ce qui lui vaut le surnom de Sixtine des Alpes méridionales.
     

    La chapelle sixtine de la Roya

     

    Notre itinéraire dans la vallée s’achève à La Brigue, dans une clairière bercée par le chuchotement d’une rivière. Dans cet apaisant décor, la chapelle médiévale Notre-Dame- des-Fontaines, à 4 kilomètres à l’est de La Brigue, surprend par la magnificence de ses fresques murales. Réalisées à la toute fin du XVe siècle, elles racontent la vie de Marie, la Passion du Christ et le Jugement dernier.

    Dans le tableau de la trahison de Judas, certains habitants se plaisent à voir une représentation du complot ourdi en 1472 par la Maison de Savoie pour assassiner Honoré de Lascaris et intégrer enfin Tende dans le comté de Nice. Dans la vallée de la Roya, on n’échappe pas facilement à l’histoire.

     

    Le saviez-vous ?

     

    En 1860, lors de la cession du comté de Nice à la France, la nouvelle frontière passe au sud de la vallée des Merveilles et de Saint-Dalmas-de-Tende. La gare ferroviaire de cette bourgade de montagne impressionne par sa taille monumentale et son architecture néobaroque en pierre rousse. Bâtie sous les ordres de Mussolini, à 700 mètres d’altitude, elle devait signifier la grandeur de l’Italie au nouvel arrivant. Aujourd’hui à l’abandon, enveloppée du mystère inhérent aux bâtiments délaissés, elle intrigue les passagers du train des Merveilles qui marque un arrêt sur ses quais.

     

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