• Patrimoine français - 2: La montagne corse : un itinéraire à couper le souffle

     

    La montagne corse : un itinéraire à

    couper le souffle

     

    Par Florence Donnarel
     
    source : Détours en France n°216
     
     

    Au centre de la longue dorsale de granite qui la traverse, bat l’âme d’une île à la nature prodigieuse. De Corte, la fière cité de l’intérieur, aux lacs d’altitude sertis de pitons, des forêts cathédrales qui tapissent les hautes vallées aux canyons où s’adonner aux sports d’eau vive, un itinéraire au sommet.

     
     
     
    Corte en Corse

     

    Plus qu’ailleurs, Corte cultive le souvenir de Pascal Paoli. Place, cours, statues... tout résonne ici du nom du père de la patrie corse, qui fit de Corte la capitale de l’Île entre 1755 et 1769. D’ailleurs, le château perché sur un éperon rocheux dominant la ville, nid d’aigle impétueux, ne respire-t-il pas l’insoumission ? Élevé au XVe siècle par Vincentello d’Istria, vice-roi de Corse au nom du roi d’Aragon, l’édifice consacrait déjà la position stratégique de ce bourg du centre montagneux de l’Île, à mi-chemin entre Bastia et Ajaccio.

     

     

    Une cité paoline hors du temps

     

    Corte en Corse

     

    Le belvédère de la vieille ville permet d’admirer le château, bâtisse ventrue enfermée dans une muraille crénelée qui épouse le rocher. On y prend aussi la mesure de l’intérêt militaire de Corte, face aux vallées de la Restonica et du Tavignano qui s’ouvrent à l’ouest. Autour et par-delà le château, s’étend la citadelle, fortification bastionnée élevée en 1769, qui couronne la ville haute et occupe l’espace avec deux grandes casernes aujourd’hui converties en musée et en bâtiments publics.

     

    Ruelle dans Corte en Corse

     

    Mais le charme de Corte est ailleurs : dans le quartier qui dévale de la citadelle. Des maisons hautes qui semblent chercher la lumière, des rues pentues pavées de galets, des jardins au milieu de la ville, et ce sentiment que le temps s’est arrêté. Quelques édifices conservent dans leurs murs les signes de l’Histoire et parfois de la rébellion. La façade de la maison Gaffory, sur la place éponyme, est criblée d’impacts de balles rappelant les attaques commises contre son propriétaire, chef de la révolution insulaire à partir de 1745 et assassiné par les Génois en 1753. Juste au-dessus, le Palais national, monumentale bâtisse carrée au toit en lauze, accueillit le siège du gouvernement et du parlement de la Corse indépendante de Paoli. C’est aussi ici que l’homme fort de l’Île installa en 1765 l’université de Corse. Fermée quatre ans plus tard, après la défaite des patriotes corses à Ponte Novo, elle ne rouvrit qu’en 1981. Aujourd’hui, de septembre à juin, environ 4 700 étudiants (près des deux tiers de la population de la ville) insufflent un vent de jeunesse dans les rues de la ville basse de Corte, écrivant une nouvelle page de l’Histoire.

     

     

    Le cachet glaciaire des lacs d'altitude du Cortenais

     

    Lac de Mélo en Corse

     

    Au sud-ouest de Corte, la route bardée de grands pins qui emprunte les étroites gorges de la Restonica débouche sur une vallée d’altitude, point de départ d’une randonnée vers quelques-uns des plus beaux lacs de montagne corses. C’est le terrain de jeu d’Antoine Orsini, hydrobiologiste et enseignant à l’université de Corte qui nous accompagne au cœur de ce massif de granite. « Nous sommes dans une vallée en U creusée par les glaciers », explique l’expert alors que nous commençons notre marche depuis les bergeries de Grotelle, à 1 370 m.

     

     

    Sur les dalles et les rochers de granite qui ponctuent la montée, il désigne les surfaces polies et les stries en forme de coup de cuillère qui témoignent du travail d’érosion des glaciers. « Plus bas, dans les gorges, là où la fonte des glaces s’est arrêtée, la vallée adopte une forme en V typique d’un creusement par la rivière », poursuit-il.

     

     

    Cette rivière, c’est le torrent de la Restonica, alimenté par les lacs de Melo et Capitello, le fil d’Ariane de notre ascension. Des genêts piquants et des genévriers rampants ondulent au sol tandis que les pampilles rouges des sorbiers des oiseleurs distillent leurs notes colorées dans le paysage. Quelques vaches se promènent encore sur ces pâturages d’été. « Les lacs se sont formés avec le retrait des dernières glaces, il y a 10000 ans, éclaire notre spécialiste. La plupart des lacs corses sont nés du surcreusement des glaciers au moment où ils rencontrent une roche plus dure. » 

     

    Le lac de Mélo en Corse

     

    C’est le cas de Melo que l’on découvre après avoir franchi une barre de granite, à 1711 m. Enchâssé dans la montagne, il scintille des reflets verts des arbustes qui dévalent des pentes. « Les lacs se comblent à cause du gravier et du sable charriés par la pluie et la fonte des neiges, commente Antoine Orsini.

     

    Lac de Nino dans la vallée de Restonica en Corse

     

    L’évaporation provoquée par le changement climatique accentue le phénomène. Des bancs finissent par émerger au bord des lacs, colonisés par la végétation. Ce sont les pozzines. » Sur la rive droite du lac, nous observons ces pelouses de velours vert, imbibées d’eau et criblées d’aulnes odorants.

     

     

    Capitello, un lac de glace

     

    La lac de Capitello en Corse

     

    Le sentier vers le lac de Capitello grimpe avec hardiesse parmi les rochers, à flanc de montagne. Suspendu entre les aiguilles de granite, le plus profond des lacs corses (42 m) brille sous le soleil. « À près de 2000 m, Capitello est gelé plus de la moitié de l’année. En hiver, pour mener nos études, on y pratique la plongée sous-glace», sourit Antoine Orsini. Il a, par exemple, constaté la disparition de la truite dans les deux lacs, suite à l’introduction du saumon de fontaine. C’est toutefois la surfréquentation qui l’inquiète le plus. « Les visiteurs piétinent les pozzines qui ont l’avantage de garder l’eau. » Certaines pelouses sont désormais protégées par des exclos et, en 2017, le massif du Monte Rotondo a été classé réserve naturelle. « La topographie, l’élévation et l’ancienne présence de glaciers font du Cortenais la région corse la plus riche en lacs d’altitude », conclut l’expert. Les sommets environnants sont mouchetés de ces miroirs d’eau : Bellebone, incrusté entre les pentes arides du Monte Rotondo; Creno, cerclé de pins laricio et tapissé de nénuphars ; Nino, souverain, avec ses vastes pozzines et ses chevaux sauvages...

     

     

    L'appel de la forêt corse

     

    La forêt de Verghellu en Corse

     

    Dans le centre de la Corse, entre les villages de Vivario et Venaco, l’épaisse forêt du Verghellu exhale une haleine fraîche, chargée d’humus. Antoine Paolacci, agent forestier à l’Office national des forêts (ONF) en charge du secteur, fait les présentations. « Celui-ci, c’est le pin laricio, explique-t-il en désignant le tronc grisâtre d’un conifère longiligne. Un bois noble, avec un fût solide et bien cylindrique, peu de branches, une belle rectitude...

     

    Futaie de pins laricio

     

    Ce n’est pas pour rien qu’on l’utilisait dans le passé comme mât de navire. » Ce pin noir endémique de Corse peut atteindre jusqu’à 50 mètres de haut et affectionne, au-delà du royaume du chêne vert, l’étage de la forêt situé entre 800 et 1500 m. Le pin maritime, que le néophyte peut confondre avec le pin laricio, se distingue, lui, par son tronc cuivré, ses pommes plus grosses et son terrain d’épanouissement qui ne dépasse pas les 800 m. 

     

     

    Plaisir de l'eau vive dans la vallée de Gravona

     

    Canyon dans la vallée de Gravona

     

    Le col de Vizzavona marque la frontière entre la Haute-Corse et la Corse-du- Sud. Au sud-est du col, dans la vallée de la Gravona, le village de Bocognano est cerné de sommets. Le plus célèbre bandit d’honneur corse du XIXe siècle, Antoine Bonelli dit Bellacoscia, en est originaire. Pendant près de quarante ans, il se plan- quera dans le maquis des alentours, sans être repéré. La place principale du village offre une vue panoramique sur les pics granitiques qui émaillent la barrière montagneuse nord de la haute vallée : Punta Laccione (1 982 m), Punta Miglia- rello (2 254 m), Monte d’Oro (2 389 m)... Sur les pentes de ce massif, le ruisseau Cardiccia a façonné des gorges étroites idéales pour la pratique d’un canyoning ludique et accessible. C’est dans ce canyon de la Richiusa que nous sommes venus goûter à cette activité en eau vive.

     

     

    Une claque au creux des gorges

     

    Canyoning dans le Cortenais

     

    La marche d’approche le long de la rivière parmi les aulnes et les frênes, puis sur les pentes abruptes brûlées par le soleil, échauffe les jambes. C’est l’occasion aussi de contempler le cirque rocheux qui domine le canyon. Sur ces hauteurs, un névé servait autrefois de glacière aux Ajacciens avant de modeler chaque année le canyon par sa fonte. Après quarante-cinq minutes de marche, nous descendons vers la rivière au creux des gorges. Derrière un rideau d’aulnes, l’eau cristalline et fraîche à point (environ 13 °C) marque une pause avant de franchir une série d’obstacles. C’est ici que l’on s’équipe, sur les rochers ronds à moitié immergés, d’une combinaison, de chaussures crantées, d’un casque et d’un baudrier. Départ en fanfare avec un long toboggan qui nous propulse dans l’eau. Une claque revigorante. Nous voici dans une des premières vasques du parcours, surplombée de murailles rocheuses. Frédéric Fresi, notre guide accompagnateur en moyenne montagne, nous invite à les escalader pour sauter, juste pour le plaisir, de quatre, cinq ou six mètres...

     

     

    Une beauté à couper le souffle

     

    Canyon dans la vallée de Gravona

     

    Plus loin, l’adrénaline monte lors de la descente en rappel d’une paroi verticale où l’eau cascade sur près de 14 mètres. Puis ce sont quelques sauts dans le vide, précédés d’une bonne impulsion pour atteindre une piscine naturelle invisible du point de départ. Partout, la beauté du site interpelle. Dans ces vasques de pierre ciselées par l’eau ou entre des falaises hautes de 30 m, où le ciel n’est plus qu’une bande bleue zébrée par les branches des arbres. Les éléments deviennent sensibles : roche polie que l’on effleure des doigts ou douche froide du torrent dans un goulet. Après 1 h 30 du torrent de descente active, nous atteignons la fin du canyon. Il s’ouvre sur une rive ombragée d’arbustes, précieux lieu de baignade. Bientôt, le torrent se jette dans la Gravona. Une cinquantaine de kilomètres plus au sud, elle finit sagement sa course dans le golfe d’Ajaccio, dans une zone humide prisée des oiseaux. Un trait d’union entre la montagne et la mer.

     

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