• 21 février 1804

    Naissance du chemin de fer

     


    Un train à vapeur circule pour la première fois au monde le 21 février 1804, à Pen-y-Darren, une région minière du pays de Galles, près de Merthyr Tydfil.

    La locomotive a été conçue par l'ingénieur des mines Richard Trevithick, passionné par la motorisation à vapeur. Elle tracte ce jour-là dix tonnes de fer et 60 personnes montées sur cinq wagons, effectuant 16 km en 4 heures et 5 minutes.

    Parmi quelques autres réalisations de Richard Trevithick, la locomotive «Catch me who can» (M'attrape qui peut) finira à Londres, dans un manège.

    Les mines donnent naissance au chemin de fer

    L'idée de faire circuler des charges lourdes sur des rails remonte sinon à la nuit des temps du moins aux premières exploitations minières.

    Dès l'époque médiévale, en Europe, ces exploitants s'aperçoivent en effet que les charrettes de produits lourds rencontrent moins de résistance au frottement lorsqu'elles roulent sur des rails. Ces rails improvisés sont d'abord en bois et les véhicules eux-mêmes sont tirés par des chevaux.

    Avec le développement de la métallurgie, on remplace peu à peu les rails en bois par des rails en fer, ce qui améliore encore de beaucoup les performances de la traction.

    Au pays de Galles, où les fonderies ont des produits lourds à transporter, le transport sur voie ferrée apparaît très tôt comme la solution idoine. Reste le problème de la traction : doit-on se limiter à des chariots tirés par des chevaux ?

    L'invention de la machine à vapeur par James Watt en 1776 et les premiers engins mus par la vapeur, comme le fardier de Cugnot, laissent espérer des solutions plus performantes.

    Samuel Homfray, propriétaire des fonderies de Penydaren, met au défi son ami ingénieur Richard Trevithick de construire un engin capable de tracter dix tonnes.

    C'est ainsi qu'il conçoit la première locomotive à vapeur, avec une chaudière montée sur chariot ; la vapeur sous pression actionne un piston, lequel fait tourner un grand volant extérieur.

    Richard Trevithick, toutefois, néglige d'exploiter son savoir-faire. Inventeur dans l'âme, il abandonne à d'autres le passage du ferroviaire à la phase industrielle.

    Le chemin de fer acquiert droit de cité

    Différents artisans se lancent dans la traction ferroviaire, pour les besoins de la sidérurgie et des mines.

    En 1825 est inaugurée la ligne Stockton & Darlington, dans les Midlands. Il s'agit de la transposition à l'air libre d'un chemin de fer minier, avec ses chevaux et ses machines à vapeur fixes qui tirent les wagonnets. Outre le transport du charbon, elle s'accommode du transport de voyageurs.

    Cette ligne très rustique est un lieu d'expérimentation capital avant la décision de construire une première ligne ferroviaire commerciale entre Liverpool et Manchester.

    Pour ce projet capital, les autorités locales organisent un concours, avec une récompense de 500 livres sterling, afin de sélectionner un constructeur capable de faire rouler sur rails un engin de moins de 6 tonnes à la vitesse de 16 km/h. Les concurrents doivent se prêter à une démonstration sur un circuit, à Rainhill, dans les Midlands. Le concours s'étale sur une semaine et attire des curieux de toute l'Angleterre.

    Parmi les concurrents, la «Sans Pareil» de Timothy Hackmorth atteint la vitesse de 30km/h. Son concepteur est un ingénieur qui travaille sur la ligne du Stockton & Darlington. Il prend sur ses nuits pour construire la machine dans les ateliers de la ligne. Malheureusement, le jour du concours, il joue de malchance et essuie de nombreuses pannes, réussissant tout de même à tracter 19 tonnes sur 36 km à la vitesse de 22 km/h.

    C'est finalement Georges Stephenson et son fils Robert qui remportent la récompense avec leur locomotive, «The Rocket» (la «Fusée»), plus performante et ingénieuse, avec des astuces techniques empruntées à la «Sans Pareil».

    Elle prend l'apparence que l'on connaît depuis lors aux locomotives à vapeur, avec une chaudière horizontale, un foyer à l'arrière et une cheminée à l'avant. Sa chaudière tubulaire multiplie par quatre la production de vapeur par rapport aux simples chaudières. Un «tender» contenant l'eau et le charbon est attelé à l'arrière de la locomotive. D'un poids d'à peine plus de 4 tonnes, elle roule jusqu'à 56 km/h. C'est le premier record du monde de vitesse.

    Georges Stephenson fournit donc les premières locomotives de la ligne commerciale Liverpool-Manchester, laquelle fait chuter de moitié le prix des marchandises lourdes vendues à Manchester. La ligne s'avère très rentable pour les actionnaires de la compagnie. Le succès est tel que bientôt, Stephenson n'arrive plus à fournir.

    Le chemin de fer, source de profit sans pareille

    En 1835, c'est à une locomotive fournie par les établissements Sharp & Roberts que revient la gloire de franchir la barre des 100 km/h. La nouvelle fait sensation et commence à inquiéter les professionnels du transport (diligences, coches d'eau etc).

    Dans les années qui vont suivre, ils ne vont avoir de cesse de multiplier les obstacles à la construction de lignes, voire de saboter les chantiers, en Angleterre comme ailleurs.

    Mais rien n'y fait. Il faut dire qu'en dépit d'investissements importants, les promoteurs du chemin de fer réalisent des profits colossaux, jusqu'à 50% par an, tant dans le transport de marchandises que dans celui de voyageurs. Les investisseurs et les épargnants se laissent griser par ce secteur aux allures d'eldorado.

    Déjà la technologie ferroviaire franchit la Manche et atteint le Continent. Des lignes à usage minier ou de démonstration sont réalisées en Belgique et en France.

    Les Belges inaugurent une première ligne pour le transport des voyageurs entre Bruxelles et Malines, le 5 mai 1835

    La même année, le 7 décembre 1835, une première ligne de 6,4 km est ouverte en Allemagne, entre Nuremberg et la ville voisine de Führt.

    En France, une première voie ferrée a été ouverte en 1827 pour le transport des marchandises, entre Saint-Étienne et Andrézieux (18 km), deux villes du bassin industriel et minier de la Loire. Elle a été étendue aux voyageurs en 1832. Puis est ouverte en 1835 la ligne Saint-Étienne-Lyon (57 km), pour le transport de marchandises lourdes et de produits sidérurgiques.

    Le 24 août 1837, en avance de quelques mois sur le roi Louis 1er de Bavière, la reine Marie-Émilie, épouse de Louise-Philippe 1er, inaugure la première ligne française dédiée au transport de voyageurs. Cette ligne relie Paris à Le Pecq (18 km). Elle est dix ans plus tard prolongée jusqu'à Saint-Germain-en-Laye, de l'autre côté de la Seine. 

    En 1842, sur la ligne Paris-Versailles se produit le premier drame ferroviaire de l'Histoire : 55 morts. Malgré son caractère spectaculaire et inédit, il ne remet pas en cause la confiance des banquiers et de l'opinion publique dans ce nouveau mode de transport.

    En 1848, à la veille de faire sa révolution industrielle, la France compte déjà près de 2000 km de voies ferrées. En 1860, l'Allemagne en a quant à elle 11.000.

    Bibliographie

    Il n'y a pas beaucoup de livres en français sur la naissance du chemin de fer. On peut retenir un bel album aux Éditions Atlas : Les trains de légende (2000).

    André Larané


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  • L'Égypte ancienne                                                                                                                                                                                                                                                 Merci de votre visite  

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  • Les jardins

    Pour le plaisir des dieux, des rois et des hommes

     

    Le Potager, Pier de Crescenzi, Livre des prouffitz champestres et ruraulx, vers 1480-1485, Flandre (Bruges), BnF, Paris.«Il faut cultiver notre jardin», nous a enseigné Voltaire. Depuis des siècles, l'homme s'y emploie.

    À la fois omniprésents et éphémères, sauvages et soumis, les jardins sont vite devenus une source d'agrément, voire de réflexion et d'expression artistique.

    À l'heure où les zones construites ne cessent de s'étendre au détriment de la nature, remontons les siècles pour relire la riche histoire des jardins et comprendre l'amour que nous portons à ces coins de terre qui demandent tant de soins.

    Isabelle Grégor

    Des religions très fleuries

    Intermédiaire entre la Terre et le ciel, symbole de la fertilité, le jardin est au cœur de nombre de mythes et religions. Création des dieux avant d'être celle des hommes, il est le chaos transformé en refuge, un lieu béni dédié au repos et au bonheur : c'est ainsi que le calme de l'enclos d'Alkinoos et de la roseraie du roi Midas permirent respectivement à Ulysse et Silène de retrouver quelques forces.

    Mais le jardin est aussi un espace secret dont les coins et recoins peuvent dissimuler un trésor. L'envie est forcément grande d'aller y voir d'un peu plus près ! Et voici donc Héraclès parti explorer le verger des Hespérides pour s'emparer des fameuses pommes d'or. L'aventure se finira bien pour le héros, mieux en tout cas que pour Adam et Eve, également soumis à la tentation face à l'arbre de la Connaissance.

    Dans la Genèse, l'Eden, le «Pays des Délices», est le lieu du commencement, auquel répond dans le Nouveau Testament le mont des Oliviers où Jésus se recueillit dans le domaine de Gethsémané avant son arrestation. Par la suite, la symbolique des fleurs poussera souvent les peintres à représenter la Vierge au cœur de splendides enclos.

    Lucas Cranach l'Ancien, L'Âge d'or, vers 1530, Oslo, National Museum of Art.

    La septième merveille du monde

    Les Anciens ne s'y sont pas trompés lorsqu'ils ont inclus dans leur liste des merveilles de leur temps un bout de terre mésopotamien transformé en chef-d’œuvre : les jardins suspendus de Babylone, voulus au Ve s. av. J.-C. par Nabuchodonosor II pour son épouse, nostalgique de ses montagnes natales. Cette réalisation n'avait été rendue possible que grâce à une parfaite maîtrise de l'irrigation permettant de monter les eaux de l'Euphrate aux différentes terrasses.

    Quinze siècles auparavant déjà, grâce au Nil, lotus et anémones étaient cultivés pour agrémenter les parcelles géométriques s'étendant aux abords des palais royaux. Faire éclore la vie et les couleurs dans des zones désertiques a toujours semblé un miracle, la création d'un monde plus beau, plus accueillant : le mot «paradis» ne vient-il pas d'ailleurs du persan Pairi-daeza utilisé pour désigner un lieu protégé par des murs ?

    Alexandre le Grand se montra malheureusement peu sensible à ce charme lorsqu'il détruisit en grande partie les célèbres jardins de Persépolis où l'ennemi juré des Grecs, Darius Ier, aimait à chasser. Mais le conquérant ne put anéantir l'image du paradis ombragé qui allait rester dans les imaginaires.

    Jardin, fresque de la tombe de Nebamun, Thèbes, 1400 av. J.-C.

    Académie, vasques et pergolas

    Dans la Grèce antique au sol aride, on préfère planter des oliveraies qui se transforment parfois en bois sacrés. C'est dans ce type de sanctuaires, renvoyés aux limites de la ville faute de place, que philosophes et savants aimaient à s'entretenir, sous les arbres de l'Académie de Platon ou du Lycée d'Aristote.

    Les Romains s'emparent de l'idée du jardin public tout en développant les espaces privés fleuris, notamment grâce à l'arrivée de plantes orientales. Ils y multiplient les éléments décoratifs comme ces vasques destinées à attirer les oiseaux, incarnations des âmes des disparus. Mais les jardins n'étaient pas seulement dédiés à la contemplation et aux messages allégoriques : les puissants avaient bien compris qu'ils tenaient là un symbole de pouvoir politique.

    À la suite de Lucullus, ils créent de magnifiques jardins qu'ils n'hésitent pas, comme César, à offrir au peuple. Néron, sur les ruines de Rome incendiée, puis Hadrien, dans sa magnifique villa de Tivoli, cherchèrent ainsi à recréer le locus amoenus («lieu charmant») si cher aux poètes.

    Fresque de la Villa de Livia Prima,1er s. av. J.-C., Rome, Museo Nazionale Romano.

    Le Paradis sur Terre 

    Homay et Humayoun au jardin, XVe s. Musée des Arts Décoratifs, Paris. Lorsque l'on parle de désert, on pense aux oasis où a pris naissance la civilisation de l'Islam grâce à une parfaite maîtrise de l'irrigation.

    Mais à côté du jardin de subsistance s'est développé un art du jardin d'agrément qui prend ses racines dans la Coran : ne s'agit-il pas de recréer sur Terre le Paradis décrit dans le livre saint ? Pour cela, on dispose autour d'un bassin symbolisant l'ombilic du monde quatre parcelles séparées par des canaux pour rappeler les points cardinaux et les éléments nécessaires à la vie (eau, terre, feu, air).

    Du Maroc à l'Inde, de l'Alhambra de Grenade au Taj Mahal, mosquées, palais et demeures modestes adoptent cette disposition géométrique censée apporter la sérénité.

    On retrouve ce motif sur les tapis. Ceux-ci s'ornent également de nombreuses représentations de fleurs. On parle alors de tapis-jardins, comme le légendaire Bahar i Khosro («Le printemps de Chosroès») dont les 25 m2 ornaient la salle d'audience du palais de Ctésiphon, au sud de Bagdad, au VIe siècle.

    C'est également cette sérénité qui est recherchée dans les créations d'Extrême-Orient où le jardin se veut microcosme de l'univers, appel à la méditation.

    Pour les Chinois, chaque rocher, chaque cours aurait d'ailleurs une âme. Au Japon, on y privilégie les arbres mais aussi le minéral dans des jardins secs composés en majorité de cailloux dont l'agencement est un art sacré.

    Derrière les murs de l'Occident médiéval

    Au Moyen Âge, en Europe, le jardin doit être caché et protégé par des murs ou des haies, en raison de l'insécurité mais aussi pour marquer la rupture entre l'ordre et le désordre, la terre cultivée et la nature sauvage.

    Le Jardin d'agrément, Pier de Crescenzi, Livre des prouffitz champestres et ruraulx, vers 1480-1485, Flandre (Bruges), BnF, Paris.Loin de végéter, le jardin profite dans les monastères du savoir-faire des Anciens conservé dans les bibliothèques des moines.

    Il hérite aussi de sa portée spirituelle : il reste l'image du Paradis, un lieu de recueillement et de travail.

    Dans le même temps, il devient utile : à côté du cloître gazonné, havre de paix, se développent des vergers (viridarium), potagers (hortus) et «jardins des simples» (herbarius) contenant les espèces médicinales.

    En ville, les bourgeois aiment à évoquer à travers leurs créations les lieux enchantés des romans courtois.

    Sur les grandes pelouses fleuries, les seigneurs rassemblent leur cour pour s'adonner à des conversations galantes et à des jeux.

    La rose, symbole de l'amour et de la Vierge, est alors la reine de ces espaces comme le montrent les 300 gerbes de rosiers blancs et rouges que fit planter Charles VI pour le plaisir des yeux.

    L'écrin de la Renaissance

    Maître du Boccace de Genève dit Colin d'Amiens, Le Rustican ou Livre des proffitz champestres et ruraulx par Pietro de Crescenzi, XVe s., musée Condé, Chantilly.Le jardin des seigneurs de la Renaissance est avant tout celui de la vie mondaine : il doit refléter le caractère de son propriétaire et surprendre ses visiteurs.

    Extension des belles maisons de campagne qui commencent à se construire, il se dispose selon les règles géométriques très précises décrites par le Florentin Alberti, en 1452.

    Celui-ci n'hésite pas à recommander des techniques antiques, comme la taille des végétaux ou la création d'îles ou de grottes tandis que la maîtrise nouvelle de la perspective donne naissance à de grandes allées agrémentées de statues.

    Cette nouvelle esthétique s'exprime dans un ouvrage à succès de Francesco Colonna, publié en 1499 à Venise et maintes fois réédité au cours du siècle suivant : Le songe de Poliphile. Sous le prétexte d'un parcours initiatique amoureux, c'est une exploration du jardin idéal, chargé de symboles et de réminiscences antiques. 

    Sur les collines qui entourent Florence, on adopte escaliers monumentaux et terrasses tout en continuant à s'amuser avec divers jets d'eaux, comme à la villa d'Este à Tivoli.

    L'influence italienne se fait vite sentir en France où le jardin devient le faire-valoir du château.

    À Blois, Amboise ou Villandry on multiplie les parterres fleuris, broderies et topiaires, disposés avec une grande rigueur. La recherche de la perfection est en marche.

    La villa Giulia, à Rome, représentée sur une fresque

    Des merveilles à chaque recoin

    Le XVIe siècle est le siècle de la recherche sans fin de la nouveauté : on aime être surpris... Le 29 juin 1545, un décret de la République de Venise institue à Padoue le premier jardin botanique européen, avec des plantes venues de ses colonies de Candie et Chypre. En 1577, Leyde, en Hollande, fonde à son tour un jardin botanique avec un millier d'espèces de toutes les régions du monde.

    Les jardins se transforment en cabinets de curiosités où l'on peut admirer les dernières pièces archéologiques arrachées à la terre ou des automates jouant avec les eaux. Les plus audacieux iront se perdre dans les «folies» (pavillons, tours ou temples exotiques) mais surtout dans les grottes et labyrinthes, mondes secrets où l'on peut s'égarer ou se cacher.

    L'organisation des parcours en cercles concentriques devient le symbole des chausses-trappes et voies sans issues de l'amour. Ces labyrinthes perdent alors la dimension symbolique qui leur avait permis d'entrer dans les églises comme chemins vers la rédemption. Mais, même lorsqu'ils se transforment en jeu grandeur nature ou invitation à la badinerie profanes, ils restent un lieu de mystère et de fascination. De Thésée à Alice, combien de héros ont dû s'y perdre pour mieux renaître ?

    Utens (Giusto), Villa Medicea di Castello, entre 1599 et 1602, Museo di Firenze com'era, Florence.

    Le Roi-Soleil, maître de la nature

    À l'époque baroque, où cohabitent encore ordre et surprise, châteaux et jardins deviennent indissociables et, ensemble, s'imposent comme l'image du pouvoir en alliant magnificence et spectaculaire.

    Sébastien Leclerc, Plan du labyrinthe de Versailles, 1665, Paris, musée du Petit Palais.C'est désormais la France qui dicte la façon d'organiser ces espaces de plus en plus étendus, au point d'occuper parfois des vallées entières pour mieux «capturer l'infini» par des jeux de perspectives.

    À Vaux-le-Vicomte, l'art du jardin se fait défi : avec l'aide d'André Le Nôtre, le surintendant Nicolas Fouquet met ses parterres et jeux d'eaux au service de sa soif de grandeur.

    Ces innovations remplirent pleinement leur but puisque Louis XIV en fut ébloui et s'empressa, après avoir emprisonné son trop ambitieux ministre, de mettre Le Nôtre au travail pour sa propre gloire !

    Le jardin à la française est en effet avant tout le symbole fleuri de la toute-puissance du roi, capable de réaliser ce vieux rêve des hommes en mettant la nature sous sa coupe.

    Ce type de réalisation allait logiquement acquérir ses lettres de noblesse à Versailles, lieu de toutes les folies, avant de s'épanouir sur les terres des souverains autrichien (Schönbrunn), russe (Peterhof), italien (Caserte), portugais (Cintra) et allemand (Sans-Souci)... entre autres.

    40 ans de travaux pour un chef-d’œuvre

    Lorsqu'il arrive à Versailles en 1661, André Le Nôtre a dû se sentir inquiet : comment, à partir d'un jardin en terrasse dominant des marécages, aménager une plaine de 15.000 hectares dans le goût du Roi-Soleil ?

    Jean Cotelle, La Pièce d'eau des Suisses et le parterre de l'Orangerie, 1693, Versailles, Musée national des châteaux de Versailles et de Trianon.Louis XIV est en effet de toutes les réunions, transformant le moindre de ses désirs en ordre pour voir naître et grandir «ses» jardins.

    On va donc terrasser, déblayer et réorganiser la plaine avec l'aide de milliers d'hommes pour pouvoir organiser la colonne vertébrale de l'ensemble : le système hydraulique.

    Réservoirs, aqueducs et conduites sortent de terre pour apporter le précieux liquide que la machine de Marly, gigantesque dispositif de pompage, tire de la Seine distante de 10 km ! On peut alors alimenter les divers bassins et surtout le Grand Canal qui, en jouant sur les effets de perspective, porte le regard vers l'infini où le soleil disparaît.

    Dansant parmi les 130.000 arbres plantés en 4 ans, la lumière est ici reine et aime à jouer avec les ombres des rangées d'ifs et de topiaires aux formes compliquées. Modèle de civilisation, Versailles est aussi une fête permanente colorée par les 2.500.000 pots de fleurs produits par an pour ajouter des notes de bleu, rose, blanc et mauve.

    Lorsqu'il meurt après quarante ans  de travaux, Le Nôtre le modeste, qui a demandé que ses armoiries comportent des limaces, une bêche et un chou, peut être fier de lui.

    Étienne Allegrain, Promenade de Louis XIV en vue du parterre du nord dans les jardins de Versailles, vers 1668, Versailles, Musée national des châteaux de Versailles et de Trianon.

    La révolte anglaise

    En réaction aux lignes droites de Versailles, les Anglais jettent dès 1688 une pierre dans notre beau jardin méticuleusement agencé et commencent à privilégier les courbes, les reliefs et les effets naturels. Supprimons les clôtures et contentons-nous d'ordonner un peu la nature !

    Hubert Robert, Ermite dans un jardin, 1790, Speed Art Museum, Louisville, USA.Le jardin devient une peinture, un paysage où l'on s'amuse à dissimuler quelques ruines néo-gothiques pour créer étonnement et mélancolie.

    En France aussi, Jean-Jacques Rousseau et ses amis commencent à ne plus supporter «la dictature du cordeau» et en appellent à des jardins irréguliers, dits «pittoresques».

    Le pouvoir succombe vite à la mode avec la création en 1774 du Petit-Trianon où grottes, rochers et rivières semblent célébrer le temple de l'Amour qui y est érigé.

    Plus tard, en 1799, c'est Napoléon qui fait cadeau à Joséphine de Beauharnais du domaine de la Malmaison, à l'ouest de Paris, où l'impératrice fait cultiver les plantes exotiques que les botanistes du Jardin des Plantes lui rapportent du monde entier.

    Aux 170 espèces de roses rendues célèbres par le dessinateur Pierre-Joseph Redouté s'ajoutent des fleurs rares comme l'hortensia et le jasmin. 

    Un peu de Martinique en pot !

    Hubert Robert, Les Bains d'Apollon à Versailles, 1803, musée Carnavalet.

    Le XIXe s'enracine

    Pierre-Joseph Redouté, Magnolia macrophylla, 1811, The Fitzwilliam Museum, Cambridge.C'est aussi à Malmaison que fut construite la première serre, symbole à la fois de l'explosion des sciences naturelles, du développement des expéditions à travers le monde et de la révolution industrielle à venir.

    Cet enthousiasme pour le monde végétal doit beaucoup à l'intendant Georges Buffon qui avait développé, dans son Jardin des Plantes créé en 1635, la recherche en botanique.

    Celle-ci fut encore enrichie après 1715 par l'acclimatation des plantes exotiques dans les grandes serres, héritières des orangeries.

    Au XIXe siècle, face à la multiplication des cheminées d'usine, les citadins aisés s'empressent de recréer leurs propres coins de verdure.

    Konstantin Andreyevich Ukhtomsky, Jardin d'hiver dans le Palais d'hiver de Saint-Pétersbourg, 1862,  Saint-Pétersbourg, musée de l'Ermitage. Les plantes entrent dans les maisons, profitant de la lumière venue de l'élargissement des ouvertures.

    Au milieu de ces jardins d'hiver, le propriétaire aime mettre en scène son opulence et son bien-être, si possible au milieu des orchidées collectionnées par les plus fortunés.

    Le plaisir du contact avec la nature est aussi une des causes du succès des jardins ouvriers, à l'origine imaginés pour occuper la main-d’œuvre et l'attacher à son coin de terre.

    Au fil des ans, ils sont devenus non seulement des sources de compléments alimentaires mais aussi des lieux de vie en famille.

    C'est tout le XIXe siècle qui semble succomber à l'appel de la nature, à l'image du peintre Claude Monet qui réalise à la fin du siècle un des jardins les plus célèbres du monde, à Giverny, pour mieux travailler ses couleurs. Le jardin est définitivement une œuvre d'art !

    Claude Monet, Le Jardin de l'artiste à Giverny en 1900, musée des Beaux-Arts et d'Archéologie, Besançon.

    La ville verte

    Au XVIIe siècle, les villes commencent à s'aérer et s'embellir par l'organisation de grandes promenades publiques qui remplacent peu à peu les fossés et murs de défense. À Paris, Marie de Médicis offre les quais de la Seine de la Concorde à l'Alma aux badauds et, prétend Saint-Simon, aux filles à marier en quête du bon parti ! La vogue de la promenade se répand pour devenir un art de vivre dans les villes du XIXe s. dont la population a explosé.

    Henri Rousseau, Jardin du Luxembourg. Monument de Chopin, 1909, Saint-Pétersbourg, musée de l'Ermitage. Avec, à Paris, le baron Haussmann aux commandes, l'heure est à la réorganisation de l'espace public, et la verdure en est la grande gagnante : bois de Boulogne et de Vincennes, Parc Monceau et Buttes-Chaumont mais aussi cimetières deviennent de véritables poumons verts.

    Les grandes avenues se couvrent d'arbres et invitent à la découverte de nombreuses places, à la manière des squares anglais. Ces créations sont, certes, une invitation à la détente pour les familles, mais on espère surtout créer ainsi l'illusion d'une harmonie sociale... et éviter les flambées révolutionnaires.

    L'urbaniste anglais Ebenezer Howard, auteur d'un petit livre à succès, Cités-jardins de demain (1902), suggère conçoit des «cités-jardins», villes de taille moyenne structurées autour des jardins et ceinturées par une zone naturelle. Ses théories vont inspirer quelques belles réalisations urbaines en Angleterre (Letchworth, Welwyn).

    Le XXe siècle : tous au jardin !

    Hélène Poirié, Affiche pédagogique (« Images de la vie » n)13), éd. Bourrelier, années 1950.Pendant les décennies suivantes, le jardin garde tout son pouvoir d'attraction face à l'urbanisation rapide des pays occidentaux.

    Dans les banlieues résidentielles, chaque maison s'enorgueillit d'un bout de jardin destiné au loisir et la convivialité et entretenu avec le plus grand soin, comme le montre le succès des magasins spécialisés.

    En tout, le chiffre d'affaire du marché du jardin ne représentait pas moins de 7,2 milliards d'euros en France en 2009 pour permettre l'entretien de 14 millions de jardins !

    Vue du jardin Majorelle, Marrakech, Maroc. Photo. G. Grégor.En centre ville, les espaces verts tiennent de plus en plus le rôle de «poumons de ville» ou «coulées vertes» d'autant plus appréciés que les inquiétudes écologiques croissent.

    Leur création devient le fait de véritables artistes qui tentent d'ajouter leur réalisation à la liste des quelque 700 jardins remarquables présents dans notre pays, à l'exemple du célèbre jardin Majorelle, à Marrakech, dont les teintes bleutées attirent des visiteurs du monde entier.

    Même si tous ne peuvent prétendre au titre de Land Art (œuvre éphémère à base de matériaux naturels), les jardins n'ont pas fini de fasciner.

      

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    XIIe-XXIe siècles

    Les grandes heures de Notre-Dame de Paris

     

    Depuis plus de huit siècles, le cœur de la France bat à l’unisson de ce vaisseau de pierres. Mariages, actions de grâce, hommages, sacres ou encore funérailles… De Saint Louis à de Gaulle, la cathédrale a servi de théâtre à tous les grands moments de l'Histoire nationale.

    Marc Fourny
    Un fils de bûcherons donne une cathédrale à Paris

    L'évêque Maurice de Sully sur un vitrail de Notre-Dame de ParisC’est en 1163 que l’évêque Maurice de Sully, fils de pauvres bûcherons, décida de donner à la capitale du royaume une cathédrale à sa mesure, dans le nouveau «style français», que l’on appelle aujourd’hui gothique.

    Notre-Dame de Paris reçut de Saint Louis une relique précieuse entre toutes : la couronne d’épines qu’aurait portée le Christ. Elle accueillit le procès en réhabilitation de Jeanne d’Arc. Plus tard, c’est devant son porche que le protestant Henri de Navarre, futur Henri IV, épousa sa cousine Marguerite de Valois…

    Désaffectée à la Révolution, elle renoua avec l’Histoire en accueillant le sacre de Napoléon. Mais il fallut la magie d’un roman populaire, Notre-Dame de Paris, par Victor Hugo, pour que la France, enfin, se réapproprie la cathédrale, lui restitue sa beauté originelle et la replace au cœur de son Histoire…

    Maurice de Sully et la première pierre de Notre-Dame de Paris
    Le sacre de l'empereur Napoléon 1er (détail, toile: 610cm x931 cm), par Jacques-Louis David (1748-1825, musée du Louvre)

    Au cœur de l’Histoire de France

    Son destin pouvait-il échapper à l’Histoire de France ? En se dressant au cœur même de la capitale, sur la petite île de la Cité, bénie par un pape (Alexandre III), parrainé par un roi (Louis VII), comment ne pouvait-elle pas symboliser la toute-puissance d’un pouvoir temporel et spirituel ?

    L’évêque de Paris a rang de baron, il règne sur des terres et des forêts innombrables autour de Paris, exerce son droit de justice, et devient peu à peu l’un des personnages les plus influents du royaume, allant même jusqu’à gérer les affaires courantes en cas d’absence du roi, tel un premier ministre par intérim. Il est vrai que le souverain réside à deux pas, sur la pointe de l’île de la Cité, dans un palais raffiné doté d’un splendide jardin qui donne sur la Seine, en attendant de loger dans celui du Louvre, au XIVe siècle.

    La cathédrale Notre-Dame devient donc naturellement la paroisse royale, là où se déroulent fêtes et célébrations, car suffisamment grande pour accueillir le peuple de Paris. Mais son rang reste précaire, elle doit sans cesse lutter contre la très influente abbaye de Saint Denis qui détient les regalia - sceptre, couronne et main de justice – ainsi que l’oriflamme des troupes royales. Plus tard, elle devra également accepter la concurrence de la toute proche Sainte-Chapelle, bâtie par Saint Louis.

    La couronne d’épines

    De fait, l’un des premiers actes marquant de son histoire reste sans aucun doute l’arrivée solennelle de la couronne du Christ, achetée une fortune par Louis IX, futur Saint Louis, à des banquiers vénitiens qui la possédaient en gage.

    Le reliquaire de la couronne d'épines, conservé à Notre-Dame de Paris En août 1239, la relique inestimable fait son entrée dans Paris, lors d’une procession solennelle : on y voit le jeune roi de France, âgé de 25 ans, pieds nus et vêtu d’une simple tunique, porter la couronne d’épines entre ses mains, entrer dans Notre-Dame et la déposer sur l’autel à la vénération des fidèles.

    Elle y restera quelques années sous la surveillance du chapitre de la cathédrale avant de rejoindre la Sainte-Chapelle, édifiée en un temps record moins de dix ans plus tard.

    Notre-Dame perd l’avantage dans la course aux reliques mais reste toujours le symbole du pouvoir : en 1302, le roi Philippe Le Bel, en conflit ouvert avec le pape, décide de rassembler ses soutiens sous les voûtes de la cathédrale en convoquant les premiers états généraux du royaume.

    Saint Louis portant la Sainte Couronne à Notre-Dame de Paris le 19 août 1239 (gravure du XIXe siècle)

    Justice divine, justice royale

    L’assemblée reconnaît de fait l’autorité du roi, au détriment du pouvoir spirituel. Le message passe, les papes finiront par composer, non sans frictions, avec le plus puissant État de la Chrétienté. Ont-ils le choix, du reste ? Le roi, comme le pape, est aussi le vicaire du Christ sur terre. Sa justice se confond bien souvent avec celle des prélats. Au cœur de Paris, le pilori - ou l’échelle - est situé devant le portail, bien en vue des fidèles.

    Gare à ceux qui provoquent la justice divine… et par là même la colère du roi. En mars 1314, les Parisiens se pressent en masse sur le parvis pour entendre la sentence prononcée à l’encontre de Jacques de Molay, Grand Maître de l’ordre du Temple, dont le roi Philippe le Bel veut la perte.

    Condamné à la prison à vie - ce qui équivaut bien souvent à la mort certaine -, il se rétracte soudain devant une foule stupéfaite : «L’ordre est pur, il est saint : les confessions sont absurdes et menteuses…». Voilà le grand maître relaps, l’archevêque ne peut que le livrer au bras séculier et au feu du bûcher. Qui s’embrasera le soir même dans l’île aux Juifs, à quelques centaines de mètres des tours massives de la cathédrale, au pied de l’actuel pont Neuf.

    L’unité retrouvée

    À la fin du Moyen Âge, au XVe siècle, voilà la cathédrale en passe de devenir le symbole d’une certaine unité, tandis que la France sort de la désastreuse guerre de Cent Ans.

    Jeanne d’Arc ouvre la route de Reims en délivrant Orléans des Anglais, les villes du nord de la Loire tombent les unes après les autres dans la main du petit roi de Bourges. Charles VII décide de célébrer ses victoires et le recouvrement du royaume par de grandes processions : en 1449, des milliers d’enfants, habillés de blanc avec un cierge en main, parcourent la nef de la cathédrale en signe d’action de grâce devant la cour en oraison.

    Six ans plus tard, une vieille paysanne prend la parole sous les voûtes vénérables pour défendre la mémoire et l’honneur de sa fille, Jeanne d’Arc. C’est là que s’ouvre en effet le procès en réhabilitation de la Pucelle, condamnée par l’Église et brûlée à Rouen par les Anglais. Notre-Dame devient le temple et le cœur d’un pays qui renaît de ses cendres.

    Mariages malheureux

    François II et Marie Stuart (Livre d'Heures de Catherine de Médicis)Heures pieuses, heures sombres, mais heures festives aussi, comme lors des mariages royaux, célébrés par un carillon de cloches à faire trembler les toits de Paris. Quoique… On ne peut pas dire que les unions célébrées en ces lieux furent toutes heureuses.

    En avril 1558, la jeune Marie Stuart, reine d’Écosse, épouse le Dauphin, futur François II. Moins de trois ans plus tard, elle a eu le temps d’être reine de France, puis veuve…

    En 1572, c’est au tour de Marguerite de Valois, la très catholique sœur du roi Charles IX, d’épouser le protestant Henri de Navarre. Les Parisiens voient d’un mauvais œil cette alliance tortueuse, voulue par la reine mère Catherine de Médicis, alors que les guerres de religion divisent la France. L’échange des consentements a lieu sur une estrade splendidement parée, dressée sur le parvis, pour que le «parpaillot» ne foule pas l’enceinte sacrée où une messe est célébrée en présence de la fiancée…

    Mariage d’Henri de Navarre et de Marguerite de Valois (Hermann Vogel), G. Montorgueil, Henri IV, Paris, 1907, archives des Pyrénées-Atlantiques

    Ces épousailles politiques virent aux noces de sang puisqu’elles sont suivies peu après de la terrible nuit de la Saint Barthélemy, où les plus grandes figures du protestantisme finissent éventrés et jetés dans la Seine… Le même Henri de Navarre, devenu Henri IV après avoir embrassé la religion catholique, reviendra sur ce même parvis rendre grâce à la Vierge et gagner le cœur des Parisiens, encore méfiants.

    Prier à Notre-Dame, c’est aussi asseoir son pouvoir sur la capitale très chrétienne.

    Le cœur de la Nation

    Gargantua décroche les cloches de Notre-Dame et les accroche à son cou (illustrations de Jules Garnier pour Gargantua, de Rabelais, 1897)Messes et actions de grâce rythment ainsi les grandes heures de la France, comme autant de points d’orgues des toutes premières «fêtes nationales». On a vu combien Charles VII multipliait les offices et les processions tandis qu’il recousait son royaume rapiécé.

    La tradition demeure et s’amplifie dans les siècles suivants. Les rois viennent présider un Te Deum (action de grâce solennelle) après chaque retour du sacre, ainsi que pour tout grand événement qui vient cimenter le destin du pays : accueil de souverains étrangers, signatures de traités, mariages et naissances royales, entrée de la nouvelle reine à Paris, victoires éclatantes sur les ennemis.

    Louis XIII, puis son fils Louis XIV, prennent ainsi l’habitude de faire exposer dans la nef les drapeaux pris sur les batailles, ce qui vaudra au maréchal François-Henri de Montmorency-Luxembourg son fameux surnom de «Tapissier de Notre-Dame».

    Près de trois cents Te Deum sont ainsi célébrés sous l’Ancien Régime, le dernier en date pour la naissance du second fils de Louis XVI, le petit duc de Normandie, qui mourra dans la prison du Temple.

    C’est donc tout naturellement que Notre-Dame s’impose comme la grande paroisse de France, un statut qui ne fera que se confirmer tout au long du XIXe siècle, après les affres de la Révolution française, où les révolutionnaires envisagent de s’en servir comme carrière.

    Le Sacre impérial

    Quand Napoléon décide de se faire sacrer Empereur des Français, il ne peut choisir la cathédrale de Reims, symbole de l’ancienne dynastie, tout juste décapitée. Il recule devant Aix-la-Chapelle, lieu du couronnement des empereurs germaniques.

    Notre-Dame de Paris à l'issue de la Révolution, vers 1800 (gravure d'époque)Va pour Notre Dame, même si le seul sacre qui s’y déroula, celui de l’usurpateur anglais Henri VI aux heures les plus sombres de la guerre de Cent ans, ne porta guère chance au jeune roi puisqu’il fut invalidé.

    Notre-Dame, grande et vaste, est au demeurant le seul bâtiment parisien capable d’abriter la grandiose mise en scène par Bonaparte pour imposer sa dynastie.

    En revanche, le gothique est jugé vieillot, ringard, dépassé, il faut tout transformer et se servir des murs comme support d’un incroyable décor de bois et de carton-pâte ! La façade du XIIIe siècle disparaît derrière un immense arc de triomphe aux armoiries de l’empire, avec les effigies de Clovis et de Charlemagne – exit Capet, trop clivant pour l’époque.

    À l’intérieur, la démesure le dispute au bon goût : des tentures aux abeilles d’or recouvrent les murs et les piliers, la pierre disparaît sous du carton imitant le marbre, un voile cache même la voûte de la cathédrale et un immense trône se dresse sur une estrade pourvue de vingt marches, enrichie d’aigles, de colonnes et de plumes !

    Tout autour, des tribunes à deux étages où s’entassent les nouveaux privilégiés du pouvoir, venus assister au triomphe de leur champion, béni par le pape Pie VII lui-même au terme d’une cérémonie qui n’en finit plus.

    «On voyait rangés par ordre tous les corps de l’État, les députés de toutes les villes, la France entière enfin, qui, représentée par ses mandataires, envoyait son vœu : attirer la bénédiction du Ciel sur celui qu’elle couronnait ! rapporte Laure Junot dans ses mémoires. Ces milliers de plumes flottantes qui ombrageaient le chapeau des sénateurs, des conseillers d’État, ces cours de judicature avec leur costume riche et sévère à la fois, ces uniformes brillants d’or, puis ce clergé dans toute sa pompe tandis que, dans les travées de l’étage supérieur de la nef et du chœur, des femmes jeunes, belles, étincelantes de pierreries et vêtues en même temps avec cette élégance qui n’appartient qu’à nous, formaient une guirlande ravissante au coup d’œil».

    Baptême du roi de Rome à Notre-Dame de Paris (gravure du début du XIXe siècle, Villers-Cotterêts ; musée Alexandre Dumas)

    Après le sacre, Napoléon 1er fait baptiser son fils, le roi de Rome sous les mêmes voûtes séculaires.

    Eugène Viollet-le-Duc figuré en apôtre sur les toits de Notre-Dame de Paris (DR)Mais il faut attendre Victor Hugo et la parution de Notre-Dame de Paris (1831) pour que le monument retrouve la faveur du public.

    Les grandes rénovations menées par l’architecte Viollet-Le-Duc lui rendent tout son éclat ancien (à l'exception notable de la polychromie des façades). 

    La cathédrale accueille dès lors les grandes liturgies nationales. Napoléon III s'inscrit dans les pas de son oncle : Te Deum pour saluer le premier plébiscite, son mariage avec Eugénie, le baptême du Prince impérial, les actions de grâce pour les victoires, comme celle de Sébastopol

    La cathédrale de la République

    La chute du Second Empire ne change guère la donne puisque les républicains prennent le relais, en limitant toutefois les offices aux grandes funérailles nationales. La cathédrale devient le réceptacle d’un grand deuil collectif. Encore une fois, la tradition n’est pas nouvelle puisque dès sa construction, au XIIe siècle, la reine Isabelle de Hainaut, femme de Philippe Auguste, fut enterrée dans le chœur.

    Funérailles de Sadi Carnot à Notre-Dame de Paris (gravure du XIXe siècle)

    Les corps des rois prirent d’ailleurs très vite l’habitude de passer par Notre-Dame avant de rejoindre la nécropole de Saint-Denis, et nombre de personnages éminents, princes de sang ou d’Église, eurent des funérailles grandioses avec des catafalques impressionnants dressés dans la nef et sublimés par les artistes italiens.

    En 1675, celui du Maréchal de Turenne frappe ainsi les esprits par sa démesure et sa richesse : le corps repose sous un temple à l’antique de plusieurs mètres de haut, éclairé par des torchères et des candélabres, sous un dais de draperies accrochées à la voûte.

    Deux siècles plus tard, la même pompe ressurgit pour enterrer les chefs de gouvernement de la jeune République, comme Adolphe Thiers ou encore Sadi Carnot, assassiné par un anarchiste en 1894. Les façades de l’édifice sont recouvertes de tentures noires, tandis que l’énorme corbillard, précédé par les porteurs de gerbes, emporte le nouveau martyr au Panthéon.

    Sous la Ve République, le décorum s’allège mais le symbole perdure. De Gaulle, qui fit célébrer un Te Deum lors de la Libération de Paris - essuyant d’ailleurs des coups de feu sur le parvis – refuse par avance les funérailles de première classe réservées aux élites.

    Hommage des dirigeants de la planète à Charles de Gaulle, novembre 1970, Notre-Dame de Paris (DR)

    Pendant son enterrement très sobre au son de l’harmonium à Colombey-les-Deux-Églises, les grands de ce monde saluent sa mémoire dans la cathédrale, tendue de draperies tricolores. L’histoire se répète plus tard pour les obsèques de François Mitterrand, enterré en Charente pendant qu’une cérémonie se déroule à Paris, au son du Requiem de Duruflé. «Une messe pourra être dite…» avait laissé entendre le président agnostique.

    Dès lors, pas de grande émotion nationale sans un office à Notre-Dame : une veillée pour les moines de Tibéhirine assassinés en 1996, l’enterrement de l’abbé Pierre en 2007, ou encore la cérémonie œcuménique en hommage aux victimes du vol Rio-Paris en juin 2009... Les grandes communions médiatiques succèdent ainsi aux solennités religieuses d’antan. Et les mêmes voûtes, plusieurs fois centenaires, servent toujours de décor à la ferveur populaire

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  • George Washington (1732 - 1799)

    Un président modeste pour une jeune Nation

     
     

     

    George Washington, héros de la Guerre d'Indépendance et premier Président des États-Unis, est devenu dès avant sa mort, le 14 décembre 1799, une figure mythique de la jeune République, en quelque sorte le «Père de la Nation».

    Consécration suprême, son nom a été donné à la nouvelle capitale fédérale, dans l'année qui a suivi sa mort.

    Alban Dignat

    Un homme de tous les combats

    George Washington est né à Pope's Creek, en Virginie, le 22 février 1732, au foyer d'un riche propriétaire terrien. La mort précoce de son père et de son demi-frère le met, encore adolescent, à la tête du domaine aujourd'hui fameux de Mount Vernon.

    En 1753, George Washington, adjudant dans l'armée de Sa Majesté, est envoyé par le gouverneur britannique de Virginie sur l'Ohio, en vue de contenir les Français de la rive d'en face. Il publie un récit de mission qui lui acquiert une popularité immédiate.

    Devenu officier, il prend ensuite une part active aux opérations liées à la Guerre de Sept ans entre Français et Anglais (1756-1763)

    Après une désastreuse expédition contre le fort Duquesne (aujourd'hui Pittsburgh), il réussit à ramener ses hommes à leur base. Quelques mois plus tard, il prend sa revanche en participant à la prise du fort. Il y gagne le grade de colonel tout en développant son amertume vis-à-vis de la morgue des officiers britanniques.

    À la fin de la guerre, il se marie avec une riche veuve et devient un prospère planteur de tabac... entouré comme il se doit de nombreux esclaves. Mais il ne tarde pas à être happé par la politique et se fait élire député de Virginie au Congrès de Philadelphie quand éclate l'insurrection des colons américains contre le gouvernement de Londres.

    Il reprend du service pendant la guerre d'Indépendance et le 15 juin 1775, est commandant en chef des troupes insurgées sur une suggestion de John Adams.

    Dépourvu de qualités de stratège et ne disposant que de troupes indisciplinées et mal équipées, il résiste néanmoins avec honneur et courage aux forces anglaises, jusqu'à la victoire décisive de Yorktown, obtenue en bonne partie grâce aux Français.

    Vers les hautes sphères du pouvoir

    Après le traité de Versailles, qui consacre son triomphe, George Washington se retire sur son domaine de Mount Vernon (Virginie). Mais il en est rappelé une nouvelle fois en 1787 pour présider la Convention chargée de donner une Constitution à la Fédération.

    Il est élu président des États-Unis le 4 mars 1789 contre John Adams, l'un des leaders de la guerre d'Indépendance. Le 30 avril suivant, il s'établit à New York, capitale provisoire de la Fédération.

    Sous sa présidence, son ministre des Finances Alexander Hamilton mène une politique hardie en vue de renforcer l'économie étasunienne et la puissance de l'État central.

    Quatre ans plus tard, George Washington est réélu pour un second mandat. En 1797 enfin, il se retire volontairement de la vie politique et laisse la présidence à son ancien rival, John Adams.

    Son discours d'adieu met en garde la Fédération contre la tentation d'une alliance privilégiée avec quiconque.

    Quelques mois plus tard, l'imminence d'hostilités avec la France du Directoire l'amène à assumer à nouveau le commandement suprême des armées.

    Le danger passé, George Washington s'en retourne à Mount Vernon où il meurt en pleine gloire à 67 ans...

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