Il y a 600 millions d’années, la méduse peuplait déjà nos océans. Depuis que l’Homme est capable de modifier son environnement, peu d’espèces peuvent se vanter de ne pas avoir été victimes de notre inconscience ou de notre avidité.
La méduse fait partie de ces espèces privilégiées. On en comptabilise aujourd’hui environ 4000 espèces.
Les changements climatiques, la surpêche et les rejets toxiques ne déciment absolument pas les populations. Au contraire, ces facteurs concourent à la prolifération des méduses, à tel point, que d’ici moins de 20 ans, nos océans risquent de se vider.
Si l’homme est le premier responsable de cette invasion, il en sera également la première victime car une cohabitation avec la méduse risque de tourner à l'avantage de cette dernière.
Des mers transformées en soupes de méduses
Jacqueline Goy, biologiste et maître de conférences au Muséum d'Histoire Naturelle de Paris, est une grande spécialiste des cnidaires. L’étude qu’elle a menée avec l’Institut océanographique de Paris, est très inquiétante.
« Les eaux de la mer Noire et de la Baltique sont d’ores et déjà devenues des soupes de méduses », constate-t-elle.
D'ici 2020, la population des méduses, qui infeste déjà la plupart des mers du monde, aura pratiquement doublé.
Chrysaora quinquecirrha. By Neil Barman
Pour le tourisme, ces invasions sont une véritable catastrophe. Elles obligent les stations balnéaires à déployer de grands filets de protection et à créer des espaces de plages artificielles. Cannes, puis Monaco, ont été les deux premières stations balnéaires de Méditerranée à déployer des filets en 2007 pour protéger les baigneurs.
Grande méduse sur une plage de Thaïlande. By jurvetson
Cet été, en Espagne, les plages ont été envahies par les méduses. La prolifération est telle que les autorités espagnoles ont créé un nouveau drapeau, avec méduses bleues sérigraphiées sur fond blanc, pour avertir le public.
Aurelia Aurita. By jimg944
L’espèce concernée est la Pelagia noctiluca. Cette méduse qui atteint 10 cm de diamètre est particulièrement urticante. Ses 8 tentacules sont très extensibles. La coloration est translucide légèrement bleutée, rosâtre parfois beige. L'ombrelle et les tentacules buccaux sont couverts de verrues allongées beiges à brun rouge.
A son contact, le baigneur ressent une brûlure intense qui peut provoquer de graves troubles, voire des syncopes.
Cette méduse évolue en Mer du Nord, Manche, Atlantique et Méditerranée.
Pelagia Noctiluca. By Sam and Ian
A la nuit tombée, les Pelagia noctiluca remontent à la surface pour se nourrir. Elles sont alors à la merci des courants et du vent qui peuvent les rabattre par milliers vers le littoral.
Dans le monde entier, les méduses inquiètent et provoquent de graves perturbations. En 2006, des chercheurs avaient démontré que le long des côtes namibiennes, dans l’Atlantique sud, les méduses étaient plus nombreuses que les poissons.
Dans le golfe du Mexique, des méduses géantes font concurrence aux pêcheries de crevettes.
La beauté de la méduse fait oublier les dangers. By takomabibelot
En mer du Japon, on a constaté une prolifération de méduses géantes de 200 kg. Ces méduses géantes dites "Echizen Kurage", ou méduses de Nomura peuvent allonger leurs tentacules jusqu’à 35 mètres. Elles peuvent atteindre 2 mètres de diamètre. Ces méduses brisent les filets de pêche et déciment la faune locale.
Photo Méduse de Nomura
Les méduses sont des carnivores à l’appétit insatiable. Si cette prolifération persiste, elle mettra rapidement en danger toute la biodiversité.
Changements climatiques et prolifération des méduses
Plusieurs facteurs semblent être la cause de cette invasion mondiale. Tout d’abord, les changements climatiques influent directement sur la surpopulation des invertébrés.
Concernant Pelagia noctiluca, tous les spécialistes s’accordent pour parler de cycle. Gabriel Gorsky, biologiste marin à l'Observatoire océanographique de Villefranche-sur-Mer, parle de périodes à méduses. "Un déficit prolongé de pluviométrie associé à une hausse des températures de l'eau et de l'air ainsi que des hautes pressions atmosphériques sont des facteurs favorables à la pullulation", a-t-il expliqué à LCI.fr.
Pelagia Noctiluca. By tesyfonte
Les populations de Pelagia noctiluca augmentent tous les 12 ans environ. Ces pics sont liés à l’évolution de la température et de la salinité des eaux.
A ce sujet, Jacqueline Goy commente :
« Cette relation bien établie en fait d’excellents marqueurs des changements de l’environnement dus au climat.
La crainte, c’est qu’au dernier hiver anormalement doux, durant lequel les températures de l’eau, ne sont pas passées sous les 14°C, en succèdent d’autres.
Ce qui ne favoriserait pas la diminution du nombre de Pelagia noctiluca. »
Conserveront-elles leur cycle de 12 ans ou sont-elles vouées à une prolifération permanente ?
D’autres espèces de méduses prolifèrent également de manière inquiétante comme Chrysaora melanaster, la méduse striée du Pacifique.
Chrysaora melanaster. NOAA By Kevin Raskoff, MBARI
Cette méduse est reconnaissable à son chapeau rond de petite taille présentant des doubles stries marron concentriques. Ses filaments peuvent atteindre 3 à 6 m de long.
Surpêche et rejets toxiques
Si la méduse est une prédatrice, elle est elle-même la proie d’autres prédateurs. Les tortues marines se nourrissent de méduses ainsi que certaines espèces de poissons comme le thon.
Malheureusement, l’homme pêche de manière beaucoup trop intensive thons et tortues.
Faute de prédateurs, les populations de méduses ne sont plus régulées.
En surnombre, les méduses déciment les œufs et les larves de leurs principaux prédateurs, déjà en situation précaire à cause de l’homme.
Pelagia Noctiluca. By lindacq
En Baltique ou en mer Noire, les derniers bancs de harengs ou d’anchois sont en train de disparaître.
En Espagne, les autorités ont commencé à réintroduire des tortures marines pour rééquilibrer le biotope.
Les pilules contraceptives favorables aux méduses
Jacqueline Goy s’inquiète de certains rejets dans les océans.
« Les hormones contenues dans les pilules contraceptives ou les traitements de la ménopause, une fois rejetées par les urines, ne sont pas éliminées par les stations d’épuration. Elles se retrouvent dans la mer, avec les mêmes effets : blocage de la fécondation et féminisation des poissons »
Des études sont en cours pour confirmer l’impact de ce type de rejets. Toujours est-il qu’ils risquent d’être encore favorables aux méduses ainsi qu’aux salpes, deux espèces dont la reproduction est partiellement asexuée.
Salpes. By Larsz
Les Salpes sont des Thaliacés pélagiques filtreurs qui peuvent vivre en vastes colonies atteignant jusqu'à 40 m.
Ces organismes translucides sont herbivores. Actuellement, les salpes sont en train d’envahir l’océan Austral.
Les immenses colonies y dévorent d’énormes quantités de phytoplanctons, leur principale nourriture.
Salpe grossie au microscope. By Biomimetica
Toutes les études sont très pessimistes. Il est impératif que nous prenions conscience du problème pour stopper cette invasion qui est en train de déséquilibrer tout le fonctionnement de nos océans.
V.Battaglia (20.09.2007)