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    François Rabelais (1493 - 1553)

    Le rire à gorge déployée

     

    François Rabelais, premier des très grands écrivains de langue française, fut d'abord et aussi un médecin de bonne réputation...

    Camille Vignolle
     
     
    Un moine turbulent
     
     

     

    L'écrivain naît à la Devinière, dans le val de Loire . Cette métairie de la ravissante campagne de Chinon se situe «à deux portées de fusil» de l'abbaye bénédictine de Seuilly, une dépendance de l'abbaye de Maillezais (Bas-Poitou).

    C'est là que François Rabelais va entamer de longues études monastiques. Elles vont le dégoûter à tout jamais de l'enseignement scolastique décadent du Moyen Âge finissant.

    Devenu moine au couvent franciscain de Fontenay-le-Comte, en 1520 (il a déjà 26 ans), il découvre avec bonheur les auteurs de l'Antiquité et correspond avec l'humaniste Guillaume Budé. Mais les franciscains, à l'instigation de la Faculté de théologie de Paris (la Sorbonne), interdisent l'apprentissage du grec. Ils retirent à Rabelais ses livres.

    Le moine, dépité, change d'ordre et passe chez les bénédictins grâce à la protection de l'évêque Geoffroy d'Estignac. Il entre à l'abbaye de Maillezais puis suit son protecteur jusqu'à Rome.

    En 1528, alors âgé de 35 ans, il se rend à Paris où il loge rue Saint-André-des-Arts et fréquente l'Université. Il jette son froc aux orties et prend l'habit de prêtre séculier. Désormais libre de ses mouvements, il entame un tour de France et étudie la médecine dans les livres. C'est ainsi qu'il se fait immatriculer le 17 septembre 1530 à la très réputée Faculté de médecine de Montpellier. Devenu docteur en médecine, il s'illustre comme professeur à l'Hôtel-Dieu de Lyon.

    Connu comme humaniste autant que comme médecin, Rabelais correspond avec le célèbre Érasme et se lie avec Étienne Dolet. Mais ces nourritures spirituelles ne compensent pas la médiocrité de son revenu de professeur (quarante livres par an).

     

    Biographie des Poètes:  François Rabelais (1493 - 1553)

     
    Une oeuvre littéraire tardive

    Un jour, le savant découvre sur un marché un roman à succès : Les Grandes chroniques du grand et énorme géant Gargantua. L'idée lui vient d'écrire une suite à ce récit qui semble très bien se vendre, et ainsi d'arrondir ses fins de mois.

    C'est ainsi qu'à près de 40 ans, l'humaniste publie les Horribles et Espouvantables Faicts et Prouesses du très renommé Pantagruel, roy des Dipsodes, fils du grant Gargantua sous le nom d'Alcofribas Nasier (un anagramme de François Rabelais).

     

    Biographie des Poètes:  François Rabelais (1493 - 1553)

    Son livre, qui se veut seulement drôlatique, est mis en vente le 3 novembre 1532 à la foire de Lyon. Il recueille de suite un grand succès auprès du public populaire.

    L'auteur est comblé. Comme un bonheur n'arrive jamais seul, voilà que son nouveau protecteur, l'évêque de Paris Jean du Bellay, oncle du poète Joachim du Bellay, est envoyé par le roi François 1er en ambassade auprès du pape. Il engage Rabelais en qualité de médecin personnel. L'humaniste entreprend ce deuxième voyage à Rome avec plein d'enthousiasme.

     

    Gargantua et la «la substantifique moelle»

    À son retour à l'Hôtel-Dieu de Lyon, Rabelais se met à l'écriture d'un nouveau livre : La Vie très horrifique du grant Gargantua, père de Pantagruel.

    Comme le précédent, publié deux ans plus tôt, ce livre est une énorme farce, «pource que rire est le propre de l'homme». Il est écrit dans un style parlé inhabituel pour l'époque. Il est également servi par une langue d'une richesse incomparable où l'auteur réussit la synthèse des parlers populaires et de sa propre érudition.

    C'est aussi une critique acérée des moeurs éducatives, politiques et religieuses de son temps. Et l'auteur lui-même nous invite à dépasser le stade de la farce, «mordre l'os et sucer la substantifique moelle».

    À la fin de Gargantua, l'humaniste développe l'utopie d'une éducation libérée de toute contrainte en faisant la description de l'abbaye idéale de Thélème dont la devise est : «Fays ce que voudras».

     

    Biographie des Poètes:  François Rabelais (1493 - 1553)

     
    La Sorbonne contre Rabelais

    La publication de Gargantua survient en pleine «affaire des placards». Le roi François 1er, indigné que des protestants aient pu placarder des protestations antipapistes jusque sur la porte de sa chambre, sévit contre les impudents. La Sorbonne en profite pour dénoncer et pourchasser les esprits anticonformistes.

    Rabelais, prudent, s'éloigne de Lyon et se rend auprès de l'évêque de Maillezais. Puis il retrouve à Lyon l'évêque Jean du Bellay et en profite pour un nouveau voyage en Italie.

    Gargantua et Pantagruel l'ont entre-temps rendu célèbre. Toujours prudent, l'auteur réédite ses livres en les expurgeant de quelques tournures ironiques à l'adresse des théologiens de la Sorbonne (Sorbonicole par exemple)... Mais ne voilà-t-il pas qu'Étienne Dolet, devenu imprimeur à Lyon, les réédite de son côté avec lesdites tournures !

    Rabelais, qui n'a cure du martyre, désavoue l'initiative et se fâche avec son ami. Ses deux livres n'échappent pas malgré tout à une condamnation par la Sorbonne le 2 mars 1543. Ils sont inscrits l'année suivante sur la première liste de livres interdits, l'Indexde la Sorbonne !

    Après quelques pérégrinations, l'auteur publie en 1546 Le Tiers Livre, un ouvrage plus recherché que les précédents dans lequel il raconte le projet de mariage de Panurge et disserte longuement sur les femmes et le mariage. L'ouvrage est à son tour condamné et Rabelais doit s'enfuir cette fois à Metz.

    Après la tempête, il retrouve le cardinal Jean du Bellay pour un quatrième voyage à Rome et, au retour, à Lyon, publie le Quart Livre. Ce sera le dernier de ses livres. C'est l'époque où l'on se passionne pour la recherche d'un «passage du Nord-Ouest» qui permettrait de gagner la Chine en contournant le continent américain. Le Quart Livre en est une parodie. Il raconte la quête par Pantagruel de la Dive Bouteille qui contient la réponse au projet de mariage de son ami Panurge !

    Le cardinal Jean du Bellay octroie à Rabelais, toujours à court d'argent, les revenus de deux cures, Saint-Martin de Meudon, près de Paris, et Saint-Christophe-du-Jambet, près du Mans. Rabelais poursuit par ailleurs l'exercice de la médecine mais il perd ses cures en 1551 et finit sa vie dans l'oubli et la solitude deux ans plus tard, dans sa maisonnette des environs de Paris.

    D'une personnalité attachante, curieux et avide de voyages, non dépourvu de courage, François Rabelais est un parfait représentant de la Renaissance, contemporain des poètes Clément Marot, Pierre Ronsard, Joachim du Bellay.

    À la différence des autres humanistes de son temps, comme Guillaume Budé et Érasme, c'est en français et non en latin qu'il a choisi de s'exprimer.

     

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    François Villon (1431 - 1463)

     

    Poète et racaille

     

     

    La courte vie de François Villon est dominée par le trouble, le flou et l'obscur. Sa date de naissance est aussi incertaine que celle de sa mort. On sait seulement qu'il a vécu sous le règne de Charles VII, à la fin de la guerre de Cent Ans. Sa biographie nous est seulement perceptible par les arrêts de justice qui le condamnent ou le gracient.

     

    Le voyou et le prince

    Orphelin, François de Montcorbier devient François Villon, nom du chanoine qui l'a élevé, son « plus que père ». Très doué, il fait des études à la Sorbonne mais se fait connaître davantage pour ses frasques que pour ses poèmes. Il tue un prêtre dans une rixe le 5 juin 1455, commet quelques délits dont un vol au collège de Navarre à la Noël 1456 et s'acoquine avec une redoutable bande de truands, les Coquillards.

    Ponctuellement, il fréquente des cours princières, dont celle de René d'Anjou à Angers, où l'on apprécie la qualité de ses textes écrits en français. Il fréquente aussi la cour de Jean II de Bourbon à Moulins. Le prince poète Charles d'Orléans le prend même un temps sous sa protection mais son tempérament de marginal le rattrape constamment.

    À l'été 1461, il est jeté dans un cul de basse-fosse au château de Meung-sur-Loire sur ordre de l'évêque d'Orléans. Il en sort fort heureusement le 2 octobre 1461 suite à une grâce du nouveau roi Louis XI, de passage au château. Très affecté, il rentre à Paris et compose le Testament, son oeuvre principale. Il est enfin condamné à mort pour une nouvelle rixe et attend de rejoindre le sinistre gibet de Montfaucon (à Paris, 53-57, rue de la Grange aux Belles, près de l'actuelle place du colonel Fabien)...

     

     

    C'est dans cette attente que le poète écrit la célèbre Ballade des pendus :
    « Frères humains, qui après nous vivez,
    N'ayez les coeurs contre nous endurcis,
    Car, si pitié de nous pauvres avez,
    Dieu en aura plus tôt de vous mercis.
    Vous nous voyez ci attachés, cinq, six :
    Quant à la chair, que trop avons nourrie,
    Elle est piéça dévorée et pourrie,
    Et nous, les os, devenons cendre et poudre.
    De notre mal personne ne s'en rie ;
    Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudre !... »

    Faut-il s'en étonner ? On est à l'époque des danses macabres (ci-dessous celle de la Chaise-Dieu), un motif pictural par lequel l'Église appelle chacun à la repentance.

     

    Villon voit sa peine in extremis commuée en bannissement et l'on perd sa trace à partir du 5 janvier 1463, date de cet acte juridique salvateur. A-t-il été égorgé au coin d'un bois ? Tout est possible en ce qui le concerne au regard de son mode de vie. Quoi qu'il en soit, il nous a légué une œuvre majeure.

    Son plus grand texte, Le testament, porté aux nues par les romantiques au XIXe siècle, a permis de le redécouvrir. On y lit sa nostalgie et ses regrets :


    « Bien sçay, se j'eusse estudié
    Ou temps de ma jeunesse folle
    Et a bonnes meurs dedié,
    J'eusse maison et couche molle.
    Mais quoy ! je fuyoië l'escolle
    Comme fait le mauvaiz enffant
    En escripvant cette parolle
    A peu que le cueur ne me fent ! »

    François Villon a depuis lors pris place dans la littérature française comme le premier grand poète français avec Charles d'Orléans.

    Bibliographie

    Les amateurs de sensations fortes apprécieront l'excellente biographie, aussi véridique que romanesque, que lui a consacrée le romancier Jean Teulé : Je, François Villon (Julliard, 2006).

    André Larané
     
     

    Biographie de Poètes:  François Villon (1431 - 1463)

     

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    Bernard Buffet

    Chaillot et Montmartre : les secrets de l'artiste

     

     

    Deux expositions, à Paris, sont actuellement consacrées au peintre Bernard Buffet. « Rétrospective », au Musée d’Art moderne, sur la colline de Chaillot, jusqu’au 5 mars 2017, présente un éventail de l’œuvre foisonnante du peintre au style éminemment reconnaissable, l’autre, « Bernard Buffet intime », au musée de Montmartre jusqu’au 12 mars 2017, nous plonge dans l’univers émotionnel de l’artiste.

    Toutes deux font découvrir plusieurs facettes de ce peintre qui vécut le bouillonnement intellectuel et artistique du Paris des années 50...

     

    « La Corrida », 1967, Bernard Buffet, DR.

    Naissance d’une signature

    Au Musée d’Art Moderne, la rétrospective consacrée à Bernard Buffet débute avec La Corrida, tableau qui concentre son style et son univers à travers un kaléidoscope de références. Sont ainsi invoqués Goya, l’univers de la tauromachie et ses codes, ses officiants indifférents plongés dans une mise à mort sacrificielle. Le visiteur se sent immédiatement projeté dans un espace distant où règnent le détachement et la solitude.

    L’émergence du style de Buffet éclate à travers l’un de ses thèmes de prédilection, les autoportraits, dans lesquels il apparaît en buveur, en peintre dans son atelier, nu, vêtu d’un col roulé, d’une chemise ou d’un maillot, et se parachève dans le tableau Deux hommes dans une chambre, qui lui vaut, à 19 ans, le prix de la Critique.

    Des figures statiques aux traits anguleux et maigres, sur des fonds dépouillés, dans un monde peuplé d’ustensiles familiers et insolites, peupleront désormais son œuvre.

    L’indifférence des personnages est également un trait frappant de cette période. Plutôt que des stéréotypes, Jean Cocteau évoquera « des unitypes ».

    Homme de son temps, la guerre inspire aussi le peintre. En 1954, à 26 ans, il réalise Horreur de la guerre, un triptyque accompagné de vingt-six aquarelles. Avec ses nus décharnés, dans des paysages sans âme qui évoquent la Seconde Guerre mondiale, l’œuvre provoque une vive répulsion.

     

    « Horreur de la guerre : Les fusillés », Bernard Buffet, 1954 DR.

    Plus étonnant, la série de tableaux sur l’univers du cirque, le plus souvent des portraits, illustre soigneusement des moments ou des personnages emblématiques du spectacle : trapézistes, jongleurs, clowns, acrobates, écuyères et animaux.

     

    Bernard Buffet, Clown blanc

    Les représentations, réalistes et oniriques, s’appuient sur l’imagerie traditionnelle du cirque pour livrer une métaphore de l’artiste. Les figures de ce cirque sont arrêtées dans leur mouvement.

    Buffet sera accusé de décrire un monde glacé exhalant une tristesse profonde, des visages fermés et des chairs blafardes.

    De fait, le public sera de prime abord dérouté, ce qui n’empêchera pas les reproductions de la « Tête de clown » de connaître un immense succès dans le monde entier.

    Buffet s’est-il livré à un travail détourné d’autoportrait pour laisser deviner sa vision désabusée de la vie ?

    Difficile à dire.

     

    « Les oiseaux : L'aigle », Bernard Buffet, 1959 DR.

    Éclectisme des influences

    Avec la série « Oiseaux », répartie en sept peintures monumentales, le visiteur est encore une fois décontenancé. Ces immenses oiseaux, aux couleurs vives, surplombent des femmes dénudées, comme livrées à leur merci ou prêtes à s’accoupler.

    Rappelant le goût de Bernard Buffet pour les sciences naturelles et révélant son attrait pour la mythologie, en l’occurrence la rencontre entre Léda et le Cygne, ces peintures ont suscité un scandale lors de leur présentation au public, certains visiteurs allant jusqu’à porter plainte pour outrage aux bonnes mœurs.

     

    « Kabuki : Ren Jishi », Bernard Buffet, 1987, DR.

    Un autre thème cher au peintre est Paris, la diversité de ses quartiers et ses rues. Il croquera souvent Pigalle, ses cabarets et sa vie nocturne qui rappellent le XIXe siècle de Toulouse-Lautrec. Un lieu hautement symbolique pour Bernard Buffet puisqu’il y a vu le jour et y vivra les dix dernières années de sa vie.

    La fin de l’exposition offre une nouvelle surprise avec des tableaux que Buffet a réalisés après avoir découvert le Japon, pays qui lui a consacré un musée de son vivant et dont la tradition a exercé sur lui une fascination durable.

    Le tableau dédié au théâtre kabuki reflète l’étrangeté de la rencontre entre un peintre occidental et une esthétique radicalement étrangère. Tout en gardant son style, Buffet semble plonger sans retenue dans le mystère japonais.

     

    « Le Sacré-Coeur de Montmartre », Bernard Buffet, 1989, DR.

     

     

    Au commencement était Montmartre

    Niché au sommet de la fameuse butte, le musée Montmartre est éminemment approprié pour une exposition sur Bernard Buffet, puisque le peintre naquit place Pigalle en 1928 et habita dans la maison voisine du musée pendant dix ans. C’est dire son attachement viscéral pour ce lieu !

    L’endroit est une invitation à redécouvrir l’histoire du quartier, son ambiance et sa bohème artistiques des XIX et XXe siècles. Auguste Renoir y loua un atelier en 1876 et nombre d’artistes y vécurent tels que Suzanne Valadon, Maurice Utrillo, Raoul Dufy ou encore Pierre Reverdy.

    Serait-ce l’effet du lieu ? Ou de son admiration et de son amour pour sa femme Annabel ? Mais ces deux éléments biographiques, qui constituent le cœur de l’exposition, la teintent d’une dimension profondément humaine et vivante.

     

    « Portraits d'Annabel », Bernard Buffet, 1958, DR.

     

     

    Du rez-de-chaussée au troisième étage du musée, Annabel Schwob, sa femme depuis 1958, est omniprésente. Le visiteur se retrouve dans la peau du peintre dévorant des yeux son épouse et modèle. Comment ne pas y voir une déclaration d’amour de chaque instant ?

     

     

    Les photos parlent d’elles-mêmes : il la trouve belle, elle est sa muse, son égérie et sa joie de vivre. 

    Leur relation est si intense qu’il lui dédie en 1961 une exposition : dix-huit portraits, tous de même dimension et exposés à la galerie parisienne David et Maurice Garnier.

    Qu’il la représente en robe du soir ou en blue-jean, de face ou de profil, Buffet s’approprie les traits d’Annabel et épuise comme toujours son sujet en le travaillant continûment et sans relâche.

    Si cette exposition comprend elle aussi toute une série de clowns et personnages de cirque, allégorie des parades bouffonnes du Cirque Médrano qui se produisait au pied de la Butte-Montmartre depuis la fin du XIXe siècle, un tableau ne manque pas d’intriguer. Il représente une table de jeu, de celles dont sont équipés les casinos, à un détail près : y figure également un crâne. Serait-ce une référence aux vanités du XVIIe siècle ?

     

    « Le grand jeu », Bernard Buffet, 1977 DR.

     

     

    De nombreuses peintures, consacrées notamment à des insectes, achèvent ce parcours intime et rappellent la passion de Buffet pour les sciences naturelles. L’entomologiste qui sommeillait en lui a peint de plantureux arthropodes avec moult détails anatomiques. Une passion de jeunesse qu’il aura gardé sa vie durant.

    Vanessa Moley

     

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    Bernard Buffet (1928 - 1999)

     

    L’artiste qui ne croyait pas à l’inspiration

     

     

    Doté d’un don qu’il décide de cultiver dès le collège, Bernard Buffet accède à la célébrité et à la richesse très jeune, dans les années d'après-guerre. 

    Adulé à la trentaine, il restera fidèle à un style qui lui vaudra, quelques années plus tard et jusqu’à sa mort, une mise à l’écart, voire un ostracisme flagrant de la part des milieux artistiques et intellectuels français. C’est à l’étranger, au Japon, où un musée lui est consacré, et en Russie, que son talent continuera d’être admiré. Deux expositions parisiennes, à Paris, en 2017, amorcent sa redécouverte...

    Vanessa Moley
     

    « La Déposition de croix », Bernard Buffet, 1946, DR.

    La peinture, rien que la peinture !

    Bernard Buffet prend très tôt son destin en main montrant une détermination et une volonté farouches. Au collège, seules deux matières intéressent notre futur artiste : les sciences naturelles, pour lesquelles il obtient le premier prix, et le dessin. En classe de quatrième, il prend une décision radicale : arrêter ses études pour suivre les cours de dessin de la ville de Paris.

     

    Autoportrait, « Le peintre et son modèle », 1948, Bernard Buffet, DR.

    En 1944, il est reçu au concours de l’École des beaux-arts. Du fait de son jeune âge – il a à peine 16 ans – il doit obtenir une dérogation pour intégrer la prestigieuse institution. Un an plus tard, il obtient le prix des travaux d’atelier mais là encore, il bifurque inopinément et délaisse l’école pour la visite des musées. Au Louvre, il est fasciné par le tableau du baron Gros montrant Bonaparte visitant les Pestiférés de Jaffa.

    Ses premières peintures, des rues de Paris réalisées sur divers tissus, s’inspirent des paysages de Maurice Utrillo et Alphonse Quizet. Son style se dévoile et s’affirme avec son premier tableau La Déposition de croix qu’il peint dans l’atelier qu’il partage avec son ami Robert Mantienne, à Massy-Palaiseau. La même année, sa mère meurt. Ce décès, alors qu’il n’a que dix-sept ans, le marquera durablement.

    Travaillant sans relâche, il se forge une devise à laquelle il restera fidèle toute sa vie : « Tout peindre, tout le temps pour se mettre à distance et en décalage. » Un an plus tard, il expose pour la première fois au Salon des moins de trente ans avec un autoportrait.

    L’année suivante sera déterminante. Au Salon d’automne, son tableau L’homme accoudé est remarqué par la critique ; il réalise sa première exposition personnelle dans une librairie parisienne et fait une entrée discrète dans le cercle des peintres qui comptent : Raymond Cogniat achète Le Coq mort pour le compte de l’État.

     

    « Le Coq Mort », Bernard Buffet, musée Cantini, Marseille, DR.

    Rencontres décisives

    Pierre Bergé, Bernard Buffet, 1950, collection Pierre Bergé, DR.

     

     

    Il a vingt ans en 1948. Cette année marque un tournant dans sa carrière. Le docteur Maurice Girardin, collectionneur influent, lui achète plusieurs œuvres et Emmanuel David devient son marchand.

    Sa notoriété grandissante pousse la galerie Drouant-David à lui consacrer une exposition personnelle qui sera renouvelée chaque année tandis que ses œuvres sur papier sont exposées à la galerie Visconti dirigée par Maurice Garnier, son indéfectible ami durant un demi- siècle.

    Deux ans plus tard, il expose déjà dans des galeries à New York, Londres, Bâle, Copenhague et Genève.

    Il rencontre aussi Pierre Bergé, alors marchand de livres rares, qui devient son compagnon jusqu’en 1958 et va gérer sa carrière.
    « Je l'ai rencontré dans un café. Il m'a dit : " Vous savez jouer au 421 ? " Je lui ai dit "non". Et il m'a rétorqué : "Eh bien je vais vous apprendre". C'est parti comme ça » (Les jours s'en vont je demeure, Pierre Bergé, 2003, Gallimard).

     

    Bernard Buffet, Autoportrait, 1956

    En 1952, pour ses expositions annuelles, Bernard Buffet commence à peindre par thème. Le premier est La Passion du Christ. Il participe à la Biennale de Venise avec La Crucifixion.

    En 1955, il franchit une nouvelle marche vers le succès : une enquête du magazine Connaissance des arts le désigne comme le peintre en tête de la jeune école contemporaine. 

    À vingt-huit ans, Paris-Match le montre vivant luxueusement dans sa demeure de Manine à Domont, près de Montmorency. Le reportage fera débat mais n’affectera pas sa carrière. Un an plus tard, il illustre La Voix humaine de Jean Cocteau

    La diversité de ses collaborations ne tient pourtant pas à la spontanéité : «  Je ne crois pas à l’inspiration, je ne suis qu’un besogneux  », dira Bernard Buffet.

     

    « La porte Saint-Martin », Paris Xe, lithographie, Bernard Buffet, DR.

    Première rétrospective à 30 ans

    Les années 50 voient son talent porté au pinacle. En 1957, l’exposition de ses peintures de paysages parisiens éblouit les écrivains et les jeunes talents qui gravitent dans son entourage. Jean-Paul Sartre, Albert Camus, Boris Vian, Françoise Sagan... n'ont de cesse de faire l'éloge de ses tableaux.

    Les propos de Cocteau sont sans équivoque : « L’exposition est de premier ordre. Un grand nombre d'images d'un Paris tout nu, écorché vif, lavé des hommes. La preuve qu'un peintre est un peintre, c’est lorsque tout se met à ressembler à sa peinture. Après notre visite chez David (le soir tombait) je voyais la ville avec l’œil de Bernard. »

     

    « Portrait d’Annabel », Bernard Buffet, 1958-1959, DR.

    L’année suivante, Bernard Buffet a trente ans : c’est la consécration ! La galerie Charpentier organise sa première rétrospective, il est membre du jury du festival de Cannes et il rencontre Annabel Schwob, l’une des égéries de Saint-Germain-des-Prés, qui devient son épouse en décembre 1958. 

    Le général de Gaulle, un revenant de la Seconde Guerre mondiale, accède au même moment au pouvoir suprême.

    Mais lui n'en a cure tout comme ses amis de la jeunesse dorée qui animent les soirées parisiennes et font les beaux jours de Saint-Tropez.

    Dans les années 60, son étoile parisienne pâlit, car l’intelligentsia artistique lui reproche de réaliser des tableaux en série et de se soumettre à la facilité. Bernard Buffet n’en a cure : « La haine dont je suis entouré est pour moi le plus merveilleux cadeau que l’on m’ait fait ». Il continue de peindre et collabore avec des magazines comme Stern pour qui il réalise le portrait de Mao Tsé-Toung (Mao Zedong).

     

    « L'Institut et le Pont des Arts », 1978, Bernard Buffet, timbre, valeur faciale 3 francs, DR.

    En 1970, le voilà chevalier de la Légion d’honneur. Si la France le méprise, sa renommée atteint désormais même le Japon où le collectionneur Kiichiro Okano fonde en 1973 un musée Bernard Buffet.

    Les honneurs officiels continuent par ailleurs de pleuvoir : en 1974, il est élu à l’Académie des Beaux-Arts et, en 1978, sollicité pour réaliser un timbre, L’Institut et le Pont des Arts

     

    « Japonaise », lithographie sur pierre, Bernard Buffet, 1981, DR.

    L’artiste attend 1980 pour visiter enfin son musée au Japon. Le pays le captive aussitôt et deviendra une source d’inspiration. 

    C’est désormais à l’étranger qu’il est célébré au fil des années 90. Promu au grade d’officier de la Légion d’honneur en 1993, plusieurs expositions lui sont consacrées, au musée Pouchkine à Moscou et à l’Ermitage à Saint-Pétersbourg, mais aussi à la Documenta-Halle de Kassel.

    Cependant, au cœur de cette effervescence, il doit faire face à la maladie de Parkinson.

    Ne supportant pas les atteintes irrémédiables qui le diminuent et la perspective de renoncer à ce qui constitue l’unique raison de son existence, il choisit de se donner la mort, le 4 octobre 1999, dans son atelier de Tourtour en Provence.

     

    Biographie de Peintres:  Bernard Buffet (1928 - 1999)

     

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