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    Les « Mémoires de guerre » du Lieutenant Charles Rungs (8e épisode)

     

    Blessé et évacué : Charles nous raconte son douloureux périple


    jeudi 17 avril 2014, par Andrée RungsMichel Guironnet
     

    Les premiers obus allaient se perdre dans le ravin en arrière.. je fis un nouveau bond de trente mètres, je ne finis pas le troisième car un obus éclaté en avant et au dessus de moi, me coucha par terre. Je croyais avoir la cuisse brisée...Le sang coulait chaud le long de ma cuisse.
    ...Le Colonel me voit, il vient à moi. Sa figure est triste : « Il faut partir Rungs. Pouvez vous marcher ? Dirigez vous sur Stonne ». 
    ...Nous arrivons à La Besace. Il y a au moins mille blessés. Je rentre dans une grange ; j’y reste une demi heure. Un groupe de quatre docteurs s’approche de moi « qu’avez vous ? ». Je découvre ma cuisse...

     

    Un peu avant dix heures du matin, à Raucourt, le 28 août 1914

    Du côté de Flaba avaient eu lieu deux charges qui avaient été repoussées avec de grosses pertes pour l’assaillant qui comme toujours se présentait en masse.

    Notre position devenait critique, la réserve du 63e qui était derrière nous, s’était rapprochée de Flaba.
    C’est à ce moment que le Général Arlabosse [1], ayant rassemblé des fuyards, revenait au milieu d’eux et les poussait sur notre ligne. Revolver au poing, il les ramenait. Ma section étant avec le capitaine, je courus vers lui et je pris le commandement de cette compagnie de fortune. Sous le feu, je partageais le front entre trois sous-lieutenants qui étaient de ce groupe et j’indiquais l’objectif où établir les mitrailleuses, la corne nord du bois en avant du ravin de Flaba.
    Mais j’avais compté sans l’artillerie lourde ; les premiers obus allaient se perdre dans le ravin en arrière. Je fis coucher mon monde et j’attendis cinq minutes.

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    Le Lieutenant Rungs est blessé
    Extrait du JMO du 78e

    Puis je fis un nouveau bond de trente mètres, je ne finis pas le troisième car un obus éclaté en avant et au dessus de moi, me coucha par terre. Je croyais avoir la cuisse brisée [2]. Les hommes, dont un sergent très brun et petit du 63e, s’élancèrent vers moi pour m’emmener. « En avant, pour la France », leur criai-je et je restai étendu.

    Quelques minutes après, l’assaut général était donné, j’entendis les clairons.
    Je remuai ma jambe, elle obéissait, les doigts de pied aussi, je n’avais donc rien de cassé et cependant j’avais reçu un bon coup. Le sang coulait chaud le long de ma cuisse.
    Je parvins à me relever. Je ramassai aussi mon revolver qui était en avant de moi, et appuyé sur le sabre, je commençai une marche bien pénible, abandonné à moi-même. Je m’arrêtai dans une tranchée : 3 morts, pas un blessé. Je regardai ma montre : 10 h 35. Il n’y avait personne, plus de troupe, et cependant j’étais à 200 mètres d’où j’étais tombé. Les obus se succédaient par six, battant le ravin de Raucourt où il n’y avait personne.

    J’entendis à ce moment le Colonel Arlabosse crier « Qu’on se rejette par échelon sur les bois à l’Ouest de Flaba », puis je le vis lui-même, seul, la tête basse, le képi à la main, gagner le ravin de Raucourt.
    Je le suivis, car passer sur le plateau c’était me mettre sous le feu des mitrailleuses et je ne sais d’autre part quelle force me poussait vers le ravin de Raucourt.

    Le tir d’artillerie lourde allemande s’allongeait ; battant toujours le ravin où personne ne se trouvait. Les arbres tombaient, brisés.Les shrapnells tombaient drus comme grêle autour de moi.

    Je trouvai une carrière ; je m’y assis. J’étais en nage et ma jambe s’alourdissait. Je voulais cependant me tirer de ce mauvais pas.
    Je regarde ma blessure, mon caleçon, ma chemise sont rouges : ma jambe enfle et devient noire. 
    Je vois passer un soldat du 126, il a un doigt coupé, une blessure à la tête.Il vient à moi, m’aide à me reculotter, il veut prendre mon sac, je m’y oppose.En longeant le ravin et nous couchant souvent (à chaque salve d’artillerie) nous arrivons près de Raucourt.

    Le 7e d’Infanterie est en avant de Raucourt, une masse que l’on m’a dit ensuite être le XIe corps se rassemble dans le ravin.

    Je n’en vois pas plus long, car je fus entouré à ce moment par de braves gens, les sapeurs du régiment et les agents de liaison de mon bataillon, qui recherchaient leur chef. Je leur annonce la mort du Commandant (Gaudriault). Il était tombé, d’après ce que m’a dit le capitaine Cahuzac de la 10e Cie, après avoir lancé la 9e Cie pour nous appuyer à l’assaut. En se retournant pour faire signe à la 10e, de prendre la place que venait de laisser la 9e Cie, une balle entrant sous le bras gauche, était ressortie près de la Légion d’Honneur [3] ; il ne souffrit pas, il tomba assommé.

    Et chacun alors de vouloir me soigner ; mais le Colonel arrive au galop. « Qu’on emmène tous les blessés, prenez les voitures de Raucourt, dans une heure il faut être vers Stonne ». A ce moment, au coin de ce chemin, près d’une maison abandonnée, il y avait six grands blessés : un ventre ouvert, une mâchoire arrachée, une cuisse complètement arrachée, etc.
    Le Colonel les regarde. Ils sont tous du régiment, comment sont-ils arrivés là ? Enigme.

    Le Colonel me voit, il vient à moi. Sa figure est triste : « Il faut partir Rungs. Pouvez-vous marcher ? Dirigez vous sur Stonne ». Il m’aide à me relever, et en bon père qui retrouve un fils, il m’embrasse. Mais ma jambe est encore plus lourde et maintenant les obus retombent près de nous. Les avions ont vu le rassemblement du 7e et l’ont indiqué à leur artillerie.

    « Qu’on prenne cette voiture et qu’on attelle le cheval qui est dans la prairie ».
    C’était une jument aussi effrayée que le poulain qui cherchait à trouver près d’elle un abri contre cet orage nouveau que la nature n’avait pas prévu. La bête effrayée est docile. Mais il n’y a pas de harnais, on défait des courroies du sac et ainsi attelée on amène la voiture. 
    Elle fut vite pleine ; du sang partout, des cris, des gémissements. Plus de vingt blessés sortant des buissons s’y entassèrent.
    Le Colonel Arlabosse revint, il me donna à boire, puis il me dit : « Vous avez le temps de gagner la Besace, et si vous le pouvez allez plutôt jusqu’à Stonne. »

    Et sous la pluie d’obus qui continuait, sous la garde des sapeurs, de deux cyclistes et d’un fourrier, le fourrier Parot de la 10e Cie, cahin-caha, la voiture lentement s’achemina sur la route toujours battue par les projectiles de l’artillerie lourde.

    A un détour au dessous de Flaba, la voiture refusa d’avancer. La voiture est trop chargée en arrière. Comme je m’y trouve, je descends et appuyé sur deux sapeurs, je commence la plus douloureuse des étapes.
    Je fais ramasser des fusils, des cartouches que je trouve en route. Un caisson à munitions du régiment de la 7e Cie, gît éventré sur la route. Je prends, ou plutôt je fais prendre des fagots et en m’en allant, je regarde le feu qui consume les fagots et qui bientôt fera exploser les munitions.

    Je trouve une voiture civile, le caporal sapeur a vite fait d’arrêter le cheval et de faire descendre le conducteur qui proteste. Nous le mettons au fond de sa voiture et nous nous acheminons avec ce nouveau véhicule vers la Besace.

    Nous trouvons des blessés nombreux. Je fais charger ceux qui ne peuvent marcher. Du reste nous n’avons rien à craindre : le feu de l’artillerie a cessé et la fusillade semble remonter au nord.
    Je trouve alors un caporal de la 6e (compagnie), le menton arraché ; il tient sa figure pleine de sang dans ses mains aussi rouges. C’est affreux. Et ce courageux a le courage de venir me dire avec une grimace que je verrai toujours « Capitaine Meulet, sergent-major Boy, Adjudant Barougier – tous morts en braves ». Le pauvre garçon savait combien nous nous comprenions avec le capitaine Meulet, il nous avait vu souvent ensemble, il savait aussi que Barougier et Boy avaient été sous mes ordres.

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    L’état-major du 2e bataillon en août 1914
    « Capitaine Meulet, sergent-major Boy, Adjudant Barougier – tous morts en braves »

    Paul Antoine Meulet, capitaine à la 6e compagnie du 2e bataillon, né le 5 octobre 1873 au Vigan, Lot 
    Léonard Barougier, adjudant-chef, né le 28 octobre 1872 à Saint Pardoux, Corrèze.
    Boy est resté introuvable !

     

    C’était affreux d’apprendre ces morts et de les entendre annoncer par un homme si blessé. Dans une souffrance morale et physique, je me mis à pleurer. Je fis monter ce pauvre défiguré, et j’essayai de le remonter, car il ne cessait de dire « je suis foutu ».

     

    Nous arrivons à la Besace. Il y a au moins mille blessés. Je rentre dans une grange ; j’y reste une demi-heure.

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    Ambulance N° 5 à La Besace
    JMO du groupe de brancardiers du XIIecorps d’armée (26 N 139/12) les 27 et 28 août 1914

     

    Un groupe de quatre docteurs s’approche de moi « qu’avez-vous ? ». Je découvre ma cuisse.
    Ils se consultent, puis ils me font complètement descendre ma culotte. Ils cherchent une balle qui a pu m’occasionner l’hémorragie interne. Ils virent bien qu’il n’y avait que l’éclat d’obus. Il était à ce moment quatre heures du soir
    On me prit mon paquet de pansement, un lavage à l’alcool, puis de la teinture d’iode et on me dit « Nous n’avons pas assez de voitures, efforcez vous de gagner Stonne, là des autobus vous évacueront. »

    Je veux reprendre mon sac, plus de sac. Adieu mon caoutchouc [4], mon linge de rechange, un billet de 100 (Francs), des vivres et toute ma pharmacie de campagne. Les docteurs le firent rechercher. Impossible de le retrouver. « Il doit être à Stonne, parti avec la voiture qui a continué », me dit-on. Et très lentement, je continuai par le chemin de façon à prendre la route de Beaumont à Stonne.

    J’allais lentement, je vous prie de le croire, et je vis des choses tristes à dire. Beaucoup de gens blessés suivaient cette route. Près de deux aéroplanes se trouvait un fort groupe. Je crus à un accident. C’étaient de faux blessés que la section d’aviation ramassait sur la route et allait remettre à la gendarmerie
    Sur la route se tenaient deux lieutenants aviateurs. Ils arrêtaient tous ceux qui se repliaient : « Où vas-tu ? Montre ta blessure. ». Et j’ai vu pendant que je leur causais, deux hommes d’un régiment de réserve, défaire des bandes sous lesquelles il n’y avait pas de blessure.
    Je continuai mon chemin : c’était trop en voir quand mon régiment s’était battu si longtemps et si courageusement.

    En arrivant sur la route de Stonne, je suis rejoint par un lieutenant du 107 (eme régiment d’infanterie), qui a une balle dans la tête (J’ai vu après qu’il avait été nommé capitaine, pour avoir avec sa section de mitrailleuses tenu deux heures malgré le feu meurtrier d’une batterie allemande). Mais lui marche vite, et 500 mètres plus loin je l’abandonne.

    J’ai alors le bonheur de trouver mon docteur à trois galons. Il regarde le tir de notre artillerie lourde. Elle poursuit une colonne qui a essayé de gagner Beaumont. « Les rangs sont fauchés, ils tombent comme mouches », me dit le docteur. « Il y a trois heures qu’ils veulent déboucher, ils ne le peuvent ».
    Il m’apprend que la contre attaque partie de Raucourt a réussi et que la division allemande a été rejetée vers la Meuse. Malheureusement ils ont pu établir un pont de bateaux au dessous de Mouzon et c’est sur ce pont que l’armée allemande passe depuis dix heures. Néanmoins ils sont complètement arrêtés dans leur mouvement en avant.
    Puis il avise un échelon de ravitaillement qui se porte vers l’arrière et il me fait monter sur un caisson. « Tachez de gagner Sy, me dit-il, c’est là que le Régiment doit se rassembler. »

    Et sur ce caisson, j’endure bien des souffrances. En arrivant à Stonne, je trouve ma première demi-section. Les hommes viennent à moi ; c’est le tambour qui a pris le commandement ; ils sont 18 hommes. « C’est tout ce qui reste, me dit le tambour, nous avons chargé avec le 63e, nous nous sommes repliés avec lui. Nous ne savons où est la compagnie. »
    J’ai encore le cœur plus gros. J’ai mon ordonnance. Je lui fais rechercher mon sac. En sortant de Stonne, il me rejoint, il n’a pu trouver le sac.

    Je trouve alors le train de combat, 2e échelon, je monte sur la cuisine roulante de la compagnie et je mange du pain et du chocolat que me donne le cuisinier Turquet que nous avons failli avoir pour ordonnance. Il y avait bien 26 heures que je n’avais rien pris.
    A sept heures trente, je me trouve près de Sy. Mon bataillon est là. J’y vais. On se précipite sur moi. Les officiers de la 9e m’enlèvent de ma voiture, on me fait un fauteuil avec des sacs et Mayaud, l’ami Mayaud envoie chercher à boire pour le blessé.
    Mais je ne suis pas le seul, je vois le capitaine Teilhac la tête et le bras entourés de bandages. Il a reçu 4 balles et lui non plus ne veut pas quitter sa compagnie. Car je suis décidé à suivre la colonne, puisque je ne puis avoir des nouvelles de mon capitaine et que je sais mon sous-lieutenant mort, ne m’a-t-on pas remis son revolver et ses jumelles ?

    Le régiment est représenté par 1.500 hommes, la moitié de l’effectif ; ma compagnie par trente deux hommes – le reste rejoignit le lendemain. Je donne mes instructions au fourrier pour le cantonnement et je me fais narrer ce que chacun a vu, a fait.

    Mayaud s’est mis en quatre pendant ce temps. En qualité de plus ancien des lieutenants, il a chargé un camarade par bataillon de rechercher des lits pour les officiers blessés. Il revient heureux, chaque blessé aura son lit, et en plus ils seront les invités de la 9e Cie qui a pu organiser un repas semi copieux où le vin ne manquera pas, la cave du maire et du curé ayant été mises à contribution.
    Il est neuf heures, lorsque porté par les camarades nous nous mettons à table. Je n’ai pas de fièvre, mais j’ai de terribles élancements dans la cuisse. 
    Le médecin à quatre galons, le docteur Taste vient m’examiner. « Du lit, me dit-il et pas de marche ».

    Le Colonel est là, car nous sommes installés dans son logement. « Vous monterez sur les voiturettes des mitrailleuses » me dit-il « car le corps d’armée a reçu l’ordre de se replier pour se réorganiser ».
    Je vais au lit ; mon ordonnance m’attend. Il me déshabille, mais je ne puis mettre à la porte les indigènes ; ils veulent tout savoir, et ils veulent me faire boire de l’alcool pour me remettre, je ne veux que du thé, cela a l’air de les étonner. Ils finissent tout de même par me laisser dormir.

    Sur le dos couché, je me suis réveillé le lendemain dans la même position. Pas moyen de remuer la jambe. Je fais appeler le docteur. Il me fait asseoir et me conseille de me laisser évacuer. Je ne puis, puisque ma compagnie n’est pas reconstituée.
    Il m’emmène près du Colonel de Montluisant. Avec le capitaine adjoint au Colonel, le capitaine Tatin, il reconstitue le régiment. Il manque 23 officiers. 
    « Allez vous reposer » me dit-il « le sous-lieutenant Rendu de la 3e Cie assurera le commandement de votre Cie, en attendant votre retour. Vous partirez avec le capitaine Teilhac que j’évacue aussi. »

    Rien à dire. Et puis je venais d’apprendre que mon capitaine serait à Sy à neuf heures avec la compagnie ; on l’attendait car il allait prendre le commandement du bataillon. Nous déjeunons, puis le Colonel de Montluisant me dit : « Voici l’ordre ; vous pouvez le lire ». Ordre était donné à l’armée de s’établir derrière l’Aisne.

    Nous n’entendions ni canons, ni fusillade. Que se passait-il donc sur le front ? Il se passait que comme nous, les Allemands avaient besoin de se ressaisir et de se compter.
    Car à neuf heures nous quittions Sy, moi non sur une voiturette, mais sur une voiture à viande. Je quittais la colonne le cœur gros, la voiture se rendant au ravitaillement au Chêne Populeux.

    Je vis ma compagnie, toutes les mains se tendaient vers moi « A bientôt mon lieutenant, revenez vite. ». Les braves gens m’aimaient donc bien – je leur rends bien leur affection, car ils ont été sublimes.
    Puis lentement, à l’allure des convois qui se portent au ravitaillement, je m’éloignais du régiment. Pas pour longtemps, car le parc fut formé dans un champ. Des colonnes nombreuses, y compris de l’infanterie et de l’artillerie territoriale allaient occuper les emplacements que le corps d’armée venait de laisser.

    Les sapeurs m’installèrent sur de la paille et le boucher me fit préparer un beefsteak. Ce fut mon déjeuner. Je m’endormis ; l’arrivée des renforts venant des dépôts et cherchant les régiments me réveilla. 
    Ces pauvres bougres étaient fatigués avant d’avoir combattu ; les régiments se déplaçant trop rapidement, ils avaient peine à les trouver. 
    Aussi les officiers du 100e et du 126e furent-ils satisfaits lorsque je leur dis que le corps d’Armée se portait au repos à l’abri de l’Aisne. Un cycliste vint chercher les voitures à viande.

    Je m’acheminai vers une gare ; Vouziers m’avait-on dit. Mais je n’y devais parvenir qu’à 9 h 20 du soir. En effet, l’officier payeur et l’officier d’approvisionnement arrêtèrent nos voitures à six kilomètres du Chêne Populeux.
    Les autobus, porteurs de la viande, avaient reçu l’ordre de venir à cet embranchement. L’officier payeur venait de faire enterrer le capitaine Maratuel, qu’un fourgon avait été cherché à Stonne, le seul corps d’officier tué que nous ayons pu avoir.

    Sur du foin, on me fit coucher. Puis la voiture à bagages de la compagnie étant là ; les conducteurs firent sauter les serrures de ma cantine. On me mit nu comme un ver. Il était temps car mon linge sale de huit jours, plein de sang coagulé, dégageait une odeur nauséabonde. On alla chercher de l’eau, et je fus lavé des pieds à la tête, puis habillé. J’abandonnai mon linge sale et je fis refaire mon pansement.

    Puis sur le bord de la route, assis sur du foin, je regardai passer des régiments qui battaient en retraite. Je vis le 138 dans la mi-obscurité du soir arrivant. Il manquait bien des officiers, dont deux de mes amis Olivier, capitaine, fils du général (tué) et du Mureau, un officier de réserve dont la mère habitant Guéret, était en relation avec ma femme.

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    Etat-Major du 138e RI en août 1914

    Le Capitaine Olivier est à la 4e compagnie du 1er bataillon. Marie Prosper André Olivier, né le 29 septembre 1878 à Limoges, est porté disparu le 3 septembre 1914 à Souin Somme Py (Marne)

     

    Enfin, un ronflement d’auto se fait entendre. C’est un convoi sanitaire de division.Il n’y a pas beaucoup de blessés. Dans une ambulance urbaine de la ville de Paris on m’installe avec un sergent qui a les fesses traversées par une même balle et un 138e qui a le bras brisé.

    Nous arrivons à Vouziers. Pas un docteur en gare. Les blessés sur les quais (sont) couchés sur de la paille, des trains en partance remplis de blessés. J’avise le chef de gare, il appelle un pharmacien pour lui demander de chercher un wagon de 1re classe pour officier.
    Le pharmacien revient et m’installe dans un compartiment où se trouve un lieutenant du 74e chargé de la garde de police avec des réservistes. Pas de docteurs, il n’y en a plus.
    Je me couche sur la banquette ; un sous-lieutenant du 108, qui a une balle dans le cou se met sur la banquette opposée.
    Où allons-nous ? A la grâce de Dieu. « Pour la Bretagne » me dit un employé, mais en attendant, nous allons à Chalons.

    A cinq heures nous sommes à Chalons (en Champagne) : l’officier du 74e me quitte, il ne va pas plus loin. Il me prie de vouloir bien signaler le cas au chef de gare et aussi de réclamer un docteur. 
    Mais, va te faire foutre, un officier territorial passe, je lui dis le fait : « on n’a pas le temps » me dit-il « le train continue immédiatement sur Troyes, on descend simplement les morts. » Ils étaient onze ; six marsouins, un tirailleur, deux zouaves et deux fantassins.

    Un homme vient me trouver au moment du départ, me disant qu’un capitaine du 78e, très malade, demandait à être descendu.Il était trop tard, le train partait. Quel pouvait être ce capitaine ? 
    A Arcis sur Aube, je pus le rechercher. C’était le capitaine Vaubourdolle [5] ; une balle lui avait traversé le poumon. Il voulait du champagne ou de la limonade, il avait des étouffements.

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    Journal Officiel du 12 janvier 1916

    Le Capitaine Vaubourdolle, né le 24 février 1865 à Saint Priest le Betoux (Haute-Vienne), est proposé pour être Officier la Légion d’Honneur en janvier 1916. Il est Chevalier depuis 1907. Il décède à Limoges le 24 octobre 1922 (renseignements tirés de son dossier sur la base Léonore)

     

    J’eus peine à la reconnaître. Il était vêtu d’une veste de soldat, avait encore ses bottes et sa culotte et comme képi un bonnet de police de troupier. Il était exsangue et couvert de sueur. Je lui promis de le faire descendre à Troyes et lui dis le regret que j’avais de ne pouvoir le soulager, aucun docteur n’accompagnant le convoi. J’avisai aussi de la situation le chef de gare qui me promit d’en aviser Troyes.

     

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    Le capitaine Vaubourdolle et le lieutenant Haack avant guerre

    Article paru dans le journal « Le Temps » du 21 avril 1912. Dans d’autres publications de 1912, notamment celles de sociétés savantes, nous lisons que ces deux militaires, alors au 3e Bataillon d’Afrique ont effectué en 1911 et 1912 en Tunisie d’importantes campagnes de fouilles et découvert bon nombre d’objets antiques étudiés par les archéologues.
    Le capitaine Jean Vaubourdolle et le lieutenant Haack sont « nos » deux officiers du 78e en 1914 !

     

    Mais à Troyes rien de nouveau. Des docteurs font descendre les plus gravement atteints, dont le capitaine Vaubourdolle. Il me charge d’une dépêche pour sa famille et me confie qu’il n’a plus rien. Nous partageons notre porte-monnaie et nous nous quittons, moi bien persuadé de ne plus le revoir (Il est en ce moment ici, en traitement et va bien mieux, quoique très faible).

    Je déniche une bouteille de limonade et je m’endors à nouveau. Sans manger, on n’a pas faim. Le sous-lieutenant souffre d’une façon épouvantable ; il ne peut dormir. Il me réveille, car le Colonel, commissaire de gare, demande l’officier chargé du convoi.
    Et quoique blessé, je suis chargé de cet emploi. 
    Je sais que nous allons à Montereau. Une dame de la Croix Rouge me donne à ce moment du pain et du café. Je la remercie. Et le train repartit.

    A Montereau je reçus des soins. Et toujours sans docteur, ni officier de service, on nous achemina vers le Midi.
    Mon wagon de 1re classe était réparti ainsi : dans les cinq premiers compartiments couchés deux par deux, des marsouins, dans mon compartiment nous étions cinq : un couché un caporal du 50e, cuisse cassée, un Périgourdin bavard, un infirmier du 51e, blessé de cinq balles en relevant la nuit des blessés, le sous-lieutenant du 108e, un lieutenant indigène et moi.

    A Bordeaux, grâce au directeur de la Croix Rouge, j’ai pu abandonner le train, sinon je m’acheminai plus loin, sans savoir où ? J’ai su plus tard que le train s’était arrêté à Bayonne.

    Charles Rungs

    Fin

    Itinéraire du blessé
    28 août, 10 heures du matin : Charles Rungs est blessé à la cuisse par un éclat d’obus, non loin de la Ferme Chamblage, dans le ravin de Raucourt.
    Après une pause dans une carrière, il rejoint à pied Raucourt puis Flaba.
    Il est acheminé en voiture à cheval réquisitionnée sur La Besace. 
    Arrivé à l’Ambulance, installé dans une grange, il attend 1/2 heure d’être examiné. 
    Lorsque c’est son tour, il est déjà « 4 heures du soir » : il y a six heures qu’il a été blessé !

    Soigné et pansé, monté sur un caisson de ravitaillement puis une cuisine roulante, il prend la direction de Stonne par la route. A 7 heures 30 du soir, il est arrivé près de Sy.Enfin, à 9 heures du soir, il mange un vrai repas pour la première fois de la journée.

    29 août, à 9 heures du matin, il part de Sy en passant par Le Chêne Populeux où il assiste aux funérailles du capitaine Maratuel. En « voiture à viande » il prend la direction de la gare de Vouziers. Une partie du voyage est faite « en ambulance urbaine de Paris ». Il n’arrive à destination qu’à « 9 heures 20 du soir » ! Charles Rungs est alors hissé à bord d’un train sanitaire qui l’évacue vers un hôpital de l’arrière.

    30 août, à 5 heures du matin, il passe à Châlons ; puis Arcis sur Aube, Troyes (halte) Montereau...Le train part sur Bordeaux.

    Pour plus de précisions sur l’organisation du Service de Santé pendant la Grande Guerre, on consultera avec profit la présentation ci-dessous d’Alain Girod de Mémorial GenWeb.

    Le Service de Santé pendant la guerre de 1914 - 1918
    Un document de Memorial GenWeb. Avec l’aimable autorisation d’Alain Girod.

    Notes

    [1Charles Rungs écrit bien Général...et Colonel plus loin dans son récit ! En septembre 1914, Emile Olivier Paul Arlabosse ( né le 30 octobre 1857 à Perpignan, décédé le 5 février 1920 à Roquefort) n’est encore que Colonel de la 45e Brigade.

    [2Le Lieutenant Rungs ne précise pas à quelle jambe il est blessé

    [3il est Chevalier de la Légion d’Honneur depuis 1908

    [4il s’agit d’un imperméable. Voir : http://pages14-18.mesdiscussions.ne...

    [5Le Capitaine Vaubourdolle est à la 7e Compagnie du 2e Bataillon

     

    Généalogie:  Les « Mémoires de guerre » du Lieutenant Charles Rungs (8e épisode)

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    Les « Mémoires de guerre » du Lieutenant Charles Rungs (7e épisode)

     

    Avec le 78e régiment d’infanterie, aux combats de Raucourt


    jeudi 13 février 2014, par Andrée RungsMichel Guironnet
     

    A ce moment se produisit un incident qui devrait être plutôt mentionné dans l’histoire militaire, car de cet incident a très probablement résulté le passage de la Meuse pour l’armée allemande dans le courant de la nuit du 27 au 28 août.

    ...Nous fûmes arrosés de nombreuses balles sur le chemin en rejoignant le bivouac « On se tire les uns sur les autres » dirent quelques uns. « Dans ces bois on ne peut que se fusiller » dirent d’autres ; « comment peut-il en être autrement, impossible de se reconnaître à dix pas » « Pourquoi n’a-t-on pas achevé le mouvement ? » disaient les plus sages.

    Nous avons laissé le Lieutenant Rungs avec sa 11e Compagnie au soir du 27 août 1914. A la ferme Ennemane, au sud de Raucourt, c’est « la veillée d’armes ». Comment se fait-il que le 78e se trouve impliqué dans ces combats ? La réponse pourrait tenir dans une phrase : « les Allemands ont franchi la Meuse ».

    Avant de reprendre son récit, il est pourtant nécessaire, pour bien en suivre le déroulement, de prendre « un peu de hauteur » et de faire un retour en arrière. Laissons tout d’abord la parole à Robert Pimienta, l’un des écrivains-combattants qui rédigent l’ouvrage faisant encore référence : « La Grande Guerre vécue, racontée, illustrée par les combattants » [1].

     

    La retraite des IIIe et IVe Armées

    "Nos deux Armées du centre réalisèrent, par ordre, une retraite stratégique qui n’eut rien d’une déroute, puisque leur action retarda chaque jour la marche de l’ennemi.

    Nos colonnes étaient suivies, de gauche à droite, par l’Armée saxonne du général Von Hausen, par l’Armée du duc de Wurtemberg et celle du Kronprinz impérial... Ces forces adverses, étroitement liées, se proposaient d’enlever Verdun, et de crever notre centre sur la Meuse. Les 5e et 4e Armées françaises devenaient, en quelque sorte, le pivot de notre résistance, tandis qu’à gauche les colonnes ennemies descendant de la Belgique et du Luxembourg gagnaient la vallée de la Marne et se dirigeaient vers la Seine, et qu’à l’est d’autres forces victorieuses se ruaient en direction de Nancy.

    La ténacité indomptable des 3e et 4e Armées françaises fut un des éléments de la victoire de la Marne. Ces deux Armées devaient, avant tout, maintenir leur droite appuyée aux Hauts-de-Meuse et à Verdun, qui les reliaient à nos armées de Lorraine et d’Alsace, et maintenir, à gauche, une liaison étroite avec la 5e Armée. Qu’un seul de ces contacts fut perdu, c’était la brèche par où s’engouffrait l’envahisseur.

     

    Retraite de la IVe Armée
    Repoussée dans son offensive du 22 août sur la Semoy, la 4e Armée s’établit, les 26 et 26 août, sur la rive gauche de la Meuse. ... Ce repli fut si habilement exécuté qu’il échappa en partie aux observations de l’adversaire. Le général de Langle de Cary prescrivit à ses troupes de s’opposer énergiquement à toutes les tentatives ennemies en vue du passage de la rivière. Nos soldats firent des prodiges.

    Le 27 août, des colonnes allemandes, sans cesse renforcées, s’aventuraient sur des passerelles de fortune ; décimées par nos feux, elles refluaient en désordre. Alors l’artillerie lourde adverse entra en action : des bataillons « gris-vert » prirent pied sur la rive gauche et tentèrent de progresser dans le secteur de Stenay.

    Ces bataillons attaquèrent les bois de Jaulnay et de Dieulet. Mais les marsouins des 3e et 7e régiments d’infanterie coloniale, brillamment lancés à la charge par le général Leblois, bousculèrent les formations allemandes sur Luzy et Cesse. Le 9e bataillon de chasseurs et le 87e régiment d’infanterie attaquèrent le village de Cesse à leur tour, et en délogèrent l’ennemi qui se replia sur la Meuse [2]

    Le général Eydoux, au 11e Corps, soutint un choc encore plus rude. Les Allemands avaient réussi à franchir la rivière sur des ponts jetés à Villers-devant-Mouzon et à Martincourt. Ils passèrent à l’attaque, mais tous leurs assauts furent brisés par les fantassins de la 21e division. Le 65e régiment d’infanterie se couvrait de gloire au Bois de la Marfée ; le 64e, le 137e et le 93e régiments d’infanterie ne reculèrent devant aucune attaque, si puissante fût-elle... Nos troupes n’avaient rien perdu de leur mordant ni de leur vaillance.

    Il fut décidé, le 28 août, qu’on tenterait de rejeter les Allemands sur la Meuse. Toutes nos troupes se portèrent résolument à l’attaque. Le Bois de la Marfée fut complètement dégagé, Noyers fut enlevé sans coup férir...L’entrain de nos troupes était magnifique. Et quand, au soir du 28 août, l’ordre de retraite arriva, ce fut une déception générale.

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    Pour situer les lieux cités
    Détail de la carte de la « région de Carignan et de Montmédy » Carte extraite du tome 5 de « Histoire illustrée de la guerre de 1914 » de Gabriel Hanotaux (1917)

    Les Allemands ont passé la Meuse !

    Rappelons maintenant la phrase du Lieutenant Rungs : « Vers midi, (le 27 août) une nouvelle : des troupes sans artillerie, ont franchi la Meuse à gué à Rémilly. Le XVIIe Corps les attaque ».

    Dans « Les Armées françaises dans la Grande Guerre » [3] nous pouvons lire un excellent exposé sur la situation dans cette zone du front fin août 1914. En voici quelques passages, un peu longs mais très utiles pour bien comprendre les phases du combat :

    « La IVe armée, vivement attaquée par l’ennemi dans la journée du 26 août, va livrer bataille sur la Meuse. Le 26 août, au matin, en effet, les Allemands, profitant du brouillard qui couvre la vallée de la Meuse, franchissent la rivière vers Donchery. 
    ...Ainsi, le 26 août, à midi, l’ennemi a pénétré sur une profondeur de plus de 6 kilomètres sur la rive gauche de la Meuse, au sud de Donchery…
    Le général de Langle, avisé de ces événements et s’inspirant des instructions reçues le matin même du commandant en chef, va s’employer avec toutes les forces dont il peut disposer à rejeter les Allemands sur la Meuse…
    Pendant que le 11e corps... s’efforce de limiter les progrès de l’ennemi qui a débouché de Donchery, l’aile droite de l’armée (17e et 12e corps, corps colonial,2e corps) s’est repliée, sans être inquiétée, sur la rive gauche de la Meuse et s’est établie de manière à en défendre les passages de Remilly à Sassey, après avoir fait sauter les ponts fixes et replié les ponts de bateaux.
    …/… Le 12e corps occupe, avec la 24e division à gauche et la 23e à droite [4], le front de la Meuse, du Mont-de-Brune, au sud-ouest de Mouzon, jusqu’à la vallée de la Wamme, au sud-est de Beaumont.

    Dans la soirée, des reconnaissances aériennes signalent des mitrailleuses en face de Mouzon et un rassemblement d’infanterie vers Vaux, où arrivent en outre deux colonnes de toutes armes, évaluées par les aviateurs à 10 kilomètres de longueur.…
    Les reconnaissances aériennes exécutées entre 16 heures et 17h 30 apportent quelques précisions sur les points de passage utilisés par les Allemands dans la région de Donchery. Ils ont construit des ponts à l’est de ce village et au sud-ouest de Floing et ils travaillent à celui d’Iges. Un des ponts de Sedan semble être demeuré intact… Divers renseignements permettent de penser que l’ennemi va continuer à porter ses forces sur la rive gauche de la Meuse, non seulement à l’ouest de Sedan, mais aussi plus en amont. 
    …Aussi le général de Langle...a toujours l’intention de résister sur la Meuse, autant que les mouvements des armées voisines le permettront. 
    ...Dans la soirée (du 26 août), il avise ses subordonnés qu’il compte livrer à partir du lendemain « la bataille décisive » sur la Meuse. Les corps s’engageront à fond pour repousser toute tentative de forcement des passages de la rivière ; chacun d’eux devra soutenir son voisin, en particulier avec son artillerie... « L’artillerie agira en masse, l’infanterie donnera à plein ; il faut que chaque homme sente qu’il participe réellement au combat, lequel devra être mené jusqu’à l’acte suprême ».

    La 67e brigade, engagée vers Thélonne, face au nord-ouest, se voit bientôt menacée sur son flanc droit par des forces ennemies, qui, dès les premières heures du 27, ont franchi la rivière à Remilly et se dirigent sur Thélonne et Raucourt. 
    Vers 7 heures, le général Poline (du 17e Corps d’Armée) met toutes ses troupes disponibles à la disposition de la 34e division pour contre-attaquer, tant vers le Bois de la Marfée que vers Remilly. 
    Ne disposant plus dès lors d’aucun élément pour renforcer la défense de la Meuse entre Villers devant-Mouzon et Mouzon, au cas où l’ennemi attaquerait sur ce front, il demande instamment, à 8 heures, au commandant du 12e corps d’appuyer sa droite. 
    Cette éventualité ne tarde pas à se produire. A 8h35, le général Poline est avisé que les Allemands ont forcé le passage de la rivière entre Villers-devant-Mouzon et Autrecourt et poursuivent leur effort sur la rive gauche.

     

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    Les Allemands franchissent la Meuse
    Au matin du 27 août, dans le JMO de la 24e Division d’Infanterie (26 N 309/1)

    Répondant à l’appel du 17e corps, le général Roques (du 12e Corps d’Armée) met à la disposition de la 33e division un régiment de la 45e brigade, deux groupes d’artillerie et un escadron de cavalerie, et il donne l’ordre, à 10 h 25, de les diriger sur Yoncq.

    Vers midi, la 67e brigade, qui, par deux fois, a attaqué sur Noyers et a été rejetée sur Thélonne, est contrainte à se replier sur les bois au sud de ce village. Son action est prolongée à droite par la 65e brigade, qui fait face aux troupes ennemies cherchant à déboucher du front Thélonne, Remilly.

    Face à la Meuse, la 68e brigade s’est retirée sur les bois à l’ouest de Villers devant Mouzon et Autrecourt, tandis que, sur le front de la 33e division, la gauche de la 66e brigade, menacée par les forces qui débouchent d’Autrecourt et prise sous un violent bombardement, se retire sur la croupe au nord-est de Flaba, laissant ainsi l’ennemi pénétrer dans le bois Gerfaux.

    …Déjà, vers 14 heures, le régiment et les deux groupes d’artillerie du 12e corps envoyés en renfort à la 33e division sont arrivés à Flaba, avec mission de contre-attaquer sur Autrecourt et Villers-devant-Mouzon.

    Le commandant du 17e corps, sollicité lui-même à sa gauche par la 21e division, met le général Roques au courant de sa situation et lui demande instamment de diriger toute son infanterie disponible sur Raucourt, en vue de prononcer une contre-attaque et de rétablir le combat.

    Mais le commandant du 12e corps (général Roques) au reçu des instructions du général de Langle relatives à l’action combinée des 11e, 17e et 12ecorps, a déjà pris de nouvelles dispositions. Reprenant les éléments précédemment mis à la disposition de la 33e division, il constitue, vers 14 heures, sous les ordres du colonel Descoings, commandant la 24e division, un détachement comprenant les 45e (23e division) et 48e brigades (24e division) et quatre groupes d’artillerie avec mission d’attaquer le plus tôt possible vers le nord, la droite prenant Autrecourt comme premier objectif.

     

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    Le 78e RI est mis à la disposition de la 24e DI
    A 13 heures, le 27 août, le Général commandant le 12e Corps d’Armée met les 78e et 63e Régiments d’Infanterie à la disposition de la 24e Division (JMO de la 24e DI 26 N 309/1)

    A ce moment, la 45e brigade se trouve entre la Besace et Yoncq, avec, ainsi qu’on l’a vu, un régiment à Flaba, la 48e brigade à la ferme de la Harnoterie (2 kilomètres nord-ouest de Beaumont).
    A 15 heures, saisi de la demande du général Poline, le général Roques modifie la direction d’attaque. Le groupement Descoings prendra Thélonne comme objectif de gauche et se flanc-gardera fortement à droite. En même temps, le 17e corps est sollicité de reprendre l’attaque, lorsque l’avant-garde du détachement du 12e corps arrivera à hauteur de son front.

    Le général Poline prescrit, en conséquence, à ses troupes de reprendre l’offensive, au moment où débouchera la contre-attaque du 12e corps. Mais, à la nuit, la tête de la 45e brigade arrive seulement à Raucourt. L’heure tardive ne permettant pas le développement de la manœuvre, le détachement Descoings stationne à Raucourt et Flaba. La contre-attaque escomptée ne se produisant pas, les troupes du 17e corps stationnent sur place. La 34edivision s’est maintenue toute la journée au contact de l’ennemi sur le front bois sud de Thélonne ».

     

    Nous voilà donc revenus au soir du 27 août, à la ferme Ennemane, où bivouaque la 11e compagnie du Lieutenant Rungs.

    Laissons maintenant la place à son récit. Il nous mènera, pour cet épisode, vers deux heures de l’après-midi le 28 août 1914. Charles Rungs est alors gravement blessé au combat et évacué. Nous le suivrons du poste de secours à l’hôpital de l’arrière, dans notre huitième et dernier épisode.
    Nous avons inséré, comme dans les autres parties de cette série, quelques encarts et notes explicatives.
    A la suite du récit du Lieutenant Rungs, dans le port-folio, vous pourrez lire le compte-rendu de cette journée de combat dans le JMO du 78e ainsi que la relation de cette même journée dans l’historique du régiment publié après guerre.Vous aurez ainsi trois points de vue sur les mêmes épisodes.

     

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    Les lieux des combats du 28 août

    La carte du JMO du 63e permet de bien localiser les lieux des combats : en bas, Warniforêt où les troupes arrivent dans la nuit du 26 au 27 août. Elles bivouaquent sur place et sous la pluie. La journée du 27 se passe en déplacement entre La Besace et la Ferme d’Ennemane, en haut de la carte, au sud de Raucourt. Les troupes passent la nuit du 27 au 28 août dans le petit bois à 500 mètres de cette ferme fortifiée. Les deux principaux lieux de combat du 28 août sont les Bois de Cogneux et de Gerfaux.

     

    Les combats de Raucourt dans le récit de Charles Rungs

    La nuit venait rapidement et le brouillard montait aussi. Brouillard succédant à la pluie de la matinée.Baïonnette au canon, on pénètre dans le bois. L’artillerie par dessus nous commença un tir, fouillant la forêt en avant de nous.

    A ce moment se produisit un incident qui devra être plutôt mentionné dans l’histoire militaire, car de cet incident a très probablement résulté le passage de la Meuse pour l’armée allemande dans le courant de la nuit du 27 au 28 août.

    Un capitaine du 14e d’Infanterie est venu faire arrêter le tir de l’artillerie. « Vous tirez sur nous, depuis cinq heures nous avons repoussé l’ennemi, nous sommes maîtres du bois, l’affaire a été chaude, mais il n’y a plus d’ennemis de ce côté. »
    Est-ce sur la foi de ce renseignement que le mouvement fût arrêté ? Je n’en sais rien.
    En tout cas nous reçûmes l’ordre de gagner le petit bois de sapins, situé au carrefour des routes Flaba-Pourron (et) Yonck-Angecourt et d’y bivouaquer.

    Neuf heures (du soir) sonnaient lorsque nous fûmes arrosés de nombreuses balles sur le chemin de Angecourt-Yonck en rejoignant le bivouac.
    - « On se tire les uns sur les autres » dirent quelques uns.
    - « Dans ces bois on ne peut que se fusiller » dirent d’autres ; 
    - « comment peut-il en être autrement, impossible de se reconnaître à dix pas. »
    - « Pourquoi n’a-t-on pas achevé le mouvement ? » disaient les plus sages.

    Ceux là avaient raison. Car si le 14e avait, aidé du 7e, rejeté quelques compagnies allemandes qui avaient pu s’installer dans le bois, le coup de filet avait été incomplet. En effet, et nous l’avons su par des prisonniers ; profitant de l’obscurité, les Allemands qui avaient quelques éléments encore sur la rive gauche de la Meuse, tendirent des fils métalliques à travers la Meuse et sur les cadavres de leurs hommes entassés et maintenus franchirent la rivière.

    Comment nos avant-postes n’éventèrent-ils pas la chose ? Enigme. A qui la faute ?
    Le fait est qu’à 3 heures du matin (le 28 août) commençait une fusillade nourrie. Cette fusillade venait du N.E., du côté de Rouffy ? Nous fûmes vite sous les armes.Direction Raucourt, 11e en tête.

    En route sur Raucourt. Mais les mitrailleuses allemandes se mettaient de la partie ; pour moi le feu était en arrière de notre direction de marche. La chose était exacte, car arrivés à Raucourt, nous fîmes face en arrière. Ma section avait eu le temps de prendre de l’eau. Il y avait bien douze heures que nous n’avions rien bu. Et nous remontâmes sur notre plateau.

    La bataille battait son plein sous bois : bataille où se mêlaient les cris de la charge, le vacarme des mitrailleuses et la fusillade. Pas de bruit de canons. Les 77 n’avaient pu encore franchir la Meuse. Quant à nos 75, ils restaient muets. Que pouvaient-ils faire dans un bois où amis et ennemis se tiraient à bout portant ?

    Le régiment se forma en colonne double par bataillon face à Yonck, c’est à dire au Sud-Est :
    - 1er bataillon en tête.
    - 2e bataillon à droite à cheval sur la route de Angecourt à Yonck.
    - 3e bataillon à gauche, la 11e compagnie de gauche à 100 mètres de la lisière du bois [5] Ce bois était occupé par du 63e.

    Le 2e bataillon dut se déplacer et se porter en avant et à gauche du chemin, car à peine placé sur la position indiquée il fut en butte au tir de l’artillerie lourde allemande, mise en batterie de façon à enfiler tout le ravin de Raucourt.
    Notre 75 commença alors à faire entendre sa voix claire. Mais, contre le bois, il ne pouvait rien.

    Six heures étaient sonnées, lorsque l’ordre fut donné de marcher sur le ravin de Flaba ; c’est-à-dire en offrant le flanc à un ennemi hardi, encouragé par un succès de trois heures, puisque depuis ½ heure des fuyards du 14e, du 126e avaient été arrêtés et incorporés à nos sections.

    Nous ne pûmes aller loin. 
    - Le bataillon de tête fut immobilisé par l’artillerie lourde et, en un rien de temps, trois officiers furent tués : le capitaine Remlinger 3e Cie – un éclat d’obus au sommet de l’épaule, suivi deux minutes après d’un nouvel éclat à la tête, celui-ci mortel – il ne voulut pas que ses hommes l’emportassent.« Laissez moi ici au milieu de vous ».

    Son officier de réserve fut tué également par un obus et un sous-lieutenant de réserve de la 4e fut aussi tué par un éclat. Les hommes communièrent alors sous le feu des tranchées.

     

    Auguste Remlinger, Capitaine de la 3e compagnie du 1er bataillon ; né le 11 juillet 1868 à Chateauroux (Indre) « tué à l’ennemi le 28 août 1914 au combat de la Meuse, Bois Gerfaux »
    « Son officier de réserve fut tué également par un obus ». D’après le tableau de l’état-major, au début du JMO du 78e RI, ce sous-lieutenant de réserve doit se nommer Desvaux. Nous n’avons rien trouvé qui corresponde dans la liste des morts dans l’historique du 78e, ni sur « Mémoire des Hommes », ni sur « Sépultures de guerre » et « Mémorial GenWeb ».

     

    - Au 2e bataillon, le commandant victime de 3 shrapnells dut passer le commandement [6]. Quelques hommes furent tués, mais comme les formations déployées étaient prises il n’y eut aucun mal.
    - Au 3e bataillon, un homme de la 9e Cie couché, fut coupé en deux, sans que personne autre de la section ne fut touché.
    - A ma compagnie, un de mes meilleurs et plus vigoureux réservistes, un ex chasseur du 5e, vint me demander la permission de se rendre à l’ambulance. Étant très fort, il avait eu les deux tétons coupés par un éclat, et par cette entaille béante, le sang sortait à flots.« Ce n’est rien » lui dis-je « mais dépêchez vous d’aller vous faire panser, nous avons besoin de vous ».

    L’ordre nous est donné au bataillon, le seul qui ne soit pas vu de l’artillerie lourde allemande, de gagner du terrain en avant. Nous ne le pûmes. A peine debout, les mitrailleuses allemandes nous prirent comme objectif.

    L’ordonnance du capitaine, frappé d’une balle au front, s’affaisse à mon côté. « Couchez-vous, couchez-vous – et rampez dans la luzerne » m’écriai-je.
    A dix mètres de nous était un champ de luzerne non fauchée. Une minute après, nous avions disparu dedans. Mais les mitrailleuses tiraient sur nous. Les coups étaient fichants.

     

    La 11e Cie placée à l’aile gauche du régiment se trouvait sur un terrain en déclivité vers le bois qu’occupaient les Allemands. Comment vais-je sortir de ce pot de chambre ?

    Et alors sur la crête, je vois se profiler le parapet d’une tranchée. Homme par homme en rampant dans la luzerne, nous gagnons cet abri. J’y arrivai avec un de mes sergents. Elle avait bien 50 mètres de long et était faite pour tireur debout.

    Je fis immédiatement ouvrir le feu sur la lisère. Et sous la protection de ce feu, et les mitrailleuses prenant la tranchée pour objectif, le reste de la section et mon capitaine vinrent me rejoindre.

    Je ne voulus pas utiliser pour moi cette tranchée, tenant absolument à conserver la liaison avec la 12e Cie qui était à ma droite et le reste de ma compagnie. Je me suis alors porté sur la crête militaire. Mais à peine en position, je dus me coller au sol. Les obus passaient au-dessus de moi.

    Mon commandant, le commandant Gaudriault qui était à 100 mètres de moi, fut décoiffé par le vent d’un obus et son képi entraîné à plus de soixante mètres de lui [7]. Il dut se coucher avec tous ses agents de liaison.

    Médéric Gaudriault, Chef du 3e bataillon, né le 9 août 1861 à La Grimaudière, dans la Vienne, sera tué au combat quelques heures plus tard. Le JMO nous raconte dans quelles circonstances. Voir le port-folio au bas de l’article.
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    Au Tableau d’Honneur

    A ma droite, je vis à trente mètres de moi une section de la 12e Cie ; son chef le sous lieutenant de réserve Rieu était splendide sous le feu. Debout, malgré les rafales, il allait voir chacun de ses hommes qui étaient bien exposés, car ils étaient sur la crête et sans l’abri d’une tranchée. Les hommes étaient tués autour de lui ; le soir, 37 manquaient à l’appel. 
    Il prit lui-même un fusil au moment de l’attaque de la ligne par une section allemande et debout ouvrit le feu sur la colonne allemande.
    Une demi heure après, avec un renfort du 63, il allait jusqu’au bois ; arriva à une mitrailleuse, mais ne put l’emmener, les Allemands en se repliant l’avaient attachée aux arbres avec du fil de fer. 
    Mais auparavant il m’a déclaré lui-même avoir tué de sa main quatre allemands couchés dernière les arbres et qui tiraient sur la 3e section de sa Cie et ne le voyaient pas arriver ; puis ensuite à genou avoir vidé son magasin sans se presser, sur une colonne par 4 qui utilisait un ravin,se croyant abritée et qui n’était pas à 200 mètres de lui. Obligé de se replier, il vint se placer à ma hauteur. La mitrailleuse 5 minutes après ouvrait le feu sur lui.

    Je n’ai jamais entendu pareille musique autour de moi. Nous nous étions défilés derrière la crête militaire. C’était épouvantable. Les sacs des hommes qui étaient restés sur la ligne, étaient criblés de balles, les gamelles étaient percées. Quelle puissance que cet engin, et quelle précision !

    Pendant ce temps, les trois autres sections de la compagnie face à la lisière du bois soutenaient avec les occupants de cette lisière un feu terrible. Les Allemands tirant plutôt haut, les projectiles ne nous faisaient pas de bobo.Mais il y avait trois bonnes heures que nous étions nez à nez sans arriver à un résultat.

    Les bois fourmillaient d’Allemands sans artillerie, cela était clair. Quelques compagnies des avant-postes tenaient encore ferme, mais étaient débordées par un adversaire qui les négligeait et dont l’objectif semblait être Flaba.

    Flaba, tête du ravin de Raucourt, était bien choisi comme objectif.Là était le point faible de la position, les Allemands devaient le savoir. En effet, le soir (le 27) notre brigade avait été mise très tard sur ce front immense où le 14e de ligne tenait les avant-postes. En forçant sur ce point le 12e corps et le 17eétaient coupés, et par suite l’Armée.

    Mais nous n’avons pas voulu céder. L’artillerie, le 57e, vint alors à notre aide et une heure durant arrosa le bois en face de nous de projectiles se succédant à une vitesse épouvantable et s’enfonçant de plus en plus sous bois, comme s’ils se précipitaient sur les talons de ceux qui s’enfuyaient.

    Nous eûmes alors une bonne demi heure d’accalmie. Une hésitation, un fléchissement était marqué par les Allemands. Mais c’était jeu de guerre car évitant Flaba, ils se portèrent sur Yonck. Ce ne fut que vers neuf heures que le feu d’artillerie du 77 nous apprit que nous redevenions objectif de combat.

    Pourquoi n’avions-nous pas suivi la colonne qui se défilait ? Pourquoi ? Parce que la brigade n’avait pas de réserve et qu’il valait mieux tenir sur ce point d’appui organisé que de se lancer au hasard, dans un immense bois où les pires embûches pouvaient nous empêcher de tenir en attendant les réserves annoncées.

    Et nous tirâmes ferme, sous cette nouvelle avalanche qui ne nous fit aucun mal. Mais de nouvelles colonnes d’Infanterie, poursuivant des compagnies du 63e qui se repliaient par le bois sur notre position, firent irruption de toutes part. Nous les reçûmes par un feu d’enfer et par une contre-attaque à la baïonnette qui les rejeta sous bois.

    Repoussés par des troupes fraîches nous revînmes à notre position. Et durant un quart d’heure, le feu fut intense ; l’artillerie nous aidait dans cette opposition au mouvement en avant de l’ennemi.

    Un bataillon du 63e vint en réserve derrière nous. Fort de cet appui le Commandant lance la 9e compagnie pour nous renforcer. Sous cette poussée nous rebondissons et allons près du bois, mais pas pour longtemps, car pris d’enfilade par six mitrailleuses, nous dûmes encore une fois revenir sur nos pas.

    C’est à ce moment que tombèrent mes camarades Haack, Dumaud, Ménard, Vilain, Mativon.

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    Dans le JMO du 78e
     

    Lorsque Charles Rungs écrit que tombèrent ses camarades, il souligne deux de ces noms : Haack, et Louis Mativon, sous-Lieutenant à la 12e Cie, né le 29 juillet 1888 à Auzances (Creuse). Ils meurent effectivement au combat. Dumaud, de la 4e Cie. Ménard, Lieutenant à la 1re Cie ; et probablement Vilain, ne sont, eux, que blessés...

     

    Haack était mon sous-lieutenant. Son frère, ancien officier supérieur est en ce moment major de la garnison de Bordeaux. Ce bon camarade, très militaire, n’avait pu se décider à faire disparaître ses galons, comme le conseil en avait été donné, et surtout à revêtir une capote de troupe, il fut visé par les bons tireurs allemands, comme l’ordre leur est donné de ne tirer que sur les officiers et il tomba frappé de deux balles.
    Emporté sur des fusils, il se souleva pour saluer militairement le capitaine Cahuzac de la 10e Cie« mais à ce moment là, il avait les yeux vitreux » m’a dit ce capitaine, et depuis on ne sait ce qu’il est devenu.

     

    On ne retrouve pas de fiche sur Mémoire des Hommes au nom de Haack. Charles Rungs, en septembre 1914, époque plausible de la rédaction de son récit, est sans nouvelles de lui. Une recherche faite à l’occasion de cette publication n’a pas donné grand chose. Le nom de Haack apparaît toutefois dans les annuaires de la Saint-Cyrienne d’avant-guerre. Qui en saurait plus sur ce Sous-Lieutenant ?

     

    Un autre mort que je regrette beaucoup est le camarade Mazeau, sous lieutenant sortant de Saint Maixent et dont la mère venue s’installer à Limoges à la nomination de son fils, sympathisait beaucoup avec ma femme. 
    Dès que l’une avait des nouvelles du front, elle les communiquait aussitôt à l’autre. Cette pauvre mère depuis le 28 août est sans nouvelles de son cadet et pour cause, je n’ai pas eu le courage de lui dire la chose, surtout qu’elle est très inquiète, son fils aîné capitaine au 9e, est soigné chez lui, blessé lui aussi.

     

    Henri Mazeaud, Sous-Lieutenant, né le 16 février 1888 à Brive (Corrèze) « mort pour la France le 28 août 1914 à Raucourt, Bois de Gerfaux »

     

    Le 28 au matin donc, après une charge à fond faite par le 1er bataillon, le capitaine de la 4e venait de tomber mortellement blessé (Maratuel, un ancien de La Flèche, mort le jour même).

     

    Emile Maratuel, Capitaine de la 4e Cie, né le 15 janvier 1874 à Roscanvel (Finistère) Inhumé cimetière communal Quatre-Champs, Vouziers, tombe individuelle 7

     

    Pour permettre d’assurer l’emport du corps, les lieutenants poursuivirent l’adversaire sous-bois, peut être un peu trop loin. Dumaud le lieutenant en premier eut les deux cuisses traversées et dut se retirer. 
    Mazeau resté seul commanda le repli. En se repliant il trouve un officier allemand blessé, il s’arrête près de lui pour lui prêter assistance, il se baisse, au même instant l’allemand lui tire à bout portant un coup de revolver. Furieux de l’assassinat de leur dernier lieutenant, les hommes firent alors un horrible massacre de tous les blessés qui leur tombèrent sous la main.

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    22 août 1914 JMO de la 24e DI

    L’adjudant de cette compagnie était tué [8] ; le sergent major blessé, deux sergents tués, trois autres blessés, néanmoins jusqu’au soir cette compagnie sous la conduite de gradés subalternes exaspérés continua le combat.

    Mais revenons au repli de ma compagnie : l’attaque sur notre front était renouvelée par une autre brigade allemande (85e et 137e) (par les morts nous avons sur sa composition, les numéros étaient brodés en rouge sur les couvre-casques).

    Le 63e ayant pu s’échapper du bois se repliait en désordre par le ravin de Raucourt, poursuivi dans sa retraite par les obus de l’artillerie lourde qui enfilait toujours le ravin.

    La 1re brigade allemande avait pénétré dans le ravin de Flaba ; celle qui était devant nous s’efforçait de sortir du bois pour nous bousculer, mais été chaque fois arrêtée par le tir précis de notre artillerie"

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    Extrait de l’historique du 63e régiment d’infanterie

     

    Les combats du 28 août 1914 dans le JMO du 78eRI

    Les combats de Raucourt dans l’historique du 78e RI

    Notes

    [1Tome premier. Publié sous la direction de M. Christian-Frogé Secrétaire général de l’Association des Ecrivains Combattants (Librairie Aristide Quillet, éditeur. Paris 1922)

    [2Ces batailles dans les Bois du Dieulet et de Jaunay,vers Laneuville sur Meuse, et celles de Luzy et Cesse, vers Martincourt sur Meuse, du 27 août sont celles qu’évoque le Lieutenant Rungs : « j’appris que les Marsouins avaient pris une revanche à Inor » (voir épisode 6)

    [3Tome 1, 2e volume, première partie, chapitre IV « La IVe Armée du 24 au 31 août » pages 166 et suivantes. Les passages cités sont extraits de la partie « La bataille de la Meuse (26-28 août) » pages 184 à 212

    [4dont la 45e Brigade avec le 78e RI

    [5C’est celle du Lieutenant Rungs

    [6Il s’agit de Bax

    [7N’oubliez pas que les soldats, gradés comme hommes de troupe, n’ont pas de casque pour se protéger. Le casque Adrian ne sera en service qu’en 1915

    [8Il s’agit de Laroche

     

    Généalogie:  Les « Mémoires de guerre » du Lieutenant Charles Rungs (7e épisode)

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    Les « Mémoires de guerre » du Lieutenant Charles Rungs (6e épisode)

     

    Avec le 78e régiment d’infanterie, retraite sur Beaumont puis Raucourt et préparatifs du combat


    jeudi 30 janvier 2014, par Andrée RungsMichel Guironnet
     

    Bloqué à Yoncq (Ardennes) depuis la veille, 25 août 1914, au matin avec sa 11e Compagnie (3e bataillon du 78e RI), le Lieutenant Charles Rungs « n’y tenant plus », se lève dans la nuit « pour avoir des renseignements » : « Nous n’avions pas d’ordres... A trois heures (du matin) je mets la compagnie sur pied, et nous attendons la suite à venir »... Les journées des 26 et 27 août seront bien remplies !

     

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    Théâtre des opérations
    Agrandissement de la carte IGN sur Géoportail

    « 26 août (1914) : dans la nuit arrive l’ordre de passer la Meuse au pont de bateaux de la ferme de l’Alma et de se diriger sur Beaumont avec mission d’organiser le secteur Bois de Failly, ligne Létanne Beaumont. Le 63e vers le Bois de Failly, le 78e vers la ligne Létanne Beaumont ; secteur délimité par le chemin de Létanne au Bois de Failly » JMO de la 45e Brigade 26 N 508/4.

     

    Beaumont – 26 août

    A six heures, le Corps d’armée nous fait dire que le Régiment va se rassembler à Beaumont (en Argonne).

    En route sur Beaumont : 11e Cie de direction, (celle du Lieutenant Rungs).

    - itinéraire : chemin passant au sud du 307. 
    Je fractionne mon peloton et tout en marchant et maudissant le 50e qui marche en sens inverse sur la même route encaissée [1], je regarde les obus de l’artillerie lourde allemande qui éclatent bien (en) avant de la nôtre.

    Deux kilomètres sont faits. Un bruit de galop de cheval me fait tourner (la tête). C’était le capitaine de la 12e (Compagnie), le capitaine Theillac de Flamenchie [2] qui par ordre du Lieutenant Colonel me prévenait de revenir à Yonck ; la colonne ne pouvait défiler sur cette route offrant le flanc au tir de l’artillerie. Nous revenons à Yonck ; on forme les faisceaux dans un champ à l’Ouest et nous draguons à nouveau jusqu’à neuf heures.

    - itinéraire : route au Sud, puis prendre la route de Stonne à Beaumont. 
    Nous avons mis deux heures 45 pour faire ces six kilomètres.

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    Détail d’une carte dans le JMO du 63eRI
    Au bord de la Meuse, la ferme de l’Alma où les troupes traversent la rivière. De l’autre côté,le Bois de Failly et, à quelques kilomètres, Létanne et Beaumont (document extrait du JMO 26 N 656/7)

    Compte rendu, très laconique, de 12 heures passées au 78e régiment d’infanterie, le 26 août :
    « - 2 h 20 : ordre reçu : franchir la Meuse au pont établi par le Génie à la ferme de l’Alma. Le régiment, après s’être rassemblé à Moulins, s’y porte par la route de Mézières et le chemin forestier du N.O au S.O.
    - 6 h 50 : le pont est franchi.
    - 9 h : le 1er Bataillon arrive à Beaumont, le 2e Bataillon est en Avant-Poste du Bois de Failly à Letanne.
    - 11 h : ordre reçu : aller occuper et organiser défensivement la position cote 241, Letanne (inclus) sur la rive gauche de la Meuse. Le 3e Bataillon a rejoint. »

    Extrait du JMO du 78e (26 N 663/1)

    Ce 3e bataillon qui rejoint les deux autres du 78e RI est celui du Lieutenant Rungs. Il est parti, lui, de Yoncq le matin même. Ce détachement avait passé la Meuse la veille, aux côtés d’un bataillon du 63e RI (voir l’épisode N°5).

     

    « La Brigade va immédiatement s’établir entre Létanne et le chemin de terre au Nord, qui venant de la Meuse conduit au Nord de Beaumont. A droite de la route se trouve la 48e Brigade, puis le Corps Colonial vers Inor, à gauche, une brigade de réserve.

    - 1er Bataillon en première ligne ; interdire le passage de la Meuse.
    - 2e Bataillon prolongera avec deux Cies le 1er Bataillon ; 2 Cies en réserve.
    - 3e Bataillon : 2 Cies organiseront (12e et 11e) une position de repli au nord de la route de Letannes (sans occuper Letannes) ; les deux autres compagnies (9e et 10e) réserve du Régiment dans le petit mouvement de terrain entre Letannes et Beaumont.

    Les sections de mitrailleuses se porteront au Nord de Letannes, un ouvrage a été fait pour elles par le Génie. Tous les outils de la division à la disposition. »

     

    Il s’agit de la 1re compagnie du 12e bataillon du 6e régiment du Génie. Dans son JMO (26 N 1292/1) il est noté : « 26 août : parti de Pouilly à 6 h, destruction des ponts. La ½ de la Cie (est) à la disposition de la 45e Brigade, l’autre de la 46e, pour organisation de points d’appui, construction de tranchées et d’abris. Cantonnement à Beaumont, arrivée au cantonnement à 20 h, approvisionnement en vivres à 18 h ».

     

    Les capitaines vont reconnaître les positions avec le Colonel. Avec mon sous-lieutenant nous déjeunons. A peine le repas terminé, le capitaine revient :« Allez reconnaître le secteur de la compagnie, jalonnez l’emplacement des tranchées. »

    Une demi heure après, le travail était fait, les outils distribués, il n’y avait plus qu’à gagner les emplacements. Je dois dire que tout ce travail, comme celui du reste de la journée, s’est fait avec le calme des jours d’exercice ; nous n’avons pas eu affaire à un ennemi.

    Pour mon peloton, je donnai l’ordre de rompre, pour la construction des tranchées, avec le règlement. Qu’avions nous surtout à craindre ? Le tir de l’artillerie. En conséquence, je prescrivis de faire une tranchée entièrement en profondeur, 1 m 50 au moins et de 50 cm de largeur. Je dois dire que le sol s’y prêtait, un sol de glaise pure.

    Pendant le travail, une équipe me débroussaillait les alentours de Letannes : je gagnais ainsi 200 m de champ de tir et une autre équipe me rapportait les contre-vent et portes du village. Ces matériaux étaient destinés à couvrir la tranchée pendant le tir de l’artillerie, des rondins de bois facilitaient le placement et le déplacement de ces « pare éclats d’obus ». A cinq heures, mes renards étaient terrés.

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    Creusement de tranchées par le 63e RI
    (JMO 26 N 656/7)

    A cinq heures trente (l’après midi) des obus tombaient sur la première ligne, sans l’atteindre. Notre artillerie lourde entra aussitôt en action. C’était la première fois que nous entendions le ronflement puissant de son lourd obus. Dix minutes après l’artillerie allemande était muette.

    Puis tous les aviateurs partirent de Beaumont. Les obus claquèrent autour et au dessus dès qu’ils eurent franchi la Meuse. Ils étaient partis six. Vingt minutes après ils rentraient tous les six, deux en passant à 100 m au dessus de nous, nous disant bonjour. Trois durent repartir aussitôt après avoir atterri.

    Mais ne croyez pas que les avions allemands avaient fait leur reconnaissance sans être inquiétés. J’en ai vu un, des deux qui venaient sur nous, faire demi-tour après avoir été encadré par les 4 obus d’une de nos batteries. Il devait avoir du plomb dans l’aile.

     

    De quelle escadrille faisaient partie ces avions ? Voir la réponse très complète de Claude Thollon-Pommerol sur le Forum Pages 14-18 :
    http://pages14-18.mesdiscussions.ne...
    Voir également son site : http://www.asoublies1418.fr

     

    La pluie se mit de la partie. Nos hommes, qui avaient arrondi le fond de leurs tranchées de façon à pouvoir s’asseoir et qui avaient garni les parois avec les avoines non rentrées, ne se plaignirent pas de ce contre-temps, d’autant plus que le pare-balles que j’avais fait installer leur servait de parapluie. Mais il n’en était pas ainsi pour tout le monde et à sept heures (du soir) beaucoup étaient transpercés.

    A cette heure là, j’ai assisté à un tir de réglage de notre artillerie. Elle avait pris comme objectif tous les points culminants des environs ; les obus y tombaient comme posés avec la main.

    Puis la nuit descendit, nuit noire et froide que coupaient de temps à autre les projecteurs d’un ouvrage situé plus au Sud-Est. Peut-être Montmedy ? Peut être aussi était-ce des projecteurs allemands.

    Nous finissions de nous installer et la pluie tombait terriblement lorsque nous reçûmes l’ordre d’aller nous abriter par moitié dans le village de Letanne. Première moitié de 8 h à minuit, 2e moitié de minuit à 4 heures.

    J’étais de la première bordée. Cela me gênait ou plutôt m’ennuyait beaucoup, car avec mon camarade Mayaud de la 9e Cie, qui se trouvait en réserve à 200 m de ma tranchée, nous avions commencé l’établissement d’un couloir d’un mètre de large, permettant à la réserve de venir nous doubler, sans crainte du tir de l’ennemi.

    Nos outils demeurèrent en place et je ne sais si le travail fut continué. Car à onze heures du soir nous parvint cet ordre : « La Brigade va se porter en réserve du Corps d’Armée au carrefour des routes La Besace, Yonck et une route (qui je crois, n’ayant pas de carte, je ne puis affirmer) partait de la route Beaumont, Stonne et une autre allant vers Flaba ; la 46e brigade (qui fait division avec nous) va vous remplacer . »

     

    « 21h 30 : Ordre reçu : les bataillons de 2e ligne du régiment (1er et 3e) se mettront en route immédiatement pour Varny-Forêt où ils constitueront avec le 63e la réserve générale du Corps d’Armée. Le 2e bataillon restera en position et les rejoindra dès qu’il aura été relevé par la 46e brigade. La marche s’effectue dans les conditions les plus pénibles par une nuit noire et sous une pluie torrentielle » Extrait du JMO du 78e RI (26 N 663/1). 

    Dans le JMO de la 45e Brigade (26 N 508/4) est noté ce passage : « Dans la soirée du 26 août, la 45e Brigade reçoit l’ordre de se porter à Warmiforêt à la disposition du Général Commandant le Corps d’Armée. Le 63e s’installe près de la route de Yoncq, le 78e près de Warmiforêt. »

     

    L’ordre s’exécute, mais combien péniblement sous la pluie et dans la nuit et voici pourquoi : vers six heures du soir, la veille, en prévision très probablement d’une résistance longue et opiniâtre, il nous avait été distribué deux jours de vivres, trois cents cartouches par homme ; j’ai fait le compte avec mon capitaine, c’était un surcroît de charge de neuf kilos. Ces vivres avaient été placées dans les chambres de repos aménagées. Les hommes n’avaient sur eux qu’un jour de vivres, plus leurs munitions et le repas de grand’halte du matin.

    Il fallut répartir le tout, le sucre, café, le riz, les haricots furent laissés en sac et portés à tour de rôle par les plus valables (c’est-à-dire valides). On ne savait où mettre les cartouches, la musette contenant deux jours de pain. On en mit dans toutes les poches. Et pour comble, impossible d’avoir les voitures, elles étaient toutes à La Besace.

    A la guerre, comme à la guerre, avec quelques bons mots, on en prit son parti et lentement on (a) abandonné un travail bien fait, que chacun était bien décidé à défendre, pour le laisser au 107e et au 138e. [3]. On leur abandonna également tous les outils de parc qu’il nous était impossible de ramener à leurs voitures.

    Et sous la pluie qui résultait d’un orage qui nous aveuglait, nous refîmes la route que la veille au matin nous avions faite.

     

    27 (août) Bivouac d’abord près de La Besace, ensuite à Raucourt.

    Il faisait nuit lorsque nous arrivâmes au petit bois, près d’une ferme dont je n’ai pas le nom [4]. Le 63e était en position, nous doublâmes la colonne et près d’un hameau sur la crête de la route (Flaba ?) d’où part une route allant sur La Besace nous attendîmes les ordres. L’État Major du Corps d’Armée était à ce hameau.

    Il faisait nuit, la pluie, l’orage nous transperçaient. Néanmoins couchés les uns près des autres, presque les uns sur les autres, les hommes s’étaient endormis. Au petit jour, j’eus ce spectacle.

    Autorisation fut donnée d’allumer du feu et chacun essaya de se sécher. J’en profitai pour me sécher les pieds. Puis vint le café et un léger casse-croûte.

    Je m’endormis sous une haie. Il était bien sept heures, lorsque je fus tiré par l’oreille par un camarade de La Flèche, le capitaine Galle du 63e« Tu dors quand chacun se démène comme un beau diable. Quand est-ce que tu vas chiper la petite balle en séton qui va te faire capitaine ou te donner la Croix ? » [5]

    Et je m’étire et nous commençons avec le Lt Colonel Paulmier du 63e, une promenade de 200 m de long sur la route. Promenade qui dura plus d’une heure.

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    Etat-Major du 63e Régiment d’Infanterie
    Dans l’état-major du 63e régiment d’infanterie, on retrouve le Lieutenant Colonel Paulmier et le Capitaine Galle (JMO 26 N 656/7)

    C’est là que j’appris que les Marsouins avaient pris une revanche à Inor ; ils avaient laissé franchir la Meuse (à l’ennemi), puis l’artillerie avait canardé le pont, et alors à la Française, la division coloniale avait rejeté dans la Meuse les troupes allemandes. L’eau en était rose, disait une heure après, le médecin major de 1re classe, un homme qui n’est pas de Marseille.

    Pareil désastre était arrivé aux Allemands à Mouzy ou Rouffly ? et Remilly. La veille c’était à Sedan. Malheureusement pour nous, la Meuse était franchie au nord de Sedan, nous avons toujours caché cette nouvelle à nos sous-officiers et à nos hommes. Nous les avons au contraire exaltés, en leur portant les félicitations et les renseignements du général en chef, en leur disant que les Allemands ne pouvaient franchir la Meuse et que, s’il le fallait, nous tiendrions longtemps sur notre position qui était très très forte.

    Et les heures passaient, passaient ; longues.

    Vers midi, une nouvelle : des troupes sans artillerie, ont franchi la Meuse à gué à Rémilly [6]Le XVIIe Corps les attaque. Des automobiles roulent nombreuses vers le quartier général du XIIe Corps, il y a forcément du nouveau.

    Puis le 63e est porté sur Yonck. L’artillerie lourde tonne furieusement. De grands nuages de fumée obscurcissent l’horizon. Je regarde la carte : Mouzon, Amblimont, Breilly (peut-être Brévilly ?), brûlent. C’est donc que les envahisseurs sont repoussés, qu’ils transforment déjà le terrain en désert.
    Bientôt je distingue, en gagnant une crête, les obus allemands qui couvrent nos lignes qui sont abritées. Notre artillerie donne de partout.

    Deux heures (de l’après midi), le Colonel de Montluisard nous réunit.
    « Le Régiment sera chargé de fouiller avant la nuit tous les bois de Flaba et de Raucourt où de l’Infanterie ennemie s’est maintenue ; le XVIIe Corps a repoussé les attaques de ce côté, il a même repris Angecourt qu’il avait perdu à midi. »

    Direction Flaba et côte 332, 11e Compagnie de direction – 3e Bataillon en tête ; 2e Bataillon à gauche en échelon, 1er Bataillon suivra à 600 mètres.

    Et me voilà parti avec mes éclaireurs. Les aviateurs allemands nous survolent. J’arrive à hauteur de La Besace. Halte d’une heure. Une batterie d’artillerie prend position à ma hauteur un peu au Sud Ouest de Flaba. Elle commande le ravin qui va à la Meuse. A quatre heures (de l’après midi), la 11e (compagnie) reçoit l’ordre de se porter à Flaba.

    La chose était aisée ; le 14e d’Infanterie l’occupait déjà. Il y avait aussi une ambulance divisionnaire, nombreux étaient les blessés, l’affaire avait donc été chaude. La mousquetterie s’entendait bien. Je quitte Flaba et en suivant le ravin, je marche vers Raucourt, le clocher m’était donné comme direction.Le 1er Bataillon marche, lui, sur 332.

    Alors se passe un fait que je ne puis passer sous silence.
    Le capitaine de la batterie du 57e (régiment d’artillerie) qui était à ma hauteur avant d’arriver à Flaba, arrive près du Général Arlabosse qui marchait presque à ma hauteur.
    « Mon Colonel, je vous supplie au nom de la France, ne vous engagez pas sans artillerie. J’ai prévenu mon Colonel de votre attaque et grâce à cette liaison vous allez bientôt être appuyé, mais mon Colonel est à 5 kilomètres d’ici ; attendez que nous recevions l’ordre de vous suivre ».

    « L’ordre que j’ai reçu doit être exécuté avant la nuit, je ne dois pas attendre. En avant le 78e », crie alors le Général Arlabosse, toujours et pour cause, habillé en Colonel.

    « Alors mon Colonel, dit le Capitaine d’artillerie, je vous suis et je me mets à vos ordres, j’en préviens mon Régiment ». Et c’est ainsi que nous reçûmes l’appui d’une batterie d’artillerie [7]

    La marche était lente, rendue encore plus lente par l’ordre donné au bataillon de réserve de gagner Raucourt, de se mettre en liaison avec le 3eBataillon. Six heures (du soir) étaient sonnées. Nous n’avions rien vu quand l’arrêt avant l’entrée sous bois fut sifflé. A ce moment le régiment était en demi cercle ; 3e bataillon au centre, encerclant la lisière du bois à l’Est de Raucourt, bois de la côte 332 et se terminait à Autrecourt. A notre droite, entre Yonck et Autrecourt, chargé de la même mission se trouvait le 63e.

     

    La journée du 27 août 1914 au 78e RI d’après son JMO
    « 27 août : 
    - 2 h : le régiment arrive à Varny Forêt en tête de la brigade. Les hommes passent la nuit sur la route. Ils dorment sous des torrents d’eau. 
    - 6 h : le 2e bataillon rejoint le régiment.
    - 13 h : ordre reçu : le régiment se portera en formation de combat à mi-chemin de La Besace et de Yonck, face au nord et y attendra l’ordre d’attaque. 
    - 15 h : le régiment qui a marché en colonne double à larges intervalles est en place.
    - 16 h : ordre d’attaque. Direction générale de Télonne [8], le régiment aura sa gauche jalonnée par la route de La Besace à Raucourt.
    - 17 h : l’attaque a été retardée d’une heure par suite du retard dans l’arrivée de l’artillerie.
    - 19 h 30 : le régiment est arrivé à hauteur de la ferme Ennemane après une marche très pénible dans un secteur des plus accidentés.
    - 20 h 30 : le Colonel commandant le régiment se met en relations à Raucourt avec le Général commandant la 24e division. Le régiment bivouaque au petit bois à 500 mètres Est de la ferme Ennemane. Les hommes sont dans un état de fatigue extrême. Aucun ravitaillement ».


    Effectif : 55 officiers, 3252 hommes de troupe - 3 évacués, 1 blessé, 205 chevaux

     

    Notes

    [1« Chacune des journées suivantes verra à peu près la répétition de la manœuvre du 24 (août 1914) : on tient, on se replie par ordre, puis on contre-attaque et on se replie encore… On commence à sentir que ces replis successifs sont imposés par la situation générale de toute l’armée française. Mais y a-t-il eu quelque part un événement malheureux ou s’agit d’une manœuvre de nos grands chefs ? » Écrit longtemps après les faits, l’historique du 50e régiment d’infanterie (1920) rend néanmoins bien compte des interrogations des soldats durant ses journées de La Retraite

    [2Dans le JMO du 78e, son nom est orthographié tout simplement Teilhac. Il peut s’agir de Charles François Paul Teilhac de Flamenchie

    [3Ce sont les deux régiments faisant partie de la 46e brigade d’infanterie qui va relever les troupes de la 45e

    [4Il doit s’agir de Warniforêt

    [5Il ne peut s’agir ici d’être décoré de la Croix de Guerre, décoration instituée en avril 1915. Il faut comprendre alors « avoir la Croix » comme les enfants l’ont comme récompense à l’école !

    [6Aujourd’hui Remilly-Aillicourt.

    [7Malgré mes recherches dans les journaux de marche des batteries de ce régiment, je n’ai pu identifier ce Capitaine du 57e R.A... régiment où, une soixantaine d’années plus tard, je fis mon année de service militaire, à Colmar puis à Bitche.

    [8Il s’agit de Thelonne au nord de Raucourt, à quelques kilomètres au sud de Sedan

     

    Généalogie:  Les « Mémoires de guerre » du Lieutenant Charles Rungs (6e épisode)

     

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    Les « Mémoires de guerre » du Lieutenant Charles Rungs (5e épisode)

     

    Avec le 78e régiment d’infanterie à Yoncq


    jeudi 28 novembre 2013, par Andrée RungsMichel Guironnet
     

    La retraite.

    "Elle se fait dans les conditions les plus dures : longues marches sous l’ardent soleil de cette fin d’août, stationnement sur des positions qu’on se hâte de fortifier pour barrer la route à un ennemi qu’on n’attend pas pour reculer de nouveau, privations, nuits sans sommeil où, à chaque halte, on se retourne pour regarder l’horizon que rougeoient les incendies allumés par les Allemands, fatigue extrême !

    Mais rien n’abat le moral du régiment, qui reste dans la main de ses chefs, prêt à se retourner contre l’ennemi qui poursuit... le 26 on repasse la Meuse, derrière laquelle on se fortifie.

    Mais, cette fois encore, on ne reste pas sur la position. Du moins, ce n’est pas pour se dérober de nouveau : on va faire tête à l’ennemi, l’attaquer vigoureusement pour enrayer sa marche ininterrompue vers le cœur de la France !"

    Telle est présentée la retraite du 78e Régiment d’Infanterie, bien dans le style des historiques régimentaires de l’époque (1920).

    Le Lieutenant Rungs nous la raconte de façon bien différente !

     

    25 août – Yoncq

    On doit me tirer par l’oreille pour me rappeler à la réalité. J’avais froid, les membres étaient raides, j’avais surtout faim, mais mes deux ordonnances, le réserviste Lacounari et mon ordonnance de l’an passé, celui qui avait pris Colette en affection, et mon second Nadeau avaient prévu un repas copieux. Ce repas composé de soupe, bœuf bouilli, légumes et café était sur le feu d’une brave femme qui attendait notre départ pour fuir son auberge.

    Que ce repas fut bon ! Il était arrosé d’eau coupée d’eau de vie de prunes. Le café fut supérieur. Puis chez la même femme, je me suis enfin débarbouillé à fond. Quelle bonne chose qu’un complet savonnage, suivi d’un lavage sans bidet.

    A huit heures, j’étais redevenu le vrai chef, reposé, pouvant porter toute son attention sur ceux que la Patrie lui avait confié. Aussi quand l’ordre de se mettre en marche sur Beaumont fut donné, j’étais disposé encore une fois à bien disputer la victoire à nos poursuivants.

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    JMO de la 23e Division d’Infanterie daté du 25 août (26 N 307/1)

    Bien entendu, nous n’entendions aucun bruit. Même le canon se taisait. Les aéroplanes planaient au dessus de nous. Nous ne tirions plus dessus. Ils se maintenaient toujours à plus de 2 000 mètres, profitant de la clarté des cieux pour bien nous voir en se maintenant hors de portée. Les canons seuls pouvaient les atteindre, ils ne s’en faisaient pas faute, lorsque l’occasion se présentait et qu’il n’y avait aucun danger pour nos troupes.

    Et nous nous sommes engagés sous la voûte qui conduit à Mouzon. Un gros désordre régnait à Mouzon. Les voitures encombraient la rue principale, voitures civiles et militaires ; l’artillerie lourde arrêtée nous obligeait à marcher par deux.

    Les gens en larmes nous regardaient passer. Il y avait des pleurs dans tous les yeux. Il y avait de quoi, sans avoir été battus, sans avoir été entamés, nous obéissions à un ordre.

    Comment expliquer cela à des hommes qui ne comprennent que la réalité ? Il fallait cependant mettre de l’espérance dans leur cœur, leur parler des besoins de la tactique, de la manœuvre ; il fallait mentir, dire que l’on passait en deuxième ligne.

    Et mes braves soldats m’écoutaient. Ne les avais-je pas chaque jour entretenu de ce qui se passait ? Ils m’ont toujours cru, et j’étais si fier d’avoir leur confiance. Mais une fois sorti de Mouzon, il fallut déchanter. Il était dix heures. Une fusillade terrible avait lieu vers Mouzon. Des batteries étaient en position partout. Celles-là ne tiraient pas.

    Voici ce qui s’était passé. La veille au soir, une armée allemande ayant pour objectif Sedan et ses environs avait pu s’emparer du pont de Douzy et profitant de ce passage, l’ennemi activait notre retraite en nous inquiétant sur notre gauche. Il paraît qu’à Sedan ce jour là, il y eut un beau massacre d’allemands, d’après ce que nous a dit un motocycliste.

    Mais il restait la Meuse à franchir. L’ordre fut donné d’en faire sauter les ponts à 4 heures du soir ; le pont de Pouilly seul sauterait après le passage des dernières troupes, dans la nuit du 26. Un pont de bateau serait la nuit lancé vers Letannes. Nous fûmes arrêtés à Yoncq à onze heures.

    Le régiment se battait à Olisy. En attendant des ordres, on s’installa au bivouac.Et alors commença une journée longue, longue.

    L’État-Major du corps d’armée, d’abord à Mouzon, fit préparer son cantonnement à Yoncq. Le XVIIe corps avait également des troupes au nord du village, notre deuxième division était au sud de ce village, deux régiments d’artillerie lourde avaient pris position : un dans le ravin au sud de 307 surveillant la direction Mouzon Douzy ; l’autre plus au sud-est surveillant Malandry Olizy. Toutes les crêtes étaient solidement occupées, on voyait de l’artillerie partout.

    Les heures passaient aussi monotones. Pas un coup de canon, pas de fusillade. Vers trois heures (de l’après-midi) il se mit à pleuvoir. Utilisant le blé engerbé, mais non rentré, mes hommes eurent vite fait de s’improviser des abris magnifiques.

    Ennuyé, triste devrai-je dire, je ne savais que faire ? L’énervement du combat était tombé. Je me demandais ce qui arrivait ? Ce qu’étaient devenues mes armées que des indiscrétions du premier jour m’avaient fait entendre :

    - une dans le Nord, 
    - une plus au Sud (de Lanrezac je crois), 
    - la nôtre (Lafont de Labédat), 
    - une autre au Sud Verdun (Ruffey), 
    - Lorraine (De Castelnau), 
    - Vosges (D’Amade ou Pau). »

     

    Le Lieutenant Rungs a une vision assez juste des Généraux d’Armées en poste à l’époque de la rédaction de son récit (en septembre 1914) mais fait quelques erreurs :

    - Dubail est le Général de la 1re Armée, celle « dans le Nord ». 
    - Lanrezac commande la 5e Armée, « plus au sud », jusqu’au 3 septembre.
    - Langle de Cary, et non Lafont de Labédat, est à la tête de la 4e Armée, « la nôtre ».
    - Celle « au sud (de) Verdun » est la 3e Armée du Général Ruffey…jusqu’au 30 août !
    - De Castelnau commande la 2e Armée, jusqu’au 21 juin 1915.
    - D’Amade est à la tête du « Groupement d’Amade » jusqu’au 17 août. 
    - Pau est à la tête de l’Armée d’Alsace, du 10 au 28 août 1914 seulement !

     

    Et pourquoi toujours reculer et jusqu’à la Meuse, lorsque nous n’avions pas un seul jour été battus ?

    Je songeais, lorsque la voix sympathique de Schmidt, chef de musique, me sort de ma torpeur : « Et bien, je me souviendrais toujours de cette marche ! Voilà vingt quatre heures qu’avec ma musique, je cherche le régiment, sans manger. Ce qu’on m’a promené à Margut, à Moulins, et de Moulins à Pouilly. Enfin, me voici. Donnez moi à manger ! »

    Lorsque je lui eu dit que le régiment se battait à Olizy (les deux autres bataillons), il ne voulait pas me croire : « Songez donc qu’à six heures hier soir, à Linay, on nous a dit de passer la Chiers en emportant le plus de blessés possible et comme direction on nous a donné Beaumont.

    N’ayant ni cartes, ni gens du pays, j’ai marché droit derrière moi au sud ouest. La nuit je me suis perdu dans les bois. J’ai bien passé quatre fois au même endroit, j’ai alors attendu le jour et alors on m’a balancé de régiment en régiment ».

    Les musiciens, porteurs des brancards, ils ne les avaient pas lâchés, faisaient triste mine [1]. Ils purent trouver une grange, et je vous assure qu’ils dormirent, leur sommeil bien gagné.

    Ce qui navrait le chef de musique, c’est qu’il avait perdu ses chefs de service, les docteurs. Ils étaient partis à cheval reconnaître la route ; ils ne les avaient plus revus.

    Cinq heures  : on nous apporte des lettres. Il y avait sept jours que nous n’en avions eu. Les larmes viennent bien aux yeux en les lisant ; c’est si bon les recommandations de la femme, les bonnes paroles des enfants, les consolantes pages de la maman et du papa, quel doux réconfort et que l’on se sent fort après cette lecture.

    Six heures : nous allons cantonner ; ainsi en a décidé le Corps d’Armée.
    Quelle aubaine : nous allons être sous un toit ; double chance puisqu’il pleut. Le cantonnement est spacieux. Je finissais de le reconnaître, lorsque je suis interpellé. Le médecin à 4 galons est là sur son grand cheval de cuirassier [2]. Il me demande un homme pour soigner son zèbre.

    Puis il me raconte, ce que m’avait dit le chef de musique ; mais comme il est venu avec un capitaine de l’État Major du XIIe Corps, il m’annonce la primeur : Arlabosse prend le commandement de la Brigade. Le Brigadier celui de la division, quant au divisionnaire, il disparaît du service de l’avant. Florenville le 23 (août), doit en être la cause.

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    JMO de la 45e Brigade (26 N 508/4)

     



    Le Colonel Arlabosse est Chef de Corps du 78éme régiment d’infanterie, de la mobilisation jusqu’au 26 août 1914. Le Lieutenant-Colonel de Montluisant lui succède.
    A cette date, Le Colonel Arlabosse prend le commandement de la 45e Brigade à la place du général Masnou appelé,lui, à commander la 23e Division d’Infanterie en remplacement du général Leblond.

     

    Puis ce n’est pas tout, « Je vous somme, me dit-il de me donner à manger si vous voulez qu’un jour je vous donne la primeur de mon bistouri ».

    Il tombait bien : le menu était parfait ; nous avions eu le temps dans la journée de le composer et de le faire cuire :
    - Potage vermicelle
    - Bœuf aux carottes
    - Lapin sauté 
    - Riz au gras
    - Confiture 
    - Fruits
    - Vins divers.
    Et comme apéritif, je lui ai offert 30 gouttes de laudanum (comme quoi les cordonniers sont les plus mal chaussés).

    Mais tenant à faire bien les choses je lui ai également offert le coucher, dans la paille, avec ma section. A huit heures, nous nous allongions. Quoique vivant avec le corps d’armée, nous n’avions ni ordres, ni renseignements. On n’avait pas de la journée tiré un coup de canon, ni un coup de fusil.

    Les Allemands n’auraient donc pas essayé de passer la Meuse ? Où bien ? Se sont-ils emparés des ponts plus au sud et cherchent-ils à renouveler la manœuvre de 1870 ? C’est dans cette disposition d’esprit que je me suis endormi.

    Jusqu’à une heure, tout alla bien, mais l’artillerie commença à rouler, elle fut suivie de fantassins, les uns allaient vers Mouzon, d’autres remontaient à l’ouest. 
    N’y tenant plus, je me suis levé pour avoir des renseignements, puisque nous n’avions pas d’ordres. Je me heurte d’abord à du 138e qui va vers Mouzon. Puis à du 11e et du 20e ; ce qui reste de cette brigade. Je vous ai déjà parlé de la surprise dont elle fut victime. Ils ne savent où aller. Puis encore de l’artillerie. A trois heures (du matin) je mets la compagnie sur pied, et nous attendons la suite à venir.

     

    Notes

    [1Les musiciens sont aussi brancardiers. Ce sont souvent des prêtres ou des religieux, affectés au Service de Santé car leur vocation leur interdit de porter les armes

    [2Il s’agit du Docteur Taste, de Saint-Dié, déjà rencontré

     

    Généalogie:  Les « Mémoires de guerre » du Lieutenant Charles Rungs (5e épisode)

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    Les « Mémoires de guerre » du Lieutenant Charles Rungs (4e épisode)

     

    Avec le 78e régiment d’infanterie à la Bataille de Carignan


    jeudi 14 novembre 2013, par Andrée RungsMichel Guironnet
     

    « Au cours de la nuit (du 23 au 24 août 1914), le général de Langle résume ainsi la situation au général en chef : la IVe armée a éprouvé à nouveau des échecs graves sur plusieurs points de son front, particulièrement à sa droite …/... Les pertes sont graves et les troupes extrêmement fatiguées. 
    Le 17e corps est établi entre Meuse et Chiers sur les hauteurs d’Amblimont …/… Dans ces conditions, le général de Langle considère que l’offensive est enrayée pour le moment et qu’il convient de reporter la IVe armée sur la Meuse et sur la Chiers, où elle trouvera une position lui permettant de durer et de réparer ses pertes, en vue de se reporter en avant ultérieurement. 
    En attendant, le général de Langle donne à son armée les ordres suivants pour le 24 août : les corps de droite résisteront sur la rive droite de la Chiers… puis sur la tête de pont de Carignan : le 12e corps couvrant les ponts de la Ferté, Linay, Blagny ; le 17e corps, ceux de Carignan à Douzy »
     [1].

    Le Lieutenant Rungs, au cœur de l’action, nous raconte ; avec force détails ; cette tragique journée.

     

    Bataille de Carignan – 24 août

    C’était l’aube d’une grande bataille, loin des forêts, en rase campagne, dans ce pays de Carignan où en 1870 nos aînés s’étaient également battus.

     

    « La bataille de Carignan (31 août 1870), plus terrible que le combat de Mouzon, fut aussi plus désastreuse ; c’est elle en réalité qui a décidé du sort de la campagne, et l’effroyable journée du lendemain ne fut vraiment que la suite de cette mêlée ardente où, plus qu’en aucun autre combat peut-être, la lutte devint une boucherie, lutte corps à corps et combat d’artillerie. L’ennemi, décimé par nos mitrailleuses, revenait sur nous à la charge avec une épouvantable furie. Il vainquit, on peut le dire, à prix de sang. Les eaux rougies de la Chiers traînaient des cadavres allemands. Sous le feu des obus, dans l’incendie de Carignan, Mac-Mahon retrouvait son énergie militaire, cet héroïsme sublime de Reischoffen qui fait de lui, sinon un tacticien éminent, du moins un admirable soldat. Contraint de céder une fois de plus devant le nombre, il abandonna Carignan après l’avoir intrépidement défendu, et, chef d’armée encore vaincu, il eut du moins cette consolation amère de laisser à l’ennemi un champ de bataille où les morts prussiens et bavarois se comptaient par milliers »
    « Le Champ de bataille de Sedan » par Jules Claretie (1871).

     

    Jetons un coup d’œil sur le terrain, faisons le tour d’horizon. Le 12e corps, non entamé, n’ayant pas beaucoup souffert, avait à faire tête à l’envahisseur dans le quadrilatère formé par les Ardennes au nord, la rivière Marche à l’est, la voie ferrée de Carignan à la Belgique à l’ouest, au sud coulait la Chiers.

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    Carignan et ses environs
    Détail agrandi d’une carte de 1911 du département des Ardennes au 1/250.000e
     

    L’ordre transmis était : Arrêter sur la Meuse l’adversaire, tenir au moins 48 heures.
    Par la carte au 1/80.000 que je n’ai jamais eu entre les mains, il sera facile de suivre les opérations successives.

    - A notre droite (rivière Marche) était une division coloniale du corps colonial, division toute fraîche.
    - A quatre heures du matin, le 107e, 138e, 300e débouchaient de la forêt vers Mogues et Tremblois et allaient s’établir : le 300e vers les Deux Villes, le 107e et 138e vers Charbeaux ; l’autre division du corps d’armée était à notre gauche.
    - Le 63e se portait vers Auflance, tandis que le 78e portait un bataillon en avant de Mogues et les deux autres bataillons s’établissaient sur la face ouest du mouvement de terrain de Mogues, face au nord.

    Les avions allemands nous survolent. Pas un coup de fusil de nos avant-postes. Le canon allemand tonne toujours vers Pin (et) Izel qui brûlent.

    Six heures du matin : Williers brûle. Les Uhlans sont donc au contact avec les nôtres puisque ce village, qui nous a reçus il y a trois jours, est victime nouvelle de l’invasion.

    Six heures trente. Le régiment par échelons va se porter en arrière, à l’est de Charbeaux, sur le mouvement de terrain Charbeaux Auflance.Le mouvement à peine amorcé, nouvel ordre : le 78e organisera défensivement les deux positions au nord de Linay, Fromy et Fromy Moiry, le 3e Bataillon du 78e restera sur la ligne Charbeaux Auflance.

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    détail agrandi d’une carte d’état major de 1914
    Extraite du JMO du 21e Régiment d’Artillerie de Campagne (26 N 940/1)

    La bataille n’est pas encore commencée. Le XVIIe Corps est poursuivi à nouveau, car, vers Messincourt Sedan, la fusillade est vive. Nous venions de terminer nos tranchées, d’organiser nos réseaux de fil de fer, de repérer nos distances, lorsque quelques uhlans et chasseurs bavarois sortirent de Puilly. Se tenant à 1.500 mètres, ils battirent l’estrade, cherchant à repérer nos positions. 
    Nous ne nous laissâmes pas prendre au piège, ils en étaient pour leurs frais lorsque arriva cet ordre !!! : 
    - 3e Bataillon, réserve du régiment, vers source ruisseau qui passe à Moiry.
    - 1er Bataillon s’établira sud Auflance surveillera ruisseau qui vient du Nord.
    - 2e Bataillon remplacera le 3e Bataillon.

    En voilà un chassé-croisé… Exécution immédiate.

    Nous nous replions dans les blés et les avoines non coupés. Le Commandant nous arrête, non au point indiqué, mais bien au nord. A 200 m de ma section, j’ai une batterie d’artillerie en position.
    « Mauvais tabac, dis-je à mon Capitaine, les coups longs sont pour nous. »
    Il va trouver le chef de bataillon, mais la position doit être supérieure, car nous restons, nous réserve de régiment, sur le plateau en vue de tous les environs.
    Qu’en résulte-t-il ?

    Je mangeais avec mon Capitaine, en tête de ma section, lorsqu’un obus éclate à 600 m de nous sur notre gauche. Un second le suit, celui-là plus long, il passe sur nos têtes. Arrive un troisième, il se fiche en terre à 25 mètres de la queue de ma section. Nous sommes couverts de terre.

    Mais comme les obus allemands projettent leurs éclats en hauteur, nous n’avons pas de mal. Mais la position commence à être mauvaise. Nous organisons aussitôt la carapace de tortue et nous ne bougeons plus.

     

    Un article de 1903, tirant les enseignements de la Guerre des Bœrs, en parlant des nouveaux canons à tir rapide, dit : « Il est aisé d’imaginer ce que peut couvrir de terrain une batterie d’artillerie (4 pièces) tirant avec des hausses différentes. C’est une véritable zone de mort dans laquelle on n’aura plus qu’une ressource : s’agenouiller face à l’ennemi et mettre la tête entre les jambes de façon à ne lui présenter qu’une carapace de sacs. On a constaté en effet que les sacs chargés ne sont pas traversés par les balles qui jaillissent des obus après leur éclatement.

    Cette formation est dite, vulgairement, formation « en tortue » Il est curieux de constater qu’à trois mille ans de distance les armes ultra perfectionnées et les armes primitives ont conduit à la même manière de combattre, ou plutôt, de se protéger contre les projectiles.

    Quand les Grecs et, après eux, les Romains marchaient à l’assaut d’une place forte, ils se serraient les uns contre les autres et élevaient au-dessus de leur tête leur bouclier de métal de façon à former une voûte d’airain sur laquelle glissaient les projectiles, Eux aussi, appelaient cette formation faire « la tortue ». 


    « La bataille future, les armes modernes » L’Universel. Magazine hebdomadaire illustré (1903).

     

    Les obus continuent à pleuvoir. Pas pour longtemps, car le 52e d’artillerie, qui était en surveillance, a eu vite fait d’éteindre ces distributeurs de mort. 
    En réalité nous n’avions que des blessés, le plus dangereusement atteint était un sergent de la 1re compagnie, l’omoplate était percée et le poumon était légèrement atteint.

    Enfin, nous nous replions dans la vallée, à l’abri dans un ravin où est le 21e d’artillerie. Cette journée du 24 était pour nous une journée d’artillerie et jusqu’à dix heures du soir il en a été ainsi.

    En effet, à deux heures du soir, le Lieutenant Colonel de Montluisant, du 78e, vient prendre le commandement du bataillon. Un bataillon du 63e, le bataillon de Vildary [2] lui était également confié ainsi que les troupes qu’il trouverait en position à la côte 301 W.W.Est de Carignan.

     

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    Détachement du Lt Colonel de Montluisant
    Date du 24 août JMO du 78e RI (26 N 663/1)
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    Le 1er bataillon du 63e RI fait partie du détachement du Lieutenant Colonel de Montluisant (A la date du 24 août dans le JMO 26 N 656/7)

    Ordre était de se porter à l’abri de (la cote) 301 pour rejeter les colonnes ennemies par une contre attaque et empêcher la prise de Carignan et de ses ponts. Le XVIIe Corps recevait l’ordre de nous appuyer à l’ouest, par la vallée où coule le ruisseau de Messincourt.

    Deux heures de marche par Linay, Blagny. Pendant ce temps la fusillade fait rage. Vers Charbeaux a lieu une charge allemande ; les clairons n’ont pas le même ton que les nôtres. A cette charge a répondu le « monteras tu la côte » de nos clairons, suivi immédiatement de La Marseillaise. L’attaque était prévue puisque la musique était de la partie. Et aussitôt les mitrailleuses se firent entendre…

     

    Pour entendre cette sonnerie au clairon, cliquez sur ce lien (un grand merci à Alain Dubois) :
    http://perso.orange.fr/choulik/la_c...

    Vous pouvez lire également la très intéressante discussion (sur deux pages) sur les sonneries au clairon sur le Forum Pages 14-18 :
    http://pages14-18.mesdiscussions.ne...

    Puis le canon allemand, auquel répondirent aussitôt les 75 ! Et comme nous suivions la voie ferrée, nous ne saurons que plus tard ce qui s’est passé sur la partie de ce champ de bataille que nous venions de quitter.

    Enfin nous sommes à 301, comme d’habitude je suis en tête. Par le chemin de terre qui passe au cimetière de Carignan, je gagne le bois situé à l’ouest de 301.De ce bois j’ai des vues superbes. Devant moi, au nord, la vallée avec un moulin, vers Matton, plus à l’est des pentes douces montant vers Charbeaux.

    Lorsque j’arrive, des colonnes d’assaut ennemies, formées de lignes déployées à 50 m de distance l’une de l’autre, les officiers à cheval au milieu, c’est donc qu’elles ne sont pas sous le feu, gravissent les pentes.

    Tout le peloton, suivant les indications du Capitaine, ouvrent un feu à répétition bien ajusté avec les hausses de 1.000, 1.200, 1.400. L’effet fut immédiat. Certaines fractions regagnent le ravin en arrière de leur direction de marche, d’autres se terrèrent. En dix minutes la colonne était à terre, les officiers à pied, personne ne bougeait plus. Le feu fut arrêté, et la 3e section qui prolongeait la ligne reçut l’ordre de surveiller ces lignes d’assaut et d’ouvrir le feu dans les mêmes conditions au moindre mouvement en avant.

    Cela allait bien, l’artillerie ne nous avait pas repérés, quoique nous étions fort mal placés.L’ordre donné à la 3e section était motivé.

    En effet, en colonne de sections par quatre, un bataillon sortait des prairies qui avoisinaient le moulin. Mon peloton prit ce nouvel objectif et notre feu produisit le même effet sur cette nouvelle ligne ; il y eût même plus de désordre. Notre feu était si bien ajusté, l’arrosage si parfait, que ce Régiment allemand a dû se croire sous le feu de plusieurs sections de mitrailleuses. Il faut dire que mes hommes, n’ayant pas reçu un coup de fusil, visaient sans se presser, comme au polygone [3]. Il fallait entendre leurs cris de joie devant l’effet produit.

    Mais ce succès n’eût qu’un temps. Le XVIIe Corps produisait son effet sur le flanc d’attaque ennemi, nous reçûmes l’ordre d’aller rejoindre la réserve générale établie au sud de 301.Elle était constituée par une ligne de feu : 3e Cie du 300e, une compagnie du 63e, une batterie d’artillerie.

    A 500 m en arrière, sur la déclivité de terrain partant du cimetière et passant par une usine, (dans une) déclivité en forme de cuvette,(se trouve) le reste des troupes en formation déployée et peu dense, baïonnette au canon, (avec) défense de tirer.
    Nous devons lutter jusqu’au dernier homme pour permettre l’écoulement des troupes qui vont recevoir l’ordre de se replier sur Olisy et Malandry.

    Un taübe vient planer au dessus de nous ; il décocha une flèche embrasée sur notre position et aussitôt toute l’artillerie allemande nous couvrit de projectiles. Il n’y eu pas de mal pour le 78e, mais l’avant ligne, surtout le 300e fut pris de panique.

    Mon adjudant, avec sa section, recueillit les fuyards et se porta sur la ligne de feu. La nuit les y laissa. Mais quelques balles commençaient à siffler. Le bois de sapin à l’ouest du 301, bois que nous avions occupé en arrivant était en possession des Allemands.

    Je me portais en avant, derrière un peuplier pour voir ce qui se passait.A peine arrivé derrière l’abri, les balles sifflèrent. L’arbre ne fut pas touché. Avec ma jumelle, je parvins à dénicher le Teuton, habillé en Feldgrau , qui en voulait à ma personne. Il se détachait très bien sur le fond noir du bois.Défense de tirer, tel était l’ordre Il a eu de la chance, car il était à 400 m et à cette distance mes balles ne se perdent pas.

    L’église de Carignan nous donnait l’heure. Il y avait bien une heure que nous subissions le feu de l’artillerie et six heures avaient tinté à l’horloge lorsque la première colonne d’assaut s’élança du bois sur Carignan.

    Elle n’alla pas loin : 12 obus tombèrent sur elle, avec une précision mathématique. Ce fut un sauve qui peut. Dix minutes s’écoulèrent, notre artillerie bien défilée s’était tue. Nous ne connaissions l’existence que d’une batterie, mais il y en avait d’autres. Car les bois proches de notre position furent amplement arrosés de boîtes à mitraille et d’obus à mélinite. Ce tir dura quelques minutes, il fut efficace, très efficace car jusqu’à 6 h 40 nous n’entendîmes plus siffler les balles.

    Mais l’artillerie lourde allemande continuait à arroser notre position. Les projectiles éclataient trop haut ; quelques hommes furent blessés, peu dangereusement.
    Un cavalier accourt : une brigade et de l’artillerie est à 2.500 m environ et marche sur Carignan par la route de Messempré [4].

    Nous ne bougeons pas, mais l’artillerie prenant cet objectif, en dix minutes eût vite fait de la désorganiser, et de rendre à l’armée allemande, la monnaie de la pièce qu’elle nous avait donnée dans les bois de Luchy lorsque le 20e et le 11e furent anéantis [5]

    Puis vers sept heures, les colonnes d’assaut revinrent à la charge sur nous. Notre ligne de feu dut se replier devant la masse, mais pas pour longtemps, car nos batteries et nos mitrailleuses brisèrent encore ce choc et, de nouveau sous bois, les colonnes rentrèrent, poursuivies par les obus.

    Sept heures et quart sonnaient lorsque les obus lourds tombèrent si drus sur notre droite que la terre en fut labourée. Il y avait là un grand mur qui entourait une propriété : il fut mis en miettes. Nous ne l’avions pas utilisé, bien nous en a pris. Mais le comble pour cette artillerie, c’est que raccourcissant son tir jusqu’à la nuit, 7 h 45 à peu près, elle arrosa le bois qui était à 300 m en avant de la côte 301, et dans ce bois il n’y avait que des allemands.

    Notre artillerie s’était repliée, une section seule sous les ordres d’un capitaine était restée. Stoïque, le capitaine se sachant sacrifié avait tenu à faire tête avec nous, aux derniers assauts. Et jusqu’à 8 heures, sans s’arrêter, il continua à tirer dans les bois, « jusqu’à ce que les pièces éclatent », avait-t-il dit à ses hommes.

    Ce héros restera un inconnu, car il est reparti avec ses pièces, sans crier gare, vers dix heures du soir, nous voulions le remercier, nous ne l’avons pu.

    Car avec la nuit était venue l’accalmie. Une mitrailleuse tirait de temps à autre, pour nous dire probablement : nous sommes là.Sur la route, derrière nous, les colonnes passaient, c’était une nouvelle retraite. Et cependant on n’avait pu nous déloger de notre position.Allions-nous rester pour lutter jusqu’au dernier, comme nous l’avait demandé le lieutenant Colonel ?

    De temps en temps un coup de fusil troublait le silence de la nuit, rien du côté allemand ; c’étaient de nos hommes qui rentraient dans nos lignes. 
    Un soldat du 50e, blessé, est ainsi de nouveau blessé. Pas grand chose heureusement : le bras effleuré. En pleurant il nous conte ses mésaventures. Il est tombé à quatre heures avec un camarade. A six heures le régiment se repliait. Il ne put le suivre et avec son camarade, ils s’acheminaient. En passant près d’un bois, on tire sur eux. Son camarade est tué, il se laisse tomber et fait le mort. Les brutes arrivent, ils se penchent sur eux, leur ouvrent les yeux, les fouillent et s’en vont, croyant laisser deux morts. Et dire que ce rescapé a failli tomber d’une balle française !

    Mais nous n’avions rien à manger, rien à boire. Et défense était de se lever. Chacun était allongé à la place où il s’était mis vers cinq heures, avec le fusil baïonnette au canon, à portée de la main.

    Arrive vers dix heures 30, un sous-officier blessé du 126. En arrivant près de Carignan, il a été arrêté par « Ver.da ». Il s’est couché dans le fossé et a fait le mort, fuyant le village, il est venu sur nous, heureux de nous trouver. Nous le conduisons au colonel, il lui donne le renseignement qu’il vient de nous communiquer.

     

    J’interprète ce « Ver. Da. », si j’ai bien lu, comme l’abréviation des mots allemands signifiant « Halte là » ou « Qui vive ? » Qui pourrait me le confirmer ?

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    le passage original



    Je poste la question sur le Forum Pages 14-18. Nul doute qu’un des nombreux passionnés trouvera la réponse ! Elle arrive très vite grâce à Achache :Wer (ist) da = qui (est) là ?

     

    On charge Mayaud, un de mes camarades de la 9e Cie, d’aller vérifier le fait, mais avant on détache des patrouilles vers les bois qui sont à 500 m de nous, avec ordre de brûler deux ou trois cartouches sur ces bois, au hasard.

    Mayaud va trouver un sous-lieutenant, notre jeune Cyrard Lialle, qui doit occuper le cimetière qui commande la route et qui comme nous n’a pas tiré un coup de fusil. Il le trouve à son poste, il n’a rien vu, mais il a entendu dans Carignan des nombreux bruits d’auto.

    Lialle, jeune Saint-Cyrien au 78e RI

    Mayaud va voir. Il trouve le quartier général du XIIe Corps au complet. La situation est bonne pour le XIIe Corps, nous n’avons pas été entamé, mais les Marsouins et le XVIIe Corps ont cédé du terrain : il faut suivre le mouvement.

    Ordre est donné au Lieutenant Colonel de se trouver sur la rive gauche de la Chiers à minuit. La retraite sera faite sans bruit, baïonnette au canon : une Cie du 63e, la compagnie Marty restera en position pour empêcher une poursuite possible. Après minuit les ponts sauteront, celui de Blagny sautera après le passage du 63e.

    Onze heures : nous réveillons nos hommes. Comme des brigands, nous nous sauvons ( le mot est exact). Par les prairies, nous gagnons la Chiers de façon à ne pas attirer l’attention.Nous devons nous arrêter avant de franchir le pont. Il y a dans Carignan des blessés, il y a des isolés que la gendarmerie a recueilli ; nous devons emmener ce monde. De plus l’État-Major du XIIe Corps est encore au travail.
    Nous finissons par organiser notre colonne que va commander notre Lieutenant Colonel. Voitures malades 300e, 78e,63e. Minuit est sonné lorsque nous passons le dernier pont.

    En route sur Mouzon. La nuit est noire, en face de nous beaucoup de télégraphie optique. La route est en plaine. Très fatigués, harassés par le sommeil, torturés par la faim (nous avions pu boire en traversant Carignan) nous marchions très mal.Le Lieutenant Colonel dût se fâcher pour maintenir l’ordre !

    Le 300e faisait peine : on dut à la première pause le faire passer en queue. C’est à cette pause que nous rencontrâmes le Génie chargé de faire sauter les ponts. Il réussit cette besogne, mais vers trois heures, heureusement que se croyant battus les Allemands ne nous avaient pas poursuivis.

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    Le pont Alix sur la Chiers détruit
    (Site Delcampe)

    Avec nous, revenait l’aumônier, un Jésuite de Limoges. Il avait parcouru le secteur où nous nous étions battus. « C’est affreux ce que j’ai vu » nous a-t-il dit. « Dans le bois en face de votre position les corps sont couchés les uns sur les autres, certains dans la position du sommeil, d’autres sont déchiquetés, arrachés. Plus loin dans des tranchées, j’ai cru voir dormir des sections : ils s’étaient éteints dans la position de combat. D’après ce que j’ai vu, ils ont dix fois plus de morts que nous ».

     

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    Notice extraite du « Livre d’Or du clergé » (1922)
    Jésuite de Limoges, Aumônier volontaire à la 23e Division...tout correspond. Malheureusement, impossible de vérifier : le JMO du Service de Santé de la 23e DI pour 1914 n’existe pas (ou plus !)

    Et nous marchions toujours. Le sommeil me donnait des hallucinations. A droite et à gauche de la route, je voyais des maisons, je croyais qu’on me parlait, pour me réveiller, je portais toutes les dix minutes mon bidon aux lèvres. Une gorgée d’eau fraîche me rappelait à la réalité. Et pour comble mon échauffement continuait à m’empêcher de mettre mes jambes d’aplomb.

    Dans les environs de deux heures nous sommes au carrefour des routes de Mouzon, Carignan et de Stenay, Douzy. Les voitures de tout le régiment étaient là (Les deux autres bataillons s’étaient repliés sur Olizy sur Chiers).
    La soupe, le café furent engloutis. Quant à moi, je me suis allongé dans la luzerne humide sans demander mon reste. Qui dort dîne, et j’ai dormi jusque vers sept heures.

     

    Généalogie:  Les « Mémoires de guerre » du Lieutenant Charles Rungs (4e épisode)

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