Le temps des esprits et la nuit des masques
Le soleil a été adoré par toutes les cultures, y compris en Europe, comme source essentielle de la vie.
A l’opposé, l’obscurité, favorable aux forces occultes, est symbolisé par l’hiver, période pendant laquelle, les jours sont plus courts.
Pour nos ancêtres, la période sombre débute le 1er novembre avec la fête des morts et se termine la veille du 1er mai avec les célébrations du renouveau de la nature et donc des récoltes.
Chacune de ces fêtes donnaient lieu à des rituels destinés à attirer la bienveillance des esprits.
Les mascarades sont probablement un des rites les plus anciens de la culture européenne.
Différentes personnifications de l'Homme de Noël
A la nuit tombée, des jeunes gens, habillés de peaux de bête et le visage recouvert d’un masque animal, déambulaient en réclamant des offrandes en échanges de bons présages pour les récoltes.
Hans Trapp et un monstre grimaçant
Parmi les masques, certains personnages étaient récurrents comme le « Vieux » qui se tenait en tête du cortège ou « Noël », personnage omniprésent dans les mascarades en Angleterre au XVIIe siècle.
Christianisme contre Paganisme
Au début du Moyen Age, le christianisme condamne la coutume des mascarades hivernales. En Europe, l’Eglise donne des noms chrétiens aux mascarades : Saint-Martin pour les cortèges de début novembre, Saint-Nicolas, Sainte-Lucie ou Saint-Étienne pour les cortèges de l’Avent et de Noël.
Dans le sud de l’Allemagne, Saint-Nicolas est substitué au « Vieux » ; l’est de la France a d’ailleurs conservé ce personnage.
Saint-Nicolas
A partir du XVe siècle, le regard sur l’enfance change. On prend conscience de leur valeur et leur éducation devient une priorité.
C’est à cette époque que Saint-Nicolas commence à passer la veille du 6 décembre dans les maisons pour récompenser les enfants sages.
Saint-Nicolas
Cette nouvelle tradition inverse le rôle initial du « Vieux » dans les mascarades. Saint-Nicolas ne vient plus réclamer des offrandes mais distribue des récompenses.
Saint-Nicolas
Il est accompagné de son âne et d’un esprit monstrueux (croque-mitaine), chargé de punir les enfants désobéissants.
Protestantisme contre Papisme
A la fin du XVIe siècle, le protestantisme apparaît en Allemagne. A Strasbourg, Saint-Nicolas est rejeté car considéré trop papiste.
Saint-Nicolas
Pour l’éducation des enfants, on lui substitue l’enfant Jésus et on déplace la date de distribution des cadeaux.
Ancienne carte postale de Noël
Toutes les régions protestantes suivent et désormais, l’enfant Jésus (Christkindle en allemand) personnifié par une dame blanche, rend visite aux enfants le soir de Noël.
La personnification du Père Noël est donc alors une femme, habillée en communiante, parfois avec des ailes dans le dos.
La Dame blanche
Ce personnage se confondait en fait avec Sainte-Lucie car quand les protestants passèrent du calendrier Julien au calendrier grégorien, le jour de Noël s’est confondu avec la Sainte-Lucie.
Image de la Dame Blanche de la fin du XIXe siècle
Dans les régions catholiques, Saint-Nicolas continua à personnifier le Père Noël.
En l’espace d’un siècle, cette multitude de personnages qui disposaient de pouvoirs autant bénéfiques que maléfiques, disparurent pour nous laisser un unique personnage, le Père Noël.
L’homme de Noël
En 1778, en Allemagne, ressurgit l’homme de Noël. Il apparaît avec une barbe blanche et un grand manteau en fourrure.
La légende raconte que le Weihnachtsmann passe l’année dans une montagne parmi « le petit peuple » (kleines Volk). Chaque nuit, un nain monte la garde devant l’entrée, remplacé par un autre nain l’aube du jour suivant.
Les nains de l'homme de Noël
Au bout de 360 gardes, le dernier nain crie : « Voici bientôt Noël ! ». Alors l’homme de Noël sort avec tous les nains et tous vont couper des sapins, destinés à la fête.
Carte postale vers 1950. Le Père Noël préfère désormais la hotte au sac. Il adopte un manteau rouge
La nuit de Noël, le Weihnachtsmann parcours en traîneau les villages et laisse dans les maisons où les enfants ont été sages un beau sapin couvert de présents.
Carte postale du début du XXe siècle représentant l'homme de Noël
L’homme de Noël allemand se répand dans les pays voisins, comme en France, et devient le Bonhomme de Noël, en Savoie le Père Chalande ou en Angleterre, le Father Christmas.
Le Père Noël américain devient planétaire
Lors de la grande émigration vers l’Amérique, les européens ont importé leurs coutumes. Les hollandais, très nombreux, célébraient chaque année Saint-Nicolas.
Avec l’arrivée en masse des colons anglais et allemands, Father Christmas et Weihnachtsmann remplacent peu à peu la Saint-Nicolas.
Calendrier de l'Avent vers 1950. Les sept nains apportent leurs cadeaux à Blanche Neige
En 1822, Clément Clark Moore, un professeur en théologie immortalisa le mélange de toutes ces personnifications en un poème intitulé « Une visite de Saint Nicolas le soir de Noël ».
Le personnage perdait ses attributs épiscopaux pour se transformer en un vieux lutin jovial et dodu.
Père Noël. Carte postale vers 1950
« Tandis que mes yeux
S’émerveillaient
Devant le paysage
Apparut un tout petit traîneau
Tiré par huit rennes minuscules
A la vivacité et à l’agilité
Du petit vieux qui conduisait
Je devinais tout aussitôt
Que c’était la Santa Claus.
Il sifflait criait et interpellait
Son attelage féerique
Qui filait plus vite
Que les aigles.
Alors d’un seul élan
Rennes, traîneau et puis Santa Claus
Se retrouvèrent ainsi
En haut du toit…
Comme je me retournais
Eberlué,
Je vis sortir Santa Claus
Bondissant hors de la cheminée.
Tout de fourrure vêtu
Des pieds jusqu’à la tête
Et ses habits étaient ternis
Par la cendre et par la suie.
Avec son baluchon de jouets
Flanqué sur son épaule
Il avait l’air d’un chiffonnier
Paré pour le marché.
Ses yeux, comme ils brillaient
Ses fossettes joyeuses
Ses pommettes fleuries
Et son nez, telle une cerise rutilait.
Sa drôle de petite bouche
Avec ses lèvres gourmandes
S’entourait d’une barbe blanche
Plus blanche que la neige !
Il tenait le bout de sa pipe
Bien serré entre ses dents
Et la fumée auréolait
Comme un vieux saint qu’il était.
Il était joufflu et dodu à souhait
Ce joyeux petit elfe
Il me fit bien rire
Lorsque je l’aperçus…"
Ce poème eut un retentissement considérable car il correspondait au besoin de fondre en un seul personnage les différentes personnifications qui coexistaient dans l’Amérique du XIXe siècle.
Avant le Père Noël, Santa Claus pour les enfants sages; le Père Fouettard pour les polissons (lithographie du XIXe siècle)
Le look du Père Noël moderne était né. Baptisé Santa Claus, il arriva en Europe et concurrença le vrai Saint-Nicolas.
Santa Claus devient mondial
En Amérique, le Père Noël n’habite plus dans une forêt mais au pôle Nord. Il est entouré de nains et son traîneau est tiré par des rennes.
A partir de 1862, l’illustrateur Thomas Naas fait paraître des illustrations qui donnent une image concrète et définitive du Père Noël.
Après la Seconde Guerre mondiale, le personnage mythique américain envahit l’Europe.
Carte postale du début du XXe siècle. Santa Claus prend les commandes au téléphone
Nous avons oublié la signification réelle de ce personnage. La porte entre le monde des morts et des vivants s’est refermée depuis longtemps.
Il ne passe plus la nuit pour réclamer des offrandes aux vivants, accompagné du cortège des morts en échange de bons présages pour l’année à venir.
Par contre, le Père Noël sera toujours présent pour que nous n’oublions pas qu’un monde fait de beauté et d’harmonie peut exister grâce à la force de nos rêves.
Et peut-être, qu’un soir de Noël, ce rêve deviendra réalité …
V.Battaglia (11.2004)