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    Janette Bertrand : vieille, pis après?

     


    Dans son nouveau livre, La vieillesse par une vraie vieille, Janette Bertrand s’insurge contre la discrimination dont sont victimes les personnes âgées. Notre journaliste Louise Gendron l’a rencontrée.


    Louise Gendron du magazine Châtelaine

     

    Livre à Lire:  La vieillesse par une vraie vieille, par Janette Bertrand

    Photo: Julien Faugère

     

    Elle a déniaisé le Québec (dixit Guy A. Lepage) en abordant des sujets jugés difficiles – homosexualité, jeu compulsif, anorexie, panne de désir, harcèlement sexuel… – en tant qu’animatrice, scénariste, dramaturge et romancière. Et que fait Janette, aujourd’hui encore? Infatigable, elle monte aux barricades pour braquer la lumière sur une réalité peu reluisante de notre société.

    Entretien.

    Vous allez avoir 91 ans le 25 mars ­prochain. Êtes-vous vieille, Janette Bertrand ? Oui, bien sûr. Je suis tannée des euphémismes. Je ne veux pas qu’on dise que je suis de l’âge d’or. Quand je mentionne que je suis vieille à des femmes que je croise, elles me répondent: «Ne dites pas ça!» Mais pourquoi? J’ai plus de 90 ans. À quel âge je vais être vieille, sinon?

    À quel moment ça vous est arrivé, la vieillesse ? Quand j’ai commencé à avoir des bobos. Dans ma tête, par contre, je n’ai pas d’âge. Tu pourrais demander: «À quel âge on arrête d’être jeune?» À 35, 40, 50 ans? Selon moi, on n’est pas vieux à 65 ans. Pas du tout. Moi, la vieillesse m’a attrapée à 75 ans.

    D’après ce que je vois, on peut être vieux et heureux… Parfaitement! On a d’ailleurs beaucoup plus d’aptitude au bonheur avec l’âge. Parce qu’on sait. On a traversé toutes sortes d’épreuves. Chaque jour, en me levant, je me trouve chanceuse d’être en vie.

    Dans votre livre, vous parlez de la discrimination dont sont victimes les personnes âgées. Qu’est-ce au juste, l’âgisme ? C’est comme le sexisme ou le racisme. C’est classer les gens en catégories et trouver que celle des vieux est inférieure. Dans ce cas, on considère certaines personnes comme moins bonnes à cause de leur âge. En ce moment, il n’y a que la jeunesse qui compte, qui est valorisée. Évidemment, quand on ne l’est plus, eh bien, on est ­perçue comme plus bonne. Ta mère est extraordinaire, mais vas-tu l’engager? C’est subtil. Dès que nous vieillissons, on ne sollicite plus nos avis. On ne nous regarde plus comme des gens ayant du savoir. Il devrait exister des conseils de p’tits vieux et de p’tites vieilles à qui on pourrait demander comment vivre. Les aînés ont du vécu. Ils savent des choses. Je ne dis pas que l’âgisme est partout… À l’INIS [Institut national de l’image et du son], on m’a gardée jusqu’à 90 ans ! [NDLR: Janette Bertrand a récemment remis sa démission à l’INIS, où elle enseignait depuis quelques années.] Mais les aînés n’ont pas la même valeur que les autres dans notre société.

    Il y a aussi le fait qu’on les parque dans des manoirs… La pire chose, c’est la ghettoïsation. On leur propose de vivre dans des endroits où ils sont tous ensemble. Si on mettait tous les jeunes dans un même lieu, on crierait au meurtre. Pourquoi, alors, on ne dit rien? Il n’y a que ça qui leur est offert.

    Mais pourquoi les vieux s’installent-ils dans ces résidences conçues pour eux ? Serait-ce parce qu’ils se sentent vulnérables ? On leur fait croire que c’est le Club Med à vie! Toutes ces installations, ces jeux, ces piscines, ils n’y vont pas, c’est prouvé. Ils restent dans leur petit deux et demie…

    L’âgisme est-il réservé aux retraités ? Pas du tout. On peut être incapable de se trouver une job après 50 ans à cause de ça. J’ai souvent entendu des gens lancer: «Tout ce que vous avez fait avant ne compte pas. On repart à zéro.» Mais c’est impossible! On ne peut pas avoir accumulé de l’expérience et en faire table rase.

    Il y a quelques mois, l’animateur de télé et sociologue Daniel Pinard (septuagénaire, en passant) a émis l’idée de retirer le droit de vote aux citoyens de plus de 70 ans. Qu’en pensez-vous ? Je n’en reviens pas qu’il ait dit ça! C’est prétendre qu’une vieille personne n’a pas assez de discernement pour dire: je vote pour le bien-être de la population. Se faire enlever le droit de vote – que les femmes ont acquis de haute lutte –, ce serait un pas en arrière épouvantable. Je pense qu’on est des membres actifs de la société tant qu’on n’est pas morts.

    Parlez-moi de l’ultime tabou : la sexualité des vieux. S’il y a quelqu’un qui peut aborder ce sujet, c’est vous, Janette ! Avant, dans le temps de ma mère, quand les femmes arrivaient à la ménopause, elles pensaient: «Je n’ai plus besoin de prendre soin de moi.» Elles étaient nées pour donner des enfants, pour être reproductrices. Quand c’était fini, c’était fini. Souvent, elles étaient bien contentes. Parce qu’elles ne jouissaient pas! Le plaisir, c’était réservé aux filles de mauvaise vie. Et les gars étaient tellement malhabiles…

    On sait peu de chose sur la sexualité du troisième âge. Mais on s’imagine qu’elle s’éteint au fil des ans. Pourquoi ? Ce n’est pas supposé exister, selon la croyance populaire. Comme si, dès la ménopause, on n’avait plus de désir. C’est un appétit, le désir. Il y a des gens qui n’en ont pas. D’autres qui en ont beaucoup, comme je le dis dans le livre. La majorité des couples remplace la sexualité, la génitalité, par la tendresse.

    «Une femme de 70 ans, ça ne fait pas l’amour.» «De toute façon, personne ne veut faire l’amour avec une femme de 70 ans!» «Elle n’en a pas envie.» C’est ça qui est dans l’imaginaire. Pour les gars, c’est une autre histoire. Comment se fait-il que tout le monde est persuadé qu’ils bandent jusqu’à la mort? Pourtant, Pfizer fait fortune avec sa petite pilule bleue pour les troubles érectiles…

    Mais, en réalité, que se passe-t-il au lit ? C’est la performance sexuelle qui est réservée aux jeunes, pas le sexe. Même après 70 ans, la femme comme l’homme font l’amour. Mais autrement. Ils font de la sensualité. Ils font de la tendresse. Ils font aussi de la pénétration. Malheureusement, on ne voit nulle part qu’ils ont une vie sexuelle. Je me demande d’ailleurs si la peur de vieillir dans notre société ne vient pas aussi de l’absence de modèles de vieux couples qui s’aiment.

    En terminant, que souhaitez-vous que les gens retiennent de votre livre ? Qu’il y a du mérite à bien vieillir. Et bien vieillir, c’est presque un acte de volonté. C’est comme le bonheur. Tu le décides. Là, moi, je veux être heureuse. Je ne veux pas de chicanes. Donald [son conjoint] et moi, on se le répète: «Est-ce important?» C’est magique, cette question: est-ce important? Va-t-on se chicaner pour ça? Si je peux ajouter quelque chose… Je veux être un modèle de vieillesse en vivant dans la joie et l’amour.

    Livre à Lire:  La vieillesse par une vraie vieille, par Janette Bertrand

    La vieillesse par une vraie vieille, par Janette Bertrand, Libre Expression, 304 pages.

     

    Livre à Lire:  La vieillesse par une vraie vieille, par Janette Bertrand

     

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    Livre du mois: Serafim et Claire de Mark Lavorato

     

     

    Livre à lire:  Livre du mois: Serafim et Claire de Mark Lavorato


    L’auteur canadien Mark Lavorato présente cette saga foisonnante comme son « roman du Québec ». Qu’en ont pensé les membres de notre Club de lecture?


    du magazine Châtelaine


    L’histoire


    La toile de fond du roman est le Montréal des années 1920-1930, où prospère la collusion entre politique, police et mafia. Où les bordels ont pignon sur rue. Où le clergé prône le fascisme de Mussolini. Où les suffragettes réclament en vain le droit de vote pour les femmes. Où la Main est la frontière délimitant les territoires des anglos et des francos. Là vont se croiser deux jeunes gens, chacun porté par sa passion.

     


    Les personnages


    Claire, 17 ans en 1920. Étudie la danse et rêve de triompher sur la scène des théâtres de variétés. Ambitieuse, ne recule devant aucun moyen pour atteindre la célébrité; elle en paiera le prix. Serafim, jeune homme naïf et généreux, photographe en herbe aux méthodes avant-gardistes. A quitté son Portugal natal à la suite d’une désillusion amoureuse. Son ami italien Antonino, qui milite contre la montée du fascisme dans le très catholique Québec du temps.

     


    On aime


    La peinture des mœurs de l’époque où Montréal était une ville ouverte. Les voitures tirées par des chevaux circulant encore dans les rues au son des grelots. La faune grouillante des boîtes de jazz où les artistes pactisent avec les voyous. Les balbutiements de la photographie de rue (un des métiers de l’­auteur), qui donnera naissance au photo­journalisme.

     


    L’auteur

     

    Livre à lire:  Livre du mois: Serafim et Claire de Mark Lavorato


    Mark Lavorato est né en Alberta en 1975, dans une famille d’origine italienne. Il habite à Montréal avec sa femme. Au lendemain du référendum de 1995, en voyage sur le pouce en Gaspésie, il est ébloui par l’accueil chaleureux reçu alors qu’il ne parlait pas un mot français. Ce qui change à tout jamais sa perception des deux solitudes… et lui donne envie d’écrire des romans ayant pour décor chacune des provinces. Believing Cedric était consacré à l’Alberta. Atavism sera celui de Terre‑Neuve-et-Labrador. Serafim et Claire est son premier roman traduit en français, ce qui le rend très heureux.

     

     

    Éditions Marchand de feuilles, 464 pages, traduction Annie Pronovost

     

    Les critiques du Club de lecture Châtelaine


    isabellegoupilsormany

    Isabelle Goupil-Sormany

    J’ai aimé : C’est un livre qui se déguste lentement. La narration de chaque chapitre, qui débute par la description d’une photo ou encore une lettre, m’a beaucoup plu. Les personnages sont assurément naïfs, mais ils évoluent peu à peu et on finit par les apprécier sincèrement. Les artistes sont d’abord et avant tout des êtres de passion !

    J’ai moins aimé : La partie mafieuse du troisième segment du livre m’a moins intéressée, sans doute un peu trop cliché à mon goût. Mais c’est un roman aux multiples scènes issues d’une autre époque : chaque chapitre est si bien décrit qu’il est vraiment facile de pardonner l’intrigue du troisième segment qui est, au final, bien mince.

    Commentaires : Un roman pour les froides journées d’hiver, comme l’appartement de l’héroïne, Claire. À savourer sous une couverture bien chaude.

    Ma note sur 10 : 9

     

     

    Sonia Gratton

    J’ai aimé : Le cadre, le contexte, le sujet… J’ai trouvé ce livre très intéressant, car c’est une occasion de plonger dans un univers qu’on ne connaît que très peu même s’il semble vaguement proche : le Red Light, les années 1920, l’immigration européenne à Montréal, la vie culturelle de l’époque, la disparité des mondes de part et d’autre du boulevard Saint-Laurent… J’ai aussi appris beaucoup sur l’histoire de la photographie, du féminisme, et plein d’autres choses. C’est avant tout un roman sur l’ambition, un sujet qui me touche et m’a fait réfléchir.

    J’ai moins aimé : Toute la partie qui se passe au Portugal. Je n’ai pas pu m’empêcher de trouver que l’écriture – belle, sans doute – me faisait penser à García Márquez, une comparaison peu avantageuse… J’ai trouvé que certains éléments historiques étaient un peu plaqués de force. L’intrigue finale, avec force bandits, ne m’a pas vraiment accrochée. Ce qui m’a le plus dérangée dans ce livre, c’est qu’on reste toujours en surface avec le personnage de Claire – contrairement à Serafim. On connaît peu ses intentions, ses émotions, et j’ai l’impression que ça invite au jugement…

    Ma note sur 10 : 7

     

     

    Raphaëlle Lambert

    J’ai aimé : Le Montréal des années 1920 où se déroule le roman ; les cabarets, le jazz, la vie rude. Les bouleversements de l’Histoire, ici comme en Europe, les changements de mentalité, la lutte des peuples pour leur survie, leurs idéaux. Les photos qui ouvrent les chapitres, qui situent le moment en faisant un détour par un instantané, une fraction de seconde de la vie qui changera le cours des choses. La passion, la détermination, l’engagement des personnages, soit pour leur art, soit pour leurs convictions politiques, chacun bien ancré dans son époque, dans son désir de faire évoluer son monde.

    J’ai moins aimé : La naïveté, l’inconséquence de Claire ; peut-être est-elle une jeune femme de son époque un peu trop frondeuse, mais la pauvre…

    Commentaires : On se promène dans ce livre, passant d’un personnage à l’autre, comme déambule Serafim dans les villes avec son appareil photo, à l’affût de ce qui pourrait se passer, de ce qui se passe, de grande ou de petite envergure, juste ouvert à la vie. Comme si on regardait des photos mélangées qui, petit à petit, révèlent une histoire plus profonde qu’on ne l’aurait d’abord cru. L’écriture de Mark Lavorato est fluide, douce même, malgré une certaine violence, mêlant fiction et réalité, s’inspirant des grands changements politiques historiques, des vagues d’immigration, de la montée du fascisme, de la dureté de la vie, tout en laissant à ses personnages le droit de tenter de changer leur sort, de vivre de leur art.

    Ma note sur 10 : 8,5

     

    Christian Azzam

    J’ai aimé : À l’instar de mon fils qui, alors qu’il avait cinq ans, sortit d’un spectacle du Cirque du Soleil en me disant qu’il avait tout aimé de ce qu’il avait vu, j’ai tout aimé de ce livre d’un auteur que je ne connaissais pas. Dans ce roman historique du Montréal des années 1920, mais aussi du Portugal, de la France et de l’Italie de cette époque, le lecteur croisera tour à tour des personnages fictifs et d’autres bien réels du siècle dernier, au fil d’une histoire merveilleusement bien ficelée. L’histoire de Serafim et Claire en est une sur l’identité, sur la quête, sur l’immigration, sur le féminisme, sur l’amour avec, en prime, un roman policier fort en rebondissements étonnants qui gardera le lecteur en haleine et qui le verra peiné une fois qu’il refermera la quatrième de couverture. La traduction est un délice, une perfection, le style littéraire recherché, l’usage des prolepses temporelles, qui nous transportent un peu plus loin dans l’histoire avant de nous ramener sur le fil chronologique, astucieux, et les photographies que prend Serafim, même si on ne les voit pas, sont superbement bien cadrées. Même le livre, en tant qu’objet, est beau et rappelle cette citation de Réjean Ducharme : « C’est beau, un livre. Cela a grand air. Qui a dit qu’il faut lire les livres qu’on achète ? Un livre c’est fait pour être regardé. »

    J’ai moins aimé : Je me suis questionné au sujet du choix du titre. Pourquoi Serafim et Claire et pas plutôt Claire et Serafim ? Les suffragettes n’appréciaient pas la galanterie ?

    Ma note sur 10 : 9,5

     

    Anja Djogo

    ‪J’ai aimé : C’est vraiment rafraîchissant de lire un livre qui dépeint la vie urbaine des années 1920 à Montréal, et non une version idéalisée de la campagne québécoise ! Plutôt que de suivre le quotidien d’une maîtresse d’école ou d’un bûcheron, on s’intéresse au point de vue de personnages qui évoluent dans des milieux plus marginaux et donc plus proches de notre réalité contemporaine. Mais bien que l’intérêt principal réside dans cette incursion dans le Montréal d’avant le krach boursier, l’écriture de l’auteur est à son meilleur lors des passages qui se déroulent au Portugal. Il y a là une certaine poésie que je n’ai plus retrouvée lorsque le personnage de Serafim arrive au Québec.

    ‪J’ai moins aimé : L’auteur semble avoir eu plus de difficulté à trouver le ton juste pour les personnages de Claire et de sa sœur Cécile, qui m’ont paru assez unidimensionnels. J’ai eu le sentiment qu’il avait une affinité naturelle avec Serafim, qu’il n’a pas réussi à développer avec ses deux personnages féminins.

    ‪Commentaires : J’aurais aimé lire la version originale anglaise de ce livre, car certains passages sonnaient légèrement faux en français.

    Ma note sur 10 : 7

     

    France Giguère

    J’ai aimé : L’histoire au style rafraîchissant, bien documentée et merveilleusement bien traduite, qui nous plonge dans le Montréal de la fin des années 1920. Le procédé original de l’auteur qui insère une description de photo pour lier les destins des deux personnages principaux. Mark Lavorato n’écrit pas ici une banale histoire d’amour, mais une œuvre intelligente. En unissant les passions des deux protagonistes, l’une la danse, l’autre la photo – ce qui ajoute à l’intérêt du roman –, il nous brosse un tableau fort intéressant de la vie nocturne de Montréal, tout en témoignant de façon très habile d’événements historiques importants, comme la Grande Dépression, la montée du fascisme, le mouvement des suffragettes, etc.

    J’ai moins aimé : Le côté arrangé avec le gars des vues, surtout dans l’épisode du chantage raté, mais puisque c’est un roman d’amour, je m’incline.

    Commentaires : Je surveillerai cet auteur.

    Ma note sur 10 : 8

     

    Nathalie Thibault

    J’ai aimé : Le Montréal des années 1920 vu par deux êtres qui aspirent au meilleur en fuyant : un photographe qui fuit le Portugal des fascistes et une jeune danseuse qui fuit les obligations familiales. La structure du roman est fascinante : la description de photos prises sur le vif par notre Portugais sert de manière superbe l’introduction de sa quête naïve, alors que les lettres de la sœur de notre danseuse amènent des épisodes d’un réalisme sordide. « Et elle sentait encore cette lumière qui la consumait, qui se frayait un chemin dans le noir. »

    Je n’ai pas aimé : On commence à lire une histoire d’amour assez conventionnelle, qui se transforme en chronique politique sur le fascisme italien et les suffragettes, pour se poursuivre en suspense de série B et, enfin, se clore en chronique sociale. Tous ces genres littéraires en un seul roman ; c’est à la fois déstabilisant et bouleversant !

    Ma note sur 10 : 8,5

     

    Marielle Gamache

    J’ai aimé : La jaquette du roman qui accroche le regard du lecteur telle une muse l’œil du photographe, le récit efficace et cohérent, l’originalité du style de l’auteur, son histoire : Serafim, Claire, deux passions respectives, deux vies parallèles qui finissent par se rejoindre dans une quête absolue de reconnaissance. Les photographies prises sur le vif – comme un arrêt sur image – que l’auteur s’ingénie à nous détailler avec toute la finesse descriptive dont il est capable.

    J’ai moins aimé : Le caractère particulier qui imprègne le roman et la poésie de l’écriture supplantent largement les quelques bémols que je pourrais relever. Seul l’aspect politique m’a un peu refroidie.

    Commentaires : Je défie quiconque de rester insensible à la beauté lyrique de cette lecture. L’auteur s’investit complètement en nous démontrant l’étendue de son art en tant qu’écrivain et photographe. La vision extatique des photographies sublime l’œuvre.

    Ma note sur 10 : 9

     

    Sandrine Desbiens

    J’ai aimé : La façon dont l’auteur dépeint la réalité de la vie montréalaise dans les années 1920 et la recherche de la gloire, qui n’est pas facile en ces temps où les mœurs sont surveillées. Les personnages de Claire et de Serafim sont forts, tant par leur détermination que dans leur art. Leurs destins, parfois mélancoliques, sont entremêlés par un même besoin de s’en sortir, et c’est ce qui soutient leur relation.

    J’ai moins aimé : Je dois avouer que je ne suis pas une grande amatrice d’histoires québécoises, donc je partais avec un préjugé. Contrairement à ce que laisse entendre le résumé du livre, il s’agit plus d’une relation intéressée qu’amoureuse. De plus, la simplicité de Claire dans certaines situations est une résultante de sa passion, ce qui frustre par moments.

    Commentaires : L’idéal est de lire ce roman en dégustant une bonne bouteille de vin, pour se sentir dans le ton du livre et se laisser envelopper par le brouhaha de ses scènes.

    Ma note sur 10 : 6

     

    Marie-Claude Rioux

    J’ai aimé : L’immersion dans le Montréal des années 1920 s’avère passionnante. Le Montréal de Mark Lavorato est vibrant. Le Red Light bourdonne de vie, avec ses boîtes de jazz et ses scènes burlesques. La corruption, les balbutiements du mouvement féministe au Québec, la prostitution et les avortements clandestins, les premiers effets du krach de 1929… tout est palpable. La construction même du roman contribue à le rendre addictif. Alors qu’un chapitre braque les projecteurs sur Serafim, le suivant les braque sur Claire. Une lettre écrite par Cécile, la sœur de Claire, précède ces chapitres. La description d’une photo prise par Serafim précède les chapitres qui le mettent en scène. J’ai pris un malin plaisir à faire un bout de chemin dans le passé auprès de ces femmes et hommes obnubilés par leurs rêves et leurs convictions. Claire et sa sœur – chacune à leur façon – sont à contre-courant, avant-gardistes, habitées par un désir profond de s’émanciper et de se libérer du carcan qui leur était destiné.

    J’ai moins aimé : Rien.

    Autres commentaires : Rien ne me prédisposait à lire Serafim et Claire. D’abord, je ne suis pas fan de fictions historiques. Puis, les artistes, dans les romans, ne m’attirent pas spécialement. Mais quand ce sublime objet est arrivé entre mes mains, je n’y ai vu que du feu. J’ai laissé de côté mes réticences et j’ai lu, d’une seule traite.

    Ma note sur 10 : 9

     

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    Agatha Christie à Montréal

     


    Sur les traces d’Agatha Christie est une exposition originale du musée Pointe-à-Callière, à Montréal. Entrevue avec la chargée du projet, Élizabeth Monast Moreau.

     

    Par Carolyne Parent du magazine Chatelaine

     

    Que nous présentera l’expo ?

    Un parcours mettant en parallèle la vie d’Agatha Christie et son œuvre. Les visiteurs monteront même à bord de reproductions de wagons de l’Orient-Express pour en descendre, comme la romancière, à Ur [en Irak]. Ils y verront des reconstitutions de portions de chantier de fouilles réunissant pour la première fois des artefacts qu’elle a manipulés et qui nous sont prêtés par le Royal Ontario Museum, le Metropolitan Museum de New-York et le British Museum de Londres. Ce sont des trésors qui prennent encore plus de valeur quand on pense que, il y a quelques mois à peine, l’organisation État islamique détruisait des vestiges du patrimoine de l’Humanité sur ces mêmes sites. Plus de 300 objets seront montrés, des pièces provenant du berceau de la civilisation que fut la Mésopotamie, ainsi que d’autres ayant appartenu à Agatha Christie, tels ses carnets de notes, sa machine à écrire, ses vêtements…

     

    Livres à Lire:  Agatha Christie à Montréal


    Des romans qui s’inspirent des séjours de la romancière Agatha Christie dans des chantiers de fouilles archéologiques.

     

     

    Quelle a été la contribution de la romancière au monde de l’archéologie ?

    Elle est plus importante qu’on ne le croit. Elle gérait le budget des chantiers de Max Mallowan, finançait des fouilles et les documentait en les photographiant. Elle a aussi réalisé ce qui est sans doute l’un des premiers films d’archéologie au monde. Selon des lettres, elle était respectée par les archéologues de son temps.

     

    Que nous dit cette expo sur Agatha Christie ?

    Qu’elle était avant-gardiste, courageuse et résiliente. À nous, elle dit qu’on peut faire ce qu’on veut de sa vie.


    Du 8 décembre 2015 au 17 avril 2016 au musée Pointe-à-Callière

     

    Livres à Lire:  Agatha Christie à Montréal

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    10 lectures à dévorer (sans modération) pendant

    les Fêtes


     

    Ouf, les Fêtes s’annoncent mouvementées…mais on ne s’en plaint pas! Entre les nombreux soupers de famille et les brunchs entre amis, il est toutefois nécessaire de se réserver un peu de temps pour soi. Détendez-vous et re-la-xez! Parce qu’on sait bien que boissons réconfortantes et bouquins vont de pair, voici une sélection de 10 lectures avec lesquelles vous devriez fortement vous familiariser. Présent de dernière minute ou cadeau « À: moi, De: moi», voilà une option qui s’offre toujours bien et qui ne se démode pas. Bonne lecture!

     

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    1. Ton Petit Look ; Guide pour une vie adulte (genre) épanouie par Carolane et Josiane Stratis, 26,95 $ en librairie.

    C’est avec beaucoup d’humour, de franchise et d’intelligence que les deux jumelles aux commandes du blogue Ton Petit Look ainsi que leurs collaborateurs, nous proposent un guide varié et complet. Des recommendations sur comment remplir son premier garde-manger aux astuces beauté, en passant par de nombreux textes touchants abordant des thématiques beaucoup plus sérieuses dont le suicide, les maladies mentales, les troubles alimentaires et la sexualité sous l’ensemble de ses dimensions, une fois ce livre commencé, impossible de s’arrêter!

     

     

    2. Cafés de Jean-Michel Dufaux, 39,95 $ en librairie.

    Un photographe / globe-trotteur décide de partir à la recherche du meilleur latte. Plutôt, de la parfaite crema! Caféinophile assumé et photographe à l’oeil incisif, Jean-Michel Dufaux nous propose, à travers ses clichés, un tour du monde, du confort de notre salon.

     

     

    3. Damask & Dentelle; 300 trucs pour une déco parfaitement imparfaite de Vanessa Sicotte. 34,95$ en librairie.

    Fana de déco, voici un nouvel indispensable à laisser traîner sur votre jolie table à café! Du vestibule à la salle de bain, en passant par les chambres à coucher, le salon et la cuisine, la pétillante Vanessa Sicotte propose ici un guide pratique rassemblant plus de 300 idées et trucs pour un intérieur à la fois stylé et décomplexé. Oh, que l’envie de changer de décor nous prend soudainement!

     

     

    4. Magazine 1282 rue de la Maison par Rollande Vachon, $70.00–$80.00 pour un abonnement annuel, en ligne.

    Un bookzine/magabook 100 % québécois qui plaira certainement aux amoureux du «beau» et de l’esthétisme du Québec! Mettant à l’honneur la richesse artistique de la province, cette publication présente des lieux emblématiques ainsi que des rencontres avec différents artistes, des créateurs et des personnalités publiques de tout horizon. La publication propose même de très beaux intérieurs ainsi qu’une rubrique gastronomique. À explorer!

     

     

    5. Au gré des Champs; Une histoire de famille, d’agriculture et de cuisine, par Marie-Pier et Virginie Gosselin, 39,95 $ en librairie.

    Deux sœurs, l’une étudiante en agronomie et l’autre, photographe culinaire. Elles combinent leurs passions pour nous offrir un livre de recettes inédites de grands chefs, mais aussi un hymne au travail des artisans de la terre ainsi qu’à leur savoir-faire. De quoi ravir les amoureux de fromages québécois et autres produits, bien de chez-nous!

     

     

    6. Tous à vos chaudrons par Mélanie St-Cyr, Stéphanie, St-Germain et Mélissa Viens, 29,95 $ en librairie.

    Plus de 100 recettes testées et approuvées par trois femmes passionnées de cuisine et de photographie qui vous aideront à épater vos proches, garnir les boîtes à lunchs de vos tout-petits (aussi bien que vos plus grands!) et qui sauveront certainement vos soupers rapides les soirs de semaine.

     

     

    7. Magazine Trois fois par jour par Marilou et Alexandre Champagne, 11, 95 $ en ligne et chez certains détaillants.

    Après le succès incontesté de leur blogue culinaire, voilà que le couple chouchou des Québécois titille notre appétit de plus belle. Cette fois, en nous offrant un magazine. Une publication trimestrielle gourmande, totalement dépourvue de publicité, pour laisser toute la place à de délicieuses recettes, à des projets de déco à des textes inspirants, ainsi qu’à des photographies qui font rêver, tout simplement.

     

     

    8. Magazine Dinette par Mathieu Lachapelle, Marie-Ève Collin et Hélène Mallette, 6,99 $ en ligneet chez certains détaillants.

    Ce que l’on retrouve à l’intérieur de ce coquet magazine? Des recettes (évidemment), mais également des dossiers et des reportages qui nous font découvrir la bouffe d’un œil différent. Les collaborateurs partent à la rencontre de restaurateurs, de producteurs et de gens de l’industrie pour nous livrer des reportages inédits et des échanges sur la gastronomie. Voilà un magazine de bouffe qu’on prendra plaisir à (re)feuilleter!

     

     

    9. La jeune millionnaire en affaires par Eliane Gamache-Latourelle et Marc Fisher, 19,99 $ en librairie.

    Après avoir inspiré plus de 15 000 lecteurs et lectrices avec La Jeune Millionnaire, voilà Qu’Eliane Gamache Latourelle et Marc Fisher, nous reviennent avec la suite tant attendue de leur best-seller, qui donne cette fois-ci toutes les étapes du succès en affaires.

     

     

    10. Les 50 règles d’or pour lâcher prise par Laurence dujardin, 5,95 $ en librairie.

    Parce qu’il est sain et même nécessaire d’arriver à y parvenir! Ce petit livre de poche à traîner partout propose 50 règles, conseils et astuces pour apprendre à lâcher prise face à des situations perturbatrices : ne pas essayer de tout comprendre, vivre son chagrin, lâcher prise sur ses résistances…respirez et laissez-vous guider!

     

     

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    La reine de rien: un conte de Noël signé Geneviève Pettersen


    Romancière et chroniqueuse à Châtelaine, Geneviève Pettersen signe un conte de Noël décapant, exclusivement pour nos lectrices.

     

    22 déc. 2015 Par Geneviève Pettersen

     

    Livres à Lire:  La reine de rien: un conte de Noël signé Geneviève Pettersen

    Photo:Carolyn Lagattuta/Stocksy

     

     

    C’était le 24 décembre pis j’étais évachée dans le sous-sol chez mon père.

    J’entendais Danièle préparer toutes sortes d’affaires pour le réveillon. Elle recevait sa mère, ses millions de sœurs pis je sais plus trop qui. Papa avait invité personne, sauf un client à lui qui venait de divorcer. Je le connaissais pas. Je savais juste qu’il chauffait des avions. C’est mon père qui me l’avait dit quand il était descendu le matin pour m’avertir de porter du linge normal pis de pas me maquiller comme un char volé. Fallait pas que je lui fasse honte devant l’aviateur pis la famille de sa blonde. Je pense que ça le stressait de recevoir sa nouvelle belle-famille. Il voulait bien paraître pis ça me tombait sur les nerfs qu’il soit venu dans mon sous-sol juste pour me dire ça. Il venait jamais. Même pas pour me dire de faire le ménage ou de me lever de mon lit quand je dormais passé midi.

    Quand je suis déménagée chez eux, à la fin de l’été, mon père m’a dit que le sous-sol, ce serait comme mon genre d’appartement. Je pensais qu’il allait le rénover ou de quoi de même, m’installer un frigidaire pis bâtir une entrée indépendante. D’ailleurs, c’est ça qu’il m’avait promis la dernière fois qu’on était allés à la pêche ensemble. Mais non. Quand je suis arrivée, les murs du sous-sol étaient encore en vieille tapisserie laitte avec des motifs de vignes dessus. La seule chose que mon père avait changée en bas, c’était le divan. Il était allé porter l’ancien au « dépôt sec » pis avait descendu celui du salon parce que Danièle en voulait un neuf. Je suppose qu’il devait trop lui faire penser à ma mère. Ça faisait mon affaire. Je l’aimais le divan d’en haut. C’était un gros quatre-places importé en velours vert forêt avec des pattes sculptées dans du bois exotique. Danièle m’avait même descendu les coussins brodés qui allaient avec. Ma mère m’avait déjà dit qu’ils étaient cousus avec du fil en or. C’était vraiment forfait.


    Je soupais tout le temps sur le divan vert astheure. Je me mettais un coussin sur les genoux pis j’installais mon assiette dessus. Je mangeais en regardant Flash. Je trouvais ça cool que la fille de Chambres en ville soit rendue animatrice. En tout cas.

    Il était six heures du soir pis ça sentait la tourtière dans toute la maison. Marie-Ève a téléphoné pour me demander si je sortirais après mon party de famille. Je le savais-tu, moi ? Marie-Ève m’a dit qu’en tout cas, si on décidait de faire de quoi, faudrait qu’elle se sauve par la fenêtre de sa chambre quand ses parents dormiraient. Elle était en punition parce que sa mère avait trouvé des capotes dans son sac à dos. Je lui ai dit de me rappeler plus tard pis qu’on verrait à ça.

    J’ai entendu la sonnette de la porte d’entrée pis mon père a crié mon nom. Je portais ma robe noire du Château pis le collier tattoo que Keven m’avait donné huit jours avant de se pendre. Je savais pas quoi me mettre dans les pieds parce que j’avais juste des Doc pis des bottes hautes plateformes, ça fait que j’ai décidé de ­rester en pieds de bas pour pas me faire engueuler par mon père.

    En haut, la maison était toute décorée. Danièle avait même acheté un centre de table en sapin chez Chicoutimi-Nord Fleuriste. Ses sœurs venaient d’arriver avec leurs maris pis leurs enfants. Tout le monde s’embrassait sur les joues, pis je trouvais que le mari de la plus vieille sœur de la blonde à mon père sentait déjà la boisson. La mère à Danièle est arrivée pas longtemps après avec ses pantoufles dans un sac en plastique. L’aviateur, lui, était en retard. Danièle arrêtait pas de demander à mon père quand est-ce qu’il arriverait. Ça lui tentait pas que la tourtière sèche. Mon père lui a dit de se calmer les nerfs, que c’était Noël pis que, de toute façon, on mangeait jamais avant 9, 10 heures dans le temps des fêtes. La mère à Danièle a dit que c’était pas bon pour la digestion de manger à minuit.

     


    Mon père a fait le tour des invités pis leur a servi du Cinzano. Il m’en a même offert un verre. J’ai dit non. Je trouvais que ça goûtait le sur. Je me demandais ce que ma mère aurait pensé de ça. Des étrangers dans sa maison, je veux dire. En ce moment, elle s’en sacrait sûrement. Elle était au chalet avec son chum pis elle devait revenir juste après le jour de l’An. Je me demandais si elle allait m’appeler sur le VE2 pour me souhaiter joyeux Noël. Ça m’étonnerait. On se parlait plus tant que ça depuis que j’avais décidé de venir habiter chez mon père.

    Danièle a décidé de commencer à servir même si le client de mon père arrivait pas. Il devait être sur le bord, qu’elle répétait. Au pire, elle lui garderait une assiette au chaud. On a commencé à manger. Personne me parlait, sauf pour me demander de lui passer le sel ou le ketchup. Mon père s’est plaint que c’était sec. Il avait raison. La tourtière à ma mère clanchait tellement celle à Danièle. Une des sœurs à Danièle racontait que sa plus vieille aurait besoin de broches, mais qu’elle voulait aller voir un autre orthodontiste pour un deuxième avis. Elle était certaine que le sien, c’était un crosseur. Mon père lui a dit d’aller voir celui en bas de la rue Racine. Paraissait que c’était le meilleur en ville pis que tu pouvais payer en plusieurs « shottes ». Pendant qu’il expliquait à sa fausse belle-sœur qu’il était allé à l’école avec l’orthodontiste, son client est entré. Il a même pas sonné. Il était avec une espèce de guedaille plus jeune que lui habillée avec une robe rouge pleine de zircons. Sa robe était tellement courte qu’on aurait dit qu’elle avait oublié de mettre sa jupe. Mon père s’est levé de la table pis est allé se présenter à la fille. Danièle l’a suivi. C’était clair qu’elle haïssait la fille. Les deux nouveaux invités sont venus s’asseoir avec nous comme s’ils nous connaissaient depuis toujours. L’aviateur parlait de hockey avec le mari de la sœur de Danièle pis la gawa avec qui il était racontait qu’elle venait juste d’arriver de Québec.

    L’aviateur s’appelait André. Danièle lui a apporté son assiette en s’excusant. Elle savait pas qu’il venait avec quelqu’un. Avoir su, elle aurait gardé deux assiettes dans le four. Elle faisait chauffer la tourtière de la fille au micro-ondes. Ça serait pas long. La pâte serait peut-être un petit peu molle, mais ce serait bon pareil. Là, pour aucune raison, mon père s’est levé pis il a dit que le souper était dégueulasse. J’ai pas compris pourquoi il faisait ça. C’est sûr que ça faisait environ 10 Cinzano qu’il buvait en plus du vin. Il buvait les coupes que Danièle lui servait en trois gorgées, fait qu’il avait de l’avance sur le reste du monde.

     

    La blonde à mon père savait plus où se mettre. Je pense que c’est la première fois qu’elle voyait mon père si saoul. Ça me faisait rire parce que je savais que ce serait crissement pas la dernière. Mon père est descendu dans le sous-sol et est remonté avec plein de steaks. Il a dit qu’il nous ferait ses fameux steaks au poivre. Ça serait bien meilleur que cette marde-là. Danièle a dit que les steaks étaient congelés. C’est pas grave, que mon père lui a répondu. Il avait une technique spéciale pour les décongeler pis les cuire en même temps dans le four, comme au Deauville. Il a sacré la viande à broil pis a commencé à préparer une sauce au poivre. Je pense qu’il a vidé la moitié de la bouteille de VSOP dedans parce que, quand il a décidé de mettre le feu pour la faire flamber, la flamme a monté jusqu’au plafond. Danièle a paniqué pis est allée ouvrir la fan. Le feu a monté encore plus haut, jusque dans la fan. J’avais peur qu’on passe au feu. Danièle s’est mise à crier aigu, pis ses sœurs aussi. Le détecteur de fumée est parti. Mon père est monté sur une chaise en riant pis lui a crissé un coup de poing pour qu’il arrête. Tout le monde cherchait un extincteur, pis mon père riait encore plus pis les traitait de tapettes. Voir si le feu allait pogner. Il avait fait cette sauce-là des millions de fois. J’ai décidé de descendre dans mon sous-sol avec mon assiette de tourtière pour appeler Marie-Ève. En haut, j’entendais la visite qui sacrait son camp. Je me suis dit que Danièle allait sûrement crisser son camp elle avec. Mais elle est pas partie. Au lieu de ça, elle a tout ramassé pis elle est allée se coucher. C’est là que j’ai compris qu’elle était aussi stupide que ma mère, sinon plus.

    La déesse des mouches à feu paraîtra en format poche au Quartanier en mars 2016. Ce texte, inspiré du personnage principal du roman, a été créé en exclusivité pour Châtelaine.

     

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